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ISM France - Archives 2001-2021

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Cisjordanie occupée -

Elections palestiniennes : la résurrection de Salam Fayyad

Par

Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d'histoire intellectuelle à l'université Columbia de New York. Il est l'auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Il a notamment publié ‘Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan’, ‘Desiring Arabs’, ‘The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians’, et plus récemment ‘Islam in Liberalism’. Ses livres et articles ont été traduits dans une douzaine de langues.

18.03.2021 - Les dirigeants du mouvement Fatah manœuvrent à tout va pour s’assurer une position avantageuse en vue des élections de l'Autorité palestinienne (AP) prévues en mai. Il ne s'agit pas d'une rivalité entre conservateurs de droite, libéraux du centre et socialistes radicaux, mais plutôt d'une bataille entre différentes factions et personnalités de droite pro-Oslo et néolibérales.

Elections palestiniennes : la résurrection de Salam Fayyad

La direction actuelle du Fatah et de l'AP ne prend aucun risque, puisqu'elle a adressé une menace voilée à Marwan Barghouti, qui croupit dans une prison israélienne depuis 2002 mais qui reste actif dans le mouvement depuis sa cellule. Et il y a quelques jours, le Fatah a expulsé du mouvement le neveu de l'ancien dirigeant Yasser Arafat, Nasser al-Qudwa, en raison de son défi électoral au président Mahmoud Abbas.

Mais ceux qui ont l'intention de sauvegarder l'AP de [la candidature] Abbas, que ce soit par le biais de rivaux internes au Fatah ou de personnalités technocratiques "indépendantes", ne sont pas en reste ; ils viennent de lancer leur dernier candidat, l'ancien Premier ministre de l'AP Salam Fayyad, qui a récemment annoncé dans une interview au journal palestinien al-Quds qu'il retournait en Cisjordanie sous occupation israélienne pour se présenter aux élections en tant qu'indépendant.

Gouvernement d'unité nationale

Fayyad a déclaré que le bloc parlementaire qu'il a l'intention de former serait composé de "personnalités indépendantes" et qu'elles mèneraient leur campagne avec "transparence et honneur". Il a ajouté que les élections devraient permettre de mettre en place un gouvernement d'unité nationale incluant tout le monde, "et non un gouvernement majoritaire". Il a néanmoins exprimé des inquiétudes quant à la réalisation d'une telle unité par le biais d'élections, étant donné les divisions entre les factions palestiniennes, en particulier le Fatah et le Hamas, et la répression de la liberté d'expression par le Fatah-PA au pouvoir.

Fayyad, qui a été premier ministre de l'AP après le coup d'État du Fatah contre le Hamas de 2007 à 2013, est actuellement professeur invité à l'université de Princeton. Il a quitté la scène palestinienne après avoir participé à une ONG dont les fonds ont été séquestrés en 2015 par un tribunal de l'AP, qui a accusé l'organisation d'utiliser ses fonds à des fins politiques et non philanthropiques, ce que Fayyad avait nié.

Dans son curriculum vitae, il est indiqué que Fayyad a travaillé pour le Fonds monétaire international de 1987 à 2001, où il a notamment occupé le poste de représentant résident en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pendant la seconde moitié de son mandat. En 2002, il est devenu ministre des finances de l'AP.

Alors qu'il était Premier ministre en 2009, Fayyad - surnommé par le défunt président israélien Shimon Peres "le premier Ben Gourion des Palestiniens" - avait prédit qu'un État palestinien serait créé d'ici 2011. Plus de dix ans après cette prédiction non réalisée, il semble avoir renié son propre espoir et, si l'on en croit ses récentes déclarations, avoir radicalement changé de cap.

Au cours de son long mandat de Premier ministre, il a reconnu qu'Israël était un "pays biblique", notant : "En rapport avec l'ethos sioniste, très bien, Israël est un pays biblique, il y a beaucoup de sommets de collines, beaucoup d'espaces vacants, pourquoi [les colons] ne les utilisent-ils pas, faisons-le !". Mais dans sa récente interview, il a insisté sur le fait que les Palestiniens devaient désormais revendiquer leurs droits nationaux sur toute la "Palestine historique".

Répression des Palestiniens

Lorsqu'il était en fonction, Fayyad a présidé à la répression de toutes les formes de résistance palestinienne à Israël, qualifiées d'"incitation", y compris la liberté d'expression et d'action politique.

Alors que les forces de sécurité de l'AP, entraînées par les États-Unis, réprimaient les Palestiniens, Fayyad a assuré aux lecteurs israéliens dans une interview avec Haaretz : "L'incitation peut prendre différentes formes - des choses dites, des choses faites, des provocations - mais il y a des moyens de traiter cela. Nous nous en occupons".

Pourtant, non seulement Fayyad s'est posé en démocrate au-dessus des politiques partisanes et du conflit entre le Fatah et le Hamas, mais il a insisté dans le même temps sur le fait qu'il appliquait le dispositif sécuritaire de l'AP, formé sous la supervision du lieutenant-général américain Keith Dayton, pour ne réprimer que ceux qui violaient la loi de part et d'autre.

