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9 février 2019
Par Badia Benjelloun
Cleptomanie
Macron, du haut des douze semaines de contestation populaire soutenue de son régime, s’est estimé en droit de reconnaître comme président du Venezuela celui de son Parlement, contrevenant à toutes les règles internationales interdisant l’ingérence dans les affaires intérieures de pays tiers. Il a ignoré les résultats des élections présidentielles de mai 2018, avancées à cette date par l’opposition, et que nul n’a contestés.
Puits de pétrole au Venezuela
Les urnes avaient donné à Nicolas Maduro plus de 6,2 millions de voix contre 1,9 millions pour son concurrent le plus proche et 1,0 pour le troisième de la liste des candidats qui en comportait au départ six avant que deux ne s’en retirent au dernier moment. Certes la corruption endémique n’a pas été éradiquée par le chavisme. La redistribution de la rente n’a pu dynamiser un secteur productif national en volume suffisant pour réduire la malédiction du chômage mais la grande pauvreté a été résorbée et l’accès aux soins de santé et à l’alphabétisation plus étendu. La haute bourgeoisie toujours détentrice des moyens de production et des principaux organes de la presse audiovisuelle -nous ne sommes pas dans une dictature du prolétariat- a tout fait, comme celle du Chili à l’époque d’Allende, pour bloquer économiquement le pays alors qu’il voyait ses recettes pétrolières s’écrouler et que lui étaient appliquées des sanctions étasuniennes.
Le Venezuela ne présente pas de déficit démocratique, ou plutôt si au sens étasunien. Car il ne soutient pas la politique étrangère des Usa, ne privatise pas les infrastructures et les ressources minières du pays, il a en revanche d’énormes réserves de pétrole très convoitées à l’heure où l’extraction des hydrocarbures non conventionnels peine à être rentable aux Usa. Il est l’un des pays à disposer d’énormes gisements aurifères, de coltan et de lithium.
Ce dévouement soudain de Macron pour la démocratie ailleurs que dans son périmètre hexagonal signale la sujétion de la France à des intérêts stratégiques qui ne sont pas les siens. Il prend un relief particulier quand la banque d’Angleterre refuse de transférer les avoirs en or du Venezuela à Caracas sur demande du président proclamé par les Usa, et pourrait être caractérisé comme une véritable complicité dans un hold-up. On saura peut-être un jour qui avait été le véritable donneur d’ordre de ce brigandage pratiqué sans vergogne par les puissances de la ‘Communauté internationale’. A ce jour encore, les avoirs de la Libye, de l’Irak et de l’Iran restent gelés dans les coffres-forts de banques occidentales.
La France a des antécédents notables dans ce domaine. Elle avait joué un tel rôle détestable pendant la guerre civile en Espagne. Le Front Populaire n’avait pas accédé à la demande des Républicains en 1936 de restituer un dépôt d’or effectué en 1931, une quarantaine de tonnes. En juillet 1939, le solde a été livré au gouvernement de Franco, fortement sollicité par ses alliés Hitler surtout et Mussolini pour rendre les sommes prêtées au Caudillo. Pétain était alors ambassadeur à Madrid.
Un véhicule qui recule
Alors que Trump se retire du traité INF le premier février 2019, accord signé entre les USA et l’URSS en 1987 sur les armes nucléaires de portée intermédiaire, les pays de l’Union européenne tentent de maintenir le plan global d’action conjoint contracté entre l’Iran et le groupe 5+1 sur le nucléaire iranien dont les Usa se sont également retirés dès le mois de mai 2019. Selon ce protocole, l’Iran devait voir se lever les sanctions économiques en échange de l’arrêt de toute activité d’enrichissement de l’uranium. Les Européens ont construit un ‘véhicule’ leur permettant d’échanger avec l’Iran en contournant le réseau de messagerie des échanges interbancaires américain SWIFT domicilié à Bruxelles. SWIFT est contraint par ailleurs par l’arrivée de nouvelles procédures plus rapides, assurant des transactions quasi-instantanées, de faire évoluer sa plateforme. INSTEX, l’instrument européen basé à Paris avec une direction administrative allemande, devrait permettre de commercer avec l’Iran en évitant les sanctions de l’administration américaine à l’affût de la moindre faille.
Les entreprises vont-elles oser braver les rigueurs trumpiennes et risquer de perdre le marché des Usa bien plus vaste que l’Iran ? Les Etats européens qui ont conçu l’outil d’un certain multilatéralisme et d’une relative indépendance vis-à-vis du Parrain sont en train de reprendre à leur compte les conditionnalités des Usa refusées par Téhéran, à savoir la renonciation au programme des missiles de moyenne et longue portée avec comme contrepartie des médicaments, des dispositifs médicaux et de l’alimentation. Sadeq Amoli Larajani, Ministre de la Justice de la République islamique d’Iran a annoncé que son pays ne se plierait pas à ces conditions humiliantes.
Sans INF et sans JCPOA, l’Europe risque de se trouver sous le feu nucléaire croisé de la Russie, de l’Iran et des Usa. Le désengagement étasunien, imposé par une économie en lambeaux, prête à tout moment d’imploser, très fortement ressenti par l’Allemagne, est l’un des ressorts de l’attelage franco-allemand pour la création d’une armée commune (et d’une arme nucléaire commune ?)
La Dette américaine invente ses acheteurs
Cette marche vers l’indépendance des pays de l’UE est une valse hésitante et reculante, elle traduit l’étroite interdépendance des places financières et des économies ‘nationales’.
