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Israël - 18 mai 2007
Par Stephen Langfur
Article paru dans la revue Challenge n° 103 - mai-juin 2007
Depuis sa création, l’Etat d’Israël est coincé dans une impasse entre les concepts d’"Etat juif" et de "démocratie". De manière récurrente, quelque chose se produit, qui vient mettre la contradiction sous les projecteurs.
Actuellement, c’est la controverse autour de la traversée des frontières par Azmi Bishara, accusé d’espionnage et de trahison, et qui a démissionné de son mandat de député à la Knesset le 22 avril.
"L’affaire Bishara", écrit Uzi Benziman dans Ha’aretz voici onze jours "met en lumière la croisée des chemins où en sont arrivées aujourd’hui les relations entre juifs et Arabes à l’intérieur de la Ligne verte."
Le tournant, dans ces relations, d’après Benziman toujours, fut la formulation adoptée par des rapports sur le positionnement des Arabes (israéliens) tel "La vision de l’avenir des Arabes palestiniens en Israël" (que nous analysons par ailleurs dans ce même numéro).
"Pratiquement", continuait Benziman, "ces documents creusent les fondations idéologiques d’une insurrection des Arabes israéliens contre leur Etat".
Si cet Etat est véritablement le leur, alors pourquoi les Arabes se révolteraient-ils contre lui ?
Mais si tel n’est pas le cas, pourquoi ne le feraient-ils pas ?
Et si cet Etat est juif (par définition), alors comment pourrait-il être aussi "le leur" ?
Ce Benziman n’est pas de droite. Ecrivain et éditorialiste à Ha’aretz, il est partisan de la fin de l’occupation en échange d’une paix. Il a déjà dit aux gens au pouvoir en Israël leurs quatre vérités. Mais son orientation de gauche cesse, dès lors qu’il est question de l’Etat juif.
C’est là une de ses "lignes rouges". Il la partage avec beaucoup de gens – sans doute la plupart – dans la gauche israélienne. Notre thème sera la justice, ou l’injustice, inhérente à cette "ligne rouge".
Vous avez dit : "juif ET démocratique ?"
Plus loin, dans le même article, Benziman écrit : "Les membres arabes de la Knesset exercent une fonction importante ; ils représentent leurs électeurs, d’un côté, et ils se conduisent conformément aux règles du jeu d’un pays démocratique, qui est aussi leur pays, de l’autre."
Quelles sont donc les "règles du jeu d’un pays démocratique" ? Par analogie, prenons l’exemple des règles du jeu d’échecs. Imaginons qu’elles se cantonnent aux mouvements autorisés aux différentes pièces.
Appliquons ce type de raisonnement à la démocratie israélienne : "Tout citoyen majeur de dix-huit ans peut voter".
"Le parti capable d’obtenir une majorité parlementaire est chargé de former un gouvernement".
Ce sont des règles telles celles-ci qui régissent le déplacement des pièces, au jeu d’échec. Appelons-les règles procédurales. Si cela suffit, à soi seul, pour qu’il y ait démocratie – alors, Israël est bien une démocratie.
Nous sommes assis, et nous jouons aux échecs. J’ai les blancs, vous avez les noirs.
Nous plaçons nos pièces sur l’échiquier, mais soudain, je vous arrête : "Non, non !", dis-je, "vous n’avez pas droit à une reine !"
"De quoi ?!?"
"Non, je suis désolé, les noirs n’ont pas droit à une reine. C’est un jeu blanc".
Alors vous continuez à disposer vos pièces sur l’échiquier, sauf votre reine, naturellement.
"Et maintenant", continue-je, "jouons à notre petit jeu d’échecs préféré"…
La question de la démocratie israélienne est celle de savoir jusqu’où vont les règles de l’égalité, dans ce pays. Leur extension est limitée par l’insistance mise sur le caractère juif de l’Etat. La reine noire, interdite d’échiquier, c’est l’immigration arabe (aux mêmes fins, nous pourrions tout aussi bien appeler ainsi les expulsions de 1948).
