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France -

La croisade cynique d’Emmanuel Macron

Par

David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye, un site web indépendant basé à Londres qui couvre le Moyen-Orient en anglais et en français. Il écrit pour le Huffington Post's The World Post, et commente le Moyen-Orient pour Al Jazeera English et Alaraby TV, TRT, Masr Al-Aan TV. Avant cela, il a été rédacteur en chef de The Guardian, rédacteur en chef adjoint pour les affaires étrangères, chef du bureau de Moscou, correspondant européen et correspondant pour l'Irlande du Nord. Il a rejoint The Guardian en provenance d'Écosse où il était correspondant pour l'éducation.

-Le président français ne lance rien de moins qu'une croisade laïque. Non pas pour sauver Jérusalem, mais pour sauver l'âme républicaine imaginaire de la France.-
Pendant quatre ans, les procureurs français se sont acharnés à prouver qu'une conspiration jihadiste multinationale était à l'origine des attaques contre le journal Charlie Hebdo et un supermarché juif à Paris. Au total, 17 personnes ont été tuées lors des attaques à l'arme à feu qui se sont étalées sur trois jours et ont abasourdi la nation. Il s'agissait du plus grand procès terroriste de France et pourtant, malgré son importance, le fait que l'attaque contre un journal en ait entraîné un deuxième et la probabilité qu'elle en entraîne encore d'autres, les condamnations prononcées la semaine dernière ont laissé des questions fondamentales sans réponse.

La croisade cynique d’Emmanuel Macron

La République en actes : discours d'E. Macron sur la lutte contre les séparatismes, Les Mureaux, 2 octobre 2020 (capture écran vidéo)
Les procureurs se sont efforcés d'établir des liens terroristes au sein du groupe dit "belgo-ardennaise", au-delà de ceux d'une bande de petits délinquants. Hayat Boumeddiene, l'ancien associé d'Amedy Coulibaly qui a attaqué le supermarché Hyper Cacher, a été déclaré coupable par contumace de financement du terrorisme. Mohammed et Mehdi Belhoucine, dont on pense qu'ils sont morts en combattant avec le groupe de l'État islamique (IS) en Syrie, ont été reconnus coupables de complicité dans les attentats.
 
Trois autres ont été reconnus coupables d'"association avec des malfaiteurs terroristes". Les sept autres ont été reconnus coupables d'"association avec des criminels". Ils ont été présentés au tribunal comme des délinquants mineurs.
 
Les procureurs n'ont pas réussi à prouver qu'ils étaient au courant du complot. Tous ont été accusés d'avoir participé à des réseaux qui ont conduit à Coulibaly. Mais quel était leur lien avec Said et Chérif Kouachi, les hommes armés qui ont attaqué Charlie Hebdo ?
 
Qui du groupe de l'État islamique a ordonné les attaques ? Comment les Kouachi ont-ils obtenu leurs armes ? Qui les a armés ?
 
Même en tenant compte de leur rôle dans la recherche de la moindre lacune dans l'acte d'accusation, les avocats de la défense ont fait preuve d'un mépris inhabituel à l'égard des preuves.
 
Ils ont qualifié l'acte d'accusation du Parquet national antiterroriste (PNAT) de "surréaliste", "honteux", "vide", "un tissu bricolé de suppositions, de conjectures et de supputations".
 
Margo Publiese, l'avocate qui représente Miguel Martinez, a résumé le point de vue de ses collègues. "Cette affaire a rendu tout le monde fou. Elle suinte la peur et la déraison. Quelque chose d'irrationnel a pris le dessus sur le PNAT, le juge d'instruction et les enquêteurs", a-t-elle déclaré au tribunal. "La chaîne de commandement dans cette affaire a été terrorisée. Quand elle est trop effrayée, c'est la justice elle-même qui en souffre. Je ne savais pas que la peur pouvait faire ça aux juges".
 
