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MAVI MARMARA : La CPI refuse l’impunité d’Israël

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25.11.2018 - • Par une décision rendue le 15 novembre 2018 dans l’affaire de la flottille de Gaza, les juges de la Cour Pénale Internationale infligent une défaite sévère à Madame BENSOUDA, Procureure près de la Cour, lui demandant, dans le respect du droit applicable devant la CPI, de reconsidérer sa décision de ne pas ouvrir une enquête contre les crimes commis par l’armée israélienne.
• Cette décision inclut de nombreux enseignements et appelle plusieurs réflexions.

MAVI MARMARA : La CPI refuse l’impunité d’Israël

I – FAITS ET PROCEDURE
1/ Faits

1. Chacun se rappelle des dramatiques circonstances de ces faits. Au mois de mai 2010, dans un vaste mouvement de solidarité répondant au contexte du blocus de Gaza et de l’agression militaire « Plomb durci » de décembre 2008 et janvier 2009, une flottille de six bateaux avait été organisée pour se rendre à Gaza, pour briser le blocus, qui constitue un acte de punition collective, et livrer des biens essentiels aux besoins des Palestiniens.

2. Alors que cette action était pacifiste, fondée sur les principes universels de la solidarité, l’armée israélienne avait - en haute mer, où elle n’a aucun droit d’exercer une quelconque police - conduit une action héliportée contre ces navires, et à l’occasion, elle avait tué neuf ressortissants turcs.

2/ Procédure
3. Le gouvernement de Palestine n’avait pas jugé opportun de déposer plainte, mais une plainte a été déposée en mai 2013 par l’État des Comores, compétent dans la mesure où le navire le Mavi Marmara, bateau principal de la flottille et sur lequel les neuf morts avaient été déplorés, relevait du pavillon comorien.

4. Le gouvernement comorien doit être salué pour sa ténacité, car il n’a reçu aucun soutien, ni de la Palestine, ni de la Turquie, ni d’aucun autre Etat. Il porte seul cette procédure.

5. En novembre 2014, la Procureure avait refusé d’ouvrir une enquête, et l’Etat des Comores avait formé un recours devant la chambre préliminaire de la Cour (1) qui, par une décision du 16 juillet 2015, lui avait demandé de reconsidérer son analyse.

6. La Procureure avait fait appel, mais par un arrêt du 6 novembre 2015, la Chambre d’Appel avait confirmé la décision de la chambre préliminaire, rejetant l’argumentaire de la procureure.

7. Chacun attendait alors l’ouverture d’une enquête, mais par un communiqué laconique du 29 novembre 2017, la Procureure Madame BENSOUDA avait indiqué maintenir son analyse inchangée.

8. L’Etat des Comores n’a pas baissé les bras. Il a à nouveau saisi la chambre préliminaire, estimant qu’il n’était pas possible pour la Procureure de se contenter d’un examen succinct, malgré les deux décisions rendues par les juges de la Cour.

9. C’est dans ces conditions que la chambre préliminaire s’est prononcée par la décision du 15 novembre 2018, rejetant les arguments de la Procureure, lui ordonnant d’examiner réellement la situation et de se prononcer en référence au statut de la Cour, jurisprudence à l’appui.

10. Cette décision, longuement motivée sur 45 pages, est très sévère contre la Procureure car la chambre ne se prononce pas sur l’opportunité, mais sur l’application du droit. À plusieurs reprises, elle souligne que la Procureure a statué en méconnaissant les règles de droit applicable devant la Cour.

11. La procureure n’a pas accepté cette décision. Elle refuse toujours d’ouvrir une enquête, et elle a formé un appel. Le dossier de la flottille sera donc examiné une seconde fois par les juges de la formation d’appel, interne à la Cour Pénale Internationale.

12. Le débat va donc se poursuivre, et dans quelques mois la chambre d’appel se prononcera.

II – ANALYSE
13. En l’état actuel quelques enseignements décisifs se dégagent.

1/ La distinction entre la Procureure et les juges
14. Les nombreuses et aveugles critiques qui tombent sur la « CPI » vise globalement la juridiction. Or, quiconque procède à un examen attentif du fonctionnement de la Cour et des décisions rendues est amené à constater des différences notables - qui semblent parfois un fossé - entre le bureau du Procureur, et les magistrats de la Cour (2).