Pour avoir
1) avoir un Etat juif et
2) jouer "le jeu d’un pays démocratique", je dois garantir une majorité juive dans la population dudit Etat.
Cela nécessite que j’ouvre largement le portail de mon pays aux apparentés à une population, tout en le refermant de manière quasiment hermétique devant les apparentés de l’autre population.
Dans ce cas, les deux populations jouissent-elles de droits égaux ?
A l’intérieur des frontières, oui, comme à l’intérieur de l’échiquier. Mais aux frontières : non.
Dès lors que nous ignorons le cadre inique à l’intérieur duquel se joue la partie, celle-ci semble se dérouler conformément aux règles du jeu.
La garantie d’une majorité juive n’est pas simplement un sujet parmi d’autres, dans une liste d’inégalités. Cela explique dans une très large mesure (même si cela ne l’explique pas totalement) d’autres inégalités.
En effet, à l’intérieur du cadre faussé, Israël joue bel et bien le jeu démocratique. Cela comporte notamment des partis politiques, en compétitions pour conquérir les suffrages des électeurs.
Des partis en compétition pour les suffrages de la majorité juive, une fois au pouvoir, placeront naturellement les intérêts juifs en premier, pour la simple raison qu’ils tiennent à être réélus.
C’est une des raisons (là encore, ça n’est pas la seule) pour lesquelles, dans les localités arabes, il n’y a pratiquement aucune zone industrielle, les financements publics sont très réduits, les communes sont surpeuplées sans aucune perspective de nouveaux terrains, sont dépourvues d’aires de jeux, cela explique aussi pourquoi le chômage chez les Arabes est beaucoup plus élevé que chez les juifs, et le revenu arabe est inférieur à la moitié du revenu moyen juif, et aussi pourquoi plus d’enfants arabes abandonnent leurs études, et aussi pourquoi les Arabes ont une espérance de vie inférieure.
Un observateur de la partie d’échec, qui aurait raté le début, supposerait probablement que celui qui joue les noirs a déjà perdu sa reine…
La plupart des Israéliens sont des nouveaux débarqués. Ils ont été amenés au beau milieu d’une partie déjà largement entamée. Ils imaginent que la partie est équitable. Et équitable, elle l’est, à l’intérieur de son cadre.
C’est ce cadre, lui-même, qui est injuste, mais il fait tellement partie de la situation de fait que très rares sont ceux qui le remarquent.
Nous sommes tous plongés dans la partie.
"Juif et démocratique" : l’expression coule tout naturellement sur la langue.
Passez-la à la moulinette de Google, entre guillemets : vous obtiendrez 57 500 pages ouèbe, dont celle de Yossi Beilin : "Nous avons conscience du besoin pressant de trouver des solutions pratiques dans beaucoup de domaines de notre existence, tout en renforçant le caractère sioniste, juif et démocratique de l’Etat [d’Israël]…"
Une des personnes qui voient bien l’impasse, c’est l’avocate Ruth Gavison, ancienne présidente de l’ACRI (Association for Civil Rights in Israël) : "Un des aspects frauduleux de la gauche juive israélienne, c’est l’affirmation que oui : il y aura l’égalité. Il n’y aura pas d’égalité. Il y aura conflit" [1].
Exil forcé ?
Dans son article du 11 avril, que j’ai déjà cité, Benziman aborde également la question de la justification morale d’Israël en tant qu’Etat juif.
Il écrit : "Contrairement au discours palestino-arabe sur l’histoire du conflit, il existe une version israélienne exacte qui décrit les efforts déployés par les vestiges d’une petite nation afin de s’accrocher à sa patrie et de parvenir – sans succès – à un compromis avec ses voisins arabes."
Apparemment, Benziman présume que ses lecteurs sauront ce qu’il entend par "version israélienne exacte"… Je soupçonne personnellement qu’il veut avant tout signifier par là : ayant terriblement souffert dans l’exil, le peuple juif a besoin et mérite un endroit où il puisse vivre en sécurité, dans l’autodétermination.
