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Gaza - 10 juillet 2006
Par Jonathan Cook
Jonathan Cook, qui habite à Nazareth, est l’auteur de l’ouvrage « Sang et Religion : Il faut démasquer l’Etat "juif et démocratique" » (Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish and Democratic State), publié par les éditions Pluto Press et disponible aux Etats-Unis auprès des University of Michigan Press
Il suffisait d’écouter l’interview donnée cette semaine à la télévision britannique par l’Ambassadeur d’Israël au Royaume-Uni pour réaliser que le resserrement du siège de Gaza par l’armée israélienne, son invasion des parties nord de la Bande aujourd’hui et la crise humanitaire qui menace tout le territoire n’ont rien à voir avec la capture récente d’un soldat israélien – ni même avec les roquettes artisanales Qassam, habituellement inefficaces, que les militants palestiniens lancent sur Israël.
Interrogé par le présentateur Jon Snow, aux informations de Channel Four, sur les raisons du bombardement israélien de l’unique centrale électrique de Gaza – coupant ainsi l’électricité à plus de la moitié des 1,3 millions d’habitants pour plusieurs mois, menaçant également la fourniture en eau – Zvi Ravner a nié que cette action soit une punition collective de la population civile.
Il a déclaré que la centrale électrique devait être mise hors service pour empêcher les ravisseurs du soldat d’avoir la lumière nécessaire pour le faire sortir de Gaza en contrebande pendant la nuit.
C’est un Jon Snow stupéfait qui lui a fait remarquer que les contrebandiers préféraient habituellement faire leur travail dans le noir et que les actions israéliennes avaient vraisemblablement aider les ravisseurs plutôt que les gêner.
La désinformation israélienne, dans le style Alice de l’autre côté du miroir, sur la combinaison du siège et de l’invasion de Gaza – largement répandue et accréditée par les médias de l’ouest – a réussi à distraire l’attention des réels objectifs d’Israël dans cette guerre d’usure unilatérale.
La destruction des infrastructures civiles et administratives de Gaza rappelle les cruels déchaînements de l’armée israélienne dans les rues des villes de Cisjordanie au cours des invasions répétées de 2002 et 2003, et les sales attaques des colons juifs sur les fermiers palestiniens essayant de récolter leurs olives.
L’absence relative de ces histoires horribles aujourd’hui est simplement le reflet du terrible succès du mur qu’Israël a bâti au milieu des terres agricoles palestiniennes et autour des centres de population palestinienne en Cisjordanie . Les colons n’ont plus besoin de piller les récoltes d’olives ; les fruits pourrissent sur l’arbre parce que les fermiers ne peuvent plus se rendre dans leurs oliveraies.
Dans le cas des invasions en Cisjordanie , les chars israéliens roulaient facilement dans les cités palestiniennes qui avaient déjà été isolées et paralysées sous l’emprise de checkpoints et de barrages routiers qui étranglent la totalité du territoire.
Les lourds blindés israéliens ont renversé les pylônes électriques comme s’ils jouaient au bowling à dix quilles, les snipers ont tiré sur les citernes d’eau placées sur les toits des maisons, les soldats ont déféqué dans les photocopieurs des bureaux et l’armée a kidnappé les ministres palestiniens pour pouvoir détruire ou voler leurs dossiers et documents confidentiels.
C’est seulement dans le dédale des ruelles des camps de réfugiés bondés de Jénine ou Naplouse que l’armée a avancé avec le plus de difficultés et a compté un nombre de blessés relativement élevé.
Ce qui pourrait expliquer les mises en garde faites à l’armée par le Premier Ministre Ehud Olmert concernant l’invasion de Gaza.
La minuscule bande, assiégée sur ses frontières terrestres par l’armée israélienne derrière un grillage électronique et sur la façade maritime par la flotte israélienne, est un camp de réfugiés géant et surpeuplé.
La semaine dernière a vu Gaza "amollie" par les attaques aériennes sur ses infrastructures et sur les ministères.
Aujourd’hui, les forces terrestres ont causé plus de morts et de destructions – quatorze morts au moment où j’écris ces lignes – par des exercices « de liquidation » sur le modèle établi plus tôt en Cisjordanie .
On peut discerner trois raisons persistantes dans la menace israélienne sur Gaza.
D’abord, Israël est déterminé à poursuivre sa campagne d’affaiblissement de l’Autorité palestinienne à gouverner. Ceci n’a rien à voir avec la récente élection du Hamas à la direction de l’Autorité palestinienne. La politique unilatérale israélienne – qui ignore les souhaits du peuple palestinien – a commencé il y a longtemps, lorsque Yasser Arafat était aux commandes.
Elle a continué tout au long de la présidence de Mahmoud Abbas, dirigeant très proche du collaborateur qu’Israël souhaitait trouver.
Le succès électoral du Hamas a simplement fourni à Israël le prétexte dont il avait besoin pour lancer son invasion et les bases pour demander le soutien international pendant qu’il étrangle toute vie à Gaza. Israël espère sans aucun doute qu’à la fin de ce processus, seul restera Abbas, figure de proue de président mis au rencard et prêt à signer n’importe quel accord qu’Israël imposera.
