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Egypte - 24 août 2012
Par Abdel Rahman Youssef, Muhammad al-Arabi
L'attaque du 5 août près de Rafah, qui a entraîné la mort de 16 garde-frontières égyptiens, a ramené le Sinaï dans l'actualité. Peu d'attention est prêtée à cette région marginalisée et à ses habitants principalement tribaux, sauf en temps de guerre et de conflit. Al-Akhbar visite le Sinaï dans cette série de trois articles sur la péninsule oubliée.
On ne mentionne le Sinaï des bédouins, des oliviers et du sable sans fin que lorsqu'on évoque la guerre d'octobre 1973, les explosions à Taba et à Sharm al-Sheikh, le mur de séparation à la frontière avec Gaza, et les explosions des conduites du gaz pour Israël. En temps normal, on ne parle que de Sham el-Sheikh. C'est là que vivait le président déchu Hosni Moubarak et où affluent les touristes européens.
Un homme tient une roquette qui aurait frappé sa maison après avoir été tirée par un hélicoptère de l'armée égyptienne pendant une opération de sécurité, à la périphérie du petit village de Sheikh Zuweid, dans le Sinaï, le 10 août 2012 (Photo: AFP - Mostafa Abulezz)
Le Sinaï, presque un tiers de la superficie de l’Égypte, est marginalisé malgré sa situation stratégique de passerelle entre l'Afrique et l'Asie. C'est un lieu de rassemblement pour les cultures et les religions, représentées par des sites spirituels comme Tur Sinai et le monastère Sainte-Catherine.
La région est célèbre pour ses mines de turquoise, mentionnées dans les documents de l’Égypte ancienne. Les pharaons anciens et nouveaux ont exploité cette pierre précieuse et le reste des richesses du Sinaï, tout en marginalisant ses habitants.
Ses premiers habitants étaient un mélange de Sémites et d'Hamites, qui furent plus tard dominés par les Arabes, bien avant la conquête islamique.
Lorsque l’Égypte des Pharaons était à son apogée, l'ancienne route militaire Horus coupait le Sinaï plein Est. L'armée de l’Égypte antique la traversait pour dompter les rébellions en Syrie.
Lorsque l’Égypte s'est affaiblie, le même passage a été utilisé par les envahisseurs successifs, dans l'autre sens, d'Hexos aux Israéliens.
Une importance stratégique
Étant donné sa position de carrefour militaire, son importance stratégique s'est accrue au fur et à mesure que surgissaient des menaces sur la frontière. La création d'Israël a élevé cette importance à des niveaux sans précédent et est devenue une malédiction pour le Sinaï et sa population.
L'importance stratégique croissante de la péninsule a eu un effet inverse sur le bien-être de ses habitants et leurs progrès. L’État égyptien a commencé à considérer le Sinaï et son peuple comme un danger. Mais c'était aussi le point de vue adoptée par Israël.
C'est la raison pour laquelle le Sinaï fut le dernier point à être traité dans la Guerre de Suez de 1956. Israël a pris son temps pour se retirer de la péninsule qu'il avait totalement occupée au début de la guerre. Il voulait des garanties de protection de sa sécurité contre le régime hostile de Gamal Abdul-Nasser.
Lorsqu'il l'a réoccupé en 1967, Israël a traité le Sinaï comme une zone-tampon profonde, la séparant du danger égyptien. Il n'a pas construit de colonies aussi rapidement qu'il l'a fait en Cisjordanie et dans les Hauts du Golan, à l'exception d'une colonie, près de Sharm al-Sheikh, au sud.
Israël a renforcé son ghetto désertique avec la ligne Bar Lev et il a tenu cette position stratégique même après la guerre de 1973. Pendant les négociations avec le président égyptien assassiné Anwar Sadat, entre 1978 et 1979, qui ont débouché sur les accords de Camp David, le Sinaï a été divisé en trois zones, restreignant l'armée égyptienne et la maintenant de l'autre côté du Canal de Suez.
Alors que ni la guerre de 1973 ni les négociations qui ont suivi n'ont été en mesure de libérer complètement le Sinaï, son retour au bercail égyptien a relevé son profil médiatique. Mais l’État a continué de le voir comme une source de danger.
La libération n'a pas apporté grand chose à ses habitants. Au contraire, ils ont été traités presque comme s'ils étaient sous occupation. Le Sinaï a replongé dans l'ombre et n'a été mentionné que lors des bombardements ou d'attaques terroristes. La dernière fut au début du mois, au carrefour Karm Abu-Salem, au sud de Rafah.
L’État égyptien a laissé le Sinaï à la merci des groupes armés, des opérations du renseignement et du crime organisé, pendant que ses habitants s'enfonçaient dans la répression d’État.
Géographie humaine
Le Sinaï est divisé, d'un point de vue administratif, en deux gouvernorats. Sa population est d'environ 489.000 habitants, d'après un recensement de 2006 publié par le site en ligne du Service d'information officiel égyptien. D'un point de vue tribal, la péninsule est divisée en trois régions contenant entre 11 et 13 tribus et clans, chacune constituée de 500 à 12.000 membres.
Le Sinaï sud est connu pour être la terre de Tur. Les tribus Tuara sont les al-Uleiqat, Mazyana, al-Awarma, Awlad Said, et al-Qararsha ou al-Sawalha. De nombreux clans et familles de ces tribus sont également dispersées dans le reste de la péninsule.
Le Sinaï centre, ou Bilad al-Tih, est habité par les al-Tiyaha, al-Ahiwat et al-Turabin. Cette dernière s'étend sur Gaza et en Palestine sud.