A la fin du dix-neuvième et au cours du vingtième siècle, l’autodétermination requérait une certaine forme d’Etat. Le problème, bien entendu, c’était de savoir : "Où ?"
Si ce problème s’est posé, c’est en raison d’un fait historique étrange : le peuple juif avait conservé son identité au long de plusieurs millénaires de dispersion. Les peuples dispersés ne se comportent généralement pas de cette manière. Ils s’assimilent poliment, et d’autres viennent remplir le vide qu’ils ont laissé derrière eux en partant [2].
Ici, il y eut une exception historique : un peuple, sans pays. Et quand, finalement, son mouvement nationaliste prit forme, toutes les places étaient déjà prises.
La revendication d’un Etat par le peuple juif pourrait être justifié par son endurance et par les persécutions subies, mais un Etat exige un territoire. Existait-il un territoire (vide) où un Etat pût être établi dans la justice ?
Le mouvement national juif jeta son dévolu sur la Palestine, qu’il appelait "Sion", affirmant qu’en cet endroit particulier, la patrie biblique, il pourrait créer un Etat légitimement.
Cette affirmation excipait d’une falsification historique que je vais maintenant développer.
Imaginez que quelqu’un vous chasse, vous et votre peuple, du pays où vous vivez, un pays que vous avez-vous-mêmes conquis, bien des années avant.
Vous devenez des réfugiés.
Les années passent, et, enfin, vous avez une possibilité de rentrer chez vous.
Vous découvrez que d’autres gens vivent dans vos maisons.
Avez-vous une revendication légitime sur cette terre ? Assurément. Vous avez été chassés par la force.
Les nouveaux locataires ont une revendication, eux aussi, si bien que vous allez devoir trouver un accord.
Maintenant, prenons un cas différent.
Supposez que vous quittiez le même pays que tout à l’heure, mais cette fois-ci sans coercition, et que vous émigriez vers un autre pays, en quête de meilleures opportunités. Des années après, vous décidez d’y retourner, mais d’autres y vivent.
Avez-vous un titre légitime à faire valoir sur ce pays ? En aucun cas : vous n’avez pas été forcé à en partir ; vous avez choisi de le faire, de votre plein gré.
Avec-vous le droit de chasser les gens qui y vivent ? Très certainement : non.
Lequel de ces deux cas est-il le cas israélien ? Je parierais que l’immense majorité des juifs israéliens diraient que c’est le premier. Cette notion est consacrée par le second paragraphe de la Déclaration d’Indépendance :
"Après avoir été chassés de leur pays par la force (l’achar sheh-huglah ha’am m’artzo b’koach hazroah), le peuple conserva sa foi, tout au long de sa Dispersion (diaspora), et il n’a jamais cessé de prier et d’espérer y retourner, afin d’y recouvrer leur liberté politique."
Quand les juifs furent-ils, s’ils le furent jamais, "exilés de leur pays par la force" ? Par les Babyloniens, bien sûr, en 586 avant J.C., mais, quarante-huit années plus tard, Cyrus, l’empereur de Perse, les autorisa à retourner chez eux.
Certains d’entre eux le firent, mais beaucoup choisirent de n’en rien faire.
"Un nombre considérable d’exilés décidèrent de rester en Babylonie… Apparemment, ces exilés avaient pris racine à Babylone, et leur situation économique était prospère" [3].
