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Israël -

Fabriquer une identité nationale : Musées, Mémoire et Pensée collective en Israel

Par

“Ceux qui contrôlent le passé, contrôlent le futur.” (George Orwell, 1984) - Première parution de cet article le 26 mars 2006.

Comment les représentations du passé affectent-elles notre compréhension de celui-ci?
Comment des représentations historiques sont-elles incorporées dans la mémoire collective?
À quel degré des concepts de l'identité nationale sont-ils inclus dans la mémoire collective, et quel rôle jouent les musées dans la création de cette mémoire collective?

Dans cet essai, j'explore ces questions dans le contexte de la mémoire collective, des musées et de la culture publique dans l'histoire moderne d'Israël.

En particulier, je suis intéressé par :
a) le rôle de l'Etat dans la production, le choix et l'organisation de la mémoire collective, et
b) le rôle des musées – en tant que lieux publics approuvés par l'Etat –
dans la construction de la mémoire et donc dans l'interprétation commune du passé.

Comme le remarquait Eviatar Zerubavel concernant la pertinence de la mémoire collective dans la construction de la nation, "l'acquisition des mémoires d'un groupe et, de ce fait, l'identification avec son passé collectif fait partie du processus d'acquisition d'une identité sociale, et la familiarisation des membres avec ce passé est une partie importante des efforts des communautés pour les assimiler". [1]


Pour qui ces musées sont-ils construits et quel(s) message(s) doivent-ils faire passer?

Les musées, notamment les musées historiques et culturels, construisent implicitement et explicitement des récits nationaux pour une présentation aux citoyens et aux étrangers. Leur fonction est de mémorialiser le passé collectif.

En regardant le rôle des musées dans la culture israélienne contemporaine, nous pourrions nous demander qui est encouragé à les fréquenter et à les expérimenter.

Quel est le rôle de "l'exposition" et comment cela concerne les façons dont des objets particuliers sont choisis, cachés, ou organisés pour l'exposition ?

Comme l'histoire, les musées sont souvent considérés comme des espaces neutres dans lesquels les événements du passé sont objectivement rassemblés et présentés.
La fonction politique d'oublier ou de supprimer d'autres événements est souvent négligée.

Selon Stuart Hall, les "musées ne montrent pas simplement des descriptions objectives ou ne forment pas des assemblages logiques; ils produisent des représentations et attribuent une signification et une valeur en conformité avec certaines perspectives ou des schémas classés qui sont historiquement spécifiques". [ 2 ]

Par opposition aux livres d'histoire, les musées sont des endroits où l'histoire est "expérimentée" par des images visuelles et audiovisuelles, des expositions provisoires, des sites interactifs, des programmes éducatifs, et des collections permanentes.

Mon intérêt pour les musées en tant qu'espaces politiques s'est accru après avoir visité un certain nombre de musées en Israël.

En tant qu'activiste des droits de l'homme travaillant ici et dans les territoires palestiniens, je me demandais comment la culture visuelle interagissait avec les récits nationaux israéliens et palestiniens. J'étais particulièrement curieux de voir comment les Palestiniens étaient représentés dans les musées israéliens.


Plutôt que d'aller dans des musées qui auraient des images nationalistes évidentes - tels que des musées militaires ou de combat - j'ai choisi des musées historiques et de patrimoine, ainsi que des sites archéologiques qui ne sont pas habituellement considérés comme de la propagande pour un message nationaliste particulier.

Je m'attendais à ce que la permanence du conflit mène les Israéliens à représenter les Palestiniens de façon négative ou déshumanisante. Il est commun pour les musées nationaux construits par le groupe ethnique dominant de légitimer son arrivée à la suprématie en déshumanisant le groupe subalterne.

En Equateur, par exemple, j'ai vu des expositions nationales dans lesquelles les autochtones Amazoniens étaient dépeints comme des rêveurs aux yeux plein d'étoiles allongés dans des hamacs. Une exposition montrait un homme dans une hutte entouré de publicités de magazine de hors-bords et de haute technologie, pendant qu'il "dormait".

Mes visites sur des dizaines de sites archéologiques et dans des musées historiques en Israël m'ont supris par le manque total de représentations des Palestiniens.
Ils étaient en effet "invisibles" dans la présentation du passé, et en termes de leur importance pour la région géographique de la Palestine.

Avant d'examiner la question de l'invisibilité des Palestiniens dans les musées israéliens, il est nécessaire de regarder les histoires que racontent réellement les musées israéliens.