15. Le suivi de l’actualité, à travers les décisions rendues par la CPI, plus ou moins médiatiques, montre des différences d’approche considérables entre la Procureure et la Cour, la Cour ne cessant de contredire et rectifier les décisions de la Procureure.

16. Ici, on ne reviendra pas sur le calamiteux mandat de Monsieur Ocampo, qui en neuf ans, est à peine arrivé avec à porter une affaire devant les juges, qui est définitivement déconsidéré du fait de ses inconduites professionnelles et personnelles, et qui a massacré la plainte palestinienne de janvier 2009.

17. Pour ce qui concerne le mandat de Madame BENSOUDA, il est marqué par le naufrage des affaires BEMBA et GBAGBO, par maintes décisions contredites par les juges de la Cour, et maintenant par son errance dans la gestion du dossier du Mavi Marmara.

18. Comme tous les procureurs, celui de la CPI dispose d’une marge d’opportunité dans ses décisions d’ouverture d’enquête, marge entièrement respectée par les juges. Mais dans sa décision du 15 novembre 2018, la Chambre préliminaire contredit la Procureure sur l’application du droit, par cette longue démonstration construite sur 45 pages, qui est d’une particulière sévérité.

19. C’est dire que le bureau du procureur de la CPI, pétri d’arrogance et d’autoritarisme, doit désormais revoir sa manière de travailler s’il entend sauvegarder la crédibilité de sa fonction.

2/ La gestion des plaintes des Etats
20. Sur le plan de la procédure, la décision rendue le 15 novembre 2018 est très intéressante car elle statue sur un aspect crucial, à savoir les conditions dans lesquelles le Procureur peut décider ou non d’ouvrir une enquête à la suite de la plainte d’un Etat membre, ce qui est désormais le cas pour la Palestine.

21. A coup sûr, le bureau du Procureur n’a pas une tâche facile. Par les informations qu’il peut traiter directement lui-même et du fait des dossiers qui lui sont adressés, il centralise une masse considérable de situations constitutives de violations graves des droits de l’homme dans le cadre de conflits armés, et il doit, en fonction du statut et d’une analyse commune de tous les critères, décider quand il y a lieu ou non d’ouvrir une enquête.

22. En pratique, le bureau du Procureur a développé un processus de la phase dite « d’examen préliminaire », qui est celle de l’analyse d’une situation permettant de décider s’il y a lieu ou non à une ouverture d’enquête.

23. Ce jugement du 15 novembre 2018 souligne un point essentiel : si le refus d’ouvrir une enquête est effectivement une décision du bureau du Procureur, cette décision ne peut pas être arbitraire. Et pour ne pas être arbitraire, elle doit être fondée en droit et justifiée en fait, dans le cadre de la jurisprudence de la Cour, et par des décisions soumises au contrôle du juge.

24. S’agissant du cas spécifique du Mavi Marmara, la décision d’ouverture d’enquête n’est donc pas acquise. Mais en revanche, des pas décisifs ont été franchis pour dire dans quelles conditions le Procureur peut refuser une ouverture d’enquête, non par sa propre opinion, mais par un raisonnement juridique conforme au statut de la Cour, et sous le contrôle effectif des juges. Cela s’imposera à toutes les procédures venir.

3/ La décision attendue de la Palestine
25. Cette procédure, portée par l’État des Comores, interpelle directement l’État de Palestine.

26. Les faits datent de mai 2010, et la plainte a été déposée par les Comores en mai 2013, alors que la Palestine n’a ratifié le traité de la CPI qu’en janvier 2015, avec un effet rétroactif au 13 juin 2014.

27. Le gouvernement de Palestine, qui se plaint des lenteurs du bureau du Procureur, dispose là d’une opportunité certaine de faire avancer un dossier. Il lui suffit d’effectuer une nouvelle déclaration de compétence rétroactive pour cette affaire, ce qui est toujours possible. Cela permettrait à l’Etat de Palestine de faire valoir directement ses droits devant la chambre d’appel de la Cour, apportant un soutien considérable à l’Etat des Comores.


(1) Selon le statut de la Cour, la chambre préliminaire est une formation de trois juges, instituée pour statuer sur tous les actes de préparation de la procédure, et qui est donc amenée à assurer un contrôle effectif sur les décisions du bureau du procureur.
(2) Le statut distingue deux organes séparés, à savoir d’un côté le bureau du Procureur, et de l’autre côté les formations de jugement (chambre préliminaire, formation de jugement, formation d’appel).



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