Cet exil forcé, par conséquent, avait trouvé une fin heureuse depuis bien longtemps. Il ne saurait s’agir de l’exil auquel la Déclaration d’Indépendance fait allusion…
Il n’y eut pas d’autre exil forcé du peuple juif de ce pays. Il est étrange de trouver un tel bobard aussi scandaleux dans le document fondateur d’un Etat, mais c’était nécessaire, car, sans cela, il n’y aurait eu aucune justification à l’établissement de l’Etat d’Israël dans cette région du monde…
Allez au Musée de la Diaspora, à Tel Aviv…
La première salle montre une reproduction de l’Arc de triomphe de Titus : sur les bas-reliefs, vous verrez une procession romaine, emportant le candélabre – la ménorah – du temple de Jérusalem, que Titus détruisit en 70 après J.C. lors de la répression de la première grande révolte juive. Israël copia cette ménorah, telle qu’elle apparaît sur l’arc de triomphe de Titus (dont l’original est à Rome, sur le Forum, ndt), et le pays l’a utilisé comme son emblème national officiel.
Le site ouèbe du ministère israélien du Tourisme (http://www.tourism.gov.il) se fend d’une explication :
"Le Candélabre du Temple de Jérusalem, représenté en bas-relief sur l’Arc de Titus, symbolise non seulement le passé illustre du peuple d’Israël, mais aussi sa défaite et le début de son Exil. Ainsi, le choix de cette ménorah spécifique [pour emblème national – SL] a non seulement établi un lien entre le nouvel Etat et son illustre passé – mais ce choix a, pour ainsi dire, ramené la Ménorah [du Temple de Jérusalem] de son long Exil, symbolisant ainsi directement la fin de la Diaspora".
Titus a-t-il emmené les juifs loin de son pays, avec le chandelier ?
Fut-ce "le début de son Exil" ? Que nenni !
Les juifs restèrent là où ils étaient, sur les conseils d’une nouvelle académie rabbinique installée à Yavneh [Jabnéh], sur la côte, au sud de Jaffa.
"Le peuple juif en Terre d’Israël ne fut pas réduit à une dévastation totale… La population avait recouvré, à un degré remarquable, sa force démographique et économique, vers la fin du premier siècle", c’est-à-dire, en une trentaine d’années [4].
Bien avant la destruction du temple, les juifs vivaient aussi ailleurs. Certains de ces juifs de la Diaspora s’étaient rebellés contre l’Empereur romain Trajan, en 115. Cette insurrection venait à peine d’être écrasée dans le sang, quand elle se ralluma de plus belle, en Judée, sous les ordres de Bar Kokhba.
Je dois dire que toutes les révoltes contre Rome, étaient principalement motivées par la conviction que la fin des temps était proche et que Dieu viendrait donner un coup de main aux juifs, leur apportant la victoire sur un plateau…
L’Empereur Hadrien écrasa la révolte de Bar Kokhba, et il bannit les juifs de Jérusalem (ils furent interdits dans la ville trois siècles durant, jusqu’à ce que les musulmans vainquent les Byzantins et leur permettent d’y revenir).
La guerre avait été très coûteuse pour les Romains, et Hadrien rendit aux juifs la monnaie de leur pièce.
Les partisans de Bar Kokhba dans la haute hiérarchie rabbinique furent exécutés. Beaucoup d’insurgés furent vendus comme esclaves.
Le pays fut rebaptisé Palestine. Le successeur d’Hadrien, toutefois, permit aux juifs de reprendre leur vie communautaire, et leur centre passa en Galilée.
Dans cette région, la Mishnah fut mise par écrit, vers 200 après J.C., suivie par une version du Talmud. Les juifs édifièrent plus de cent synagogues, dont beaucoup d’entre elles datent du sixième siècle, certaines remontant au septième ou au huitième siècle.
Leurs ruines sont encore visibles aujourd’hui.
Y a-t-il eu, dans tous ces événements, un seul exil forcé ?
Ce qui est étrange, c’est que les Israéliens savent tout ça. Ils l’apprennent à l’école. Pendant leurs congés, ils visitent les vestiges d’anciennes synagogues et les tombes des rabbins.
Ils ont devant leurs yeux, en permanence, la preuve d’une présence juive massive et continue, jusqu’à la fin du huitième siècle.
Ils exhument cette preuve avec fébrilité, afin de montrer à quel point cela fait longtemps qu’ils sont présents dans cette région, car ils pensent que cela est de nature à étayer leurs titres à y vivre.