Ce sont la plupart du temps des histoires au sujet de la colonisation et de la création d'Israël lui-même, et du rapatriement de la communauté juive dans sa patrie biblique.

Comme avec la plupart des nations, la façon dont l'histoire est racontée a une importance majeure pour leur sentiment d'identité collective. Israël ne fait pas exception.

Mais ce qui rend Israël particulièrement intéressant, c'est le fait que ses pratiques de construction historique soient aussi explicitement chargées politiquement.

Alors que le conflit avec les Palestiniens continue, Israël, à travers les musées et d'autres projets institutionnels nationaux, essaye constamment de prouver sa légitimité.

On peut se demander si ce n'est que pure coïncidence si, selon le ministère israélien du Tourisme, Israël a plus de musées par habitant que tout autre pays au monde. Les musées semblent jouer un rôle important dans les pratiques de fabrication de l'Etat.




Sites Archéologiques Israéliens

Il n'est pas surprennant que l'archéologie joue un rôle important dans les récits fondamentaux de l'Etat israélien.
Ancrer les Juifs à la terre sur laquelle l'Israël moderne est construit est essentiel à la question de la légitimité et du droit.

Les sites archéologiques que j'ai visités (Masada, Césarée, Acre et les autres) racontent des histoires étonnamment semblables. Tout en parlant des nombreux peuples qui ont conquis la terre d'Israël, les sites se concentrent clairement sur les contributions des anciens groupes israéliens, diminuant ainsi le rôle des autres populations dans la région.

Après s'être concentré sur l'Ancien Israël, l'à-propos de ces expositions passe ordinairement rapidement sur les nombreux peuples qui ont conquis la terre - et qui parfois y sont restés.

En se rapprochant de l'histoire moderne, il ralentit pendant la période de l'empire Ottoman (de la moitié du 16ème siècle à 1914), puis progresse rapidement jusqu'à l'époque de la création de l'Etat israélien moderne.

Il est souvent précisément détaillé comment, sous les Ottomans, la région a plongé dans le "déclin" en raison de la dévalorisation de la région par l'Empire Ottoman.

L'ensemble de la représentation montre que seul l'Etat israélien moderne a compris la signification du site et de la terre, et a travaillé pour le conserver.
Ce récit légitimise clairement la "possession" du site à Israël, pendant que les anciens sites d'avant l'exil sont à nouveau racontés en termes nationalistes, tout en légitimant également la possession et le droit à la terre des Israéliens.


L'Archéologie est non seulement utilisée pour une légitimité politique en Israël proprement dit, mais à travers tous les Territoires Palestiniens Occupés.

Dans tous les territoires, il y a de nombreux sites qu'Israël considère comme de grande importance (par exemple, le puits de Jacob qui est situé à l'extérieur de Naplouse).
Une fois qu'un site "est trouvé" ou découvert comme ayant une signification pour les Juifs, il est développé.

Les terres entourant le secteur sont protégées et accessibles aux visiteurs. Naturellement, l'emplacement de ces sites sur des propriétés de familles et de propriétaires de maisons palestiniens est pris comme étant concédé au bénéfice du "Peuple Juif", sans aucune compensation offerte aux Palestiniens dont les droits de propriété privée sont violés.

Les sites exigent généralement une présence militaire supplémentaire des forces de sécurité permettant, dans un certain sens, l'expansion continue des militaires israéliens dans les zones occupées.

Les villages palestiniens dans tous les territoires occupés ont peur à chaque fois que des archéologues israéliens montrent un intérêt particulier pour des sites situés sur leurs communautés.

Par exemple, en visitant le petit village palestinien de Yasuf au centre de la Cisjordanie , j'ai appris comment les archéologues israéliens avaient récemment essayé de déterminer si le site sur lequel le village était situé avait un lien quelconque avec une communauté israélienne d'il y a 2000 ans.

Les villageois étaient nerveux qu'une preuve d'un lien puisse être découverte, puisque cela aurait menacé encore plus le village. Yasuf souffre déjà de la présence d'une colonie israélienne établie sur le flanc d'une colline de leurs anciennes terres donnant sur leur village.

Les colons, dont la plupart d'entre eux sont des militants religieux qui croient que Dieu leur a donné toute la "terre d'Israël" (qui, pour eux, inclut la Cisjordanie et également des parties d'autres pays) envahissent régulièrement le village "pour pique-niquer" dans les jardins sur lesquels ils croient avoir un "droit".
Ils arrivent sans prévenir dans des caravanes armées jusqu'aux dents pour "apprécier" les jardins d'"Israël".

