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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Interview de Mordechaï Vanunu

Par

Le correspondant d’IMEMC, Kristoffer Larrson, a interviewé Vanunu à propos de ses hauts faits et de ses espoirs pour l’avenir.

Tandis que l’Iran est soumis à un ensemble de pressions visant à le faire suspendre son programme d’armement nucléaire, la détention par Israël de ce type d’armes ne retient pratiquement l’attention de personne. Au risque de sa liberté, Mordechai Vanunu a ressenti l’impérieuse obligation de révéler qu’Israël possédait des bombes nucléaires, voici une vingtaine d’années. Cela lui a valu d’être enlevé, en Italie, par des agents du Mossad, emmené en Israël et condamné à dix-huit années d’emprisonnement, au motif d’espionnage et de trahison. Tommy Lapid, ancien ministre israélien de la Justice, chef du parti centriste laïc Shinui, voulait qu’il soit pendu haut et court.

Le 21 avril 2004, il a été élargi – après plus de 6 500 jours en prison. Mais il n’est toujours pas libre. Depuis son élargissement, il a été ré-arrêté à deux reprises par l’armée israélienne et, plus grave, il ne peut quitter ce qu’il considère être "la prison appelée Israël".


Kristoffer Larson (KL) : Avant toute chose : merci beaucoup de nous consacrer du temps et de nous accorder cette interview !

Mordechai Vanunu (MV) hoche la tête timidement.


KL : Commençons par le début. Vous êtes né au Maroc en 1954. Pourquoi votre famille a-t-elle émigré en Israël ?

MV : Ma famille a émigré en Israël, comme la plupart des juifs marocains, en Israël


KL : Le judaïsme a-t-il tenu une grande place, dans votre vie ?

MV : Oh, bien sûr : je suis né dans une famille juive très pratiquante, et j’ai été envoyé à l’école juive. Mais, très jeune, j’ai commencé à rejeter et à critiquer le judaïsme.


KL : Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de votre enfance ?

MV : A cette époque, j’ai vécu à Beer Sheva, une ville très pauvre, dans un pauvre quartier de juifs venus du Maroc. Notre vie était très modeste, nous n’avions pas grand-chose à faire. Je jouais au foot, avec les enfants du voisinage.


KL : Vous aviez des frères ou des sÅ“urs ?

MV : Je suis d’une famille nombreuses : nous sommes onze frères et sÅ“urs, je suis le second. J’aidais mon père et ma mère à élever tous ces enfants. J’étais très bon élève, en ces années-là. A dix-huit ans, au lycée, j’étais pensionnaire.


KL : Quelles études avez-vous faites ensuite, à l’université ?

MV : J’ai effectué trois années dans l’armée. Mon job consistait à entraîner les nouvelles recrues. Ce n’était pas une activité militaire : je ne faisais qu’entraîner les soldats.
C’était près [de la colonie de] Gush Etzyon, à Bethléem.
Après, je suis entré à l’université. J’ai fini ma licence, et j’ai étudié la physique, durant un an. Après ça, j’ai arrêté mes études, et j’ai travaillé au centre nucléaire de Dimona, pendant neuf ans.
Durant cette période, j’ai étudié parallèlement la philosophie et la géographie, à l’université.


KL : Quelles étaient vos fonctions, dans le centre de recherches de Dimona ?

MV : J’ai fait tout simplement acte de candidature parce qu’ils avaient publié une publicité dans un journal : on demandait des jeunes, pour travailler au centre nucléaire de Dimona.
Alors j’ai suivi les indications du journal, et je suis allé à un bureau de recrutement à Beer Sheva. Ils m’ont donné rendez-vous, m’ont fait remplir des formulaires. Et voilà…


KL : Que saviez-vous sur Dimona, à l’époque ?

MV : Je savais qu’ils étaient sans doute engagés dans un programme d’armement nucléaire, mais rien de plus. Ils écrivaient de temps à autre, dans les journaux, qu’ils avaient "peut-être" l’arme atomique, mais c’était tout…


KL : Certains de vos collègues savaient-ils qu’Israël disposait d’armes nucléaires ?

MV : Vous voulez dire : ceux qui travaillaient au centre de Dimona ?


KL : Oui.

MV : Au poste où je travaillais, dans ce bâtiment-là, ils le savaient, bien entendu. Parce qu’ils produisaient le matériau indispensable aux armes nucléaires : le plutonium.

Aussi quiconque avait le minimum d’information à ce sujet savait bien que le plutonium ne sert qu’à fabriquer la bombe atomique. Et aussi, cet endroit est extrêmement secret, ce qui signifie qu’il doit bien être impliqué dans la production de quelque arme particulière.

