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ISM France - Archives 2001-2021

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Jérusalem -

La flamme ne mourra jamais.

Par

Samah Jabr est palestinienne, médecin et vit dans Jérusalem occupée. Fille d'un professeur d'université et d'une principale de collège. En 1999/2000, Samah fut la chroniqueuse pour The Palestine Report, sa rubrique s'intitulait " Fingerprints ". Depuis le début de l'intifada, elle contribue régulièrement à The Washington Report on Middle East Affairs et à The Palestine Times of London. Elle est une gagnante de la récompense de The Media Monitor's Network pour sa meilleure contribution sur l'intifada et quelques uns de ses articles ont été publiés dans The International Herald Tribune, The Philadelphia Inquirer, Haaretz, Australian Options, The New Internationalists et d'autres publications internationales. Elle a donné plusieurs séries de conférences à l'étranger pour essayer de partager un autre son de perspectives du conflit sur sa terre. Elle a parlé à l'Université Fordham et au St. Peter's College à NYC, dans une conférence internationale à Helsinki et dans plusieurs universités, mosquées et églises en Afrique du Sud.

David Ben Gourion, le premier ministre israélien disait, "nous devrions faire tout notre possible pour empêcher le retour des Palestiniens chez eux. Les vieux mourront et les jeunes oublieront ". Ben Gourion s'est trompé. Plusieurs générations peuvent mourir avant l'accomplissement de notre liberté, mais la flamme ne mourra jamais et les Palestiniens n'oublieront jamais.

Durant la période où "la sécurité" d'Israël a exigé non seulement de torturer la population entrant à Jérusalem mais a aussi demandé à harceler celle qui en sortait, une scène poignante a eu lieu dans la rue principale de Beit Hanina. Les soldats ont arrêté tous les véhicules et ordonné aux passagers de les évacuer. Les hommes les plus jeunes furent conduits debout face aux murs pour être fouillés et interrogés alors que le reste des personnes furent contraintes de continuer leur chemin à pied.

Un conducteur de taxi a protesté espérant obtenir l'autorisation de conduire son passager à destination : "elle est très âgée et malade" plaida t-il. "Elle ne pourra pas marcher sur une telle distance". Mais les soldats israéliens se contentèrent de lui crier dessus et l'aurait frappé si le vieux passager ne s'était traîné avec peine hors du taxi pour épargner le jeune chauffeur des foudres des soldats. Luttant pour sortir du taxi, je vis une femme tourmentée par des douleurs arthritiques. Mon sang ne fit qu'un tour lorsque je reconnus ma propre grand mère bien aimée.

J'ai ravalé ma colère et me suis hâtée pour porter ses affaires. Puis je l'ai assistée dans sa marche forcée sur la distance qui nous séparait du checkpoint d'Al-Ram. Une fois traversé, nous pourrions emprunter un autre taxi jusqu'à la maison. Je n'avais jamais vu grand ma aussi vulnérable que ce jour. Elle semblait très fragile et blessée par l'animosité qu'elle avait du affronter.

Transpirant et à court de souffle, elle restait silencieuse alors que nous progressions très lentement vers notre destination. Je n'ai pas dit un mot non plus mais je brûlais de rage en pensant à ce qui s 'était passé avec grand ma et sur ce que subit quotidiennement les personnes les plus âgées de mon peuple, cette génération qui nous est chère. Je me sentais si honteuse de mon impuissance et du fait que je ne pouvais rien faire pour empêcher son humiliation ou alléger sa souffrance.

Finalement, elle brisa le silence un instant pour me dire : "leur jour viendra . Il est arrivé pour les Pharaons et pour tous les autres oppresseurs arrogants sur cette planète". Comme ses yeux étaient rougis par les larmes, j'ai espéré contre toute espérance qu'elle vivrait assez longtemps pour voir ce jour venir.

Ma culture accorde une grande valeur à l'importance des anciens. Les aînés de la communauté sont considérés comme des incarnations de notre honneur et de nos bénédictions. Après toute une vie de dur labeur, après avoir rempli toutes leurs responsabilités et fait beaucoup de sacrifices pour pourvoir aux besoins de leurs progénitures jusqu'à ce qu'ils puissent s'assumer par eux mêmes, les gens atteignent finalement leur âge d'or, l'automne de leur vie. Ils puisent un certaine chaleur de leurs bons souvenirs et goûtent un repos bien mérité venant après labeur et problèmes. C'est de cette façon que les anciens devraient être chéris : avec amour, vénération et le respect de tous ceux qui les entourent.

Mais c'est loin d'être le cas des anciens en Palestine. En dépit de toute l'attention d'adultes vigoureux pour préserver leur famille de la souffrance générale, la réalité cruelle de l'occupation réussit à affliger chacun d'entre nous. Nos anciens sont les plus opprimés et exploités parmi les Palestiniens, particulièrement ceux qui vivent avec des plaies ouvertes : la Nakba, l'expulsion catastrophique des Palestiniens de leur terre natale en 1948 et la Nakba, la chute du reste de la Palestine sous occupation en 1967. L'oppression a été imposée à toute la nation ; pour eux, elle aggrave grandement l'épreuve du vieillissement, agresse leur dignité et viole leurs droits fondamentaux. Pour beaucoup d'entre eux, la vie semble un destin pire que la mort.