Les villageois de Yasuf avaient raison d'être inquiets puisque si un site archéologique prouvait la présence d'anciens Israéliens ici, le site serait non seulement développé et protégé par l'Etat, mais cela donnerait plus de légitimité aux affirmations des colons à proximité.


Le site archéologique de Masada et d'autres sont énormément populaires parmi les Israéliens et servent à établir des liens entre les "héros" du passé et les soldats modernes.

Masada est d'un intérêt particulier; son histoire est demeurée obscure pendant des siècles en raison de l'absence de données archéologiques, pourtant il est devenu l'un des symboles les plus importants pour l'Etat moderne d'Israël.

Masada est une ancienne forteresse construite sur une colline donnant sur la Mer Morte dans le désert du Negev. La seule référence la concernant est celle de l'ancien Romain Josephus Flavius qui a écrit l'histoire des 960 rebelles juifs qui, en 73 Avant Jésus Christ, ont choisi de se suicider au lieu de se rendre aux Romains.

Les fouilles complètes du site n'ont commencé qu'en 1963, et elles sont toujours en cours.

En attendant, le site a été équipé d'un cable de voiture de la base au sommet, des parkings, un musée et une boutique de cadeaux pour recevoir les nombreux visiteurs.

L'histoire précise du suicide collectif de Masada est toujours sujette à un débat considérable. Cependant, la question la plus importante pour moi est comment cette histoire a-t'elle été aussi rapidement incorporée dans la culture populaire et aux rituels de construction d'une nation, alors qu'elle fait toujour l'objet d'un débat parmi les intellectuels.

En plus d'être le site touristique le plus populaire du pays, Masada est également le lieu où les soldats israéliens viennent prêter serment pour défendre l'Etat d'Israël.

Le slogan patriotique populaire "Masada ne tombera pas une nouvelle fois" symbolise les liens entre les anciens héros et le soldat israélien moderne, alors que la boutique de cadeaux pour touristes offre des produits de marque célébrant les Forces de Défense Israéliennes.

L'intellectuel israélien Ben-Yehuda pense qu'utiliser l'archéologie pour légitimiser "des passés" spécifiques - réels ou imaginaires - est une combinaison efficace à utiliser quand on veut forger des identités et créer une cohésion en stimulant un fort sentiment de passé commun (et par conséquent du futur) entre des nations d'immigrés". [ 3 ]

En fait, comme l'anthropologue Philip Kohl le disait, les données archéologiques sont souvent manipulées pour la construction d'une nation: le "nationalisme exige l'élaboration d'un passé réel ou inventé". [ 4 ]



Patrimoine et Musées d'immigration illégale

Au cours des deux dernières décénnies, Il y a eu une explosion en Israël de construction de musées locaux de patrimoine qui célèbrent le succès des premières colonies et de l'"immigration illégale".

Les musées de patrimoine célèbrent la colonisation Sioniste et la "maîtrise de la terre". Ils soulignent le difficile climat naturel et politique que les colons ont dû supporter et commémorent leur productivité.

Les musées d'immigration illégale, en revanche, attirent l'attention sur le succès de l'immigration juive illégale pendant le blocus britannique, par laquelle les Juifs européens sont entrés clandestinement dans la zone sous contrôle Britannique.

Les musées d'immigration illégale commémorent la lutte de ces Juifs qui - dans des conditions européennes accablantes - ont fait un long voyage difficile jusqu'en Palestine. C'est une histoire de "retour à la maison".

Dans une étude récente, Tamar Katriel, un professeur israélien a dressé une carte des deux sortes de musées. Elle suggère que ces deux types de musées, lorsqu'ils sont mis ensemble, montrent la façon dont des histoires particulières sont cultivées dans les musées pour fournir "des indices importants sur les motivations idéologiques et les images culturelles qui renseignent sur les processus de formation d'identité et de légitimation sociale". [ 5 ]

Katriel a constaté que beaucoup de musées avaient activement ignoré des découvertes historiques récentes qui démystifient les idéologies populaires.

Par exemple, il y a une célèbre histoire Sioniste sur la conquête des marais de la Vallée de Jezreal, et l'histoire est consacrée comme preuve que les Sionistes ont conquis la terre et l'ont rendue productive. Les scientifiques ont, cependant, déterminé récemment que ce marais n'avait jamais existé.

