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ISM France - Archives 2001-2021

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Liban -

Jours de tourmente

Par

Musa Al-Hindi est un réfugié Palestinien né au Liban et membre d'Al-Awda, la Coalition pour le Droit au Retour en Palestine

Beirut, Bourj Al-Barajneh, 16 Septembre 1982 : J'avais 16 ans quand j'ai entendu parler pour la première fois du massacre de Sabra et de Shatila.
C'était un matin ensoleillé et moite, un jour typique de septembre à Beyrouth dans une période particulière.
J'allais à la pharmacie Uthman acheter des calmants pour ma mère qui était au bord de la dépression nerveuse après trois mois de bombardements israéliens sur Beyrouth Ouest.

Alors qu'elle pensait que le pire était passé, Israël a envahi la ville et ses banlieues sud, ignorant ses promesses faites aux Etats-Unis de ne pas le faire si les combattants de l'OLP se retiraient.

Selon un rapport publié par Tel Aviv, l'armée israélienne n'avait pas eu d'autre choix que de l'envahir afin de protéger les habitants contre les Phalangistes libanais rendus furieux par l'assassinat, la veille, de leur chef, Bashir Gemayel.

L'occupation de Beyrouth Ouest par Israël n'a pas duré longtemps. Israël ne faisait pas le poids face à la détermination des habitants de Beyrouth, et après avoir perdu quelques soldats et officiers aux mains de la résistance clandestine, l'armée israélienne a décidé de se retirer. Tel Aviv n'était ni prêt ni disposé à s'embourber dans la guérilla à l'intérieur d'une ville de plus d'un million d'Arabes et de Musulmans hostiles et armés.

Cependant, avant son retrait, Israël, tout en vantant la "pureté des armes" de l'armée israélienne, a précipité le massacre de 3.000 Palestiniens, Libanais, Syriens et Egyptiens dans les camps de Sabra et de Shatila. Israël a toujours nié sa responsabilité dans les massacres horribles des hommes, femmes et enfants des deux camps. Ses soldats n'ont peut-être pas participé réellement aux massacres, mais quiconque connaît les camps et leurs environs sait qu'ils ont dû voir et entendre les cris des enfants, des femmes et des hommes qui étaient exécutés. L'orgie de sang perpétrée par les Phalangistes de Droite a duré deux jours, et les Israéliens avaient établi des postes sur les toits des bâtiments entourant les camps.

Pendant le siège de Beyrouth, qui a duré plus de 60 jours, j'ai, comme beaucoup d'autres qui avaient refusé de quitter la ville, développé une sorte de témérité désinvolte. J'ai sciemment cultivé l'indifférence face à la mort . C'était un profond mélange de sentiments : la provocation, le fatalisme et la conviction religieuse.

Deux semaines après le début de l'invasion du 4 juin, j'ai décidé que je ne laisserais pas les bombes israéliennes m'effrayer. Pour la première fois de ma vie, je pouvais sentir la présence de Dieu.

Alors que je réfléchissais à ma situation, il est devenu clair pour moi que je ne pouvais pas perdre. Je me suis dit que, si j'étais tué, ce serait sera avec Dieu. Si non, je survivrais au pire que l'état juif pouvait occasionner.

L'étape suivante fut de m'entraîner à me débarasser de ma peur, ce que j'ai fait en errant sans but dans les rues de Bourj Al-Barajneh tandis que la ville et ses banlieues étaient impitoyablement bombardées.

Parfois, à la grande détresse de ma grand-mère et de mes tantes, je me pointais à leurs portes avec du pain ou des gateaux arabes, dont ni l'une ni l'autre n'avait besoin. Mais je voulais une excuse pour justifier ma présence dans les rues quand tout le monde était dans les abris (dont beaucoup ont prouvé leur inutilité face aux bombes et aux missiles américains du dernier cri).

Après m'être exposé quelques jours au danger, j'ai réussi à réduire considérablement (pas totalement) ma peur. Cela me réconfortait et me donnait un sentiment de liberté.

Pourtant, ce qui m'a étonné le plus, c'est que grâce à cela j'avais perdu ma colère, en particulier contre les Etats Arabes et les peuples, qui étaient occupés à suivre les matchs de la Coupe du Monde 1982 qui se déroulait en Espagne.

Je dois admettre que les habitants de Beyrouth – dont la majorité sont des supporters du Brésil ou de l'Allemagne – ont également suivi les matchs quand il y avait une pause dans les combats. Je me souviendrai toujours des combattants palestiniens et libanais postés dans l'Ecole Secondaire de garçons du quartier d'Al-Ma'morah à Bourj Al-Barajneh qui avaient relié une petite télévision noire et blanc à une batterie de voiture (Israël avait coupé l'électricité) pour regarder le match Brésil-Argentine.

Quand le Brésil a gagné 3-1, nous jubilions tous comme si nous avions libéré la Palestine, en tirant en l'air, alors que les supporters de l'Allemagne ne pouvaient pas cacher leurs craintes que leur équipe ne puisse pas jouer contre Socrates, le brillant capitaine de l'équipe brésilienne, et son équipe. Moins de deux heures plus tard, les bombes israéliennes nous ont ramenés à la réalité.


Bien que ma victoire sur la peur ait survécu au siège de Beyrouth, ma colère non. Elle a refait surface avec une intensité accablante, le 16 ou le 17 septembre, alors que j'apprenais le massacre de Sabra et Shatila.

