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Monde - 21 septembre 2010
Par Robert Bibeau
Quelle belle expression, la « communauté internationale » ! On imagine des milliards d’individus regroupés sous la bannière de leurs gouvernants démocratiquement élus, faisant écho, après enquêtes et sondages populaires, à leurs désirs pacifistes, impatients de rendre une justice impartiale et équitable dans chaque conflit international qui confronte tel peuple hargneux et querelleur avec son voisin récalcitrant. Rien de tel cependant.
L'essentiel de la "communauté internationale" entourée de Benjamin Netanyahu (à gauche) et de Mahmoud Abbas (à droite).
Le conflit israélo-palestinien n’échappe pas à la dynamique de la « communauté internationale ». Très souvent ce sont les « amis » de la Palestine qui psalmodient l’appel pressant à l’intervention salutaire, engagée, immanente et transcendante de la « communauté internationale ». Parfois, ces « amis » dénoncent l’incurie de la communauté, sa partialité ; ils pleurent son impuissance et maugréent contre la lâcheté de ses dirigeants, et leur incapacité à imposer le droit international et à réprimer les méfaits de leur protégé, Israël - l’État ethniquement pur pour « juif » seulement.
Un poncif de la scène internationale se plaint qu’en « définitive, chaque round de négociation factice pour les Palestiniens est bénéfique pour Israël car il consolide une provocation antérieure, crée un précédent et négocie en fait pour entériner un nouveau fait accompli. Pourquoi n’y a t-il pas un coup d’arrêt de la communauté internationale ? » gémit-il ! [1]
L’analyste poursuit et propose une citation du négociateur palestinien Saeb Erekat « qui parle d’un parti pris à l’époque de l’administration Clinton, en 2000, qui s’est rangée derrière la position israélienne. (…) En suivant cette stratégie, l'administration Clinton a montré son incapacité à comprendre que les Palestiniens n'accepteront rien de moins qu'un État fondé sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale. » [2] L’administration Clinton de la « communauté internationale » souhaitait-elle vraiment comprendre les Palestiniens ? L’administration Obama désire-t-elle vraiment comprendre les Palestiniens?
Un collègue du précité expert, sympathique à la cause palestinienne de surcroît, écrit ceci : « Convaincue que les États occidentaux continueront à ne rien faire pour résoudre le problème, les acteurs de la société civile se mobilisent de plus en plus (…) Mais il est clair à présent que seule la solidarité active et militante, au niveau des sociétés civiles à l’échelle internationale, est susceptible de forcer les gouvernements occidentaux à chercher sérieusement une solution pacifique et juste. » [3]
Le démographe français Emmanuel Todd dénonce quant à lui la lâcheté des puissances européennes membres de la « communauté internationale » et les appelle à se ressaisir et à œuvrer en faveur de sanctions sévères contre Israël pour les crimes de guerre commis à Gaza, et contre la flottille de la liberté dans les eaux internationales. [4] Gideon Levy, le grand reporter du journal israélien Ha’aretz, entonne le même cantique dans son ouvrage « The punishement of Gaza » [5].
Pourquoi ces intellectuels et ces « amis » de la Palestine en appellent-t-ils exclusivement aux gouvernements occidentaux en tant que médiateurs « impartiaux » ? N’ont-ils pas fait appel précédemment à la « communauté internationale » dans son ensemble ? À moins qu’il s’agisse d’un aveu non sollicité. Pour eux, la « communauté internationale », ce ne sont pas les pays pauvres, les cent-dix pays non-alignés, les petits pays d’Océanie, ni les pays arabes, ni les pays à majorité musulmane, non plus que les pays riches mais politiquement indépendants des pressions américaines. Bref, la seule « communauté internationale » qui vaille et dont l’opinion compte à leurs yeux, c’est une vingtaine de pays, occidentaux pour la plupart, à la remorque des Américains.
Je souligne au passage qu’il est injuste d’accuser la « communauté internationale » de ne pas chercher âprement et activement une solution pacifique et juste à la question palestinienne. Pour eux, un bantoustan palestinien viable sur 18 % des terres de l’antique Palestine du mandat britannique est une solution juste et elle pourrait être pacifique si Netanyahu pouvait brider sa droite intégriste juive hystérique, ce qu’il ne fera pas évidemment, et si les services de sécurité de Mahmoud Abbas parvenait à exterminer les résistants en Cisjordanie et à Gaza, ce qu’ils ne pourront pas assurément.
