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Palestine occupée - 8 mai 2020
Par Lana Tatour
Lana Tatour est titulaire de la bourse postdoctorale Ibrahim Abu-Lughod au Centre d'études palestiniennes de l'Université de Columbia.
06.05.2020 – À la fin du mois dernier, une cérémonie conjointe israélo-palestinienne de commémoration du jour du souvenir a eu lieu, présentée comme une alternative aux commémorations nationales officielles d'Israël. Buma Inbar, dont le fils, un soldat israélien, a été tué au Liban en 1995, a lancé la cérémonie en 2005. Depuis lors, elle est organisée conjointement par Combatants for Peace, une organisation d'anciens combattants israéliens et palestiniens, et Parents Circle Families Forum, qui réunit des familles israéliennes et palestiniennes endeuillées.
Funérailles de Bader Nafleh, 19 ans, à Qaffin, en Cisjordanie occupée, le 8 février 2020. Le martyr avait été assassiné la veille par les forces d’occupation, dans son village lors d’une manifestation contre le plan Trump (photo Ahmad Al-Bazz), source ActiveStills .
L'appel des familles israéliennes et palestiniennes endeuillées pour un avenir sans guerre ni violence trouve un large écho. Si la première cérémonie n'a réuni que quelques dizaines de participants, ce nombre est passé depuis à des milliers.
Cette année, en raison de la pandémie de coronavirus, la cérémonie s'est tenue en ligne, ce qui a permis aux organisateurs de toucher un public beaucoup plus large, avec environ 200.000 téléspectateurs dans le monde entier.
Faux récit
Pourtant, placer la cérémonie sous le signe d’une collaboration est un faux récit. Cette cérémonie est une initiative israélienne. Elle se déroule à Tel-Aviv parallèlement aux événements officiels du Memorial Day israélien et les participants sont majoritairement israéliens.
Les quelques Palestiniens qui viennent de Cisjordanie occupée doivent obtenir des permis d'entrée du gouvernement israélien, qui ne sont généralement obtenus qu'après requête judiciaire. Par exemple, en 2019, il y avait 10.000 participants à la cérémonie qui s'est tenue à Tel-Aviv, et seuls 100 Palestiniens de Cisjordanie ont obtenu un permis pour y assister.
La cérémonie de cette année a été parrainée par des groupes pacifistes israéliens et juifs tels que Peace Now, J Street, l'Union pour la réforme du judaïsme, le New Israël Fund et des groupes interconfessionnels, entre autres. La liste des organisations sionistes libérales qui la soutiennent est révélatrice de la politique qui la sous-tend.
La cérémonie s'appuie sur une symétrie entre les morts israéliens et palestiniens, les occupants et leurs victimes. Dans la cérémonie de cette année, par exemple, les orateurs israéliens ont fait participer le frère d'un soldat israélien tué lors de l'invasion israélienne de Jénine en 2002, au cours de laquelle des dizaines de Palestiniens ont été tués. Parmi les orateurs du côté palestinien, il y avait la mère d'un garçon de 14 ans abattu par un soldat israélien.
Au cœur de la cérémonie se trouve l'idée que nous, Palestiniens et Israéliens, sommes tous victimes d'un conflit entre deux mouvements nationaux. Les familles israéliennes et palestiniennes endeuillées sont invitées à partager leurs histoires de deuil comme un message d'espoir. Cette expérience, nous dit-on, est partagée ; nous pleurons tous les deux nos proches et nous vivons la douleur de leur perte.
Au cœur de la cérémonie se trouve l'idée que nous, Palestiniens et Israéliens, sommes tous victimes d'un conflit entre deux mouvements nationaux. Les familles israéliennes et palestiniennes endeuillées sont invitées à partager leurs histoires de deuil comme un message d'espoir. Cette expérience, nous dit-on, est partagée ; nous pleurons tous nos proches et nous vivons la douleur de leur perte.
Comme l'a dit la militante israélienne Leah Shakdiel dans son discours : "Nous partageons notre douleur de deuil avec l'autre partie, nous écoutons leur douleur de deuil, afin de pouvoir partager aussi la joie de vivre, de grandir et de vivre en paix, d'êtres humains et de citoyens égaux, de deux peuples sur une même terre, fiers de leur héritage national séparé, et déterminés à réaliser leurs rêves ensemble".
Un régime colonial meurtrier
La violence coloniale qui engendre la mort et le deuil est mise de côté, au profit de ce qui est considéré comme une présentation puissante d'une vision humaniste. Il est indéniable que nous pleurons tous nos morts. Même ceux qui occupent, colonisent ou commettent des crimes de guerre ont une famille et des proches pour les pleurer.
Mais la mort d'un soldat israélien et de sa victime palestinienne est-elle la même, simplement parce qu'ils sont tous deux pleurés par leurs familles ? Et qu'est-ce que cela signifie, politiquement, de demander aux Palestiniens de pleurer des soldats israéliens ?
La cérémonie est peut-être une catharsis pour la conscience libérale coupable, mais elle ne fait pas grand-chose pour les opprimés. Le deuil et la souffrance ne se produisent pas dans le vide ; ils sont politiques.
Mettre sur le même plan la mort de ceux qui occupent, colonisent et oppriment à la mort de ceux qui sont occupés, colonisés et opprimés est en soi une forme de violence. La mort et la perte commémorées lors de cette cérémonie ne sont pas le résultat tragique d'un accident ou d'une maladie mortelle ; elles sont le produit d'une violence coloniale meurtrière.
Alors que certaines familles palestiniennes endeuillées participent à la cérémonie dans le but de donner un sens et une visibilité à leur perte et à leur souffrance, la cérémonie commune est motivée par un programme israélien, et elle est conçue pour répondre aux besoins israéliens.
Elle apporte une réponse aux Israéliens qui ne sont pas prêts à abandonner la politique nationale israélienne, ni à rejeter l'idée même d'un jour national de commémoration pour un État colonisateur qui continue à occuper, déposséder, expulser et tuer des Palestiniens au quotidien.
Des décennies de pertes
Les participants n'abandonnent pas nécessairement leur engagement en faveur du nationalisme colonial. De nombreux participants israéliens qui assistent à la cérémonie commune célèbrent l'indépendance d'Israël le lendemain.
La cérémonie permet aux israéliens de gauche d'avoir le beurre et l’argent du beurre. En l'encadrant dans un discours d'inclusion et de réconciliation, ils peuvent continuer à faire partie de l'ethos national des colons israéliens à leur manière, même si leur manière est rejetée par la majorité israélienne. Ce faisant, ils s'approprient la perte et la douleur des Palestiniens et les inscrivent dans le cadre de la politique nationale israélienne.
Nos victimes, cependant, ne font pas partie de l'histoire israélienne du mémorial ; elles font partie d'une histoire palestinienne de décennies de perte, d'oppression et de résistance qui se poursuit jusqu'à ce jour.
Source : Middle East Eye
Traduction : MR pour ISM
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