Ces histoires particulières parmi les nombreuses autres que les historiens israéliens ont récemment étudiées se sont avérées tout simplement fausses.
Quand Katriel a confronté les faits aux conservateurs de musée et aux guides d'excursion, elle a constaté que, bien qu'ils soient au courant de ces preuves, ils les ont rejetés en tant qu'"universitaires" et non "populaires".

Les pionniers qui sont venus en Palestine pour créer "une nouvelle société" sur une terre hostile et improductive est l'un des mythes les plus importants et les plus puissants sur lequel est basé le récit national israélien.
L'ensemble de ces histoires de pionniers conquérant une nature inhospitalière correspond à la croyance que les Arabes, en revanche, ne pouvaient pas rendre la terre productive. Les musées de pionniers soulignent cette vision de remodelage de la terre quand les Arabes ne le pouvaient pas comme une autre justification de propriété légitime.


Le nouveau musée de l'Histoire de l'Holocauste à Yad Vashem à Jérusalem est intéressant sur de nombreux points.
Le musée est établi sur un grand secteur et des expositions sont réparties dans tous les différents bâtiments. Selon différents médias, le musée représente et mémorialise la tragédie de l'Holocauste.

La mémorialisation de l'Holocauste a produit des musées dans le monde entier et, alors qu'on nous dit que l'Holocauste a une signification universelle pour toute l'humanité, le musée de l'Histoire de l'Holocauste israélien raconte également une histoire légèrement différente des autres.
Dans un message qui a de clairs accents nationalistes, le musée relie la survie d'Israël aux événements et aux survivants de l'Holocauste.

Tout comme à Masada, le Musée de l'Histoire de l'Holocauste est également un lieu de destination populaire pour les soldats.
Un jour en décembre 2004, j'ai vu une dizaine d'unités de soldats, armés et en uniformes, se faire offrir des visites par leurs officiers commandants.
Après avoir demandé à un membre du personnel du musée s'il était courant que des unités militaires visitent le musée, il a répondu que c'était "très souvent".

Je suppose que la raison pour laquelle l'armée donne une priorité à faire venir leurs soldats dans les musées est pour qu'ils "se souviennent" que l'Holocauste n'est pas quelque chose du passé, mais une menace constante.

Pourtant, à la différence des Nazis, leurs "ennemis" actuels sont les Arabes du Moyen-Orient qui, comme on m'a souvent dit dans des interviews avec des soldats, pourraient les exterminer rapidement si on leur donnait l'occasion.


Ce que l'ont peut remarquer concernant le Musée de l'Histoire de l'Holocauste, c'est la boutique de cadeaux sur les lieux.

Bien que j'aie beaucoup de mal à admettre la vente de "cadeaux" au sujet de la tragédie de l'Holocauste, ce qui est troublant, c'est le fait que tant d'objets dans la boutique de souvenirs soient consacrés à l'IDF (Forces de Défense Israéliennes) et aux images nationalistes.
En fait, dans les vitrines qui donnent sur la cour à l'extérieur du magasin, sont exposés des T-shirts avec des symboles de l'IDF.

Une chemise est imprimée d'un jet militaire traversant le ciel avec les mots "Ne t'inquiète pas Amérique, Israël est avec toi".

A côté des chemises, les autres produits de l'IDF incluent des chapeaux, des fausses armes, des affiches, ect.

Peut-être que les musées tels que le Musée de l'Histoire de l'Holocauste ainsi que les sites archéologiques tels que Masada remplissent une fonction publique indispensable pour l'Etat.

Il est particulièrement dérangeant que l'Holocauste et la terrible souffrance des Juifs européens soient utilisés comme justification pour les actes de l'Etat d'Israël contre les Palestiniens.

Plusieurs des pratiques israéliennes contre les Palestiniens mettent en parallèle le traitement des Juifs par l'Allemagne qui a mené à l'Holocauste : la construction de centaines de checkpoints dans l'ensemble de la Cisjordanie et à Gaza où les soldats israéliens interrogent, humilient, et frappent les Palestiniens qui ne sont coupables de rien sauf d'appartenir au "mauvais" groupe ethnique, tirent du gaz lacrymogène sur des enfants pré-adolescents qui essayent d'aller à l'école, la complicité et tolérance silencieuse des civils israéliens au sujet des attaques contre les Palestiniens, des assassinats des responsables palestiniens et des suspects combattants sans procès ou sans charges, de la destruction massive et la saisie des propriétés des Palestiniens au profit d'Israël et de ses citoyens Juifs, ect ...