Des "terroristes artisanaux"
 
C'est ce qu'Olivier Roy, l'un des plus grands spécialistes français de l'islam radical, avait prédit dans son récent entretien avec MEE. Roy est un homme atypique en France aujourd'hui. Il préfère les preuves aux théories de conspiration sur un complot islamiste s'emparant de la France. Dans son analyse des attaques menées par trois générations différentes d'assaillants, Roy trouve des différences entre les campagnes terroristes postérieures à 1995 qu'il juge significatives.
 
Contrairement à l'attentat d'une synagogue à Paris en 1980, ou du restaurant juif du Marais en 1982, les attentats d'aujourd'hui sont l'œuvre de "terroristes artisanaux", des solitaires qui ont systématiquement choisi de mourir.
 
Ils n’ont pas suivi d’entraînement. Ils trouvent eux-mêmes leurs armes, élaborent eux-mêmes leurs plans et réalisent eux-mêmes leurs activités de renseignement. Ils tuent sans discernement. Ils visent le grand public. Leur but est le sacrifice rituel avec un couteau ensanglanté à la main, plutôt que de tuer autant d'innocents que possible. Rien ne prouve qu'ils reçoivent des instructions du groupe État islamique, et encore moins des directives de l'étranger.
 
Ils n'ont généralement pas de mosquée, pas d'imam, ni de réseau de soutien derrière eux. Leur cheminement idéologique ne va pas - comme le gouvernement, les procureurs, la police et les médias antiterroristes le supposent tous aujourd'hui - du salafisme au terrorisme.
 
Roy a renversé la compréhension dominante de l'Islam radical. Ce n'est pas l'islam qui se radicalise, affirme-t-il, mais le radicalisme, généralement des immigrants de la deuxième génération, qui a trouvé dans l'islam une nouvelle forme. La différence est cruciale. Roy a déclaré à MEE : "Il ne s'agit pas d'embrasser d'abord le salafisme et de passer ensuite au terrorisme. C'est pourquoi je parle de l'islamisation du radicalisme (...). La rupture avec la société vient en premier, éventuellement suivie d'une immersion dans le salafisme mais, dans de nombreux cas, la radicalisation n'est pas du tout précédée d'une phase salafiste".
 
Si Roy a raison, rien de ce que fait actuellement le gouvernement français ne fonctionnera. Surtout après le dernier meurtre de Samuel Paty, un enseignant qui avait montré des caricatures du prophète Mohamed à sa classe.
 
Croisade laïque
 
La vérité ne préoccupe guère Emmanuel Macron, le président français, qui croit avoir trouvé une porte de sortie avec ces meurtres.
 
Comme d'autres sociétés occidentales, la France a des problèmes pour maintenir l'ordre social, sans lien avec l'extrémisme religieux. L'échelle sociale s'est brisée. Il y a plus de barrières entre les générations, les catégories de revenus, les minorités ethniques, les populations rurales et urbaines, qu'à aucun moment depuis la Seconde Guerre mondiale. L'UE a depuis longtemps perdu sa pertinence en tant que baume rédempteur pour trois guerres franco-allemandes. La gauche est fragmentée. L'extrême droite se modernise, change de forme.
 
Et Macron lui-même, autrefois le prodige de la scène politique, n'a pas de réponse à son score en baisse dans les sondages et à la perspective d'avoir à se battre pour passer le premier tour des élections présidentielles en 2022.
 
L'accusation portée contre Macron n'est donc pas tant de suivre les traces de deux hommes dont l'échec spectaculaire au Moyen-Orient résonne encore aujourd'hui, Tony Blair et George Bush (bien qu'à l'époque le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin ait vu juste pour l'Irak et ait refusé de prendre part à l'invasion). C'est qu’il cherche à tirer un avantage politique personnel des meurtres brutaux de Charlie Hebdo et du professeur Samuel Paty.
 
