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France - 23 novembre 2015
Par MIL
Depuis des années, les responsables politiques, aussi bien à droite qu’à gauche, et les médias dominants ciblent spécifiquement la communauté musulmane vivant en France et qui serait la nouvelle « cinquième colonne », l’ennemi intérieur, un relais d’un ennemi extérieur aux contours flous : le barbare musulman vivant en marge de la « Civilisation » et la menaçant.
Contre cet ennemi intérieur, ces barbares qui ont infiltré la « Civilisation » en franchissant le limes, l’État a mis en place une législation et des pratiques d’exception : en 1994, en dehors de tout cadre légal, internements de militants ou de personnes « réputées » proches du Front islamique du salut (FIS) à Folembray, expulsions administratives d’imams ou de responsables associatifs musulmans, loi contre le hijab de 2004 dans les établissements scolaires publics, loi de 2010 interdisant le niqab, prohibition des « prières de rue » pour les seuls musulmans, etc.
A l’extérieur, depuis que la menace « verte », « islamiste », a remplacé la menace « rouge », « communiste », l’armée française s’est lancée dans une série de guerres et « d’interventions » d’inspiration néo-coloniale : guerre du Golfe contre l’Irak en 1991, « intervention » en Afghanistan depuis 2001, « intervention » en Libye en 2011, guerre au Mali depuis 2012, « intervention » en République centrafricaine depuis 2013, « intervention » en Irak et en Syrie depuis 2014, etc.
Les récents attentats viennent justifier auprès d’une opinion publique terrorisée la mise en place de nouvelles mesures d’exception à l’encontre de notre communauté, qui est jugée collectivement responsable des attaques du 13 novembre 2015, et l’intensification des bombardements français en Syrie et en Irak, dont les principales victimes sont des civils qui subissent déjà les horreurs de la guerre depuis trop longtemps.
Instauré par décret dès le lendemain des attentats, l’état d’urgence, qui vient d’être prorogé pour une durée de trois mois par le Parlement, est, par son histoire, emblématique de ces mesures d’exception prises contre notre communauté. Adopté durant la Révolution algérienne (1954-1962), l’état d’exception fut, depuis son instauration en 1955, uniquement mis en œuvre contre les peuples colonisés et leurs descendants issus de l’immigration coloniale et post-coloniale en France :
« L’histoire de l’état d’urgence constitue une trame juridique et institutionnelle de l’histoire coloniale de la France et des rapports particuliers qu’elle ne parvient pas à cesser d’entretenir avec les populations colonisées ou issues de la colonisation. […] La République coloniale est toujours présente dans la législation et dans l’esprit des gouvernants français, qu’ils soient socialistes ou de droite, et que l’état d’urgence n’a jamais été utilisé dans d’autres circonstances de la vie nationale pourtant troublées, comme par exemple la grève générale de masse – 10 millions de grévistes – de mai 1968. (1) »
La mise en place de cet état d’urgence a déjà permis à l’État de procéder à près de 800 perquisitions administratives, dont certaines ont touché plusieurs lieux de cultes ouverts depuis de nombreuses années, et d’assigner à résidence plus de 160 personnes. Avec l’adoption par le Parlement de la prorogation de l’état d’urgence, les assignations à résidence vont encore se multiplier car elles pourront être prononcées à l’encontre de toute personne dont le « comportement constitue une menace » pour la sécurité et l’ordre public, sans donner davantage de précisions sur ce que constitue une « menace »pour « l’ordre public ».
Le texte sur l’état d’urgence permet également aux autorités d’interdire la circulation des personnes et de mettre en place des zones « de protection » ou « de sécurité » où le séjour des personnes est réglementé. Ainsi, un couvre-feu a été décrété vendredi 20 novembre par le préfet de l’Yonne sur le quartier des Champs-Plaisants à Sens.
Dans le cadre de l’état d’urgence, les policiers pourront porter leur arme en dehors de leurs heures de service. Cette possibilité ajoutée aux volontés ministérielles d’instaurer une loi de « présomption de légitime défense », c’est-à-dire d’étendre de manière presque totale la possibilité pour un policier d’utiliser son arme, constitue un grave danger pour les membres de notre communauté qui sont déjà régulièrement victimes de violences policières.
