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Gaza - 29 mai 2011
Par Yousef
La nouvelle a été saluée par beaucoup dans le monde entier cette semaine, lorsque des articles sur une décision prise par le gouvernement militaire actuel d’Égypte d'ouvrir le passage de Rafah ont refait surface. Mais que signifie l'ouverture de Rafah ? Certains vont sans aucun doute proclamer que la vie à Gaza s'améliore maintenant et que le siège est terminé. Mais le siège qui piège Gaza est très complexe. Ignorer les nuances de cette décision d'ouverture et penser que Gaza équivaut à une grosse boite dont le couvercle vient d'être levé est complètement erroné. Il est important, en particulier à l'heure où l'anniversaire de l'attaque sur le Mavi Marmara approche, de comprendre ce que signifie et ce que ne signifie pas l'ouverture de Rafah, et de redoubler nos efforts pour sensibiliser l'opinion et défier le siège israélien ininterrompu de la Bande de Gaza.
Ce que l'ouverture de Rafah ne veut pas dire : le siège est terminé
Le siège de la Bande de Gaza est une fermeture multi-couches aux nombreuses dimensions. Plusieurs politiques de bouclage contribuent à l'effet de siège, et l'ouverture de Rafah n'aura vraisemblablement pas un impact majeur sur l'effet global, simplement parce que les autres décisions de fermeture, imposées par Israël, ne changent pas.
Tout d'abord, qu'est exactement le passage de Rafah ? Rafah est une ville palestinienne dans la Bande de Gaza, à cheval sur la frontière avec l’Égypte. Un terminal existe à la frontière pour faciliter le passage des gens à travers la frontière, mais Rafah n'est pas conçu comme un passage pour les marchandises. L'ouverture de Rafah, tandis qu'elle peut permettre aux gens de Gaza de sortir (avec la permission de l’Égypte toujours nécessaire bien sûr), a peu d'effets sur la quantité réelle des produits qui entrent et sortent de Gaza.
Les autres couches du siège
Les autres passages : Pour des raisons logistiques, historiques et d'infrastructures, d'autres points de passage vers Gaza sont conçus pour l'entrée des marchandises commerciales et humanitaires. Grâce aux données de l'Office des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, qui enregistre tout ce qui est autorisé à entrer à Gaza, quand et par quel endroit, on peut voir un contraste frappant entre les différents passages. L'ensemble des données du 19 juin 2007 au 19 mai 2011 présentées dans ce camembert montre que très peu de marchandises passent par le passage de Rafah.
Mais ce graphique ne dit pas tout. Aujourd'hui, la plupart de ces passages ont été fermés et, en fait, à ce jour de 2011, 95% des camions qui ont été autorisés à entrer à Gaza sont passés par le carrefour Kerem Shalom. Israël a, au fil du temps, pratiquement bouclé tous les autres passages.
Les dizaines d'années d'occupation israélienne de Gaza, et l'histoire de Gaza en tant que partie intégrante de la Palestine historique depuis des millénaires, ont créé des réalités d'infrastructure et logistiques qui rendent l'approvisionnement par le nord beaucoup plus facile que par le sud. La densité de la population de Palestine/"Israël" au cours du temps a toujours été plus importante que celle du Sinaï d’Égypte, ce qui signifie que les ressources étaient situées au milieu de la Palestine historique et distribuées naturellement à son périmètre.
En conservant un contrôle total des autres passages, Israël est toujours en mesure de maintenir sa politique de siège pratiquement dans la même exacte mesure qu'avant l'ouverture de Rafah. A moins que l’Égypte et la Palestine ne réorganisent complètement le passage de Rafah et l'infrastructure qui l'entoure des deux côtés de la frontière, il est peu probable qu'il y ait le moindre changement. De plus, de tels changements sont hautement improbables pour des considérations tant politiques qu'économiques. Ce n'est tout simplement pas un investissement rentable de ravitailler Gaza en faisant un détour quand la terre à laquelle elle a toujours été intégrée d'un point de vue économique est dans sa partie nord. En outre, la séparation de Gaza de la Palestine historique est de toute façon un champ de mine politique à cause de ses implications politiques dans la lutte pour l'autodétermination des Palestiniens.
Électricité et eau : Pour beaucoup des mêmes raisons expliquées ci-dessus, Gaza est très largement dépendante d'Israël lorsqu'il s'agit d'électricité. Ce rapport spécial de 2010 d'OCHA déclare que "les besoins de la Bande de Gaza sont entre 240 et 280 mégawatts (MW), dont au moins 42% sont achetés à Israël, distribués par des câbles d'alimentation séparés le long de la Bande de Gaza, et 6 à 7% sont achetés à l’Égypte, distribués principalement dans la région de Rafah."
Le rapport explique bien la genèse du problème de l'électricité :
"La pénurie d'électricité dans la Bande de Gaza remonte à juin 2006, lorsque l'aviation israélienne a détruit les six transformateurs au cours d'une frappe aérienne. Cinq mois plus tard, la centrale électrique a repris la production, mais à un niveau considérablement réduit ; elle a produit environ 65 MV (sur une capacité potentielle de 80 MV), comparés aux 118 MW de production de pointe (sur une capacité potentielle de 140 MW) avant le bombardement.