Ce que Macron a fait, c'est donc de lancer rien de moins ambitieux qu'une croisade séculaire. Non pas pour sauver Jérusalem, mais pour sauver l'âme républicaine imaginaire de la France. Macron le fait au nom de la "laïcité", un concept typiquement français de séparation de l'Église et de l'État qui a été complètement déformé avec le temps.
 
Une arme néolibérale
 
Lors de son introduction en 1905, la laïcité était une mesure libérale. Elle était utilisée pour réduire l'exclusivité de l'Église catholique. En retirant le financement de l'État à toutes les confessions religieuses, elle a mis toutes les religions en France sur un pied d'égalité. L'Église catholique ne jouissait plus de la primauté.
 
Aujourd'hui, la laïcité est utilisée dans un but, qui est à l'opposé de cette intention initiale : rétablir l'exclusivité d'un ensemble de croyances sur un autre pour toute la population, indépendamment de l'ethnie ou de l'origine.
 
Elle est devenue l'arme de prédilection des néolibéraux contre la tolérance, le multiculturalisme et la coexistence. C'est l'outil par lequel la droite (et la gauche) cherchent à réparer l'identité toujours plus effilochée de ce que c'est que d'être citoyen de France.
 
L'Islam occupe amplement le territoire ennemi. Aux yeux de Macron, il est socialement conservateur, antiféministe, ‘rejetiste’, praticien des formes médiévales de la justice, un réservoir insondable d'"altérité". L'Islam, non réformé, menace la République française. Si le christianisme a eu sa réforme, l'islam en aura une aussi, du moins c'est ce que Macron aime à imaginer. Ainsi, dans les mains fébrilement actives de Macron, la laïcité s'est transformée en une croisade du 21e siècle, avec toute la nuance dont Simon de Montfort a fait preuve au 13e siècle.

Des caricatures du prophète Muhammad ont été projetées sur les murs de bâtiments. Des dizaines de mosquées ont fait l'objet d'attaques. L'association caritative musulmane BarakaCity et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui surveille les attaques islamophobes, ont été fermés dans le cadre de la campagne contre le "séparatisme musulman".
 
La querelle avec le hijab a une nouvelle fois occupé le devant de la scène, lorsqu'une membre du parti de Macron a quitté une audience à l'Assemblée nationale parce qu'une étudiante voilée y était présente.

L'Islam “de France”

Et maintenant, les imams doivent recevoir une accréditation officielle, qui peut être retirée. D'autres restrictions doivent être imposées quant au port du hijab. L'enseignement à domicile est interdit. Un registre officiel des imams musulmans est en cours d'élaboration.

Les imams devront signer une charte des "valeurs républicaines" avec au moins deux exigences centrales : le renoncement à l'Islam politique et à toute "ingérence étrangère". Dans la course effrénée à la création d'un islam français, tous les groupes sont rassemblés, toutes les distinctions sont éludées : l'islam radical, l'islam politique, tous ceux qui pratiquent une religion, qu'ils soient libéraux ou non, les immigrés des première, deuxième et troisième générations.

Tous sont maintenant placés dans le même camp d'internement virtuel. 
 
Cette seule réaction garantira que la France reste une cible fertile pour le groupe d'État islamique ou l'une de ses mutations pendant les décennies à venir. Un "islam français" est en train de se créer en visant la "séparation islamiste". Pour la première fois, toute personne qui s'identifie comme musulmane est soumise à un test de loyauté "être avec la République ou ne pas être avec la République".

C'est, bien sûr, une absurdité flagrante.

Au moment précis où l'Occident, un groupe de nations aspirant à contrôler les marchés mondiaux, la monnaie de réserve, les ventes d'armes et les armées, est en phase terminale de déclin, ce n'est pas par hasard que les musulmans de France sont contraints de signer une charte qu'aucun autre citoyen ne comprendrait, et encore moins la police.
 
