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Israël - 22 février 2010
Par Saïf Da'na
Saïf Da'na est né en Palestine en 1969. Il est titulaire d'un doctorat en sociologie et professeur de sociologie et de relations internationales à l'université de Wisconsin Park Side (USA).
Dans la suite de mon article sur le sionisme culturel, celui-ci propose une introduction à l'étude du sionisme économique, qui est l'un des piliers du projet sioniste en terre de Palestine. Selon l'hypothèse présentée, il existe une relation étroite et continue entre, d'une part, la situation et la fonction d' "Israël" dans le système capitaliste mondial et la structure économique du projet sioniste et, d'autre part, le caractère guerrier du sionisme qui s'illustre dans les guerres sans cesse menées contre les Arabes.
Une fonction politique et non économique
"Israël" occupe une position médiane dans le système capitaliste mondial (entre le centre capitaliste et les pays de la périphérie), soit une position semi-périphérique, pour utiliser la terminologie de la théorie du "système international". Tout positionnement dans ce système suppose un rôle économique, généralement quantifié par l'ampleur de la participation du pays en question à la production internationale, ou déterminé par la nature de l'activité économique prépondérante (activité industrielle dans les pays du centre, agricole dans les pays de la périphérie, et un mix des deux ou une activité industrielle de plus faible rentabilité pour les pays semi-périphériques).
Sur la base de ces critères, "Israël" apparaît comme une quantité totalement négligeable, dont l'éventuelle disparition n'entraînerait absolument aucun effet sur l'opération d'accumulation du capital international. Cette insignifiance économique d' "Israël" sur le plan de l'économie internationale s'accompagne toutefois d'un positionnement semi-périphérique dans le système capitaliste international, qui se traduit par un revenu moyen relativement élevé, et un soutien politique et militaire quasi absolu de la part des pays du centre capitaliste. Ceci mérite une explication.
Peu de pays bénéficient d'un positionnement semi-périphérique dans le système capitaliste international, l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid en constituait un des rares exemples. Or, "Israël" ne répond pas aux conditions économiques d'un tel positionnement, en dépit de l'existence de certains indicateurs économiques, tel un revenu moyen élevé, dont l'interprétation peut être trompeuse.
Un positionnement semi-périphérique peut être dû, comme c'est le cas pour "Israël", à un rôle politique ou militaire régional, joué par le pays en question au profit des pays du centre impérialiste, ou à leur place. Le positionnement dans ce cas revient à une fonction de gendarme régional chargé de garantir et de faciliter la poursuite de l'opération de l'accumulation du capital international, et non à une fonction économique directe. Cette fonction est évidemment rémunérée par des aides économiques et militaires et une protection politique.
Les données économiques fournies par la Banque mondiale n'indiquent aucune situation particulière, ou même avancée, d'"Israël" au Proche-Orient ou dans le monde. En effet, cet Etat est en quatrième position dans la région avec un produit national brut (PNB) de 199 milliards de dollars (et représente moins de 0,3% du PNB mondial qui s'élevait à plus de 60 trillions de dollars en 2008), contre l'Arabie saoudite en deuxième position (467 milliards de dollars), l'Iran en troisième position (385 milliards de dollars), et assez proche de l'Algérie en cinquième position (174 milliards de dollars) et de l'Egypte en sixième position (163 milliards de dollars).
Par ailleurs, ces pays sont dotés d'une population dont "Israël" ne pourra jamais bénéficier, même si tous les juifs du monde, soit un total de 13 millions en comptant les juifs d'Israël, y émigraient.
Une simple comparaison des capacités israélienne et arabes permet de mettre un terme à l'illusoire force économique de l'entité sioniste. C'est ainsi que le PNB de quinze pays arabes (avec un grand et riche pays comme l'Irak non inclus faute de données exploitables) a atteint près de 1.650 milliards de dollars en 2008, soit huit fois le PNB israélien. De plus, le PNB de l'ensemble des pays arabes (soit 1,8 trillions de dollars selon le rapport économique arabe unifié) est plus de neuf fois supérieur au PNB israélien. Si on prend en plus compte du facteur de la population, qu'aucun soutien international ne pourra fournir à "Israël", on en finit avec le discours dominant qui glorifie les capacités de l'entité sioniste. Enfin, le PNB israélien correspond à moins de la moitié (42%) du PNB de la seule Arabie saoudite, et la population de l'entité sioniste s'élève à peine au quart de celle du royaume.
Une économie militaire et une structure guerrière
Depuis son origine, l'économie israélienne s'est caractérisée par la prépondérance militaire, non seulement en raison de la hausse relative de la rentabilité moyenne de ce secteur jusqu'aux années 80 du siècle précédent, mais aussi en raison de la nature politique et militaire, et non économique, du rôle de l'entité sioniste au sein du système capitaliste international. Ce facteur n'explique évidemment que partiellement la nature guerrière originelle du sionisme et son projet (le reste trouve son explication dans les autres structures de la société sioniste, notamment la structure culturelle), ainsi que la persistance du conflit arabo-israélien et l'échec de toutes les tentatives de règlements, malgré les hallucinantes concessions arabes et la disposition de la majorité des Arabes à reconnaître Israël depuis 1949, à en croire les nouveaux historiens israéliens.