L’alliance anti-palestinienne
Chacun des complices de la grande alliance anti-palestinienne en appelle à ses maîtres de la « communauté internationale » pour qu’ils fassent plus d’efforts pour soutenir leur section de l’alliance et pas seulement la section sioniste. Mohamed Dahlan, ex-chef des forces de sécurité du Fatah à Gaza, réfugié en Cisjordanie après le coup d’État manqué contre le Hamas en 2007, celui que Thierry Meyssan accuse d’avoir empoisonné Yasser Arafat, en appelle aux puissances européennes, découragé de constater que la tactique Obama n’amènera jamais le bantoustan qu’il voudrait diriger. À l’occasion de la deuxième ronde de pourparlers directs à Charm-el-Cheikh en Égypte, Dahlan pousse les Européens du pied : « Malheureusement l’Administration Obama est revenue à ses vieilles chimères : elle ne pratique que de la gestion de crise. Elle n'a pas la volonté politique suffisante pour régler le conflit. J'en appelle aux Européens : qu'ils abandonnent leur rôle d'observateurs, ils ne sont pas de simples bailleurs de fonds, ils doivent s'impliquer. S'ils s'unissent, ils peuvent peser face aux États-Unis et à Israël. » [6] Ce que Dahlan soulève, c’est l’impossibilité pour la clique du Fatah de vendre un accord qui les ridiculiserait et que la population palestinienne rejetterait du revers de la main après avoir désavoué ces pseudo-négociateurs illégitimes et lourdement compromis.
Noter au passage que la question des constructions dans les colonies n’est qu’un leurre, ce n’est pas du tout l’enjeu des pourparlers directs. D’abord, parce que la construction n’a jamais cessé, même pendant le supposé moratoire qui se termine le 29 septembre, qui n’était au dire de Netanyahu lui-même qu’un ralentissement de la construction ; ensuite, parce que si effectivement ces gens étaient réunis pour négocier la création d’un État palestinien sous protectorat israélien dans les frontières de la ligne d’armistice de 1949 (Ligne verte) toutes ces construction reviendraient à l’Autorité palestinienne et la tâche de déloger les colons en serait accrue pour le gouvernement israélien.
Il y a trois véritables questions en litige dans les négociations actuelles. Premièrement, la question de la renonciation par les Palestiniens eux-mêmes, non pas par l’OLP, mais par les masses palestiniennes qui ont voté majoritairement pour le Hamas en 2006, organisation majoritaire non membre de l’OLP et qui ne reconnaît pas les accords d’Oslo, renonciation dis-je à 78 % de leur terre ancestrale de la Palestine du mandat britannique ; deuxièmement, acceptation par le peuple palestinien que l’État sioniste usurpateur est un État pour les juifs et donc renonciation au droit de retour pour les Palestiniens de la Nakba ; troisièmement, renonciation à la résistance et acceptation de leur sort dans le bantoustan qui leur sera concédé sous la dictature des services de sécurités de l’Autorité palestinienne.
Chacun se bouscule pour étreindre la mariée
Chacun des gouvernements cooptés au sein de la « communauté internationale » se dispute l’opportunité d’être présent à la table de « négociations » afin de soutenir son poulain – Israël –. Le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner se plaint que son préféré, intégré secrètement à l’OTAN et à l’Union européenne, lève le nez sur les propositions de collusion européennes : « La France a réclamé hier une plus grande implication du quartette et de l’Union européenne dans les négociations directes entre Israéliens et Palestiniens. » Le déni américano-israélien est d’autant plus blessant que, comme le dit Kouchner : « Nous ne pouvons pas être les bailleurs de fonds et ne pas participer au processus de négociations. (…) L’Union européenne ne doit pas être seulement un tiroir-caisse. Les Égyptiens nous ont affirmé leur intention de nous inviter à Charm el-Cheikh, s’ils le pouvaient. Apparemment cela n’a pas été le cas, » a précisé le ministre, ajoutant : « Cela faisait un peu de difficultés aux Américains d’après mes sources. » [7] C’est qu’il existe une hiérarchie parmi les cooptés de la « communauté internationale » et le sergent major cherche parfois à conserver la tutelle exclusive sur le protégé de la communauté.
Je vais maintenant m’employer par quelques exemples à démontrer comment l’écheveau des intérêts occidentaux s’emmêle à celui du projet colonial sioniste. La France d’abord.
« La France avait fortement soutenu le projet d’un État juif en Palestine et avait voté en ce sens le plan de partage du 29 novembre 1947 à l’ONU. (…) La France a beaucoup aidé à la création du jeune État entre 1945 et 1948 : Non seulement elle se prononcera à l’ONU en faveur de la légitimation du projet d’État juif, elle contribua aussi, et d’une manière massive, au renforcement démographique et militaire du Yishouv, [8] par la canalisation de l’immigration clandestine et l’acheminement des armes qui, le moment venu, lui donneront la supériorité sur le terrain. » [9] À partir de 1954 et de la généralisation de l’insurrection en Algérie [10] contre la colonisation française, les intérêts d’Israël et de la France se rejoignent parfaitement : il s’agit de s’allier face au nationalisme arabe qui veut bouter hors d’Alger comme du canal de Suez les Européens (…).
