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ISM France - Archives 2001-2021

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Jérusalem -

Al Bustan, Silwan

Par

Le professeur David Shulman est membre de l'organisation pacifiste Taayush/Hacampuis-lo-shotek (Etudiants contre l’occupation)

Nous sommes dans la cité de David, à proprement parler la plus vieille parcelle de Jérusalem, en dessous du Mont du Temple, non loin du Tunnel de Siloam creusé à même la roche il y a presque trois millénaires, par le roi Ezechias.
Aujourd’hui on l’appelle Silwan : quelques 50 000 palestiniens jérusalémites y vivent, presque tous porteurs de la carte d’identité bleue de Jérusalem.
Il y a quelques jours la municipalité a collé des avis de démolitions sur 88 maisons du quartier ; en gros 1500 innocents vont perdre tout ce qu’ils ont.

Apparemment il s’agit de créer un parc archéologique au cœur de ce quartier arabe.

La vérité, évidemment, est très différente : il s’agit de créer un autre îlot juif à Jérusalem-Est, une nouvelle colonie incrustée par une coercition de sauvage sur ce côteau surpeuplé.

Et ce n’est probablement qu’un début ; une fois le trou fait, ils l’élargiront et le relieront aux autres poches de colons juifs au nord, au sud et à l’est (Jabal Mukkaber, par exemple, ou cette horreur qu’est Har Homa).

L’objectif, c’est de couper les liens organiques et continus qui relient les communautés palestiniennes existantes pour "judaïser" et étrangler les abords Est de la vieille ville en colonisant, confisquant les terres, démolissant les maisons, et par la terreur et le contrôle militaire massif.

A vous d’imaginer comment on se sent quand on se réveille le matin dans sa propre maison, la maison de son grand-père construite bien avant que l’Etat d’Israël n’existe, et qu’on découvre l’annonce officielle sur le mur.

Votre foyer, là où vous avez vécu toute votre vie, va bien être détruit ; vous et vos enfants allez être des réfugiés. Ca doit paraître invraisemblable.

Une maison, c’est une présence tellement imperturbable et tellement immuable, une chose de pierre et de mortier mais tout autant qu’un refuge intime. Désormais on viole votre intimité ; on vous menace, on vous fait peur, on vous met à nu.

Une longue file de maisons condamnées s’alignent tout le long du chemin qui monte la colline, face au mur de la Vieille Ville. Dans la tente de protestation, nous sommes venus préparer les prochains transferts, une immense photo aérienne est punaisée au mur, chacune des 88 constructions encerclée et numérotée.

Abed désigne la numéro 9, la maison de sa grand-mère : l’homme qui l’a construite, son grand-père est mort il y a cent ans, aussi la maison rappelle-t-elle le XIXè siècle, l’époque turque. Partout ailleurs, on la classerait "monument historique", mais en Israël-Palestine ces considérations ne comptent pas.

Israël, ou Sharon, convoitent ce coin de terre, comme tout le reste.

Peut-on exécuter une maison comme si elle était criminelle ?
Y a-t-il un tribunal qui ait poursuivi ces maisons et les ait trouvées coupables ?
Qu’auraient-elles plaidé pour leur défense ?

D’éloquentes affiches sont déployées sur les murs de la tente, en arabe, en hébreu et en anglais :
"Où vont aller 1500 personnes ?"
"Nous payons nos impôts à la municipalité et nous n’en recevons que des ordres de démolition".
"Pourquoi nous envoient-ils à l’abîme ?"
"Comment pouvons nous éduquer à la paix quand ils détruisent nos maisons ?"
"Non à la confiscation des terres"
"Nous ne céderons pas"

Et les plus poignants :
"S’il vous plait, sauvez-moi" et "Pourquoi moi ?"


Je parcours des yeux les collines, chargées de ravissantes constructions en pierre de Jérusalem. Il n’y a pas beaucoup de place ; les maisons s’élèvent verticalement, presque sans espace entre elles.
Les enfants courent dans la rue étroite, hors de la tente.

Les hommes et les femmes entrent et sortent de la tente, certains regardent avec curiosité l’étrange délégation de quelques dizaines d’Israéliens venus voir de leurs propres yeux, et essayer d’aider.

C’est tard dans l’après-midi, le soleil est encore très chaud. Une dizaine de femmes palestiniennes sont assises ensemble d’un côté de la tente, la plupart avec les cheveux couverts et dans de longues robes sombres. Il y a une table au fond, couverte de pétitions et de cartes : Abed Muhammad et quelques autres sont debout derrière, désireux de raconter leur histoire.


Amiel nous présente d’abord : nous sommes de Ta’ayush, et nous engagés dans la signification des mots "coexistence Arabe-Juive". Il explique comment nous travaillons, cite quelques une de nos réussites ; nous nous joindrons avec enthousiasme à la lutte qui se déroule ici.

