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ISM France - Archives 2001-2021

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Iran -

La flottille et l'escamotage de la question nucléaire

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Selon un principe énoncé par Chomsky, les faits importants ne sont pas « cachés », en ce sens qu'en cherchant, on les trouve dans la presse internationale. En revanche, ils sont minorés par la place qu'ils occupent dans l'espace médiatique : le commentaire est soit totalement orienté et/ou farfelu soit, pour les sujets vraiment importants, le commentaire est totalement absent. L'idée est que les décideurs (politiques et, surtout, économiques) ont besoin d'être informés pour prendre les « bonnes » décisions (selon leurs propres critères) ; l'info est donc largement publique et accessible. En revanche, pour éloigner les citoyens de décisions qui les concernent pourtant directement, cette information doit être diluée et traitée comme si elle n'avait aucun intérêt.

Concernant l'attaque par Israël de la flottille internationale, il est donc intéressant de s'attacher au fait brut et, surtout, de rechercher les sujets qui sont totalement occultés. Chercher des faits ayant un rapport qui sont apparus dans la presse, mais qui ne sont pas commentés et ne sont pas réapparus depuis.

On peut s'aider en repérant l'aspect aberrant de certains commentaires, qui abordent le sujet selon un certain axe délirant. Se demander pourquoi le sujet est abordé sous cet axe, mais pourquoi le traitement et la conclusion sont aussi farfelus. L'axe général permet de détecter qu'il y a bien là une préoccupation profonde de l'auteur, et l'aspect aberrant permet de suspecter qu'on tente de s'éloigner du fond du problème (effet «nuage de fumée»).

Parmi les commentaires « bizarres » du moment, il y a cette prétention régulière selon laquelle l'action israélienne « profite aux extrémistes des deux camps », que le Hamas et le gouvernement israélien sont des alliés objectifs dans cette affaire, dans le but d'éloigner autant que possible la possibilité d'aboutir à la paix.

C'est exactement l'objet du communiqué des fumistes de JCall :

« Arraisonnement de la flottille à Gaza : une crise qui ne profite qu’aux extrémistes des deux bords ». C'est le sujet fréquent de bon nombre de commentaires en ce moment.

Pourtant, il est évident que la logique même de cette assertion est inepte. Ça n'est pas mon sujet ici, je ne vais pas développer ce qui me semble relever de l'évidence. Ce qui est intéressant :
• pourquoi aborder le sujet sous l'angle des «négociations» (qui, en la matière, sont inexistantes et seraient basées sur des présupposés israéliens illégaux et inadmissibles – dont, notamment, la poursuite du blocus de Gaza et de la colonisation),
• pourquoi présenter cette idée qu'un quelconque «processus» a été interrompu ou compromis par l'action israélienne contre la flottille?

Et là, si l'on cherche du côté des « processus » et des « négociations », qui concernent et préoccupent Israël et les fondements de sa « sécurité nationale », on a justement deux événements survenus quelques jours à peine avant la décision de transformer l'arraisonnement de bateaux civils en bain de sang dans les eaux internationales. Deux événements énormes, aux conséquences vitales, événements connus mais qui ont désormais totalement disparu de l'ensemble des commentaires. Si j'étais la « mouvance pro-palestinienne » (voir mon billet précédent), je me concentrerais actuellement sur ces sujets.

Le premier événement est énorme, et on a déjà vu le déploiement de la mauvaise foi occidentale pour tenter d'en contourner les conséquences. Le 21 mai, Alain Gresh l'analysait sur son blog : « Iran, vers “une communauté internationale” post-occidentale ? »

« Finalement, tout s’est arrangé : M. Recep Erdogan a fait le déplacement à Téhéran et il a scellé, le 17 mai, son entente avec le président Lula da Silva et Mahmoud Ahmadinejad sur un texte en dix points qui trace une voie pour résoudre la crise sur le nucléaire iranien. »

Alain Gresh décrit les manœuvres occidentales pour enterrer un accord qui, pourtant, correspond point par point aux exigences de l'AIEA formalisée en octobre 2009, accord qui devait, alors, marquer l'arrêt du processus de sanctions et permettre l'ouverture de nouvelles négociations :

« Que dit le texte signé sous leur égide ? D’abord que, conformément au TNP, l’Iran a droit à l’enrichissement ; ensuite, que le pays accepte l’échange de 1 200 kilos d’uranium faiblement enrichi (UFE) contre 120 kilos d’uranium enrichi (UE) à 20%, indispensables au fonctionnement de son réacteur de recherche ; que les 1200 kilos d’UFE seraient stockés en Turquie, le temps que l’Iran reçoive ces 120 kilos d’UE ; que l’Iran transmettrait à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dans la semaine suivant le 17 mai, une lettre officielle formalisant son accord. En renonçant à une partie importante de son uranium, Téhéran limite sérieusement ses capacités à produire une bombe. »

Ban Ki-moon a salué l'accord :
« Le secrétaire général de l'ONU “salue l'initiative du président brésilien Lula et du Premier ministre turc (Recep Tayyip Erdogan)”, a indiqué le porte-parole de M. Ban, Martin Nesirky.
Cela souligne que transparence et ouverture sont les clefs pour répondre aux préoccupations exceptionnelles que suscite le programme nucléaire iranien”, a-t-il ajouté.
L'accord peut être une avancée positive (...) s'il est suivi d'une coopération plus étendue de Téhéran avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et la communauté internationale”, a dit le porte-parole.