Ces similitudes déconcertantes sont identifiées non seulement par certains en Occident, mais par une quantité grandissante de citoyens israéliens ordinaires ainsi que par les militaires israéliens eux-mêmes.

Même Irena Klepfisz, fille d'un membre de l'organisation de combattants Juifs dans le ghetto de Varsovie, pose la question sur ce qui devrait être rappelé au sujet de l'Holocauste par l'écriture:

"C'est quoi ce que nous avons demandé à tout le monde de se souvenir ? N'est-ce pas les champs de Ponary et ces champs inconnus sur les périphéries des dizaines de shtetleckh dont nous avons tous juré de nous souvenir ?
Est-ce que je dois me sentir mieux de savoir que les Palestiniens de Rufus n'ont pas été abattus par les Israéliens mais seulement frappés?
Aussi longtemps que des centaines de Palestiniens ne seront pas alignés et abattus, mais seulement tués par les Israéliens à un rythme d'un par jour, est-ce que nous les Juifs pouvons nous sentir libres de nous inquiéter de la moralité, de la justice?
Le Nazisme est-il devenu l'unique norme selon laquelle les Juifs jugent le mal, de sorte que quelque chose qui n'en soit pas une reproduction exacte, nous le considérons comme moralement acceptable?
Est ce que c'est ce que l'Holocauste a fait à la sensibilité morale juive?" [ 6 ]


Comme d'autres critiques qui reconnaissent la signification universelle de l'Holocauste et de la souffrance que les Juifs ont éprouvés, je ne crois pas qu'il soit nécessaire ou approprié de dire que seul un Etat nationaliste et/ou colonialiste fort puisse guérir les blessures traumatiques.

Le philosophe juif Marc Ellis se demande si "le développement des Juifs aux dépens d'un autre peuple représente un remède pour le peuple Juif ou si les Juifs ne pourront se guérir du traumatisme de l'Holocauste que quand les Palestiniens seront guéris de leur propre traumatisme de déplacement et d'humiliation". [ 7 ]


Comme dans d'autres musées, la Guerre d'Indépendance ne s'est pas produite contre les Palestiniens qui étaient les occupants autochtones et toujours en grande majorité propriétaires de la terre, mais contre les Anglais.

Tout comme la boutique de cadeaux vend des articles qui sont déplacés dans le contexte de l'Holocauste, représenter la naissance d'Israël comme une guerre d'Indépendance contre l'occupation Britannique est tout aussi déplacé. Je doute que d'autres musées de l'Holocauste dans le monde incluent cette histoire.
En effet, l'histoire de l'Holocauste racontée dans le Musée Israélien se termine par le blocus Britannique de la Palestine précédant la création d'Israël.

L'objectif du blocus était d'arrêter l'immigration à grande échelle avant qu'une solution régionale puisse être trouvée.
Un film court qui termine l'exposition montre le long et difficile voyage effectué par les Juifs Européens jusqu'en Palestine et les luttes auxquelles ils ont dû faire face contre les Anglais. Bien que ce soit un aspect important du début de l'histoire israélienne, le placer dans le contexte de l'Holocauste est déplacé.

Le message du Musée de l'Histoire de l'Holocauste donne malheureusement un sentiment moins qu'universel. Au lieu de cela, on a le sentiment que la création d'Israël et la suppression des Palestiniens sont d'une façon ou d'une autre directement liées à l'Holocauste.

Les Palestiniens, parce qu'ils sont en conflit avec Israël, sont reniés et considérés comme non habilités à ces significations universelles. Cela a été prouvé par le fait que Yasser Arafat, lors d'une visite diplomatique à Washington DC, ait été interdit de visiter le Musée de l'Holocauste.

Les musées d'Israël entretiennent la croyance que le développement d'Israël, le retour en terre sainte promise par Dieu, le retour après 2000 ans d'exil, ainsi qu'une indemnisation pour la souffrance, est légitime.

Un autre rôle que fournissent les musées est la célébration du "Nouveau Juif" qui est capable de braver les éléments –la nature et les Arabes inhospitaliers - et réussir là où d'autres ne pourraient pas. L'idée du "nouveau Juif", par opposition au Juif en exil indique une coupure avec le passé.