Qui donc se souvient que la Fed a changé deux fois de président depuis le départ de Ben Shlomo Benranke ? Il y a eu Janet Yellen, première femme à avoir occupé ce poste, de janvier 2014 à février 2018, date à laquelle lui a succédé Jérôme Powell. Peu l’ont remarqué et ceci pour quelques bonnes raisons, ils ne peuvent que poursuivre les moyens non conventionnels mis en œuvre par Bernanke. Ni l’une ni l’autre n’ont réussi à faire remonter les taux d’intérêt de base car à chaque tentative, les marchés boursiers s’affolent de plus avoir à disposition de l’argent gratuit et plongent. Actuellement à 2,25%-2,50%, le taux est inférieur à l’inflation comme à la plus belle époque du Quantitative Easing. La Fed continue d’être le moteur perpétuel qui irrigue le monde de liquidités, elle est devenue le véritable et seul arbitre des investissements mondiaux.
A chaque fois que la Fed essaie de remonter les taux pour une meilleure maîtrise du crédit trop laxiste, les capitaux fuient et quittent en particulier les pays émergents à gros rendements spéculatifs (une des raisons de la crise turque l’été dernier) et reviennent acheter de la Dette américaine. L’inconvénient lié aux investissements étrangers vécu par ces mêmes émergents est la hausse du prix des matières premières et des devises. (1)
En venant au secours du système mondial endommagé par la crise américaine de 2008, la Fed a étendu son pouvoir bien au-delà des Usa et de ses prérogatives habituelles. Elle a joué le rôle en plus de prêteur de dernier recours celui de premier négociant mondial des titres en circulation. Elle a prêté des liquidités à de nombreuses banques dans le monde en particulier les européennes. Elle a aussi ouvert des lignes de crédit à des banques centrales. Les investisseurs considèrent depuis longtemps les actions comme une liquidité. Un actif boursier n’est plus un investissement mais une manière commode de constituer une réserve facilement mobilisable.
La Fed, puis à sa suite la BCE en 2015, ne sont plus capables de réguler le crédit mais en acquérant des obligations (dettes publiques et d’agences gouvernementales) pour générer des liquidités, elles se sont transformées en organismes de gestion d’actifs. Le bilan de la Fed est passé de 800 milliards en 2008 à 4000 milliards en 2018. Les liquidités ont servi à la thésaurisation, à la spéculation et à la hausse des titres financiers liquides à court terme sans aucun effet sur l’investissement privé à long terme. L’incitation à l’investissement en faisant baisser les taux à long terme ne fonctionne pas.
La publication du Bulletin du Trésor des Usa de décembre 2018 montre l’évolution des détenteurs des obligations qu’il émet, ce qui fait apparaître un mystérieux acheteur. La Fed entre 2009 et 2014 en avait dans son portefeuille près de 2000 milliards. Entre 2015 et 2018, les Bons du Trésor y figurent négativement pour 240 millions. Au quatrième trimestre 2018, la rubrique ‘Others’ non identifiés détiennent justement pour 2000 milliards de Bons du Trésor. Les écarts entre les taux de court-terme et de long-terme sont trop faibles pour que se justifie l’achat d’une dette à moyen ou long terme avec un effet de levier. Ces bizarres ‘autres acquéreurs‘ sont apparus et ont mobilisé près de 3000 milliards de dollars au moment même où la Fed avait décidé de se débarrasser des bons d’une maturité de 7 à 10 ans d’une rentabilité négligeable.
Ces « Autres » exhalent un léger parfum de pyramide de Ponzi ou d’investisseurs ayant la taille de banque centrale étrangement indifférents au rendement négatif ! Or une bonne part de la géopolitique et des économies nationales c’est-à-dire des milliards de vies est déterminée par les activités de la Fed. Qui est en mesure de contrôler sa comptabilité au mieux fantaisiste et trompeuse ?
En finir avec la dépossession
Les hommes politiques se condamnent à l’impuissance face aux Banques Centrales en particulier de la Fed totalement autonomes. Les seules réponses qu’ils apportent à un système livré à lui-même, libre d’enrichir les plus riches sans rien investir dans l’économie productive sont donc l’austérité, la stagnation des salaires et les licenciements.
Les gouvernements doivent-ils se lancer dans des programmes d’investissements publics, comme le fait la Chine depuis des années ? Lesquels ?
Il serait temps qu’une autre façon de produire les biens matériels nécessaires à l’homme soit envisagée. Il apparaît nécessaire d’en ôter la maîtrise à une orientation aléatoire commandée par le seul profit à court terme d’une poignée de possédants de titres et de liquidités et la confier à des collectifs de femmes et d’hommes responsables soucieux d’éthique et de justice.
Le monde est prêt, les Gilets Jaunes le disent avec force. Le ‘Macron, démission‘ comme en son temps le ‘Benali, dégage’ sera tout aussi bien à mettre en œuvre avec d’autres noms dans toutes les provinces de l’Union européenne.
(1) Ce déséquilibre et l’augmentation des prix des denrées alimentaires ont été un facteur déclenchant des révoltes arabes de 2011-2012. De même la réduction d’achats des actifs par la Fed en 2013 a ébranlé des économies brésilienne, turque, sud-africaine, indienne et indonésienne. Dans l’après-crise de 2008, certains pays qui désiraient tirer parti des investissements étrangers ont accumulé du dollar pour se prémunir d’une fuite brutale des capitaux en cas de crise. Ils ont alors renforcé la position du dollar comme monnaie dominante. C’est la prudence de la Russie avant 2008 qui l’avait conduite à accumuler du dollar provenant de ses ventes d’hydrocarbures qui lui avait évité la banqueroute et lui avait permis de respecter ses obligations en dollars, et accessoirement de prêter secours à des pays de l’Europe de l’Est dévastés par la crise de 2008.
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Badia Benjelloun