Ensuite, l’attaque de Gaza – comme toujours – vise à détourner l’attention de la réelle bataille. C’est largement reconnu que la poursuite obstinée par Ariel Sharon de sa politique de désengagement de Gaza l’année dernière était destinée à lui libérer les mains pour l’annexion de grands morceaux de plus grande valeur, en Cisjordanie , et pour s’emparer du plus précieux de tous, Jérusalem Est. Rien n’a changé sur ce front.
Pendant qu’Israël oblige tous les regards à se tourner sur les souffrances à Gaza, il commence à faire des mouvements significatifs en Cisjordanie et à Jérusalem. Il prépare l’évacuation toujours retardée d’une poignée de colonies illégales sur les collines de la Cisjordanie – appelées en Israël « avant-postes » - première étape de la réalisation du processus de paix presque oublié sponsorisé par les Etats-Unis, appelé Feuille de Route.
Ces « avant-postes » sont minuscules, souvent juste quelques caravanes, et Israël aurait tout avantage à ce que le monde n’examine pas de trop près la dérisoire action que constitue leur évacuation, qui sera sans aucun doute présentée ensuite à la fois comme un énorme sacrifice fait par Israël pour la paix et la satisfaction des conditions que la Feuille de Route lui demandait de remplir.
La perte de ces « avant-postes » et de quelques colonies plus importantes pavera la route à l’acceptation internationale du plan de convergence d’Olmert, l’extension unilatéralement imposée des frontières israéliennes au dépens d’un Etat palestinien viable.
Egalement significatives sont les manœuvres oubliées d’Israël sur Jérusalem Est pendant qu’il cherche l’affrontement à Gaza.
La semaine dernière, Israël a dépouillé quatre ministres du Hamas de leur droit à vivre à Jérusalem Est, en les expulsant en Cisjordanie . Cela a également montré qu’il pouvait les mettre sous les verrous, ainsi que des douzaines d’autres représentants palestiniens démocratiquement élus, avec à peine un coup d’œil de la communauté internationale.
Dans une nouvelle dose d’Alice au Pays des Merveilles, la politique israélienne de prise en otage de ces ministres a été présentée comme des "arrestations" par les médias occidentaux.
Peu d’entre eux ont rappelé que les ministres sont privés de leurs droits les plus fondamentaux, comme celui de consulter leurs avocats.
Les avocats des quatre ministres de Jérusalem ont pointé le non-sens israélien qui consiste à autoriser ces politiciens du Hamas à se présenter aux récentes élections pour ensuite, après leur victoire, traiter les membres de ce parti de "soutien au terrorisme".
Il est aussi préoccupant de constater avec quelle facilité Israël peut commencer le nettoyage ethnique des habitants palestiniens de Jérusalem Est en utilisant la plus piètre des excuses.
Dernier argument, et peut-être le plus significatif des trois, Israël utilise le siège et l’invasion de Gaza comme laboratoire pour tester les politiques qu’il a l’intention d’appliquer à la Cisjordanie après le Plan de convergence. Les habitants de Gaza sont les cobayes sur lesquels Olmert peut mettre à l’essai l’ « action extrême » dont il s’est vanté.
La destruction de la centrale électrique de Gaza et le manque d’électricité pour quelques 700.000 personnes ; la rareté de l’eau qui s’en suit ; les eaux usées dont on ne peut se débarrasser et l’inévitable propagation de maladies ; la pénurie de fuel et les menaces sur les services vitaux tels que les hôpitaux ; les bombes soniques de l’aviation israélienne qui terrifient les enfants de Gaza et les attaques aériennes imprévisibles qui terrifient toute la population ; l’impossibilité des ministres palestiniens à accomplir leur tâche et à assurer les services ; la menace constante d’invasion par les troupes israéliennes massées sur la "frontière" ; et la rupture de la loi et de l’ordre parce que les hommes armés du Fatah et du Hamas sont encouragés à se dresser les uns contre les autres.
Tous ces facteurs n’ont qu’un seul but : obliger les Palestiniens, civils comme résistants, à quitter ce trou infernal qu’est devenu Gaza.
La circulation à travers les tunnels qui servaient aux contrebandiers de Gaza va changer de sens : là où les cigarettes et les armes entraient à Gaza, le plus vraisemblable est que bientôt ce seront des gens qui quitteront Gaza par ces passages pour faire leur vie ailleurs.
Si cet essai sur le désespoir humain marche dans la petite Bande de Gaza, ses leçons pourront être appliquées avec des résultats plus importants dans les ghettos de Cisjordanie que le Plan de Convergence laissera derrière lui.
C’est à cela que ressemble le nettoyage ethnique lorsqu’il est pensé non pas par des bouchers mais par des technocrates en costard.
Source : http://www.jkcook.net/
Traduction : MR pour ISM
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