Gerald Darmanin, le ministre français de l'intérieur, aurait-il osé faire des commentaires sur la séparation des rayons halal et casher à la suite de l'attaque du supermarché juif il y a quatre ans ? "Lorsque Macron est arrivé au pouvoir en France, sa priorité était la lutte contre les violences domestiques. Il n'a rien fait contre la violence domestique et maintenant il essaie de stigmatiser les musulmans à cause de la polygamie. Bien qu'il y ait peu d'hommes polygames", a déclaré une musulmane française à Channel Four.

"Marlene Schiappa (une ministre du gouvernement) a alors déclaré qu'il était normal d'être infidèle ou d'avoir une relation à trois. Je ne sais pas comment traduire cela en anglais, donc c'est normal d'être polyamoureux", a-t-elle ajouté.

Les sourires d'Abou Dhabi
 
Macron n'est pas isolé. Au-delà de deux frontières, l'Autriche fait la même chose. Le mois dernier, des centaines de policiers autrichiens ont donné l'assaut à des adresses à Vienne en réponse à un attentat qui avait fait quatre morts et vingt blessés.

Le ministre autrichien de l'Intérieur, Karl Nehammer, a cependant fait tout son possible pour nier que les raids de l'aube aient eu un rapport avec l'attentat de Vienne. Il a déclaré qu'ils visaient des maisons et des bureaux liés au Hamas et aux Frères musulmans.
 
Il est intéressant de noter qu'un mois auparavant, l'Autriche avait adopté une loi permettant aux descendants des Juifs autrichiens qui avaient été forcés de fuir le pays à la fin des années 1930 de récupérer leur citoyenneté autrichienne. Il se trouve que ma sœur et moi en faisons partie, car nos parents ont dû fuir Vienne à l'époque. 

Aujourd'hui, ce même État jette l'ombre d'un soupçon sur sa population immigrée musulmane, beaucoup plus réduite. Est-ce que je veux devenir citoyen d'un pays qui ne cesse de se retourner contre ses minorités ethniques en période de stress ?
 
Pendant ce temps, un grand sourire se dessine sur les visages de ceux qui, dans les États les plus répressifs du Golfe, encouragent discrètement tout cela et, dans certains cas, le financent directement.

Les Saoudiens et les Emirats n'en croient pas leurs yeux. Donald Trump est sur le point de quitter la scène, quand Macron fait son entrée. Le Conseil saoudien des universitaires seniors et le Conseil de la fatwa des Émirats arabes unis ont tous deux immédiatement publié de nouvelles décisions selon lesquelles les Frères musulmans "n'ont aucun lien avec l'Islam. Il s'agit d'un groupe errant".

Aucun des deux États répressifs n'a d'intérêt dans la liberté de religion ou la séparation de l'Église et de l'État. Bien au contraire. Ils rudoient les autorités religieuses pour donner une légitimité à leur autocratie. Leur seul intérêt est de garder le contrôle. Et ils utilisent les autorités religieuses des deux pays pour y parvenir. C'est cela aussi l'"Islam politique". Mais Macron ne s'intéresse ni à la qualité de vie des musulmans en France, ni à la promotion de la démocratie au Moyen-Orient.

Il vient de décerner à Abdel Fattah el Sisi, le dictateur égyptien qui a tué plus de citoyens non armés sur la place Raba'a que les autorités chinoises ne l'ont fait sur la place Tiananmen, et qui a fait enfermer 60.000 prisonniers politiques, la Grande Croix de la Légion d'honneur. Comme Mohammed bin Salman, le prince héritier d'Arabie Saoudite, et Mohammed bin Zayed, le prince héritier d'Abu Dhabi, Macron s'intéresse au pouvoir. 
 
Il est bien placé pour se tenir à leurs côtés. Il a véritablement rejoint leur club. C'est dire à quel point la présidence française est tombée bas.


Source : Middle East Eye

Traduction : MR pour ISM

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