Canada - 12 décembre 2002

Le Sionisme ne caractérise pas les Juifs – Il nous divise

Par Gabor Maté

Gabor Maté est un physicien et un écrivain de Vancouver appartenant à the Jewish faith. Par cet article paru dans le quotidien national du Canada, The Globe and Mail, il répond aux Juifs Canadiens qui considèrent que toute critique d’Israel est un acte d’antisémitisme.

Depuis ses débuts, la politique Sioniste a rencontré une opposition dans le monde Juif. L’identification sioniste d’un peuple avec un Etat est incompatible avec la position réelle de la majorité des Juifs qui ont choisi librement d’être des citoyens dans d’autres pays

Etant donné ses horribles connotations du 20ème siècle, l’antisémitisme est une accusation sérieuse. Elle a été citée récemment dans ce journal contre des critiques d’Israël par trois personnes bien connues pour leur engagement dans les valeurs humanitaires. L’avocat Clayton Ruby, le leader travailliste Jeff Rose et le physicien Philip Berger ont écrit qu’ils pensaient que « l’antisemitisme est apparu comme une force puissante » parmi quelques opposants de gauche à la politique d’Israël.

Comme Juif et ancien membre du mouvement de la Jeunesse Sioniste, je comprend les affinités que ces trois auteurs eprouvent pour Israël. Je peux également voir pourquoi les attitudes aveuglément meutrières et les actions de certains dans la résistance palestinienne provoquent une réponse émotionnelle fortement défensive dans la communauté Juive.

Mais le défaut dans leur raisonnement se situe dans le fait de confondre l’identité juive avec l’Etat Juif. Ils parlent d’une "distinction artificielle entre Israël et le Sionisme, d’une part, et de l’identité Juive, d’autre part"

L’identification moderne des Juifs et d’Israël est apparue surtout en réaction au génocide Nazi. Bien qu’il puisse représenter aujourd’hui l’opinion majoritaire, cela ne devrait pas être considéré comme acquis. Historiquement, cela ne l’a jamais été. Cela ne va probablement pas persister.

Depuis ses débuts, la politique Sioniste a rencontré une opposition dans le monde Juif. L’identification sioniste d’un peuple avec un Etat est incompatible avec la position réelle de la majorité des Juifs qui ont choisi librement d’être des citoyens dans d’autres pays. Longtemps avant l’époque romaine, les Juifs formaient généralement des groupes ethniques, religieux et culturels dispersés dont leur point commun n’était pas la géographie ou la politique. Seules leurs pratiques spirituelles étaient tournées vers la Palestine.

Certains Juifs ont vu dans la politique Sioniste une vulgarisation de la tradition Juive Messianique qui pourrait avilir la moralité Juive. L’auteur, Juif russe et « Sioniste spirituel » Ahad Ha'am, qui a émigré en Palestine, fut l’un des premiers à reconnaître le prix moral du projet d’établir un Etat Juif aux depends de la population autochtone Arabe. "Si ce doit être l’arrivée du Messie”, écrit-il au début du siècle dernier, “alors je ne veux pas le voir arriver”.

La théorie Sioniste a refusé la présence légitime d’une nation émergante autochtone en Palestine. Les pratiques Sionistes se sont assurées de leur dépossession et de leur exil. "Nous sommes peut-être un peuple sans terre" disait un Sioniste Allemand désabusé en 1925, "mais, il n’y a pas de pays sans peuple…. La Palestine a une population de 700 000 personnes, une population qui a vécu là depuis des siècles et qui considère à juste titre ce pays comme sa patrie."

La sombre prophétie d’Ahad Ha'am d’un futur anti-Messianique s’est totalement réalisée.

Mon ami et collègue Philip Berger serait consterné s’il voyait de ses propres yeux, comme moi, les désastres humanitaires et les consequences sanitaires d’une politique qui accorde aux colons venant de New-York six fois plus d’eau par personne qu’aux Palestiniens d’origine.

L’avocat des Droits de l’Homme Clayton Ruby serait révolté de voir les méthodes des Tribunaux Militaires où les Arabes torturés sont accusés, déclarés coupables et condamnés sans avoir le droit de connaître les preuves contre eux.

Le syndicaliste Jeff Rose serait choqué de la politique qui rend de facto les groupes d’ouvriers Palestiniens illégaux, exposant leurs organisateurs à la menace d’incarcération.

Ce n’est pas dû à l’antisémitisme si Israël est sujet à un examen minutieux plus critique que les autarcies, les dictatures et les pseudo-démocraties arabes voisines. Personne n’est dupe de la véritable nature de ces régimes. Aucune voix crédible ne s’élève pour leur défense et les odieux responsables d’attaques-suicides Palestiniennes n’ont pas de sérieux apologistes. Seul l’expansionisme implacable et finalement auto-destructeur, le militarisme et la violence d’état trouvent de nombreux supporters.

Les Palestiniens continuent d’être défranchisés, dépossédés et humiliés. M. Rose, Dr. Berger et M. Ruby, devraient laisser tomber leur crainte de l’antisémitisme gauchiste et pourraient être inspirés par les mots d’un officier Israélien qui a choisi cette semaine de rejoindre en prison des dizaines de ses camarades plutôt que de servir dans une armée d’occupation brutale : "Je passerai mon temps dans une prison visible pendant plusieurs mois en refusant d’être enrolé dans l’académie d’Israël pour gardiens de prison : L’IDF, les Forces de Défense d’Israël qui ont emprisonné une population entière pendant 35 ans."

Source : http://globeandmail.ca

Traduction : MG