Ce fût un ancien combattant palestinien qui m'a informé ce matin fatidique du massacre alors que je revenais de la pharmacie avec les tranquillisants pour ma mère.
Je me souviendrai toujours de son visage. Il était blond. Il avait une petite barbe et des yeux bleus fatigués. Son nom était Tarek.
Il m'a dit et à d'autres passants que les Israéliens et quelques Libanais avaient tué des gens avec des couteaux et des hachettes, et qu'ils avaient massacré des enfants et violé des femmes. D'abord, je ne l'ai pas cru. Plus exactement, je n'ai pas voulu le croire.

Je suis donc rentré à la maison et j'ai allumé la radio. Je suis passé méthodiquement d'une station à une autre -- la BBC, Radio Monte Carlo, la Voix de l'Amérique, la Voix du Liban, la Voix du Liban Libre, la voix du Liban Arabe, etc...

Ce fut vraiment en fin de soirée que j'ai réalisé que quelque chose de terrible se produisait. La vue "des obus éclairants" qui illuminaient le ciel au-dessus de Sabra et Shatila a confirmé mes craintes.

Seulement plus tard, le monde apprendrait que la source de ces bombes était les envahisseurs israéliens, qui illuminaient le ciel au-dessus des camps de sorte que les vautours des Phalangistes, dont certains étaient bourrés de drogues, pouvaient voir où ils allaient dans les camps. J'ai passé le reste de la nuit sur le toit, pendu à la radio.

Ce fut aux premières heures le lendemain matin que la Voix du Liban Arabe a commencé à diffuser des témoignages du massacre.

Des rapports qu'un massacre avait eu lieu à Sabra et Shatila leur arrivaient de diverses sources, rapports confirmés par d'autres stations.

Au milieu de la matinée, la station libanaise officielle a annoncé que l'armée israélienne et ses alliés libanais s'étaient retirés du périmètre des camps et que la faible Armée Libanaise et les Forces de Sécurité Interne Libanaises les accusaient. Les journalistes libanais et étrangers et les stations de télévision ont afflué dans les camps.

Il était environ midi quand j'ai décidé d'aller voir par moi-même. Les camps étaient à environ 3 km de Bourj Al-Barajneh.

Je me suis donc décidé à marcher. Je me souviendrai toujours de l'itinéraire que j'ai pris : Imam Ali Street (où je vis), Rue Uthman, quartier Minshiyeh, Rue Ba'joor, Haret Hureik, le quartier Ghbayri, Boulevard de l'Aéroport (Dweiret Al-mattar), Nazlet Al-Sifara Al-Kuwaitiyah.

J'ai utilisé l'entrée sud de Sabra. Le secteur était rempli de soldats libanais, la Croix Rouge, le Croissant Rouge et un grand nombre de journalistes, le nez couvert. À mesure que j'avançais, j'ai vu un âne gris, son corps couvert de mouches.

Quelques mètres en bas de la route gisait le corps d'un vieil homme. Il était habillé comme en janvier : une veste de laine par-dessus un chandail. Lui aussi était recouvert de mouches sauf une partie de son corps : une jambe de bois. J'avais mal au coeur, mais j'ai décidé de continuer.

Avec le recul, je n'aurais pas dû le faire, parce que ce que j'ai vu continuera à me hanter pour le reste de ma vie. J'ai vu une femme d'un certain âge danser de façon hystérique au-dessus d'un amas de corps d'enfants, s'arracher ses propres cheveux et se griffer le visage, en chantant de façon incompréhensible. J'ai essayé de donner un certain sens à ses mots. La seule expression que je pouvais entendre était : "ya mshaharah ya Subhiyeh" (Oh ruinée, moi-même). Le reste était seulement des sons incompréhensibles.

Un homme en sanglots -- j'ai supposé que c'était son mari ou frère -- essayait de l'arrêter, mais en vain. Je peux encore me rappeler de son visage sombre, ridé et en sang, de ses cheveux gris et du henné sur son menton.

À cêté de l'amas de corps, une femme plus jeune était à genoux, son visage enterré dans le sable. Soudain, elle s'est levée et a commencé à déchirer le haut de sa robe, arrêtée seulement par d'autres femmes dans la foule.

"Allah yhidek ya Israël"(Que Dieu te détruise, Israël), criait-elle. "Allah yihra'ko ya Arab" (Que Dieu brûle votre religion, Oh Arabes)." Parmi la foule, une autre voix hurlait : "inbisit ya Abu Ammar, sadaqt el-yahud w-el-Amrikan (Sois heureux Abu Ammar 'Yasser Arafat'),
tu as fais confiance aux Juifs et aux Américains)."

Ce fût à ce moment-là que j'ai décidé de partir. Je ne pouvais pas, ni ne devais pas en voir plus. Assez. Je suis parti, battant en retraite, en larmes. Je suis rentré à la maison, je me suis glissé dans la chambre à coucher de ma mère et je me suis aidé avec la bouteille de calmant.

Quelques jours plus tard, mon plus jeune frère, Ali, est né. Avec le recul, c'est sa naissance et les longs moments que j'avais passé à le garder et à jouer avec lui qui m'a donné la force de continuer.

Ali a presque 17 ans maintenant. Il est toujours mon frère préféré, bien qu'il soit un grand supporter du football allemand. De nombreuses façons, je lui dois la vie.

N'oubliez jamais Sabra et Shatila. Jamais.



Source : www.amin.org/

Traduction : MG pour ISM

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