La nature de l'économie israélienne, qui révèle la nature, la structure et la fonction guerrière de l'entité sioniste, est depuis le début, un des piliers du conflit et une des causes de sa persistance, sans laquelle le sionisme aurait perdu la raison de son existence. En d'autres termes, le sionisme et le projet sioniste incarnés dans l'Etat juif, est nécessairement guerrier, sinon comment expliquer la structure économique sioniste à dominance militaire et ses répercussions politiques qui se traduisent en guerres et agressions continuelles.
Certains chiffres sont éloquents, tel le taux de dépenses militaires israélien par rapport au PNB qui est le plus élevé du monde : 13% dans les années 50, 22% dans les années 60, 32% dans les années 70, 24% dans les années 80 malgré l'"accord de paix" conclu avec le plus grand pays arabe et l'entrée des Arabes et de l'OLP dans la logique des négociations depuis le milieu des années 70.
D'après les chiffres de la Banque mondiale, on constate que, depuis la fin des années 80 et jusqu'en 2008, le taux des dépenses militaires israéliennes par rapport au PNB (de 8,12 à 15,4%) dépasse de très loin le taux des dépenses militaires international moyen (qui se situait autour de 3,65% en 1990 et de 2,43% en 2008), en dépit des accords conclus avec un certain nombre de pays arabes et l'OLP.
A titre de comparaison, le taux des dépenses militaires par habitant en "Israël" est deux fois plus élevé que le taux états-unien et quatre fois plus important que les taux britannique, français et allemand au plus fort de la guerre froide. Par ailleurs, le taux des effectifs militaires sionistes est de 50 pour mille habitants, un chiffre cinq fois plus important qu'aux Etats-Unis et qu'en France et dix fois supérieur au taux britannique en pleine guerre froide. On peut en conclure l'existence d'une relation primordiale entre la structure de l'entité et sa nature guerrière, du fait que la guerre et l'agression ont toujours été et continuent d'être une industrie rentable.
Au cours des premières années de l'histoire économique israélienne, entre la création de l'"Etat" et jusqu'à la fin des années 60 et le début des années 70, les investissements militaires (sur lesquels se sont concentrées les principales sociétés et banques israéliennes) étaient non seulement les plus rentables économiquement (au contraire des autres investissements), mais ils ont contribué au niveau macro-économique, dans le cadre d'une croissance économique générale, à la répartition des bénéfices et à la croissance des autres activités économiques. C'est par conséquent l'ensemble de la société israélienne qui a profité de l'industrie guerrière et des agressions contre les Arabes.
Au cours de la période suivante, à partir du début des années 70, les investissements des multinationales et des grandes banques dans l'industrie militaire se sont poursuivis, alors que ces investissements ne jouaient plus aucun rôle macro-économique, et qu'ils n'avaient plus aucun impact sur la croissance économique générale en raison de la modification du contexte économique mondial. On retrouve là les conditions classiques de la montée du fascisme. C'est au cours de cette période qu'a commencé la formation du "Nouvel Israël", ou "Israël néolibéral", un système qui se caractérise par le développement externe de l'économie (ce qui explique que les négociations de paix visent à résoudre les problèmes israéliens par la formation d'une alliance et d'un marché régionaux avec les élites économiques arabes, et non à conduire à la paix) parallèlement à un conservatisme et à un ultraracisme au niveau social et politique (qui explique la structure politique de la Knesset depuis la fin des années 70).
Le plus important, c'est que cette période a vu la montée et la domination d'une nouvelle classe sociale israélienne qui a continué à investir massivement dans l'industrie militaire, ascension qui s'est traduite politiquement par la montée en force du Likoud. Il n'est pas d'exemple plus évident de la nature guerrière israélienne, comme produit de la structure économique et du projet sioniste dans son ensemble, que la guerre contre le Liban déclenchée en 1982.
D'après l'expert militaire Avner Yaniv, "Israël" s'est trouvé contraint d'envahir le Liban pour des raisons stratégiques, en clair en réponse à la campagne pour la paix menée par l'OLP et à l'adoption par la direction palestinienne du projet des deux Etats. En vérité, cette guerre n'avait rien à voir avec "la paix en Galilée" comme le prétendait l'entité sioniste, en fait elle servait à poursuivre l'occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, comme l'a montré Norman Finkelstein, tandis que l'OLP se conformait à un engagement non officiel de cessez-le-feu entre le 28 juillet 1981 et le 9 mai 1982.