Le texte sur l’état d’urgence permet enfin de suspendre plus ou moins totalement toute contestation du pouvoir en place en interdisant les manifestations et autres rassemblements de rue ou en faisant vivre les associations sous la menace permanente d’une dissolution administrative.
D’autres mesures d’exception portant dangereusement atteinte à nos libertés fondamentales sont déjà en préparation : déchéance de nationalité pour les binationaux, fermeture de mosquées jugées « radicales », sans savoir exactement ce que recouvre ce terme, mesures exceptionnelles contre les personnes ayant une fiche « S », modification de la constitution permettant « de restreindre les libertés publiques » dans des circonstances exceptionnelles, etc.
Toutes ces mesures visent à renforcer dangereusement une législation d’exception s’appliquant spécifiquement à notre communauté. Elles permettent également aux responsables politiques et aux médias dominants de nous désigner collectivement comme l’ennemi qui gangrène depuis trop longtemps le corps national français de l’intérieur.
Enfin, ces mesures s’efforcent d’insuffler la peur au sein de notre communauté en la faisant vivre en permanence sous la menace d’un appareil répressif d’État qui aurait quasiment les pleins pouvoirs pour la surveiller et la punir. Dans l’œil du cyclone répressif, notre communauté doit en réalité faire face aux vieilles pratiques contre-insurrectionnelles mises en œuvre et théorisées par les militaires français pour lutter contre les mouvements de libération nationale au Vietnam ou en Algérie (2).
Connaissant parfaitement l’histoire de cette répression coloniale, nous savons d’expérience les conséquences qu’aura l’emploi des pratiques contre-insurrectionnelles contre notre communauté :
« En systématisant l’usage de l’« action psychologique » et des méthodes de la « contre-guérilla », la DRG [doctrine de la guerre révolutionnaire c’est-à-dire les pratiques contre-insurrectionnelles] implique théoriquement la mise en place d’un quadrillage militaro-policier intensif du territoire. Fondée sur l’idée que, face à un adversaire qui n’hésiterait pas à employer la terreur pour prendre le contrôle de la population, il serait nécessaire de renverser l’emploi de ces pratiques, l’application de cette doctrine a permis alors en particulier la massification de la torture, des exécutions sommaires et des disparitions forcées. (3) »
Contre les mesures d’exception dont elle est victime, notre communauté ne saurait se contenter de justifications sur la nature pacifiste de l’islam ou de donner des gages d’intégration, de « francité » ou de légalisme. Face à des mesures d’exception nous frappant collectivement, nous ne saurions donner qu’une réponse politique collective fondée sur notre identité. Car nos réponses « humanistes », « patriotiques » ou « occidentales » ne seront qu’une manière de dévitaliser le corps de notre communauté en nous leurrant sur les attaques réelles auxquelles nous devons faire face.
Face à un appareil répressif d’État qui nous cible parce que nous sommes musulmans, il est totalement dérisoire de jouer les « humanistes », les « patriotes », les « Européens » ou les « civilisés » car l’appareil d’État se moque éperdument de nos circonvolutions. Nous sommes attaqués en tant que musulmans, nous devons donc impérativement répondre en tant que musulmans.
« Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de perte de biens, de personnes et de fruits. Et fais la bonne annonce aux endurants, qui disent, quand un malheur les atteint : Certes nous sommes à Allâh, et c’est à Lui que nous retournerons. Ceux-là reçoivent des bénédictions de leur seigneur, ainsi qu’une miséricorde, et ceux-là sont les biens-guidés. (4) »
Mouvement Islamique de Libération
1) Comager, "L’état d’urgence : une législation coloniale et néo-coloniale", ISM, 18 novembre 2015
2) Cf. David Galula, "Contre-insurrection : théorie et pratique", Paris, Economica, 2008 ; Roger Trinquier, "La guerre moderne", Paris, Economica, 2008. Pour une analyse critique de ces pratiques cf. Marie-Monique Robin, "Escadrons de la mort, l’école française", Paris, La Découverte, 2008
3) Mathieu Rigouste, "L’ennemi intérieur, La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine", Alger, Alem El Afkar, 2012, page 8
4) Coran 2 : 155-157
Source : MIL
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