Par sa nature, vieillir est un processus difficile, autant pour ceux qui le vivent que pour ceux qui les entourent. Les anciens sont pleinement conscients de la proximité de leur propre mort.

Quelques uns sentent qu'ils ne sont que l'ombre d'eux mêmes ou des coquilles vides comparé à ce qu'ils étaient autrefois. Ils peuvent devenir extrêmement susceptibles et vulnérables devant le moindre obstacle et en conséquence sont sujets à de fréquents sautes d'humeur et à des périodes de dépression.

Mais vieillir en Palestine est caractérisé par un retour en arrière plus lointain que le déclin naturel éprouvé par les vieux d'autres régions du monde débarrassées de l'oppression et de l'occupation. Nos anciens souffrent d'un degré exceptionnel de mauvais traitements et d'insultes. Leurs droits vitaux de vie et de liberté sont violés, leur cour est brisé par la perte et la misère de leur nation et leur sécurité est régulièrement menacée par la violence rampante, la pauvreté et la destruction délibérée de la société palestinienne.

Les personnes âgées sont les personnes les plus dans le besoin, pourtant elles constituent la classe la plus déshéritée de notre communauté. Elles sont privées de nourriture et de soins médicaux durant les couvre feux récurrents israéliens. On les empêche d'accéder aux hôpitaux lorsque elles sont malades. Elles sont même privées de la consolation de la prière à la mosquée ou de rendre visite à leurs petits enfants si elles en ont envie.

Récemment, une entrevue de travail m'a conduite à Al-Eizariyah. Là bas, à la jonction de Ras-Kubsa, un mur a été construit pour séparer les quartiers d'Abu-Deis et d'Al-Eizariyah de la ville mère Jérusalem. Les jeunes étudiants bien portants de l'Université d'Al-Quds, habitant à Abu-Deis trouvent des passages autour de ce mur : ils sautent au dessus des barrières ou rampent à travers les clôtures électrifiées ou sinon suivent le long chemin sur les collines. J'ai du escalader une haute barrière pour atteindre ma destination et je certifie qu'il serait impossible pour les personnes âgées, les malades et les faibles de faire de même.

Il y a quelques années, j'ai travaillé avec un étudiant américain pour compiler l'histoire orale de la Nakba. J'ai interviewé de vieux réfugiés ayant vécu ces évènements avec souvenir de cette douloureuse expérience. Ces visages ridés, édentés, couverts de taches de rousseur marqués par le poids des âges parlaient comme s'ils avaient vécu plusieurs vies et connu plusieurs morts. Leur peine est interminable mais d'une certaine façon aussi leur foi et leur fierté. J'ai vu ce regard perdu dans le lointain dans leurs yeux et écouté leur appel d'une pâleur mortelle. Leurs yeux étaient déchirants, brillant d'un désir ardent lorsque ils évoquaient des " jours meilleurs ", l'époque avant la Nakba et nous montraient les grandes clés rouillées et démodées, seuls liens qui les rattachent à leur maison volée. Leurs mains tremblaient d'effroi quand ils parlaient de l'expulsion et de la guerre. Tout en traduisant leurs mots en anglais pour mon collègue, je priais que leurs espoirs deviennent aussi réalité durant le peu de temps qu'ils avaient à vivre.

Beaucoup de nos anciens sentent qu'ils ont abandonné leurs enfants et petits enfants en nous amenant à vivre sur une terre occupée. Pour notre part, nous, jeune génération, ressentons aussi de la tristesse pour nos vieux obligés de supporter cette situation tragique jusqu'à la fin de leurs jours. Nous nous sentons aussi coupables en n'ayant pas réussi à rétablir la liberté et la justice durant leur vie. Cependant, malgré toutes ces déceptions, ni eux, ni nous n'avons renoncé à la cause palestinienne ou perdu notre engagement à libérer notre terre et notre peuple- et c'est tout ce qui nous importe vraiment.

David Ben Gourion, le premier ministre israélien disait, "nous devrions faire tout notre possible pour empêcher le retour des Palestiniens chez eux. Les vieux mourront et les jeunes oublieront ". Ben Gourion s'est trompé. Plusieurs générations peuvent mourir avant l'accomplissement de notre liberté, mais la flamme ne mourra jamais et les Palestiniens n'oublieront jamais.

En dépit de toutes les difficultés, l'ancienne génération a bâti des vies valables et pleines de sens sur des rêves ruinés et nous poursuivrons leur trajectoire. De par leur engagement pour la liberté et justice, nos parents et grands parents nous ont légués la vérité sur ce qui s'est passé. Nous portons cet engagement et cette vérité et nous la transmettrons aux générations futures. Les nôtres ne seront pas un héritage de culpabilité et de représailles mais plutôt un sens nourri des responsabilités, d'actions bien organisées, une volonté sincère et une stratégie efficace pour en finir avec cette tyrannie.

C'est cela que nous, Palestiniens, pouvons faire. Le feu qui ne s'est jamais éteint, nous l'entretiendrons continuellement, cette flamme loyale qui demeure dans l'âme de chaque Palestinien. Néanmoins, beaucoup doit être fait pour endiguer la vague de violations des occupants contre les anciens et chaque Palestinien, afin que les droits de l'homme soient rétablis et que notre rêve de vraie paix soit réalisée. Ca peut prendre du temps, mais comme Grand mère dit : " le jour viendra ".

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