Les liens entre l’armée française et Tsahal [11], l’armée israélienne, sont si forts que l’on pourrait parler d’une véritable alliance militaire stratégique entre les deux pays. La générosité française était très appréciée des milieux militaires israéliens : « Pour gagner du temps, l’état-major français avait mis un bureau à ma disposition rue Saint-Dominique, au ministère des Armées, » raconte Asher Ben Nathan (…). « En 1955, la France s’était engagée à nous fournir 48 Mystère IV. Une seule escadre de l’armée de l’air en était équipée. Elle a reçu l’ordre de nous les céder, au grand dam du patron de l’escadre. Mais sur la base de Mont-de-Marsan j’ai eu la surprise de voir atterrir non pas 48 mais 52 appareils. “Quitte à vous donner mes avions, j’en ai rajouté 4 de réserve, en cas de pépin”, me dit le colonel. » [12]
Autre exemple français. « Dans chacune des guerres qu’Israël a conduites en violation du droit international, une avant-scène diplomatique a été organisée pour lui permettre de gagner du temps, tandis que les États-Unis bloquent toute résolution du Conseil de sécurité. En 2006, c’était Romano Prodi et la conférence de Rome. En 2009 à Gaza, c’est le président français, Nicolas Sarkozy, qui produit le divertissement. Il a annoncé qu’il consacrerait deux jours de son précieux temps pour régler un problème où les autres ont échoué depuis 60 ans. Ne laissant guère de doute sur sa partialité, M. Sarkozy a d’abord reçu à l’Élysée la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, et le leader sunnite saoudo-libanais Saad Hariri, et s’est entretenu par téléphone avec le président égyptien Hosni Moubarak, le président fantoche de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, et le Premier ministre israélien Ehud Olmert. » [13].
Pour la Grande-Bretagne un petit extrait suffira. En 1999, les ventes d'armes britanniques à Israël - un pays qui occupe la Cisjordanie (et aussi Gaza) et qui construit des colonies illégales pour les Juifs et seulement pour les Juifs sur une terre arabe – s’élevaient à 11,5 millions de livres ; en deux ans, cela avait presque doublé et s’élevait à 22,5 millions de livres. Cela comprenait des armes légères, des kits de grenades prêtes à monter et des équipements pour avions de combat et des chars. La liste des aides britanniques à l’État hébreu est très longue. [14] L’Allemagne a livré à l’État juif l’an dernier quatre sous-marins capables de lancer des missiles nucléaires. Qui est une menace nucléaire, l’Iran ou Israël ?
Autre exemple de l’impartialité des arbitres de la « communauté internationale ». L'éminent juge sud-africain Richard Goldstone a statué dans son rapport d’enquête de l'ONU [« Résumé » et « Conclusions et Recommandations »] sur le bain de sang à Gaza que les deux parties avaient commis des crimes de guerre. Il fut, bien sûr, traité de « méchant » par toutes sortes de supporters d'Israël aux États-Unis ; son excellent rapport a été rejeté par sept gouvernements de l'UE. Comme il le dit dans sa préface, « Israël a développé des liens politiques et économiques tellement forts avec l'Union Européenne au cours des dix dernières années qu'il est devenu presque un État membre de l'Union sans le dire. »
Javier Solana, le chef de la politique étrangère de l'UE (anciennement secrétaire général de l'OTAN), a effectivement déclaré l'an dernier qu'« Israël, permettez-moi de le dire, est un membre de l'Union Européenne sans être membre de l’institution. » [15]
Israël, base militaire permanente de l’Occident au Levant, opère la plus grande base d’espionnage intégrée au réseau Echelon. « Le réseau Echelon est un système US d’interception planétaire. Il a la capacité de « happer » 1.300.000 communications par minute, aux fins d’espionnage, (…) Le système désigné sous le nom de code Echelon se distingue des autres systèmes de renseignement par le fait qu’il présente deux caractéristiques qui lui confèrent un niveau de qualité tout particulier. (…) La deuxième caractéristique, c’est que le réseau Echelon exerce ses activités grâce à la « coopération » de six États (Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et, bien sûr, la prunelle des yeux étatsuniens, Israël) (…). » [16]
Le dernier exemple, mais non le moindre du soutien inconditionnel de la « communauté internationale » à leur pupille israélienne, la vente de l’avion de pointe le plus sophistiqué de la flotte aérienne américaine à la colonie sioniste. « Le F-35 est l’avion de combat de l’avenir qui permettra à Israël de préserver sa suprématie aérienne et son avance technologique, explique Ehud Barak dans un communiqué officiel. Les premiers exemplaires devraient être livrés “à partir de 2015” pour une mise en service environ deux ans plus tard. L’achat négocié avec le constructeur et le Pentagone est assorti de 50 options. Ce qui, au final, est proche des 75 exemplaires évoqués depuis septembre 2008 avec vingt-cinq appareils fermes et cinquante options. Coût évalué à 2,75 G$ pour les vingt premiers avions. La transaction négociée ces dernières semaines, à l’issue d’une ultime rencontre à Washington entre Ehoud Barak et son homologue américain Robert Gates, prévoit également une coopération avec l’industrie israélienne et principalement IAI (Israël Aircraft Industries), avec un accord pour la production d’éléments jusqu’à hauteur d’au moins 4 G$.