Ainsi, les gens qui travaillent là savent pertinemment qu’ils produisent des armes atomiques, même s’ils ne les voient pas. Mais qu’ils produisent des armes, oui, cela : ils le savent.


KL : En quoi votre travail consistait-il ?

MV : Les premières années, mon travail consistait à produire du plutonium, à séparer le plutonium de matériaux radioactifs, dont l’uranium, et de transférer l’uranium à la station électronucléaire adjacente.

Aussi, mon travail, jour après jour, consistait à produire du plutonium, et nous savions très précisément quelle quantité était produite.


KL: A partir de quand avez-vous commencé à vous poser des questions sur la politique du gouvernement israélien en la matière ?

MV : Je pense que dès le début, j’étais enclin à critiquer, à me poser des questions. Je voulais savoir ce qu’ils étaient en train de fabriquer là.
Et je savais que c’était du plutonium que nous étions en train de produire, aussi je savais combien d’armes nucléaires ils pouvaient détenir.
Et en même temps, ils mentaient au peuple israélien et au monde au sujet des armes nucléaires qu’ils possédaient.
Aussi, sans doute me suis-je mis à critiquer ce système dès que j’ai pris conscience du nombre d’armes nucléaires qu’ils étaient en train de produire, et aussi que je participais à ce mensonge, à cette duperie.


KL : Quand avez-vous commencé à envisager de révéler cela au monde entier ?

MV : Plus tard, j’ai commencé à être engagé politiquement, à l’université : je soutenais les Palestiniens. J’ai aussi commencé à critiquer Israël quand ils ont envahi le Liban, en 1982.
J’avais même sans doute, à la réflexion, commencé à prendre mes distances quand Israël a bombardé le réacteur atomique irakien, en 1981. Je travaillais dans ce centre nucléaire, et j’ai assisté à ça : d’un cêté ils bombardaient un centre nucléaire [civil, ndt] en Irak, et en même temps, ici, ils trompaient le monde…

Alors j’ai décidé qu’un jour je partirais et que je révèlerais tout, peut-être trois ou quatre ans avant de quitter effectivement Dimona. Mais je n’avais pas de plan précis : je pensais, simplement, qu’un jour je partirais. Et que je parlerais.


KL : Pensez-vous qu’un (ou des) collègue(s), à Dimona, pouvai(en)t avoir la même idée, de tout révéler ?

MV : Non. La plupart sont des juifs sionistes pur sucre et ils croient en ce que dit le gouvernement israélien. Il y a peut-être des gens qui ne sont pas d’accord, mais ils ne disent rien. Alors faire quelque chose : non, ils n’y sont absolument pas préparés…


KL : C’est à cause de ça, que vous avez quitté Israël ?

MV : Après ma démission, j’ai décidé d’aller aux Etats-Unis. Mais je suis allé, en réalité, en Extrême-Orient : en Thaïlande et au Népal.
J’ai voyagé dans les montagnes de l’Himalaya : je marchais, je faisais du trekking. Et puis je suis allé à Bangkok, à Singapour, en Australie. C’est d’ailleurs à Sidney que j’ai reçu le baptême.


KL : Qu’est-ce qui vous a amené à vous convertir au christianisme ?

MV : Comme je vous l’ai dit, à l’âge de seize ans, j’ai commencé à porter un regard critique sur le judaïsme, et j’ai décidé de quitter cette foi juive.
Ainsi, entre seize et trente ans, j’ai grandi, j’ai critiqué, je me suis posé des questions, j’ai rejeté ce qu’on m’avait inculqué, jusqu’à me retrouver, enfin, libre. J’ai pris la décision de ne jamais revenir en Israël.
Je voulais entamer une nouvelle existence. Alors, j’ai décidé, aussi, de me faire baptiser.


KL : Comment vos proches et vos amis ont-ils réagi à votre baptême ?

MV : Personne n’en a rien su, à l’époque ; je n’en ai parlé à personne. Je savais qu’ils n’aimeraient pas ça du tout. Je n’en ai informé qu’un de mes frères. Mais quand on m’a kidnappé, à Rome, pour m’amener ici, ils ont découvert que j’avais été baptisé, et cela ne leur a pas plus. Ils ont essayé de me ramener dans le giron du judaïsme.


KL : Qu’est-ce qui vous a amené à raconter ce qui vous est arrivé au Sunday Times de Londres ?

