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Gaza - 16 mai 2004
Par Ghada Ageel
Ghada Ageel écrit de ZAHRA, Palestine occupée - Live from Palestine, 16 Mai 2004
Beaucoup de vieilles femmes pleuraient après être tombées et leurs vêtements étaient trempés par l'eau de mer. C'était humiliant et pourtant je continuai à courir. Quand j'ai vu ma mère de l'autre côté, j'ai commencé à m'inquiéter de la façon dont j'allais la faire passer de l'autre côté en toute sécurité. Elle ne peut pas courir. Elle ne peut même pas marcher plus de trois minutes sans s'arrêter. Puis, nous avons vu des ânes avec des charrettes qui venaient pour transporter les gens.
Mohammed, 3 ans, fils d’Ibrahim Abu Auda, lors des tirs israéliens à Rafah à 15h30 en juillet 2002. Leur maison se situe à 40 mètres de la frontière entre Gaza et l’Egypte. (Johannes Abeling)
La situation à Gaza est incroyablement horrible.
Depuis mardi 11 mai, des milliers de personnes se sont vues refuser le droit de rentrer chez elles, cela inclut des nouveau-nés, des enfants, des employés, des femmes et des hommes de tout âge. Il n'existe aucune loi dans cette vie ou dans ce monde qui interdise à quiconque de retourner chez lui.
Pourtant, c'est ce qui se passe actuellement en Palestine. Et c'est Israël, ce soi-disant Etat démocratique, qui commet cette grave violation des droits de l'homme.
Des dizaines de milliers d'étudiants et d'employés sont venus du sud de la bande (Khan Younis et Rafah) vers Gaza pour les études universitaires, le travail et d'autres multiples besoins. Ils se sont retrouvés coincés à Gaza après qu'Israël a fermé tous les postes de contrôle à l'intérieur de la bande, divisant Gaza en trois parties distinctes.
Ma mère était l'une de ces personnes. Elle était venue rendre visite à ma soeur à Gaza lundi après-midi. Elle avait prévu d'y passer la nuit et de rentrer à la maison mardi matin. Mais mardi matin, elle fut choquée par la nouvelle de la fermeture des postes de contrôle et par ce qui se passait dans le quartier de Zeitoun,dans la ville de Gaza, qui est très proche de celui où ma soeur vit.
Comme n'importe qui d'autre dans la bande de Gaza, elle suivit les informations non seulement par la télévision et la radio, mais fut également témoin des tirs de roquettes tirés par les hélicoptères de combat Israéliens, qui survolaient les bâtiments de Sabra, tiraient des missiles air-sol et bombardaient le quartier avec des obus explosifs.
Pour atteindre le camp de réfugiés de Khan Younis, elle doit traverser deux postes de contrôle. Le premier se trouve à côté de l'implantation illégale israélienne de Netzarim où les tanks sont disposés au pied de deux énormes dunes. Ces tanks ferment l'accès à la route côtière et bloquent quiconque a l'intention de traverser.
Le second poste de contrôle est celui qui se trouve entre Khan Younis et Abu Holi. C'est le poste de contrôle d'Abu Holi (baptisé ainsi d'après le nom de famille du propriétaire de la terre pour rappeler que c'est la terre de cette famille qu'Israël a confisquée et déracinée pour installer le poste de contrôle)
Mardi, ma mère décida qu'elle franchirait le premier poste de contrôle le jour suivant. Il est plus facile à franchir que celui d'Abu Holi. Elle était morte d'inquiétude pour mes deux frères et ma sour qu'elle avait laissés seuls au camp de Khan Younis alors qu'il était soumis à plusieurs incursions non signalées ces derniers jours.
Elle était terrifiée à l'idée que l'armée puisse envahir Khan Younis alors qu'elle se trouvait à Gaza.
La peur que quelque chose d'autre puisse arriver à notre famille ne nous quitte jamais. Elle veut être avec eux dans ces moments, peu importe le prix à payer. Mais c'est d'autant plus important maintenant que mon père est en Egypte et qu'il n'y a plus de membres de la famille plus âgés qu'eux.
Ma soeur et moi n'avons pas réussi à lui faire changer d'avis.
Nous avions convenu qu'elle prenne un taxi de Sabra jusqu'à la partie nord de Netzarim où je l'y rejoindrais. Et parce que nous ne pouvons pas utiliser la route principale, où les tanks sont positionnés, nous devons la contourner en empruntant un chemin d'un kilomètre sur la plage avant d'atteindre la route principale pour prendre un autre taxi.
