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Cisjordanie - 14 décembre 2009
Par Corporate Watch
Dans un climat où l’appel au boycott des produits israéliens a fini par gagner de l’ampleur, un secteur de l’économie israélienne est encore étonnement sous-étudié. La plupart des zones industrielles d’Israël en Cisjordanie sont reliées àdes colonies résidentielles illégales et fournissent l’épine dorsale indispensable àl’économie coloniale locale. Mishor Adumim est la deuxième plus importante zone industrielle dans les Territoires Occupés et celle par laquelle les Palestiniens ont le plus àperdre.
Au premier plan, le site industriel Barkan, entre deux colonies israéliennes illégales, et le village palestinien en arrière plan.
Benny Kashriel est le maire de Ma’ale Adumim (le nom d’ensemble du bloc de colonies dont fait partie Mishor Adumim) et il est fier de l’importance de la zone industrielle pour l’expansion continue de la colonisation. Dans un article paru dans The Jerusalem Report, il est cité comme disant : « Mon rêve est de construire Adumim jusqu’àJérusalem (…) pour qu’elle fasse légalement partie de la terre d’Israël et pour qu’elle soit économiquement indépendante de Jérusalem. Cela s’accomplira grâce àMishor Adumim. » (1)
Malheureusement pour les Palestiniens, il n’est pas le seul àfaire ce rêve. Ma’ale Adumim se développe plus vite que n’importe quelle autre colonie en Cisjordanie ; sa population est passée de 15.000 colons, lorsque Kashriel est devenu maire en 1992, à35.000 colons aujourd’hui. Elle est au centre du projet controversé E1 (Est 1), qui vise àcouper la Cisjordanie de Jérusalem Est et faciliter l’expansion de Ma’ale Adumim, détruisant ainsi toute possibilité de ce qui est fréquemment appelé un « Etat palestinien viable ».
L’exploitation humaine et environnementale
A ce jour, il y a environ 18 zones industrielles israéliennes illégales de tailles variées dispersées dans toute la Cisjordanie (2), les plus importantes étant Hinnanit, Barkan, Ariel, Ma’ale Efrayim, 'Ataroy, Qiryat Arba’ et Mishor Adumim. Collectivement, ces sept zones couvrent 302 hectares de terre palestinienne, dont 110 sont occupés par Mishor Adumim elle-même. Pour les entreprises israéliennes, la délocalisation vers une zone industrielle coloniale peut sembler une option attractive : ils reçoivent des réductions fiscales lucratives, et les règlementations relatives àl’environnement et au droit du travail sont beaucoup plus laxistes qu’àl’intérieur d’Israël lui-même. En conséquence, les zones ont tendance àabriter un grand nombre d’industries qui traitent des matériaux toxiques et de déchets nocifs. Pour exemple, les principales entreprises de Mishor Adumim s’occupent du plastique, du ciment, de tannage du cuir, de détergents, de teinture de textiles, d’aluminium et de galvanoplastie. Le manque de contrêles adéquats en ce qui concerne les droits des travailleurs signifie également que ces compagnies exploitent cette faille pour minimiser leurs coûts salariaux. Inévitablement, une part importante de la force de travail dans ces zones sont des Palestiniens qui travaillent pour des salaires très inférieurs au salaire minimum israélien (voir, par exemple, notre article sur les ouvriers de Royal Life, dans la zone industrielle de Barkan : « Exploitation in Israëli Industrial Settlement: A call for solidarity with Palestinian workers », 18 novembre 2009).
En novembre 2008, Soda Club, une des compagnies les plus connues installée àMishor Adumim, s’est retrouvée sur la sellette après que des associations suédoises pour les droits de l’homme aient réagi àla suite d’un rapport de l’organisation israélienne pour le droit du travail Kav LaOved, qui avait dénoncé l’exploitation et la discrimination contre les ouvriers palestiniens dans leur usine.
Après une campagne réussie, Empire, la compagnie qui supervise la distribution des composants de Soda Club en Suède, a été contrainte de demander que les produits faits par la compagnie pour le marché suédois soient manufacturés en dehors de toute zone de colonie illégale. Soda Club a accepté avec réticence. Toutefois, on ne sait pas comment la décision est appliquée. La compagnie Soda Club ayant sept usines, il est plausible qu’elle ait simplement déplacé certaines parties de son processus de fabrication dans une autre usine àl’intérieur d’Israël, mais les détails sont difficiles àtrouver. Les demandes d’information sur la localisation du (des) nouveau(x) site(s) de production n’ont jusqu’àmaintenant reçu aucune réponse des représentants d’Empire et de Diakonia, un des groupes qui avait fait campagne pour le déplacement. Soda Club quant àelle reste aussi secrète qu’avant. Lors d’une visite récente àMishor Adumim, il est apparu clairement que la compagnie n’apprécie guère les contrêles : ces locaux sont les mieux protégés de la région, avec des grilles électriques àplusieurs niveaux qui protègent son enceinte et des caméras qui surveillent tout ce qui entre ou sort. En fait, comme des journalistes l’avaient découvert auparavant, l’usine est interdite aux médias (et certainement aux chercheurs de Corporate Watch) pour, selon ses dires, « (…) se protéger de l’espionnage industriel. » (3)
Les Bédouins Jahalin et le vol des terres par Mishor Adumim
L’expansion économique et territoriale continue de Ma’ale Adumim ne porte pas seulement tort aux travailleurs palestiniens. Dès sa création en 1976, la colonie fut une menace pour la survie des Bédouins Jahalin, qui se sont installés dans le secteur après 1967, quand l’armée israélienne a confisqué la plus grande partie de leur terre originelle, les forçant àabandonner leur mode de vie traditionnel nomade. Dans les années 1990, entre 100 et 120 ordres d’expulsion ont été émis par Israël, qui tentait ainsi de s’emparer de toujours plus de terre. En 1996, une expulsion de masse d’environ 4.000 Bédouins a été effectuée.