L'imposition par Israël d'un blocus sur la Bande de Gaza en juin 2007, après la prise de contrôle par le Hamas, a encore resserré les restrictions existantes sur les importations des pièces détachées, des équipements, des consommables et du carburant industriel nécessaires à l'exploitation de la centrale et au réseau électrique. Il y a eu en conséquence un déficit chronique du niveau de production électrique de la centrale de Gaza. Depuis janvier 2010, le déficit électrique journalier s'est aggravé, suite à l'expiration de la subvention directe de la Commission européenne pour l'achat du carburant de la centrale. Depuis lors, la centrale s'est arrêtée complètement deux fois, par manque de carburant. La centrale ne fonctionne actuellement qu'avec une turbine et ne produit que 30 MW d'électricité, par rapport à sa production moyenne de 60-65 MW en 2009.
Le contrôle d'Israël sur l'essentiel de l'électricité produite en dehors de Gaza et sa capacité à nier le développement durable de la production d'électricité à l'intérieur de Gaza en empêchant l'entrée des matériaux nécessaires pour ramener la centrale en capacité, lui donne le contrôle effectif sur l'interrupteur électrique de Gaza.
L'électricité a également un impact direct sur le problème de l'eau potable. Amnesty International rapporte que 90 à 95% de l'eau potable de Gaza est contaminée et impropre à la consommation. Les Nations Unies ont même trouvé que l'eau en bouteille à Gaza contenait des contaminants, vraisemblablement dus aux bouteilles en plastiques recyclées dans des usines qui ne fonctionnent pas correctement. Le manque d'électricité suffisante pour les usines de dessalement et d'épuration provoque l'infiltration de quantités importantes d'eaux usées dans l'aquifère côtier de Gaza, la principale source d'eau pour la population.
Le blocus : Les gens utilisent souvent les mots blocus et siège de façon interchangeable, ce qui est inexact. Le blocus de Gaza est appliqué par la marine israélienne au large des côtes de Gaza et dans ses eaux territoriales. Le siège est une combinaison de politiques restrictives et punitives qui comprennent le blocus, mais aussi certains des autres problèmes évoqués plus haut. Le blocus lui-même, cependant, a un impact spécifique mais également dévastateur sur Gaza, sa population et son économie. Pour l'industrie de la pêche de Gaza, il a été destructif. Israël impose son blocus naval illégal à 3 miles nautique (la plupart des poissons des eaux territoriales de Gaza se trouvent au-delà de cette limite) et lorsque les pêcheurs de Gaza s'en approchent trop, la marine israélienne leur tire dessus. En fait, ce matin même [27 mai], trois pêcheurs ont été blessés lorsque des vedettes israéliennes ont fait feu sur eux.
Alors qu'Israël prétend que son blocus est destiné à empêcher l'entrée d'armes à Gaza, il lui reste encore à fournir une explication au sujet des tirs sur des pêcheurs palestiniens venant de Gaza sur des canots. Les effets de ces actions sont si graves qu'un territoire côtier à l'histoire maritime riche fait de l'élevage de poissons et importe maintenant du poisson frais d'Israël. Inutile de dire que l'ouverture du passage de Rafah aura peu d'impact sur cet aspect du siège.
Ce que l'ouverture de Rafah signifie vraiment : la fermeture d'un chapitre sombre de l'histoire de l'Egypte
Le siège de la Bande de Gaza est une politique honteuse qui punit collectivement des civils, en contravention directe au droit humanitaire international et est une cicatrice affreuse sur la conscience de la communauté internationale. L’Égypte a malheureusement joué un rôle indéniable dans cette politique sous le régime Moubarak, en dépit du fait que la plupart des Égyptiens ont dénoncé avec véhémence cette politique. Tandis que la fermeture égyptienne de Rafah fut une contribution mineure aux effets globaux du siège comparés aux restrictions israéliennes, le régime complice Moubarak était considéré comme traître aux yeux de la plupart dans le monde arabe et musulman. Les Palestiniens et une grande majorité des gens de par le monde savaient que la population d’Égypte était en désaccord avec ce que son gouvernement faisait. Tous ceux qui en doutait en furent totalement convaincus après le 25 janvier 2011.
Toutefois, c'est le rôle que jouera la nouvelle Égypte vis-à-vis de Gaza qui déterminera si c'est vraiment la fin d'un chapitre sombre de son histoire, et si l'ouverture de Rafah est la première ou la dernière démarche qu'elle prendra pour rompre la politique de siège imposée par les Israéliens. Garantir que les Palestiniens de Gaza puissent entrer et sortir de Gaza librement par le passage de Rafah nouvellement ouvert, sans visas discriminatoires et retards de contrôles sécuritaires qui ont cassé la mobilité par le passé, serait un prochain pas extrêmement important dans la bonne direction.
Source : The Jerusalem Fund
Traduction : MR pour ISM
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