La preuve coexiste, dans leur esprit, tout à fait confortablement, avec la croyance qu’elle contredit : celle en un exil forcé.
Mais, s’il n’y a pas eu d’exil forcé, qu’est-ce qui a amené le nombre des juifs habitant le pays à s’étioler ?
Tout d’abord, la plupart d’entre eux étaient paysans. Après la conquête musulmane, en 638, les taxes que les musulmans prélevaient rendirent l’agriculture non-rentable, en particulier pour les juifs et les chrétiens, qui devaient acquitter une taxe foncière particulière. (De plus, les paysans juifs, dans la Terre d’Israël telle que définie par les rabbins, subissaient un prélèvement fiscal imposé par les commandements bibliques, qu’ils pensaient toujours en vigueur. Au bout de chaque cycle de sept ans, ils devaient renoncer à une partie de leur production de six années et laisser leurs terres en jachère durant la septième.)
Tout au long du nouveau règne musulman, il y eut une migration générale des campagnes vers les villes. Quand les Abbassides prirent le pouvoir, en 750, ils déplacèrent le centre du pouvoir islamique de Damas à Bagdad.
Le "Jund Filastin", le district de Palestine, devint une région arriérée. Ce fut le tournant pour l’émigration juive du pays.
Beaucoup de juifs urbains allèrent vers l’Est, vers la prestigieuse et prospère capitale abbasside, Bagdad, ou vers le Sud, vers les villes d’Afrique du Nord. Autant dire qu’ils choisirent de demeurer sous le pouvoir musulman.
Beaucoup d’autres partirent, aussi, vers les villes d’Europe.
Ce tableau correspond bien plus à celui d’un peuple qui quitte son pays sans y être contraint, en quête de meilleures opportunités qu’à un peuple exilé par la force.
L’exil forcé, c’est le genre de choses qui est arrivé aux juifs d’Espagne, en 1492, ainsi qu’à quelque 718 000 Palestiniens, en 1948.
N’y aurait-il donc aucun autre fondement qui puisse justifier l’existence d’un Etat juif dans cette contrée ? Nous revenons aux persécutions, à l’Holocauste.
Le cœur crie, réclame un endroit où les juifs puissent vivre en sécurité et dans l’autodétermination. Mais il ne saurait y avoir de sécurité dans un Etat créé par la conquête et les confiscations de terres. Il n’y a assurément nulle sécurité pour les juifs, dans l’actuel Etat d’Israël.
Ainsi, encore une fois, nous sommes confrontés à l’étrange contradiction qui constitue le cœur du conflit israélo-palestinien : bien que leur histoire de persécutions et de souffrances ait donné aux juifs une légitimité à avoir un Etat, ils n’ont aucun titre à revendiquer un quelconque pays.
Tout du moins : pas CE pays. Ce sont les Européens, et non les Palestiniens, qui ont perpétré les persécutions contre les juifs. Pourquoi les Palestiniens devraient-ils avoir à payer le prix de ce que les Européens ont fait aux juifs ?
Le cœur crie, mais il y a d’autres cœurs, aussi. Si vous voulez justifier un Etat juif dans ce pays, fournissez à ceux qui sont ici des contre-arguments !
Montrez-moi quand il y aurait eu un exil forcé des juifs ? Ou dites-moi pourquoi les Palestiniens doivent payer le génocide nazi ?
Il est injuste de chercher à compenser un mal en en commettant un autre. Ce principe vaut pour ce que les Israéliens ont fait – et continuent de faire – subir aux Palestiniens. Le même principe tient, pour l’avenir.
Les juifs qui vivent aujourd’hui en Israël, et dont la plupart n’ont pas d’autre endroit où aller vivre, ont tout à fait le droit de vivre en paix. Toutefois, en raison des arguments exposés plus haut, ce droit n’inclut pas celui d’avoir un Etat juif ici (en Palestine).