L'idée des "nouveaux commencements", comme l'écrit le sociologue israélien Eviatar Zerubavel : "s'est souvent manifesté par des allusions explicites de 'revitalisation' et de rajeunissement, pour ne pas mentionner les efforts réels de fabriquer socialement un nouveau type de personne qui incarnerait une coupure historique dramatique entre l'ancienne et la nouvelle "époque", comme dans la tentative Sioniste fortement ambitieuse de remplacer le vieux Juif 'exilé' par le jeune Sabre israélien". [ 8 ]

Naturellement, ce récit se concentre principalement sur les Juifs Sionistes Européens.

Les Juifs Non-Européens qui sont venus du Moyen-Orient et d'Afrique sont largement absents de ce récit national. Même s'ils sont un peu représentés dans les musées, ils n'ont pas l'image héroïque des Européens bien que leur immenses souffrance et détermination en venant à pied jusqu'en Israël aient été bien documentées.

Sont également absents du récit, les Juifs Orthodoxes qui reconnaîtraient la présence de générations Juifs en Palestine avant que le Mouvement Sioniste prenne le pouvoir ou les nombreuses voix Juives alternatives en Palestine qui veulent un Etat Bi-national avec les Palestiniens au lieu d'un Etat limité et défini pour les Juifs.

De tels récits et aspects juifs "alternatifs" de l'histoire qui ne s'adaptent pas soigneusement au récit national officiel sont presque aussi invisibles que les récits Palestiniens eux-mêmes.



La Non et mauvaise représentation des Palestiniens

Tandis que les musées enseignent pourquoi les Juifs et les Sionistes ont une légitimité sur la terre, j'ai été surpris de constater que les musées israéliens ont tout simplement effacé les Palestiniens de l'histoire de la région.

De la même manière que l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza a effacé la présence des Palestiniens dans le paysage (le Mur de Séparation, les routes de contournement, la suppression de l'Arabe des panneaux routiers, l'effacement "de la Ligne Verte", ainsi que les villages palestiniens des cartes routières), les musées ont également réussi à enlever les Palestiniens de l'histoire de la terre.

Quand les Palestiniens sont représentés, ils sont représentés en tant qu'"Arabes". Pour cela, de nombreux historiens israéliens affirment que les Palestiniens, en tant que peuple, n'ont jamais existé – bien qu'il y ait une reconnaissance continue des Arabes Chrétiens et Musulmans de Palestine en tant que telle depuis le 13ème siècle.

De toute façon, pour beaucoup de conservateurs de musées et certains historiens israéliens, suggérer que les Palestiniens ont non seulement existé mais qu'ils ont eu une culture prospère, vue comme unique par d'autres peuples Arabes, serait une trahison parce que cela fournirait une légitimité à la "Palestine".

Se référer à eux simplement en tant qu'habitants Arabes, sans aucune différence avec les Egyptiens, les Syriens, ou les Jordaniens, enlève leur identité et leur légitimité envers la terre. En tant que tels, les débats sur la légitimité et le droit sont autant une bataille politique que le conflit militaire lui-même.

La normalisation d'un récit historique national pour privilégier un groupe sur un autre est étonnante à cette époque du multiculturalisme et du pluralisme. Je me réfère à l'histoire normale qu'on raconte continuellement dans les musées qui retrace l'histoire des périodes anciennes de l'Empire Ottoman à l'occupation Britannique, et enfin à l'Etat d'Israël.
Les Palestiniens sont continuellement absents de cette version de l'histoire essentiellement commanditée par l'Etat.

On constate cela dans la plupart des musées y compris le Musée populaire du Roi David à Jérusalem.
Le musée dresse une carte de l'histoire de la ville depuis les temps anciens jusqu'à aujourd'hui.

En entrant dans le musée, on est invité à regarder une histoire animée de la ville.
Tandis que l'animation était pleine d'humour parce qu'elle était incroyablement graphique (montrant constamment des scènes de bataille où les têtes des armées perdantes sont proprement tranchées), l'histoire est militaire.
Elle favorise les batailles et les guerres plutôt que les aspects sociaux et religieux.
Ce musée, comme celui de l'Holocauste et d'autres musées, supprime les Palestiniens de l'histoire de la ville.

Puis cela se termine avec la célébration de la création d'Israël. Peut-être que la célébration suggère la fin des conflits au sujet de la ville et la restitution à sa population légitime?