L’annonce a surpris tous les observateurs. Selon Tel-Aviv, le pris unitaire du F-35.I (“I” pour Israël) avoisinerait 96 M$, sans la prise en compte des rechanges, de la formation et du soutien spécifique. Un chiffre à rapprocher des 130 à 150 M$ préalablement avancés sans précision sur le contenu de l’enveloppe. Étant néanmoins entendu que la transaction sera en grande partie financée par l’aide militaire américaine. » [17]
Dites-moi, que peuvent espérer les « amis » du peuple palestinien par leurs appels incessants à la médiation de cette engeance internationale ? Que le proxénète répudie sa péripatéticienne ? N’y comptez pas. Les puissances occidentales ont trop investi dans le projet colonial « juif » israélien pour l’abandonner alors qu’elles sont si près du but, pensent-t-elles, c’est-à-dire la création d’un protectorat palestinien sur le reste des terres pas encore expropriées et annexées par la puissance coloniale israélienne, la pacification du peuple autochtone local et sa mise sous tutelle de sa propre bourgeoisie compradore nationale, si et seulement si cette dernière se montre apte à réprimer les résistances nationales palestiniennes, ce qui n’a aucune chance de survenir.
In memoriam : Ci-gisent les pourparlers directs Benjamin Netanyahu – Mahmoud Abbas.
Notes de lecture :
[1] Pr Chems Eddine Chitour. « Un État palestinien en 2017 : Un siècle après la Déclaration de Balfour. » Mondialisation.ca, 16.09.2010.
[2] Idem note 1.
[3] Brève histoire de la Palestine (2e édition août 2010). Coalition pour la justice en Palestine UQAM.
[4] Emmanuel Todd. « Ce qui s’est passé à Gaza c’est notre honte ». Oumma.com, 8.09.2010.
[5] Gideon Levy. « The punishment of Gaza. ». Paperback. 2010.
[6] Idem 1.
[7] « Paris réclame l’implication de l’UE dans les négociations », France-Palestine.org, 15.09.2010.
[8] Désigne la communauté des Juifs de Palestine avant la création de l’État d’Israël.
[9] Samir KASSIR et Farouk MARDAM-BEY, Itinéraires de Paris à Jérusalem La France et le conflit israélo-arabe, tome I, 1917 – 1958, page 72, Les livres de la Revue d’Études Palestiniennes, 1992 – 1993.
[10] Le 1er novembre 1954, la « Toussaint rouge » ouvre la guerre d’Algérie.
[11] Acronyme de Tsva Haganah Le-Israël, armée de défense d’Israël. Elle fut créée officiellement le 31 mai 1948, à partir de la fusion de la milice Haganah (milice juive clandestine du mouvement sioniste, née en 1920) avec les autres groupes armés notamment ceux de l’Irgoun et du Ledi. Le service militaire est obligatoire pour trois ans pour les hommes et deux ans pour les femmes. Les Arabes israéliens et les Juifs les plus orthodoxes en sont exemptés.
[12] Lire le dossier « La France, Israël et les Palestiniens », Le Nouvel Observateur, n° 2101, 10 février 2005.
[13] Thierry Meyssan, « L’opération « Plomb durci »: La guerre israélienne est financée par l’Arabie saoudite », Geostratégie.com, 06.01.2009.
[14] Robert Fisk 1.08.2010 « Israël s'est glissé dans l'Union Européenne sans que personne ne s'en aperçoive ». Ism-france.org, 01.08.2010.
[15] idem note 14.
[16] « Big Brother », alterinfo.net, 16.06.2010.
[17] Air et Cosmos N° 2229 – 27 Août 2010, pp. 32-33. « Premier feu vert à l’achat de F-35 par Israël ».
Source : SAMIDOUN
Traduction : Robert.bibeau@sympatico.ca
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