Le nord est Bilal al-Arish, où vit la tribu al-Sawarka, la plus importante du Sinaï. Composée au total de 13 clans et familles concentrées autour de la ville d'Al-Arish, al-Sawarka s'étend à l'est à Sheikh Zoueid et à l'ouest à la région de l'aéroport.
Il y a d'autres tribus plus petites, comme al-Akayla, sur la côte méditerranéenne au nord, et al-Bayadiya, dans la région entre al-Qantara et Port Said. Al-Akharsa, d'un autre côté, est une grande tribu vivant dans la région de Rummaneh, mais elle s'étend sur al-Sharqiya et al-Ismailia, la bordure orientale de l'Egypte.
Une histoire de marginalisation
Massad Abu Fajr, un activiste de la région, dit que le Sinaï a une société diverse et complexe, bien qu'elle soit majoritairement tribale. Il explique que le régime a soutenu ce tribalisme, et l'a même renforcé, dans le cadre de sa politique de sécurité et de marginalisation.
Le régime a empêché les tribus principales, comme les al-Sawarka, al-Tiyaha et al-Turabin, de participer à la vie politique et de gérer les affaires du Sinaï. Aucun des membres des grandes familles n'a jamais été nommé à un poste dans les conseils locaux ou régionaux, ni même dans les rangs de l'ancien parti au pouvoir, le Parti national démocratique (PND).
En même temps, le régime a délibérément favorisé des tribus plus petites et créé un réseau d'informateurs venant des différents clans.
Pour l'activiste Ismail Iskandarani, dans son blog "I Love Sinai", il est nécessaire d'examiner la composition tribale du Sinaï. Les tribus varient en nombre et en racines historiques, mais elles se coordonnent sur le développement et les questions nationales. Il dit que l'appartenance tribale est stricte sur deux points. Le premier est la question des droits. Et le second est le développement local en termes d'acquisition de terre et autres sujets similaires.
Iskandarani affirme que les tribus du centre du Sinaï considèrent la contrebande comme un système économique, et non comme une infraction à la sécurité. Les tribus du sud dépendent du tourisme, tandis que celles du nord vivent de l'agriculture et de la chasse.
La plupart des opérations de contrebande, qui passent par le centre de la péninsule, dépendent de la tribu Tiyaha. Selon Iskandarani, les marchandises de contrebande arrivent du sud par la Mer Rouge, ou du nord par les ferries du Canal de Suez.
Il souligne que les membres de la tribu Al-Azazma, environ 2.000 personnes vivant près de la frontière, n'ont pas de papiers d'identité. Elles sont appelées "bedoon" (sans État).
Iskandarani indique que le gouvernorat du Sinaï sud est moins peuplé et moins éduqué. Il est difficile pour des forces extérieures de les influencer. Mais le sud a moins de problèmes sécuritaires que le nord, qui borde la Palestine. La politique, au sens traditionnel du terme, est ainsi plus importante au nord.
La révolution dans les tribus
Malgré la focalisation politique sur le nord, Said Atiq, membre de la Coalition des Jeunes pour la Révolution au Sinaï, indique qu'aucun des partis traditionnels n'a une emprise forte dans la région. Il dit que les jeunes Sinawiya, qui ont rejoint la Révolution du 25 janvier, sont aujourd'hui les plus importants. Ils ont travaillé à une réforme de leurs tribus et clans pour être en mesure de faire face à l'Etat.
Les jeunes révolutionnaires sont convaincus que le Sinaï a besoin de liens avec le cadre égyptien. Ils refusent d'être marginalisés et isolés, et insistent sur leurs pleins droits politiques et sociaux.
Ils ont pu embarrasser des forces plus traditionnelles dans les tribus, comme les sheikhs tribaux et claniques. Ces derniers sont une cinquantaine et sont liés aux forces de sécurité. Ils sont incapables de fournir une vision ou de produire une action.
Les jeunes Sinawiya ont proposé de changer la méthode de désignation des sheikhs tribaux et claniques par un système démocratique et des élections libres, supervisées par le Conseil national pour les droits de l'homme. Mais le Conseil suprême des forces armées (CSFA) et la présidence, même sous le Président Mohammed Morsi, a rejeté cette idée.
Atiq explique que cette suggestion aurait pu apporter un sang nouveau parmi les dirigeants et ramené dans la péninsule un peu de la stabilité et de la sécurité perdues.
Les jeunes rebelles du Sinaï sont une force avec laquelle il faut compter, car ils font pression avec leurs revendications, les mettent en confrontation avec les sheikhs tribaux, les Frères musulmans et le CSFA.
Le gouvernorat égyptien le plus pauvre
Il y a quelques années, une étude de l'International Crisis Group a révélé que le taux de croissance de la population atteignait 62% au nord, et 22% au sud.
Il a classé le gouvernorat du nord du Sinaï comme la zone la plus pauvre d’Égypte. Le rapport concluait que la focalisation du Caire sur la situation sécuritaire conduisait à négliger les projets de développement économique. La seule exception sont les stations balnéaires du sud du Sinaï. Mais les habitants du Sinaï ne peuvent pas les fréquenter à cause du cordon de sécurité.
L'article en arabe ici.
L'article en français dans son intégralité :
- L’État du Sinaï (2/3) : L'arrière-cour du banditisme en col blanc
- L’État du Sinaï (3/3) : Le refuge des radicaux et des hors-la-loi
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM
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Abdel Rahman Youssef, Muhammad al-Arabi
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