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Israël - 20 mai 2021
Par Moshé Machover
Moshé Machover, né en 1936, est un mathématicien, philosophe et militant socialiste, connu pour ses écrits contre le sionisme. Né dans une famille juive à Tel-Aviv, alors membre du mandat britannique de Palestine, Machover a déménagé en Grande-Bretagne en 1968 où il est devenu citoyen naturalisé. Il fut un des fondateurs, en 1962, du Matzpen – Organisation socialiste en Israël; Matzpen étant le titre de la publication de cette organisation. Parmi ses ouvrages: Israelis and Palestinians. Conflict and Resolution, Haymarket Books, 2012. (Réd.)
16.05.2021 - Le régime de colonisation sioniste répand une odeur nauséabonde – littéralement. Je fais référence à une invention israélienne, nommée à juste titre « Skunk » [mouffette] et décrite comme une « arme non létale de contrôle de masse ». Il s’agit d’un liquide utilisé par les forces armées israéliennes sur ses sujets coloniaux comme moyen de contrôle des foules et de punition collective – des jets de ce liquide sont pulvérisés depuis des véhicules blindés spéciaux dans les espaces publics et dans les maisons privées. Il s’agit d’une exportation israélienne à succès, fabriquée par le kibboutz sioniste de « gauche » Beit-Alpha, et commercialisée auprès des forces de répression (« law enforcement ») du monde entier [1].
Un véhicule israélien lanceur de liquide putride en action contre des manifestants palestiniens à Kafr Qaddum, près de Naplouse. APA images
Le journaliste de Reuters Noah Browning a décrit son effet dans un rapport daté du 3 septembre 2012 :
« Imaginez que vous prenez un morceau de cadavre en décomposition dans un égout stagnant, que vous le placez dans un mixeur et que vous pulvérisez le liquide dégoûtant sur votre visage. Votre réflexe nauséeux s’emballe et vous ne pouvez pas y échapper, car l’odeur nauséabonde persiste pendant des jours. » [2]
Vos vêtements ? Les meubles de votre maison ? Vous pouvez aussi bien les mettre à la poubelle, car ils sentiront mauvais pendant des mois, voire des années.
Pendant le mois du Ramadan (qui, cette année, a duré du 12 avril au 12 mai), la police des frontières israélienne, lourdement armée, a érigé des barrières, empêchant les foules de se rassembler sur leur lieu de rendez-vous habituel : la place située à l’extérieur de la porte de Damas – le seul espace public ouvert dont disposent les habitants du quartier musulman de Jérusalem. Lorsque cela a entraîné les protestations de colère prévisibles, la police a retiré les barrières, mais a déployé l’abomination de la mouffette [sorte de putois qui sécrète un liquide malodorant produit par ses glandes anales] contre la foule rassemblée sur la place.
La puanteur s’est répandue dans le quartier musulman. Pour des dizaines de milliers de personnes qui jeûnent de jour pendant le mois sacré, il s’agit d’une torture particulièrement cruelle, car la nausée provoquée par cette odeur rend presque impossible de manger et de boire, sans parler du repas de l’Iftar au coucher du soleil, qui rompt le jeûne.
Les répressions du Ramadan – au cours desquelles des gendarmes israéliens lourdement armés se sont déchaînés dans l’enceinte de l’ancien Dôme du Rocher et de la mosquée Al-Aqsa, blessant des centaines de manifestants – ont fait partie d’un triple assaut du régime colonial de la suprématie juive sur ses sujets palestiniens. Par une bizarrerie calendaire, la Journée de Jérusalem – au cours de laquelle les sionistes religieux fanatiques célèbrent l’anniversaire (selon le calendrier juif luni-solaire) de la conquête de Jérusalem-Est lors de la guerre de juin 1967 – tombait cette année vers la fin du mois (lunaire) de Ramadan [3].
Le Ramadan et le Jour de Jérusalem ont tous deux coïncidé avec le point culminant des machinations de longue date de nettoyage ethnique contre les familles arabes palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. Ces trois composants, comme les trois composants de la poudre à canon, ont produit un mélange explosif.
Certaines des parcelles de Sheikh Jarrah appartenaient à des Juifs avant 1948. Après la guerre de 1948, lorsque cette zone est passée sous domination jordanienne, des familles de réfugiés palestiniens, victimes d’une expulsion massive (la Nakba), y ont été logées comme locataires. Selon la loi israélienne sur l’apartheid, les anciens propriétaires juifs conservent leurs droits de propriété. Mais les réfugiés palestiniens de 1948 n’ont pas de droit réciproque : ils ont perdu à jamais leur propriété, qui a été confisquée par l’État sioniste, pour être utilisée par les Juifs.
Depuis 1967, des groupes de colons sionistes extrémistes ont acquis les droits (selon la loi israélienne) des héritiers des anciens propriétaires juifs de ces propriétés, ou ont agi avec le consentement de ces derniers, dans le but d’expulser les locataires palestiniens et d’étendre la colonisation juive. Leur plan à long terme peut être déduit de ce qui s’est passé à Hébron. Un petit contingent de colons messianiques s’est établi peu après la guerre de 1967 dans des propriétés appartenant auparavant à des Juifs. Petit à petit, ils ont réussi à élargir leur domaine, en harcelant les habitants palestiniens et en les confinant dans des ghettos. Un processus similaire est en train de s’amorcer à Jaffa, menaçant le reste de sa communauté arabe, une minorité qui a survécu à la Nakba.