La seule voie à demeurer ouverte – sauf catastrophe – requiert la reconnaissance des maux infligés et une quête sincère de la réconciliation.
Cela a déjà été démontré en Afrique du Sud, où une telle réconciliation était naguère considérée inimaginable ; or, cette réconciliation s’est produite.
Il n’y aura cependant aucun commencement d’espoir, tant que les personnes pour lesquelles nous recherchons un espoir n’auront pas renoncé à leurs satanées lignes rouges.
La population de la Palestine : 1860 – 1948
Selon les études effectuées par Justin McCarthy sur les archives ottomanes, la Palestine, à l’Ouest du Jourdain, était peuplée de 411 000 Arabes en 1860 et de 533 000 en 1890.
En 1914-15, après les premières vagues d’immigration juive, il y avait 738 000 Palestiniens et 60 000 juifs (McCarthy conteste le chiffre de 85 000 juifs, avancé par Arthur Ruppin).
Le recensement effectué en 1922 par le gouvernement britannique mettait en évidence une population totale de 823 684habitants, dont 638 407 musulmans, 81 361 chrétiens, 7 830 druzes et 93 360 juifs.
Ecartant catégoriquement la notion (fallacieuse) selon laquelle se serait le stimulus économique apporté par les juifs qui aurait "attiré une immigration arabe" ( !), McCarthy constatait que peu d’Arabes avaient immigré de manière définitive en Palestine entre 1860 et 1948.
L’accroissement de leur nombre était dû quasi totalement à leur croissance démographique naturelle. (Jusqu’à récemment, en moyenne, une femme palestinienne avait sept enfants, ce qui représente le taux de fertilité le plus élevé dans le monde.)
De plus, la population arabe s’était accrue essentiellement dans les régions à faible présence juive, et elle avait été particulièrement faible dans les régions à forte densité juive. (Voir Justin McCarthy, The Population of Palestine : Population Statistics of the Late Ottoman Period and the Mandate, New York ; Columbia University Press, 1990. Voir aussi http://www.palestineremembered.comAcre)
L’afflux de réfugiés juifs en provenance d’Europe, durant les années 1930 et 1940, porta le nombre des juifs vivant en Palestine (d’après le Bureau central israélien des statistiques) à 650 000 personnes en 1948, année où fut proclamée la Déclaration d’Indépendance (de l’Etat d’Israël, ndt).
Mais, cette même année, la population arabe de la Palestine atteignait 1 350 000 personnes, dont 873 600 vivaient à l’intérieur des frontières de ce qui allait devenir Israël. Puis la guerre éclata. Sur ces 873 000 Arabes, près de 718 000 devinrent des réfugiés.
Notes :
[1] : cité par Tom Segev in Haaretz Nov. 22, 2006, dans la critique de l’ouvrage sous la direction d’Uzi Benziman, Whose Land Is It? (Shel mi haaretz hazot, Israël Democracy Institute, 2006.
[2] : Le fait que les juifs ne s’intégraient absolument pas à la population locale [non-assimilation absolue] était une des causes majeures de la haine qui les visait. Ainsi, pour partie, la croyance nazie (ancrée dans une culture populaire allemande héritée du 19ème siècle) consistait à considérer qu’un Volk [un peuple, au sens raciste de ce terme, ndt] était lié à sa terre par un attachement mystique.
Pourtant, il existait un peuple qui avait conservé son identité propre durant des millénaires, sans avoir sa propre terre. L’existence des juifs était une véritable gifle en plein visage pour le mythe nazi de ‘Blut und Erde’ (Le sang et la terre) (voir George Mosse, The Crisis of German Ideology : Intellectual Origins of the Third Reich, 1964].
[3] : H.H. Ben-Sasson, (sous la direction de), A History of the Jewish People, Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1976, p. 168. La version originale, en hébreu, datant de 1969, a été longtemps un texte de référence, en Israël.
[4] : Ben-Sasson, op. cit., p. 314.
Source : http://www.challenge-mag.com/
Traduction : Marcel Charbonnier
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