Pendant ce temps, des sources des Nations Unies enregistraient 2.125 violations israéliennes de l'espace aérien libanais et 652 violations de l'espace terrien et maritime (données documentées par Chomsky). La réponse israélienne à toutes les campagnes de paix arabes ont toujours été le refus et l'agression, les documents révélés par les nouveaux historiens israéliens ont par ailleurs montré que les propositions de paix et les dispositions officielles des régimes arabes à reconnaître Israël remontent à 1949.
On peut en déduire que tous les prétendus dangers pour l'existence et la sécurité qui menacent "Israël" dans le contexte arabe actuel en particulier, ne sont que pure propagande qui vise à justifier la poursuite des guerres et des agressions contre les Arabes et à légitimer la prédominance de l'industrie militaire au sein de la structure économique israélienne.
A supposer que le conflit avec l'entité sioniste soit uniquement militaire, ce qui est entièrement faux en réalité, compte tenu des données ci-dessus qui prouvent que les Arabes disposent d'une immense supériorité en termes de produit national et de population, les chiffres de l'industrie militaire et du taux de militarisation de la société israélienne ne devraient engendrer aucune crainte, au contraire, car, même si les Arabes se contentaient du taux de dépenses militaires moyen international (2,43% en 2008), ils atteindraient le double des dépenses militaires israéliennes.
Or, ce taux, pour ceux qui l'ignorent, est très inférieur aux investissements passés et présents des Arabes en matière d'armement, et la plupart des pays arabes dépassent le taux moyen d'investissement militaire international (sauf l'Egypte avec un taux de 2,29% et la Libye avec un taux de 1,1%, en 2008), et pour certains d'entre eux, tels l'Arabie Saoudite (15,2% en 1988 et 8,17% en 2008) et Oman (18,3% en 1988 et 11,3% en 2006), dépassent le taux israélien.
Enfin, le montant total des dépenses militaires arabes est cinq fois supérieur aux dépenses israéliennes. Cependant, en l'absence d'une stratégie de confrontation, ces dépenses militaires ne sont que gaspillages inutiles. De son côté, l'Iran, qui fait si peur à l'Occident et à "Israël", se contente d'un taux d'investissement égal à la moyenne internationale (2,47% du PNB en 2008). On peut en conclure que ce n'est pas le génie israélien mais bien l'absence d'un projet arabe, ou régional avec soutien arabe, de confrontation qui est à l'origine de la force d'"Israël".
Un colonialisme économique
Outre la centralité de l'économie guerrière dans le structure de l'entité sioniste, je voudrais mentionner deux cas qui illustrent bien, en dépit des déclarations d'intention et des discours de propagande, la présence de forces centrales influentes et agissantes en "Israël", dont les intérêts s'opposent structurellement et stratégiquement avec le principe même d'un quelconque règlement (lequel de toutes façons ne concède rien aux Palestiniens).
D'ailleurs, outre le pouvoir absolu détenu par l'institution militaire et les officiers de grade supérieur, le fait que la Cisjordanie et la Bande de Gaza soient du ressort du ministère de la Guerre israélien, montre bien que l'armée en tant qu'institution, et les individus qui en font partie, ont grand intérêt à ce que l'occupation se perpétue de quelque manière que ce soit.
Comme éléments de preuve, rappelons qu'un officier israélien prend sa retraite à 45 ans avec le grade de colonel, et reçoit près de deux millions de dollars, outre sa pension de retraite, de plus il se voit attribuer un poste dans le conseil d'administration d'une des sociétés d'armement ou de sécurité. L'armée et les individus dont elle se compose n'a, par conséquent, aucun intérêt à ce que le conflit s'arrête, bien au contraire.
Les colonies et les colons : outre le fait qu'elles sont un instrument de domination de la terre, les colonies sont un facteur et une base d'attraction des investissements. Le soutien gouvernemental considérable, conjugué au vol des terres arabes, permet de proposer un environnement propice aux multinationales telles que Matrix, qui sont à la recherche d'une main d'œuvre bon marché occidentale (car Israël est une entité occidentale) qui concurrence les salaires asiatiques.
C'est ainsi que l'industrie de l'immobilier et celle de la construction constituent deux fondamentaux de l'économie israélienne et que l'expropriation perpétuelle des biens arabes constitue la ressource d'un taux de rentabilité relativement élevé, ce qui explique que des banques et des capitaux étrangers continuent à investir dans ces domaines. Les colonies ne sont pas de simples regroupements de racistes et d'extrémistes, dont l'évacuation nécessite une "décision politique courageuse", comme on dit, mais elles sont un fondement de l'économie israélienne et une source de revenu et d'investissement pour des forces économiques et des grandes banques, dont l'influence est prépondérante à l'extérieur desdites colonies.
Dans toutes les sociétés, on trouve un groupe qui profite de la guerre, de l'agression et du pillage, mais dans le cas d'"Israël", on se trouve face à une entité construite et fondée sur le facteur agression qui est l'essence de sa structure et de sa fonction, et la raison même de son existence.
Précédent article sur le sionisme culturel (en arabe).
Source : Al Jazeera
Traduction : Nadine Acoury
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Sionisme
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