J'ai marché une demi-heure pour retrouver ma mère. De nombreux enfants et étudiants prenaient également ce chemin. L'armée a tiré plusieurs fois au-dessus de nos têtes. Dans ces moments, nous courions et je courais moi aussi tout comme les enfants et les étudiants autour de moi.
J'étais connue dans ma famille pour aimer courir quand j'étais enfant. Désormais, je cours parce que ma vie en dépend. Mais courir sur le sable de la plage de Gaza se révèle être extrêmement difficile. Certaines personnes, dans la précipitation et la peur, ont perdu leurs chaussures en courant et continuaient pieds nus. D'autres tenaient leurs chaussures à la main et couraient.
Beaucoup de vieilles femmes pleuraient après être tombées et leurs vêtements étaient trempés par l'eau de mer. C'était humiliant et pourtant je continuai à courir. Quand j'ai vu ma mère de l'autre côté, j'ai commencé à m'inquiéter de la façon dont j'allais la faire passer de l'autre côté en toute sécurité. Elle ne peut pas courir. Elle ne peut même pas marcher plus de trois minutes sans s'arrêter. Puis, nous avons vu des ânes avec des charrettes qui venaient pour transporter les gens.
Nous avons payé quatre shekels puis nous sommes montés dans la charrette. Le propriétaire de la charrette nous a demandé de nous tenir aux bords de la charrette et de nous allonger s'il y avait des tirs. Si c'était le cas, nous devrions accélérer la cadence. C'est fou. Mais dans notre situation aujourd'hui, rien n'est normal. Nous nous sommes assises. Le chauffeur courait à côté de nous. J'ai fermé les yeux et j'ai pleuré en silence. Pendant une minute, j'aurais aimé que ma mère ne m'ait jamais mise au monde. Le garçon de quatorze ans qui tirait la charrette a vu mes larmes et m'a dit de reprendre espoir.
"Au moins", me dit-il "Tu n'es pas à Zeitoun où les gens se font tuer. Tu as une chance de survivre."
Selon lui, il ne restait que deux minutes avant notre arrivée. Et après tout, si quelque chose arrivait, il y avait un cameraman pour prendre une photo. Apparemment, tous les journalistes n'étaient pas bloqués à Erez quand ils allaient à Gaza. Certains étaient à l'évidence arrivés plus tôt ou ils étaient avec la presse palestinienne.
Malgré tous les dangers, nous sommes parvenus à franchir le poste. Ma mère était si heureuse et pendant une minute, j'étais heureuse qu'elle soit heureuse.
Nous sommes arrivées à mon appartement. La première partie du voyage était faite. Nous avons décidé de faire une petite pause avant de nous rendre au poste d'Abu Holi.
Alors que nous écoutions la radio, nous entendîmes que l'armée israélienne avait ouvert Abu Holi. Rapidement mon mari Nasser prit nos deux enfants et nous nous sommes dépéchés d'aller à la voiture. Plus lentement, j'aidai ma mère. Nous avons roulé aussi vite que possible. Ma mère était tellement heureuse de rentrer chez elle. Mais son bonheur ne fut que de courte durée. Nous sommes arrivés deux minutes après la fermeture du poste. L'armée l'avait ouvert pendant vingt petites minutes. Nous avons attendu pendant quatre heures avant de retourner chez moi. Ma mère était tellement triste.
Elle n'arriva pas à dormir cette nuit-là, alors jeudi matin à huit heures, je l'emmenai de nouveau au poste. Il faisait tellement chaud et des milliers de gens attendaient. Ils priaient tous pour que l'armée les laisse passer. Les gens suivaient les informations et ils en apprirent davantage sur la destruction de Zeitoun, après que l'étendue des dégâts est apparue dans toute son horreur après le retrait de l'armée israélienne.
Ils entendirent parler de l'attaque par un hélicoptère Apache à Rafah, qui causa la mort de treize personnes. Deux filles, qui appartenaient à la famille de l'un des tués, furent saisies d'une crise d'hystérie et d'une crise de larmes. Les gens au poste essayaient de les calmer.
Une femme, qui avait quitté son bébé de cinq semaines, était venue à Gaza pour voir le docteur. Elle ne pouvait pas rentrer chez elle. Un jeune homme était venu faire tamponner son certificat pour trouver un travail, mais lui aussi était bloqué.
Les visages de ces gens étaient mitraillés par la force implacable du soleil. Beaucoup d'entre eux avaient passé la nuit sous les arbres ou dans leurs taxis. D'autres étaient retournés dans les camps ou à Gaza pour dormir chez des amis. Les étudiants qui avaient dépensé tout leur argent à faire les allers et retours en bus au poste étaient assis, désespérés, n'ayant rien à faire.