La lettre officielle prévue dans l'accord a bien été remise par l'Iran à l'AIEA la semaine suivante :
« Lundi, l'Iran a remis la lettre de notification de l'accord tripartite signée par le chef de l'Organisation de l'énergie atomique iranienne (AIEA), Ali Akbar Salehi, au cours d'une réunion à la résidence du directeur général de l'AIEA à Vienne. »

Nous avons un accord, à l'initiative de la Turquie et du Brésil, signé par l'Iran, correspondant aux exigences d'octobre dernier. Il est salué par le secrétaire général de l'ONU, et l'Iran signale formellement l'accord à l'AIEA.

Pourtant, avant-hier, on nous annonce avec joie que, suite à la rencontre entre Angela Merkel et Dimitri Medvedev, des sanctions pourraient être prises contre l'Iran. Cette dépêche de l'AP, à l'image de l'ensemble des commentaires médiatiques sur cette rencontre, n'évoque à aucun moment l'accord signé il y a deux semaines.

Et, il y a à peine une heure, le Monde nous informe des conclusions d'une nouvelle réunion de l'AIEA.

L'accord turc-brésilien-iranien est totalement occulté, et seul le sujet des « sanctions » est abordé. On ne saura pas pourquoi l'accord n'a aucune « importance », et rigoureusement rien ne permet au lecteur de se poser la question.

Un autre accord international doit être rappelé. Le 28 mai (trois jours avant l'attaque contre la flottille), un accord du TNP appelle à un Moyen-Orient dénucléarisé.

« C'est un accord crucial auquel sont arrivés, vendredi 28 mai, les 189 pays signataires du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) en adoptant par consensus un document qui propose de débattre sur l'interdiction totale des armes de destruction massive dans tout le Moyen-Orient. Il s'agit du premier accord de révision du TNP en dix ans. Il évoque également d'autres volets de la non-prolifération, comme le désarmement, la vérification des programmes nucléaires nationaux pour assurer qu'ils sont pacifiques, et l'usage pacifique de l'énergie atomique. »
[...]
« Cette conférence implique donc la présence de l'Iran et d'Israël. Une "zone dénucléarisée" au Moyen-Orient aurait plusieurs conséquences, en premier lieu obliger Israël à signer le TNP, qui date de 1970, et à renoncer à son arsenal atomique, dont il n'a jamais reconnu ni démenti l'existence. Israël serait également tenu de placer ses installations nucléaires sous surveillance de l'Agence internationale de l'énergie atomique. »

Une mise en cause du nucléaire israélien dans une grande instance internationale, voilà qui n'est pas commun. Qui plus est, rompre l'approche unilatérale du «nucléaire iranien» en liant cette question à l'ensemble de la région, on sent le danger pour les israéliens (on ne doute évidemment pas que les Iraniens utiliseraient cet argument, avec cette fois la légitimité d'une déclaration du TNP).

Enfin, pour vraiment se rendre compte du danger: l'ami américain n'a pas mis son véto, ni fait de déclaration suggérant que le machin serait rapidement enterré. Au contraire :

« Washington s'est engagé à œuvrer au succès d'une telle conférence en "créant les conditions" nécessaires, selon Ellen Tauscher, sous-secrétaire d'Etat chargée du contrôle des armements et de la sécurité internationale. Peu après l'accord, le président Obama s'est réjoui de cette avancée. "Cet accord comporte des étapes équilibrées et réalistes qui feront avancer la non-prolifération, le désarmement nucléaire et l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire, qui sont des piliers importants du régime global de non-prolifération". Toutefois, M. Obama s'est dit "fortement" en désaccord avec le fait que la conférence ait singularisé Israël. »

Et trois jours plus tard, l'intervention héroïque de l'armée israélienne dans les eaux internationales avait pour effet, non de retarder un inexistant « processus de paix » israélo-palestinien, mais de faire totalement disparaître de l'agenda international et des commentaires publics ces deux événements portant sur le nucléaire iranien et sur le nucléaire israélien.

On lit beaucoup de commentaires sur l'effet désastreux de l'attaque sur un hypothétique processus. Question totalement saugrenue. En revanche, l'effet spectaculaire de l'intervention israélienne, c'est l'escamotage pur et simple du calendrier politique et médiatique des avancées sur le nucléaire iranien et de sa mise en perspective officielle avec le nucléaire israélien.

Vraiment, si j'étais la « mouvance », je consacrerais toute l'énergie possible à remettre ces deux événements au centre du commentaire public. Car au-delà du martyre intolérable de Gaza, c'est la sécurité globale de la région et la possibilité d'une nouvelle guerre régionale qui sont en jeu.

Source : Loubnan ya Loubnan

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