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Maroc - 28 novembre 2011
Par Badia Benjelloun
Parmi les toutes premières déclarations du chef du parti qui a remporté le plus grand nombre de sièges aux élections législatives marocaines du 25 novembre 2011, celle donc qu’il fallait proférer de toute urgence était adressée à une audience non nationale. « L’Occident n’a rien à craindre du Parti Justice et Développement ».
Dès le vendredi midi, jour de la consultation, la participation officielle de 45% était connue et n’a pas varié jusqu’au soir.
Le score avoué est moins déshonorant qu’en 2007 quand moins de 37% des inscrits s’étaient déplacés pour la même opération électorale. L’histoire retiendra qu’il témoigne d’un enthousiasme populaire tout à fait mesuré. L’opposition de gauche laïque et musulmane, qui appelait à l’élaboration d’une Constitution par une assemblée élue, a vu sa consigne du boycott bien appliquée, elle peut se targuer à juste titre d’être le véritable vainqueur de cette mascarade.
Le secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane
Au cours des années quatre-vingt-dix, le régime de Hassan II, contraint par un contexte international droitdelhommiste et sentant sans doute sa fin prochaine, a joué l’ouverture politique en invitant sans risque le parti historique de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), créé par Mehdi Benbarka au sortir de l’indépendance, à diriger le gouvernement. Hassan II et ses sbires avaient préalablement éradiqué ses éléments valablement contestataires à la manière des dictatures latino-américaines et consciencieusement laminé toute velléité d’opposition par des manœuvres éprouvées de cooptation corruptrice. Les Usfpéistes se distinguèrent en effet par l’application scrupuleuse de l’impératif peut-être tronqué de Guizot, ministre de la monarchie de juillet : « Enrichissez-vous, enrichissez-vous ! » (1)
L’exécutant des basses besognes du monarque, Driss Basri, ministre de l’Intérieur des vingt dernières années de l’autocrate, a dès lors créé une alternative à cette configuration. Il a ressuscité une coquille vide, le Mouvement Populaire, créé par un ancien combattant pour la libération nationale, personnalité déjà enserrée et enferrée dans le réseau du sérail qui voulait signifier sa différence d’avec la promulgation d’un État d’urgence et l’instauration de celui de l’exception de 1965. Le Mouvement deviendra en 1996 le Parti Justice et Développement. Il abritera en son sein des ‘islamistes’ antimonarchistes repentis qui vont enrichir le paysage politique pluripartite d’une note religieuse conservatrice affranchie du discours nationaliste. Il devra affaiblir les partis traditionnels en leur arrachant une bonne partie de leur base traditionnelle et offrant un discours populiste racoleur, il instillera de l’entraide sociale là où l’État est absent.
Cette même époque a vu le ruissellement des pétrodollars séoudiens et des pays de golfe arabique déborder des madrassas pakistanaises à l’endroit de plusieurs formations politiques maghrébines.
Quelle crainte pourrait donc avoir un Occident dont l’essence capitaliste se trouve ruinée par son terme ultime, la fabrication effrénée d’une monnaie fictive, d’un groupe nourri de retombées lointaines d’une si étroite alliance entre des principautés pétrolières et l’économie mondialisée ?
L’expérimentation de la démocratie au Maroc, pointe avancée de l’Orient arabe et/ou musulman vers le monde de l’Occident, porté dans son nom même, pays du Couchant, était menée depuis quelques années.
L’observation en est faite et régulièrement relatée par des experts en analyse géostratégique depuis leurs universités et autres lieux de réflexion bien dotés en dollars et en myopie congénitale concernant l’habitus de ces confins de l’Empire.
Le Middle East Partnership Initiative, dépendance du Secrétariat d’État dévolu aux affaires étrangères, a été créé en 2002 sous les auspices d’un Colin Powell alors aux commandes d’une des plus odieuses et visibles manipulations d’opinion mondiale en faveur de l’invasion de l’Irak. MEPI a dès 2006 reconnu publiquement le soutien financier et logistique accordé par les US(a) au PJD jugé comme excellent rempart aux éventuels extrémismes incontrôlables pouvant naître au sein d’une société si inégalitaire. Un rapport de 2006 de cet institut ayant pied sur deux bases, l’une à Tunis et l’autre à Dubaï, évaluait la réserve électorale de ce PJD à 47%. Le Maroc a été le plus gros bénéficiaire (2) des aides financières pour le développement de la démocratie du Grand Moyen-Orient devançant le Yémen, quelques petites dizaines de millions sur un budget de 120 au total en 2005, les salaires des humbles appointés marocains restent modestes. Outre la distribution d’argent, le MEPI offre aux récipiendaires de ses dons des programmes de formation à la communication.
Un chapitre entier a été dédié à la réussite de l’aide au Maroc en matière de promotion à la démocratie dans le Rapport de Haim Malka, élaboré au sein du Center for Strategic and International Studies. Malka oppose l’option européenne d’aide directe aux gouvernements en place à la stratégie étasunienne qui privilégie les relations directes avec des membres de la société dite civile en reconnaissant un avantage à cette dernière. Avec de tels maîtres concepteurs, Basri, Georges W. Bush et Elizabeth Cheney première présidente du MEPI, il est probable que l’enfant est venu au monde sans dystocie ni malformation majeure. Juste à terme et à temps pour épouser les contours d’une Constitution elle-même venue au jour sous les poussées d’une révolution sociale dite arabe car elle a d’abord parlé cette langue, dont on assiste encore qu’à ses premiers vagissements.
Que restera-t-il de ce montage quand le cœur du système qui en a été le prélude rentrera en fusion ?
Inscrire des principes musulmans dans un programme politique comporte des risques élevés à l’entretien des réactions en chaîne du matériel hautement instable qu’est devenu le Système.
La tant redoutée et honnie chariaa, outre les fameux dix Commandements, recommande l’absence d’octroi d’intérêts sur les prêts d’argent et interdit d’effectuer des paris, quels qu’ils soient, c’est-à-dire rend impossible une spéculation faussement hasardeuse sur les prix. Soit un strict interdit sur les deux principes du moteur du lent suicide de l’humanité réduite à un simple support du profit.
Qu’en restera-t-il ?
Les CitiGroup et autre HSBC, Goldman Sachs et UBS se ravitaillent aux sources de l’argent vrai, non issu de la planche à billets de la FED, du crime fourni contre blanchiment et aux fonds souverains arabes contre conditionnalité tenue secrète. Le circuit du pétrole arabe bientôt en pénurie soutient encore la machinerie démocratique occidentale perpétrée au Maghreb.
Pour combien de temps ? Combien encore le littéralisme ignare séoudien livrera des ressources à la légende du choc des civilisations ?
Les peuples qui se tournent vers leurs traditions et croyances risquent de prendre à la lettre les préceptes de solidarité et de justice et de faire cesser la pompe qui extrait leurs richesses pour la leur restituer sous forme de dette.
(1) François Guizot, Wikipédia.
(2) The Middle East Partnership Initiative: An Overview, July 20, 2005 (en anglais, 6 pages, PDF)
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Badia Benjelloun
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