A aucun moment, le dessin animé ou l'exposition donne du crédit au fait que Jérusalem, jusqu'à la Guerre de 1967, était considérée comme la capitale de la Palestine.

Une exposition de photos provisoire sur la vie dans la ville au début du 20ème siècle montrait des scènes de la vie sociale et économique palestinienne et juive. Mais je crois qu'étant donné la façon dont sont présentés les contextes de l'histoire de la ville et de la nation, cela donne l'impression qu'ils font seulement partie d'une population "Arabe" autochtone.

Comme ailleurs dans d'autres musées israéliens, les Arabes tels que ceux représentés sur les photos, les statues, et les affiches sont habituellement décrits comme faisant partie de la scène culturelle et économique avant la "refondation" d'Israël. Mais dans ces cas, ils sont présentés typiquement de façon orientaliste.

Habituellement les photos et les affiches ou les personnages en cire présentent les Arabes en costume traditionnel et impliqués dans des métiers traditionnels. De plus, ils sont représentés comme clairement non-occidentaux.

Ils montrent des femmes effectuant des travaux agricoles dans les champs, des hommes en tant que petits commerçants, des familles lors de cérémonies spéciales, etc... Naturellement, en montrant des Palestiniens d'une façon "traditionnelle", en suggèrant qu'ils sont des mémoires du passé.
Non seulement les Palestiniens ne sont pas représentés dans l'histoire de la terre, mais il n'y a aucune exposition qui inclut des images contemporaines des Palestiniens dans le maquillage actuel d'Israël ou de la région. C'est comme si pour les Israéliens, les Palestiniens ou les "Arabes" n'étaient que des restes du passé - en tant que "histoire" – en tant que souvenir de ce que c'était"avant".

Pour Israël, les Palestiniens n'ont joué aucun rôle spécial dans la naissance de la nation, ou dans son succès. Ils sont plutôt vus comme la raison pour laquelle la nation n'a pas mieux réussi. En Israël, les Palestiniens sont simplement les restes d'une culture ancienne et imparfaite.

De plus, ils sont habituellement cités seulement par rapport aux Sionistes et aux colons juifs, comme un moyen de créer une séparation entre eux.

Comme le dit Katriel dans "les musées de patrimoine", "Dans les musées, les paysans palestiniens apparaissent typiquement comme d'"autres intemporels" d'anthropologie, comme les anciens personnages dont les outils "primitifs" sont symboliquement appropriés en leur donnant des noms bibliques et en ayant des contes de pionniers Juifs qui leur sont reliés". [ 9 ]


Comme dans les musées, les citoyens israéliens ont été formés à ne pas "voir" les Palestiniens.

Ce n'est pas qu'ils ne sont pas là (en fait, selon un rapport de gouvernement américain de 2005, la population palestinienne en Israël et dans les territoires occupés s'est réellement plus fortement accrue que la population juive), [10] mais on a érigé des barrières politiques, visuelles, culturelles, et juridiques qui obscurcissent la vue.

En effet, il est récemment devenu illégal pour les citoyens juifs d'Israël de se rendre dans les secteurs palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, pour la prétendue "raison de sécurité".

Les citoyens israéliens que j'ai rencontrés qui ignorent cette loi (principalement des employés des droits de l'homme, des pacifistes, des professeurs, des travailleurs sociaux, et des journalistes) affirment que la raison de cette loi est d'empêcher les pacifistes israéliens de travailler avec leurs contre-parties palestiniennes, et de rendre les réalités de l'occupation moins évidentes au public israélien.

En effet, en contrôlant ce qui peut être vu ou la façon dont on le voit, l'état manipule comment les citoyens juifs comprennent leur histoire et leur situation contemporaine. Il semble que le gouvernement pense que le travail des citoyens Israéliens Juifs, qui travaillent avec des Palestiniens dans les territoires occupés, peut gêner la réussite du projet de fabrication de l'Etat par Israël.

Même les Israéliens qui traversent la Cisjordanie Occupée pour aller seulement dans les colonies Juives israéliennes (les colonies sont illégaux en vertu du droit international) "ne voient pas" nécessairement les communautés palestiniennes et leur situation vraiment difficile.

En circulant sur le système de routes pour Juifs-seulement qui s'entrecroise dans tous les territoires, relient les colonies entre elles ou à Israël Proprement dit, la rencontre avec les Palestiniens est limitée.