Dans une interview publiée par le Journal of Palestine Studies (JPS), basé à Washington, il revendiquait être opposé aux violations des droits de l'homme, à la torture et aux arrestations pour des motifs politiques, malgré les nombreux abus commis sur tous ces fronts par ses forces de sécurité, qui, à l'époque, ciblaient particulièrement toute personne associée au Hamas.

Fayyad a aussi allègrement renoncé au droit du peuple palestinien de retourner dans ses maisons et sur ses terres dont il a été expulsé en 1948 par les colons juifs européens, en déclarant : "Bien sûr, les Palestiniens ont le droit de résider dans l'État de Palestine" qui sera établi dans certaines parties de la Cisjordanie et de Gaza.

Il était également très souple sur la ville de Jérusalem. Dans la version originale en arabe de 2009 de son interview pour JPS publié dans le Majallat al-Dirasat al-Filastiniyya basé à Beyrouth, Fayyad était tellement préoccupé par le vol colonial israélien de Jérusalem en cours qu'il recommandait sobrement une normalisation arabe complète avec Israël pour y mettre fin : "L'identité arabe de la ville sera renforcée lorsque les Arabes viendront la visiter, et non lorsqu'ils la boycotteront sous prétexte que la visiter serait une normalisation avec l'occupant. Je crois qu'il est du devoir des Arabes de visiter Jérusalem et je les y encourage vivement, car ce faisant, ils soutiendraient et renforceraient la dimension arabe de l'identité de Jérusalem."

Photo
Septembre 2012 – Manifestation contre la hausse du coût de la vie à Bethléem
(photo : RRB/Activestills.org)


Contrairement à ses déclarations précédentes, le nouveau Fayyad radical semble catégorique quant à la revendication des Palestiniens sur Jérusalem, et il affirme qu'il s'agirait d'un test pour l'administration Biden, à propos de laquelle il est moins qu’optimiste, pour inverser les politiques de l'administration Trump.

Coalition réformiste

En rupture avec ses positions antérieures favorables à Israël, M. Fayyad a appelé, dans sa récente interview, à l'abandon de la solution à deux États et a insisté de manière surprenante sur le droit des Palestiniens à l'ensemble de la "Palestine historique", ce qui devrait être mis en avant au niveau international comme une position palestinienne unitaire.

Le nouveau Fayyad radical a même insisté pour que le Fatah adopte la ligne que le Hamas et le Jihad islamique ont toujours exprimée, à savoir que les élections ne soient pas organisées sous la rubrique des accords d'Oslo, comme insiste le Quartet récemment ressuscité (les États-Unis, l'ONU, l'UE et la Russie), mais plutôt sur la base du rejet total d'Oslo. Il a exigé que les Palestiniens de Jérusalem-Est occupée participent au vote, comme ils ont pu le faire lors des précédentes élections de l'AP.

Interrogé par al-Quds sur les rumeurs selon lesquelles il pourrait se présenter aux élections sur la base d'une initiative du gouvernement des Émirats arabes unis, qui a récemment normalisé ses relations avec Israël, Fayyad a catégoriquement démenti ces rumeurs.

Le sondeur palestinien Khalil Shikaki, chercheur principal au Crown Center for Middle East Studies de l'université Brandeis, a déclaré que "si Fayyad est numéro 2 sur une liste créée par Marwan Barghouti et menée par Nasser al-Qudwa, ou s'il fait partie d'une coalition réformiste plus large, ses chances de prendre des voix au Fatah augmenteraient considérablement. Avec une liste électorale de gauche unitaire, une telle coalition réformatrice pourrait influencer la composition de la prochaine coalition gouvernementale palestinienne."

Cela suggère que l'indépendance politique revendiquée de Fayyad pourrait devoir dépendre de la faction Fatah anti-Abbas, ou en être complice, pour obtenir une victoire électorale. Toute une série d'intellectuels palestiniens pro-Oslo et pro-occidentaux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Palestine, ont exprimé leur enthousiasme quant au retour prometteur de Fayyad dans la politique palestinienne.

Des implications intrigantes

Ce n'est pas la première participation de Fayyad au cirque. Il a fait un essai en 2006, lorsqu'il s'est présenté sur la liste "Troisième voie", qu'il a cofondée avec la politicienne palestinienne Hanan Ashrawi, et qui était également "indépendante" des autres factions palestiniennes. À l'époque, le Fatah a accusé la Troisième Voie d'être financée par la CIA, ce qu'elle a nié. Lors des élections, la Troisième Voie n'a obtenu que 2,4 % des voix. On ne sait pas quel pourcentage de voix Fayyad espère obtenir lors des prochaines élections de mai.

La résurrection de Fayyad de sa retraite politique est en effet un événement des plus intrigants. Certains dans les couloirs du pouvoir israélien, arabe et occidental semblent faire tout ce qu'ils peuvent pour réorganiser la gouvernance de l'AP et sa collaboration avec Israël, et avec elle les manœuvres de l'occupation israélienne elle-même, pour mettre fin à toutes les formes de résistance palestinienne une fois pour toutes, avec une version à-la-Biden du "deal du siècle" de Trump.

Les élections de l'AP sont le jeu dans lequel se joue cette stratégie impériale et israélienne, et celle des collaborateurs concurrents de l'AP et du Fatah qui se disputent le pouvoir.



Source : Middle East Eye

Traduction : MR pour ISM

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