Peu d’autres lieux offrent un exemple aussi aigu et visible des conséquences catastrophiques de l’occupation. Si vous marchez autour de Mishor Adumim, vous avez l’impression qu’on a simplement fait tomber la zone industrielle sur les Bédouins, et qu’elle a avalé l’ensemble de leur communauté. En contraste avec la partie résidentielle de la colonie, il n’y a pas de séparation physique lourde entre la zone industrielle et la terre désertique de Jahalin, et bien qu’on puisse voir les Bédouins traverser àdos d’ânes les secteurs de l’usine, la mentalité d’apartheid des Israéliens est toujours en vigueur. Alors que les Palestiniens travaillent dans des conditions d’exploitation dans la zone, ils ne sont pas autorisés ày entrer en voiture et ils sont constamment observés par les tours de contrêle militaires. Comme c’est souvent le cas, le signe le plus clair d’une tentative de nettoyage ethnique des résidents palestiniens peut être discerné dans le contrêle israélien des ressources : alors que la colonie a plusieurs importantes citernes àeau, entourées de grilles, les tentes dans lesquelles vivent les Bédouins n’ont pas àaccès àl’eau courante, et ils n’ont pas l’autorisation d’utiliser l’eau qui est juste àcêté d’eux. Au lieu de cela, un homme nous a dit qu’ils doivent emmener une citerne d’eau mobile par tracteur depuis Jéricho et payer pour qu’elle soit remplie d’eau àla Compagnie nationale israélienne de l’eau, Mekorot. Le voyage prend entre une demi-heure et une heure.
Un avenir pour les zones industrielles ?
Des secteurs d’activités comme les zones industrielles sont àla pointe de l’occupation brutale de la Palestine par Israël, facilitant le nettoyage ethnique et agissant main dans la main avec l’Etat israélien dans leur quête de domination territoriale, alors que les directeurs de ces entreprises aiment prétendre que les usines des colonies sont des lieux de travail harmonieux où les Palestiniens et les Israéliens travaillent avec joie, cête àcête et dans les mêmes conditions. C’est très loin de la vérité. Bien que la Cour suprême israélienne ait récemment décidé que les ouvriers palestiniens des colonies avaient droit au salaire minimum israélien, le Ministre israélien de l’Industrie a affirmé que cette décision ne « s’étendait pas aux infractions àl’application de la loi, mais ne s’appliquait qu’aux plaintes civiles. » (4) En d’autres termes, les Palestiniens ne sont pas près de voir une amélioration de leurs salaires, àmoins qu’ils ne prennent le risque de porter plainte contre leur employeur.
De récents développements dans les tribunaux européens pourraient indiquer qu’il y a quelque lumière àl’horizon. Fin octobre 2009, l’avocat général Yves Blot, un haut conseiller àla Cour Européenne de Justice au Luxembourg, a donné avis (5) que Brita, une compagnie allemande qui importe des produits de Soda Club àMishor Adumim, devait rembourser l’argent qu’elle avait économisé en important son stock selon l’accord commercial préférentiel qui existe entre Israël et l’Union Européenne. Il voulait dire que les produits en provenance des colonies illégales ne pouvaient bénéficier de cet accord.
Si cette position est acceptée, elle peut faire jurisprudence pour des affaires futures, rendant moins rentables le commerce des colonies. Les autres compagnies qui semblent continuer de commercer avec Mishor Adumim sont Makita, DAF, Hometex, Volvo et Scania. Pour contester efficacement les colonies industrielles israéliennes, il est vital que les activités de ces compagnies soient ciblées par des campagnes similaires àcelles qui ont, avec succès, exercé une pression sur Soda Club.
Notes de lecture :
(1) Jerusalem Report Article - 14 juin 2004.
(2) "Why Build a New Palestinian City Now?", POICA, 23 août 2007 (pour les chiffres).
(3) "EU Eyes Exports from Israëli Settlements", Business Week, 14 juillet 2009.
(4) "International companies are disconnecting from the Occupied Territories", Kavlaoved, 28 janvier 2009.
Note ISM :
(5) Lire les Conclusions de l'Avocat Général Yves BLOT, Affaire C‑386/08, présentées le 29 octobre 2009.
Source : Corporate Watch
Traduction : MR pour ISM
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