MV : C’est le fait, comme je vous l’ai dit, qu’Israël mentait et trompait son monde. Et aussi, le fait que, de par mon travail, je savais qu’Israël produisait plus de quarante kilos de plutonium, chaque année. Cela suffit à produire dix bombes atomiques annuellement.
J’ai décidé que c’en était trop ; Israël avait énormément d’armes, et il pouvait les utiliser dans la première guerre venue, contre certains pays arabes.
Je voulais empêcher le recours à l’arme atomique.


KL : Et les gens du Sunday Times vous ont cru ?

MV : Je leur ai apporté des photos. J’avais pris secrètement des photos dans le centre ; je leur ai donné toute l’information sur la manière dont les Israéliens produisaient du plutonium.
Un savant atomiste m’a interrogé, et il a admis ce que je lui ai relaté. Mais ils voulaient sans cesse procéder à de nouvelles vérifications.


KL : Pour ces vérifications, combien de temps leur a-t-il fallu ?

MV : Environ un mois. Mais avant que mon témoignage soit publié, Israël me kidnappa, à Rome. Ils ont publié mon interview quelques jours seulement après mon kidnapping.


KL : Comment avez-vous rencontré ‘Cindy’, l’espionne du Mossad ?

MV : Je l’ai rencontré à Londres, dans une rue. C’était nuit, je marchais. Je lui ai demandé : « Comment allez-vous » ?
Et ce fut l’engrenage : nous avons commencé à nous rencontrer et à nous parler.


KL : Et vous avez décidé d’aller ensemble à Rome ?…

MV : Nous avons pris un avion pour Rome. Et c’est dès que j’ai mis les pieds à Rome qu’ils s’en sont pris à moi.


KL : Avez-vous été surpris par l’absence totale de réaction, dans le monde, à votre kidnapping par le Mossad ?

MV : Oui. J’étais extrêmement déçu que le monde n’ait absolument rien fait, depuis Rome jusqu’à Washington, de Londres à Stockholm…
Personne ne s’est préoccupé de moi, personne n’a pris la parole pour me défendre. Et c’est encore le cas aujourd’hui.
Aucun gouvernement ne parle de moi, ni de ma cause. Tous se tiennent à carreau.


KL : Pourquoi, à votre avis, ont-ils tellement peur de critiquer Israël ?

MV : Je pense qu’ils ont un problème, avec Israël. Ils ne savent ni quoi faire, ni quoi dire.
Parce qu’Israël détient désormais ces armes atomiques, les Israéliens se sentent tout puissants : ils se moquent bien de ce que pourrait dire un gouvernement, quel qu’il soit. Personne ne peut leur dire ce qu’ils ont à faire.


KL : Ce qui nous amène à vous poser une autre question : Pensez-vous qu’Israël soit prêt à utiliser ses armes nucléaires ?

MV : A mon avis, Israël était prêt à les utiliser. Mais aujourd’hui, après mes révélations et le fait que le monde entier soit au courant, je pense que le monde ne les laissera pas utiliser leurs armes.


KL : Un ancien directeur du Mossad a révélé qu’Israël avait envisagé de vous tuer, mais qu’ils ne l’ont pas "parce que des juifs ne tuent pas d’autres juifs". Mais ils vous ont condamné à dix-huit ans de prison. Avez-vous été surpris par cette condamnation ?

MV : Oui. Ils m’ont condamné pour espionnage et trahison, mais je n’étais pas un espion. J’ai donné des informations au Sunday Times ; ils auraient donc dû me condamner pour avoir parlé aux médias. Mais le juge m’a condamné pour espionnage, et il m’a infligé une sentence très dure et très longue.

Si Israël ne m’a pas éliminé, ce n’est pas parce que "les juifs ne tueraient pas d’autres juifs", mais bien parce qu’ils ne savaient pas quoi faire dans mon cas. Moi, l’espion juif.
Le Mossad tue beaucoup de juifs.
Quand ils le veulent, ils en tuent.
Ils en tuent certains secrètement, d’autres meurent de ce qu’ils appellent des "crises cardiaques". C’est même eux, les agents du Mossad, qui étaient derrière l’assassinat de Rabin.
Alors, leur histoire de "juifs qui ne tuent pas d’autres juifs", c’est vraiment du pipeau.


KL : Avez-vous le sentiment d’avoir eu un procès équitable ?

MV : Bien sûr que non !
Cela se passait à huis clos, personne n’était autorisé à assister à mon procès. Il n’y avait que moi, et mon avocat. Et le juge n’était pas autorisé à interroger le gouvernement, qui aurait dû être contraint à venir expliquer au tribunal pourquoi Israël détenait deux cents armes nucléaires, pourquoi ils avaient entrepris de produire la bombe à hydrogène.
J’ai dit tout cela au tribunal, mais le tribunal n’était pas autorisé à poser des questions.
Nous avons demandé à Shimon Peres de témoigner ; nous voulions lui demander pour quelle raison il affirmait que le centre Dimona ne menait que des recherches pacifiques, alors qu’il avait déjà produit deux cents bombes atomiques.
Si le juge n’est pas autorisé à poser la moindre question, où est la justice ?