Les gens appelaient la croix rouge, l'UNWRA, le bureau des représentants égyptiens et le croissant rouge, leur demandant de contacter et de faire pression sur les Israéliens pour qu'ils ouvrent le poste. Au milieu de la journée, deux hommes mûrs sont allés vers les soldats Israéliens, ont enlevé leurs chemises, mis leurs mains sur la tête pour tenter de leur parler.
Après avoir expliqué la situation de loin (le scénario n'avait nulle besoin d'explications, un simple coup d'oil aux visages des personnes qui attendaient suffisait) le soldat leur promit d'ouvrir si les gens se tenaient tranquilles. Nous sommes restés tranquilles pendant six heures dans l'espoir qu'ils ouvrent. Vers 16h30, les gens ont commencé à s'approcher du poste tentant une nouvelle fois de parler aux soldats et dans l'intention de franchir le poste.
Soudain, les soldats ont commencé à tirer avec des balles réelles et à lancer des grenades à gaz lacrymogènes.
Les tanks et les jeeps venaient dans notre direction. J'ai tiré ma mère hors du taxi dans lequel elle était assise depuis plus de huit heures et nous nous sommes mises à courir. Chacun d'entre nous essayait de s'échapper. D'une main, je tenais mon fils Tarek et de l'autre, j'aidais ma mère pendant que Gaida, ma jeune fille, criait aux alentours.
Ma mère est tombée sur le sol et les gens la portaient. Je portais Tarek et courait pour échapper au gaz.
Je criais et j'appelais Gaida. Elle m'appelait non loin de là, mais je ne pouvais pas la voir. Il n'y a pas de pires moments pour une mère. Cinq personnes furent blessées et environ une dizaine sombrèrent dans l'inconscience à cause du gaz. On commençait à entendre les sirènes des ambulances, et je n'arrivais toujours pas à trouver Gaida. Les tirs n'avaient pas cessé et le champ de blé à côté du poste avait pris feu. Aucun mot ne peut exprimer la peur et l'humiliation ressenties pendant ces minutes.
A un moment, on se demande quelle genre de vie on mène. N'avons nous pas le droit, nous aussi, de vivre comme des êtres vivants ?
Même après ce qui s'est passé, les gens n'ont pas perdu l'espoir que l'armée ouvre le poste. Nous nous assîmes de nouveau les uns derrière les autres, des centaines de visages maussades en train d'attendre. J'essayai de convaincre ma mère de rentrer à mon appartement, mais elle avait l'espoir qu'ils ouvriraient.
Elle me dit que les soldats avaient promis aux deux hommes d'ouvrir et qu'ils tiendraient parole. Entre temps, j'avais retrouvé Gaida. Elle, âgée de huit ans et Tarek, bientôt quatre ans, étaient épuisés, leurs visages étaient jaunes.
Nous sommes restés assises deux heures de plus pour ma mère. Les bulldozers escortés par les tanks commençaient à bouger. Ils apportèrent du sable et se mirent à couper la route.
Nous pensions qu'ils la nettoyaient ou l'aplanissaient , mais ils la fermaient.
Les gens se mirent à hurler d'une seule voix : "non, s'il vous plaît, ne fermez pas, laissez- nous passer. "
Tous ceux qui attendaient ne firent preuve d'aucune violence, qu'il s'agisse de violence verbale ou physique, mais les soldats se mirent de nouveau à tirer.
Il était désormais sept heures du soir. La même scène qu'auparavant se reproduisit et cette fois, nous avons fui sans espoir, juste avec un immense désespoir, après plus de dix heures d'attente.
Presque toutes les femmes et les enfants pleuraient ou criaient. Les hommes les aidaient. Je ne pouvais pas regarder ma mère dans les yeux. Je n'avais rien à lui dire. Je remarquai une fois de plus que mes enfants avaient l'air fatigué.
Sur le chemin du retour, il y avait un silence absolu. Même nos larmes ne coulaient plus. J'aurais aimé que ma mère parle ou pleure pour soulager son stress, mais elle ne le fit pas.
La même attente épuisante se renouvela vendredi, mais cette fois, nous n'étions pas là. Nous avons décidé de ne pas y aller, mais d'appeler les gens que nous connaissions au poste pour avoir de leurs nouvelles.
Cette histoire n'a pas de conclusion. Demain, nous attendrons encore. Est-ce que nous arriverons à destination ou est-ce que ma mère, le cour gros, tombera de nouveau brusquement à terre et sera transportée loin des gaz, des balles et de la haine ?
Source : http://electronicintifada.net/
Traduction : M.Z.
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