Les conducteurs israéliens devraient voir les Palestiniens marcher le long des routes sur lesquelles ils ont l'interdiction de circuler, entassés derrière les checkpoints militaires israéliens, ou la collection occasionnelle de maisons palestiniennes appauvries sur les routes.

Les routes, avec la soi-disant "Barrière de Sécurité" (un mur massif qui s'étire sur des centaines de milliers de kilomètres et serpente à travers les territoires) rend possible d'éviter les villages palestiniens puisque les conducteurs contournent les ghettos où vivent les Palestiniens.

Encore une fois, je suggérerais que la perte de l'aspect visuel qui empêche de voir les Palestiniens en Cisjordanie , tout comme dans les musées, sert à renforcer l'opinion que les Palestiniens sont insignifiants.

Les musées en Israël permettent avec d'autres éléments de produire et de construire d'innombrables représentations symboliques et visuelles d'Israël, des Palestiniens, et du conflit qui continue entre eux.

L'Etat, les médias, et d'autres institutions, y compris les musées, jouent clairement un rôle important dans l'entretien de ces récits nationaux.
Au lieu d'être des sites objectifs et innocents d'étude, d'expérience et de mémoire, les musées fonctionnent comme des outils politiques importants.

Comme d'autres nations modernes, l'Etat israélien utilise ses musées pour populariser des idées au sujet de l'histoire et des différences ethniques, et pour affirmer la dominance ethnique d'un groupe sur un autre.

Comme d'autres sociétés coloniales, il n'a également aucune intention de partager la terre avec les Palestiniens.

Peut-être que l'Etat israélien suppose que la population autochtone ne mérite pas l'accès à sa propre terre ou qu'elle est incapable d'améliorer son sort.

La question est "Pourquoi?" Considère-t-il que les populations palestiniennes ont des défauts naturels ou essentiels?

Ou est-ce parce que le récit historique israélien officiel est que l'Etat s'est installé sur des terres "vides"?

La réponse est probablement une combinaison de ce qui précède, avec la conséquence que l'idée des ennemis internes et externes consolide davantage un sentiment d'identité collective et d'unité nationale.

Les musées israéliens font partie intégrale du processus de création et d'entretien des mythes nationalistes, et sont donc importants pour comprendre comment ces sites perpétuent la permanence du conflit.


NOTES

1. Eviatar Zerubavel, Time Maps: Collective Memory and the Social Shape of the Past (Chicago: University of Chicago press, 2003), 3.

2. Stuart Hall, Representation: Cultural Representations and Signifying Practices (London: Sage publications, 1997), 4.

3. Nachman Ben-Yehuda, Sacrificing Truth: Archeology and the Myth of Masada (Amherst, N.Y.: Humanity books, 2002), 3.

4. Philip Kohl, “Nationalism and Archeology: On the Constructions of Nations and the Reconstructions of the Remote Past”, Annual Review of Anthropology, vol. 27, 1998, 223.

5. Tamar Katriel “Museum Narratives and the Politics of Culture in Contemporary Israël” (Cours donné lors de la conférence “Narrative, Ideology, and Myth” à Tampere, Finlande, 2003 et accessible sur internet).
Voir également Tamar Katriel, Performing the Past: Study of Israëli Settlement Museums (Mahwah, N.J.: Lawrence Erlbaum associates, 1997) et “Remaking place: cultural Production in Israëli Pioneer Settlement Museums” in Grasping Land: Space and Place in Contemporary Israëli
Discours et Experience publié par Eyal Ben-Ari et Yoram Bilu (Albany: SUNY press, 1997).

6. Irena Klepfisz in Marc Ellis, Out of the Ashes: The Search for Jewish Identity in the Twenty-First Century, (London: Pluto press, 2002), 28.

7. Marc Ellis, Out of the Ashes: The Search for Jewish Identity in the Twenty-First Century, (London: Pluto press, 2002), 11.

8. Eviatar Zerubavel – Time Maps: Collective Memory and the Social Shape of the Past (Chicago: University of Chicago press, 2003), 90.

9. Tamar Katriel, Performing the Past: Study of Israëli Settlement Museums (Mahwah, N.J.: Lawrence Erlbaum associates, 1997), 154.

10. Département d'Etats des Etats-Unis : Israël and the Occupied Territories in “Country Reports on Human Rights Practices – 2004?. Publié par le Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor (Feb., 2005).

Source : http://www.stateofnature.org/

Traduction : MG pour ISM

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