KL : Quelle a été votre réaction lorsqu’on vous a annoncé que vous alliez devoir passer dix-huit années en prison ?

MV : J’étais anéanti. J’étais très en colère. J’étais navré.
Je ne parvenais pas à y croire : dix-huit ans !
C’est comme s’ils vous avaient condamné pour avoir tué quelqu’un que vous n’aviez pas tué.
C’est comme s’ils avaient pris quelqu’un au hasard dans la rue, et qu’ils l’aient condamné pour assassinat, alors qu’il n’aurait tué personne. Personne ne le croit : que peut-il faire ?
Leur juge décide que cette personne a assassiné, alors qu’elle n’a tué personne…


KL : Vous avez, de plus, dû purger les deux tiers de cette condamnation en isolement total. Qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?

MV : C’est ma conviction profonde dans la justesse de mes actes. J’étais très fort. Extrêmement fort. J’avais décidé d’être fort. Et je voulais vaincre ceux qui m’avaient enlevé et condamné fallacieusement et injustement.
J’ai décidé que je voulais survivre, sortir, et parler. Aussi, ce désir de m’en sortir m’a soutenu, en permanence, et il continue à le faire.


KL : Vous est-il arrivé, durant tout ce temps, de penser que peut-être cela ne valait pas le coup ?

MV : Non. Jamais. Je n’ai jamais douté de ce que je faisais. Ce qui me rendait perplexe, c’est la raison de savoir pourquoi je devais souffrir. Mais je n’ai jamais douté d’avoir fait ce que je devais faire. Parce que j’avais l’information, je me sentais dans l’obligation de la publier.
Cela devait être fait ; quelqu’un devait s’en charger. Je pense que j’ai aussi constaté que le monde avait changé.
Le monde ignorait mon histoire, mais le monde a, de fait, changé, depuis que je l’ai révélée.
La Guerre froide a pris fin, la course à l’arme nucléaire est stoppée.


KL : Comment vos proches et vos amis ont-ils réagi à la révélation qu’Israël détenait l’arme nucléaire ?

MV : Les gens de ma famille n’aiment pas ça. Ils ne veulent pas qu’on parle d’eux publiquement.
Quand à mes amis, je n’en sais rien : j’ai été mis en prison pendant dix-huit ans, et je n’avais de contact avec absolument personne, si bien que je ne sais pas.
Mais la plupart m’ont sans doute considéré comme un traître et un espion.


KL : Et l’opinion publique, en Israël ?

MV : L’opinion publique israélienne est soumise à un lavage de cerveau psychologique par les médias israéliens. On leur dit que je suis un ennemi d’Israël et un traître, et ma conversion au christianisme est même utilisée, aussi, pour « prouver » que je suis un traître.
Parce que la plupart des juifs ne peuvent admettre qu’un juif se convertisse à une autre religion, quelle qu’elle soit.


KL : Comment avez-vous été reçu par l’opinion mondiale, après ce que vous avez fait, mis à part Israël ?

MV : J’ai reçu beaucoup de messages de sympathie et de soutien de diverses personnes, des militants et des associations pacifistes. Mais par de gouvernements. Je bénéficie de beaucoup de soutiens et de sympathie, dans le monde entier.


KL : Désirez-vous ajouter quelque chose ?

MV : Je suis toujours en attente de ma liberté. J’aimerais que le monde m’assure ma liberté totale, me permette de quitter ce pays et de jouir de la liberté ; j’ai assez souffert. J’ai passé dix-huit ans en prison, et aujourd’hui, je continue à être prisonnier dans la prison qu’est Israël.
Je veux jouir de ma liberté, contribuer à la paix dans le monde. Le monde doit être courageux et intervenir pour me soutenir et critiquer Israël.
J’espère qu’un pays ou un autre vont se réveiller, en particulier en Scandinavie – la Suède, la Norvège, le Danemark : ce sont des pays très généreux, qui soutiennent les être humains. Aussi, ils doivent exiger d’Israël qu’il me donne ma liberté.


KL : Où iriez-vous, si vous en aviez la possibilité ?

MV : J’aimerais aller en Europe, ou aux Etats-Unis.


KL : Merci beaucoup.

MV salue, d’un signe de tête.

Source : www.imemc.org/

Traduction : Marcel Charbonnier

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