Une jeune femme, vêtue à la mode d’aujourd’hui, est la première à répondre. Elle parle dans un arabe clair, énergique. Khulud traduit en hébreu pour les invités. Elle nous accueille bien, mais elle est sceptique : Quel genre de "Ta’ayush" ("tous ensemble") est-il possible dans toute cette injustice ?

Que diront ces mères à leurs enfants quand ils verront les bulldozers détruire leurs maisons ?
Espérons-nous qu’ils grandiront désireux de la paix ?

Tout ce que ces familles réclament, c’est l’équité et une paix juste ; elles veulent deux états et vivre côte à côte, et la fin de ce cauchemar qui n’en finit pas.

Pourquoi ne devraient-elles pas avoir le droit, comme eux, de construire sur la terre qui leur appartient ?
Pourquoi les Juifs viennent-ils voler leurs terres et leurs maisons ?
Pourquoi fabriquent-t-ils de faux documents de propriété, et comment l’Etat peut-il être derrière Ateret Cohanim, les colons les plus abominables et les plus indélicats, qui se sont déjà emparés des bâtiments de Silwan ?

Les gens de ce quartier paient leurs impôts, ils appartiennent à cette ville, même si cette ville ne leur donne rien, aucun services (municipaux) et vient maintenant les détruire jusque dans leurs maisons. Très en colère, décidée, elle nous remercie d’être venus voir.


Ca n’a pas été facile - nous l’avons appris plus tard - pour ces femmes d’accepter notre visite. Elle ne veulent pas avoir affaire avec les Israéliens, mêmes avec ceux qui sont prêts à les soutenir contre le gouvernement et l’armée.

D’une certaine façon, les hommes – tous sont des vétérans des prisons israéliennes, longtemps emprisonnés pour la plupart pour des infractions légères, comme des jets de pierres contre les soldats au cours de la première Intifada, à la fin des années 1980 - les ont persuadées que nous pouvions être utiles.

Maintenant c’est au tour des hommes de parler.

D’abord Muhammad,dans un arabe rauque :
"Ici, à Al-Bustan, à Silwan, les maisons palestiniennes sont régulièrement détruites. La ville n’a jamais accordé de permis de construire aux Arabes ; les familles continuent de s’agrandir, et finalement, désespérés, ils construisent "illégalement", ensuite la ville abat la maison, condamne à une amende les propriétaires, des sommes énormes.

L’une des maisons de cette rue a été démolie et reconstruite trois fois. Ils aiment leur quartier : "Les gens disent que c’est un "jannah", un jardin d’Eden, le paradis d’Allah, un lieu d’eau et d’arbres verts ; mais pour nous, il n’y a pas de jannah,et c’est Silwan."


Abed choisit de parler en hébreu, un hébreu qu’il maîtrise avec une grâce consommée. Il est diplomé de la meilleure école de langues en Israël : neuf ans de prison.

Il a eu beaucoup de temps pour peaufiner son talent ; il peut lire chaque mot d’un journal en hébreu, même les notices nécrologiques, il a aussi acquis un anglais parfait et un français passable.

Il y a du piment dans toutes ses phrases.

"Nous, à Silwan, nous avons deux mères : l’Autorité Palestinienne qui nous a tourné le dos, et notre marâtre, la municipalité de Jérusalem, qui est en guerre contre nous, une guerre informelle.
Ils n’arrêtent pas de nous mentir ; ils disent que nous ne vivons pas ici, que nous sommes venus d’Hébron.
Ils disent qu’ils doivent réduire la population du cœur urbain de peur qu’un Tsunami ne dévaste tout.
Y’a-t-il jamais eu de Tsuanami à Jérusalem ?
Il dit qu’il a le cœur plein de ressentiment contre les Israéliens de Gauche : il n’y a jamais rien eu à espérer de la Droite, ils sont comme ils sont, mais pourquoi la Gauche, leur vrai partenaire, reste-elle si silencieuse et si complice ?

Ils ont cessé de regarder la télé, ils ne regardent jamais les informations, parce qu’ils souffrent trop.
Hier, le Ministre du Tourisme est venu à Silwan, dans son élégante Volvo, entouré de soldats en armes ; ils voulaient inspecter quelques ruines.

Abed s’est approché assez près de lui pour lui dire :
"Au lieu de visiter ces ruines, vous devriez visiter celles que vous vous apprêtez à faire de nos maisons."

Il parle de désespoir ; ils n’ont aucun recours, la catastrophe plane sur eux, ils n’ont pas peur mais ils pourraient aller jusqu’à se jeter, eux et leurs enfants, sous les bulldozers dès que ces derniers commenceront à attaquer.


Tandis qu’il parle, j’observe le visage des femmes palestiniennes, dont beaucoup sont âgées.
Des visages méditerranéens – nous pourrions être dans un village grec ou marocain – usés par le temps, érodés par la vie ; j’ai l’impression qu’elles sont perplexes, incapables d’absorber l’énormité de ce qui est arrivé.

C’est comme d’errer dans une histoire qui n’a pas de sens, une histoire qui n’a ni fin, ni sortie, ni espoir.