Une bataille juridique longue et complexe entre les habitants palestiniens de Sheikh Jarrah et les colons – qui n’est pas sans rappeler Bleak House (roman de Charles Dickens) – est maintenant sur le point d’aboutir. Les tribunaux israéliens sont, bien entendu, guidés par une législation raciste, motivée par l’idéologie sioniste et fortement biaisée contre les Palestiniens. Les perspectives sont vraiment sombres.
Ainsi, la lutte des familles palestiniennes menacées d’expulsion a atteint son point culminant précisément pendant les événements du Ramadan dans et autour du Mont du Temple. Les deux protestations ont fusionné et se sont nourries l’une l’autre. Dans les deux cas, les manifestants ont fait face à une répression brutale – et ils ont obtenu le soutien actif et généralisé des Palestiniens de toutes les régions de Palestine-Israël.
En signe de solidarité, quelques roquettes largement inefficaces ont été tirées depuis la bande de Gaza. Israël a répondu à sa manière barbare habituelle, par des bombardements aériens, tuant 20 personnes, dont neuf enfants. Le Hamas a répondu par de nouvelles roquettes et Israël a poursuivi l’escalade. [Article écrit le 11 mai.]
Une danse frénétique
Cette année, la Journée israélienne de Jérusalem tombait le lundi 10 mai. Les célébrations sadiques (et sexistes) habituelles de la conquête et de l’annexion illégale de Jérusalem-Est impliquent des foules d’hommes fanatiques, en sueur, extatiques et brandissant des drapeaux, qui défilent en dansant dans la vieille ville, narguent ses habitants arabes, les attaquent et endommagent leurs biens. En comparaison, les marches orangistes en Irlande du Nord ressemblent presque à des fêtes amicales de bonne volonté. Associée aux répressions du Ramadan et aux menaces d’expulsion de Sheikh Jarrah, cette parade dépravée était certaine de déclencher une puissante conflagration.
Mais à ce stade, les États-Unis sont intervenus. Craignant la réaction des deux milliards de musulmans du monde, l’administration Biden a « conseillé » la retenue. Cette recommandation a été reprise par les partisans des Etats-unis, que l’on appelle de façon risible « la communauté internationale ». Les médias obéissants ont compris l’allusion. Après de longs mois d’étrange silence sur les atrocités israéliennes et la crise interne de corruption, après avoir limité les reportages aux bonnes nouvelles et aux futilités, la presse de propagande servile et les chaînes de télévision (comme la BBC) ont soudainement commencé à rapporter quelque chose sur les événements en Palestine-Israël. Pas de manière impartiale, bien sûr – on ne s’y attendrait pas, n’est-ce pas? Mais au moins quelque chose qui s’approche des nouvelles.
Benyamin Netanyahou – empêtré dans son procès pour corruption et se demandant, comme d’habitude, comment tourner les événements de Jérusalem à son avantage personnel et politique – a dû lui aussi se rendre à l’évidence. Tout d’abord, la décision du tribunal concernant la menace d’expulsion de Sheikh Jarrah a été reportée à des jours plus calmes. Ensuite, les fanatiques religieux-sionistes se sont vu interdire l’accès à l’enceinte sacrée, évitant ainsi une provocation qui aurait pu conduire à un bain de sang. Enfin, au dernier moment, la marche dansante des suprémacistes juifs a été détournée des zones les plus sensibles de la vieille ville.
Tout cela n’a pas mis fin à l’agitation dans l’ensemble de la Palestine-Israël. À l’heure où j’écris, des manifestations violentes, des affrontements sanglants et des atrocités vengeresses commises par l’armée israélienne sont signalés. Mais cela aurait pu être encore pire – bien pire.
Et cela ne s’améliorera pas fondamentalement tant que la cause profonde ne sera pas éliminée. Cette cause n’est pas l’apartheid israélien, ni la suprématie juive, ni la ferveur messianique. Ces éléments – aussi importants soient-ils – ne sont que des moyens politiques et idéologiques qui servent à mettre en œuvre et à légitimer la cause fondamentale : le projet sioniste de colonisation, qui existe depuis longtemps et qui se poursuit.
(Article publié sur le site Weekly Worker, en date du 13 mai 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre)
______
[1] fr.wikipedia.org/wiki/Skunk_(weapon). Sa description comme «non létale» est trompeuse, car elle peut entraîner un étouffement.
[2] Ibid.
[3] Le calendrier juif, basé sur le calendrier sumérien (troisième millénaire avant notre ère), est lunaire avec des corrections solaires dans un cycle de 19 ans. Les dates juives (et la Pâques chrétienne d’origine juive) se décalent donc d’avant en arrière par rapport au calendrier grégorien (l’ancien calendrier chinois est similaire). Le calendrier musulman est purement lunaire, de sorte que le Ramadan peut tomber en toute saison.
Source : A l'encontre
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