A les regarder en plein désespoir, moi aussi je ne peux contenir ma colère et ma fureur. Je rage intérieurement, plein d’amertume et d’angoisse, ne désirant que le privilège d’affronter les bulldozers avec toutes ces familles ; en fait, je veux aussi qu’ils sachent que je les comprends.

Nous nous consultons entre nous. Sur la balance, il y a de bonnes chances pour que nous puissions sauver ces maisons en éveillant les consciences d’Israël, par le biais des tribunaux, et en relançant la réaction internationale.

Nous ferons venir la presse, nous organiserons une journée de travail conjointe avec des centaines de volontaires ; ensemble avec les gens de Silwan, nous nettoierons, peindrons, décorerons les maisons condamnées.

Nous nous joindrons à eux dans leur manifestation de la semaine prochaine qui partira de cette rue jusqu’à la mairie au cœur de la ville.

Si la police cherche à nous arrêter, par ses méthodes habituelles, gaz lacrymogène, matraques, arrestations, ce sera d’autant mieux que ça fera la une des informations du soir.

Nous l’avons si souvent fait jusqu’à maintenant, nous sommes las de combattre ce gouvernement maison après maison, rue par rue, mais nous n’abandonnerons pas.
Cette fois peut-être, nous pouvons gagner.


En bavardant après coup, Abed s’amuse de découvrir que j’enseigne à l’Université.

Il y a travaillé et s’occupait des pelouses et des jardins, usqu’à ce qu’ils découvrent qu’il avait fait de la prison ; ils l’ont immédiatement viré et maintenant il ne peut même pas venir voir, on ne l’autorise pas à entrer sur le campus.

"Faites mes amitiés aux fleurs". Il décrit comment il a été récemment convoqué au bureau d’Ophir, la Sécurité Intérieure (mukhabbarat) qui sévit à Silwan.

Un jour son téléphone portable a sonné et à l’autre bout c’était Ophir.
Comment avait-il eu son eu son numéro ?
Mais ensuite Ophir a déclaré qu’il était au courant de tout ce qui arrivait dans ce quartier. Il a dit à Abed qu’il avait à l’œil toute la journée, qu’il sait même quand il dort avec sa femme.

Ca n‘a pas intimidé Abed ; il y a une certaine assurance et une sorte d’insouciance ; et il a tellement envie de travailler avec nous.

La majorité des 1500 personnes qui bientôt seront dépossédées sont des enfants ; Muhmmad voudrait avoir une Journée des Enfants.

Qu’ils dessinent et qu’ils peignent ce qu’ils ressentent, que la télé. montre leurs dessins au monde entier.
Qui aurait le cœur de blesser ces enfants ?

Il ne peut pas croire que le gouvernement le fasse intentionnellement.
Il ne peut pas accepter cette effroyable injustice, bien qu’il lui donne son véritable nom.
Il me demande mon nom, je le lui dis : David Da’ud. Son visage s’épanouit dans un grand sourire : "Da’ud, le roi David, il était d’ici, il était de Silwan."

Et pendant un court moment, ce déploiement fou d’identités et des revendications, de bulldozers, de maisons, de Juifs, de Palestiniens, leurs drapeaux, leur timbres poste, les fusils, la cruauté du pouvoir, tout cela s’efface devant ce simple fait, ce fait indéniable : qui que ce soit qu’il ait été, s’il a jamais été, le Roi David était un Silwani.

Peut-être est-ce la seule chose qui importe.

Il serait sûrement étonné, mais aussi horrifié, de voir ce qu’une partie de ses enfants est en train de faire à une autre (partie de ses enfants) au nom de cette absurdité effrénée, l’Etat-Nation. Ce David, dit-on, était un poète.

Muhammad, toujours souriant me regarde comme si j’y pensais aussi. Mais il y a plus : Ayyub, le prophète Job, était aussi d’ici ; son puits, Bir Ayyub, est juste à côté.
Aussi Job, lui qui souffrit au-delà du supportable, était aussi un Silwani.

Rien d’étonnant. C’est comme en accord avec le terrain, le sable gris, le soleil d’un été finissant, la tente sombre, les visages ridées des femmes.
Mais Job a eu de la chance d’une certaine manière.

Après avoir souffert, après avoir maudit un dieu énigmatique, il a reçu tout un lot d’enfants, de troupeaux, de santé. Bien plus, Dieu a été obligé de lui parler, pas exactement de s’expliquer, mais au moins de réciter le magnifique chapitre 38 (lui aussi était poète).

Le visage des Silwani d’aujourd’hui porte une énigme différente, peut-être tout aussi impénétrable, quoique leur souffrance ait une cause et une logique, celle d’une méchanceté humaine impitoyable, délibérée et systématique, d’une cruauté et d’une convoitise.

Cela n’est le fait d’aucun Dieu, mais le cri de l‘innocent reste le même : "Pourquoi moi ?"

Voir la carte (ARIJ)

Source : www.kibush.co.il/

Traduction : CS pour ISM

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