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Naplouse - 18 août 2011
Par Michelle Gyeney
Michelle Gyeney fait une étude sur l'incohérence politique de la pratique de développement en Palestine et écrit depuis la Cisjordanie.
Le 11 août dernier, le message a traversé les ruelles étroites et les nombreux escaliers de Naplouse à toute vitesse : un très gros groupe de touristes arrivait en ville, et le gouverneur avait besoin d'urgence de guides touristiques anglophones locaux pour leur faire visiter Naplouse. Pour 100 shekels (20€), chaque guide devrait mener son groupe à travers la Vieille Ville de l'ère ottomane, ainsi qu'à des sites religieux tels la Tombe de Joseph et l'Eglise de Jacob, et, plus important, s'abstenir de toute discussion politique pendant la journée.
Israël offre un traitement spécial aux touristes étrangers qui conviennent à son programme alors que les Palestiniens souffrent de graves restrictions de mouvement aux innombrables checkpoints. (Photo Magnus Johansson/ Images Maan)
Les hôtes officiels de l'Autorité palestinienne, 1.200 étudiants du Centre international de la Kabbale à Los Angeles - tous vêtus de t-shirts blancs portant des messages de paix en arabe, en anglais ou en hébreu, ont parcouru Naplouse toute la journée et ont fini leur visite dans le centre-ville, où ils ont participé à l'inauguration du "Jour de la Paix et de la Liberté." Dans le cadre de cette nouvelle célébration, le gouverneur Jibril al-Bakri, son adjoint Anan al-Ateera et plusieurs responsables communautaires, ont parlé de la nécessité de la paix et d'un Etat, puis ont entonné avec la foule des chansons sur la paix. Bien que le gouvernorat de Naplouse soit le coordinateur officiel de la journée, plusieurs des environ cent participants palestiniens, y compris les guides touristiques, les organisateurs et les bénévoles, n'ont pas tardé à suggérer que l'invitation au groupe mystique juif venait du président de l'AP Mahmoud Abbas.
On a discuté de paix et de liberté sans faire référence à leur contexte politique, les deux thèmes étant simplement décrits comme des concepts abstraits dont les Palestiniens devraient avoir le droit de jouir. Ironiquement, l'insistance des organisateurs sur le fait que les guides ne devaient pas discuter de questions politiques avec leurs groupes était en soi un affront à la liberté palestinienne. Ce qui a rendu encore plus difficile le silence des guides fut l'impossibilité logistique de faire visiter la Vieille Ville, qui fut un bastion de la résistance et qui a subi de lourdes pertes civiles pendant les deux Intifada, sans faire référence à la politique.
En effet, l'apparence physique de la Vieille Ville de Naplouse reste visiblement marquée par des années d'invasions israéliennes. Même aujourd'hui, des bâtiments vieux de 1000 ans portent toujours les traces des invasions et des dévastations de l'armée. Selon toute vraisemblance, cette interdiction globale de discuter sur ce qui se passe vraiment à Naplouse sous occupation israélienne cherchait à camoufler la politique même des visiteurs kabbalistes.
"Des gestes de paix et d'unité" ?
Parcourir la page évènementielle du voyage du Centre international de la Kabbale est particulièrement instructif. Nommé "Israël 2011 avec Rav et Karen Berg", leur itinéraire ne désigne pas seulement les villes d'Hébron et de Naplouse comme "israéliennes", mais il se réfère aussi à Naplouse comme "Shechem", le nom cananéen et biblique qu'affectionne le mouvement sioniste pour indiquer que la ville fait partie de l'ancien territoire de Samarie plutôt que de la Palestine moderne. Le groupe annonçait son séjour à Naplouse comme "une journée organisée par l'Autorité palestinienne à Shechem dans un geste de paix et d'unité," et ces thèmes ont été au centre de la visite, mais l'on ne peut s'empêcher de se demander : si la politique était taboue et si le groupe lui-même utilisait la rhétorique sioniste, alors de quelle sorte de paix et d'unité a-t-on parlé ?
Un article récent de l'agence de presse Ma'an News sur l'événement, ainsi que des représentants du gouvernorat, ont fait référence aux participants comme à des "activistes internationaux" assistant à un "rassemblement pour la paix", mais après enquête plus approfondie, les deux affirmations semblent hautement suspectes ("Hundreds of international activists at Nablus peace rally", 12 août 2011).
Même si le message officiel de la visite a bien pu être "la paix et la liberté", la coopération entre l'AP et les forces israéliennes pour garantir dans le détail une sécurité suffisante au convoi ostensible de 25 autobus de luxe - ainsi que l'ignorance manifeste de l'AP sur la propre ligne politique du groupe kabbaliste [ce qui reste à prouver, NdT] - souligne la normalisation continue de l'AP avec Israël plutôt que la moindre manifestation d'unité internationale avec les Palestiniens. Alors que très peu de Palestiniens étaient présents, mis à part des badauds perplexes, il est difficile de voir à qui ces internationaux avaient espéré exprimer leur solidarité.
La coopération permanente de l'AP avec Israël
Plus que tout, la visite "Jour de la paix et le liberté" pose de nombreuses questions. Pourquoi un groupe de 1.200 activistes, avec un programme de visite des villes de Cisjordanie Naplouse et Hébron, deux foyers de l'activisme politique contre l'occupation et le colonialisme de peuplement israéliens, a-t-il pu accéder sans entraves à la Cisjordanie occupée, alors que des militants internationaux pour les droits de l'homme, des enseignants, des professionnels et même des touristes ordinaires sont souvent obligés d'annuler tout voyage de l'autre côté du mur d'Israël par crainte d'être détenus ou expulsés ?
Très récemment, le gouvernement israélien a refusé l'entrée à des centaines d'activistes de l'initiative "Bienvenue en Palestine", à l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, simplement parce qu'ils ont déclaré que leur véritable destination était la Cisjordanie occupée.
Au contraire, ces invités-étudiants de l'AP à "Sheshem" ont été non seulement accueillis à bras ouverts tant par les responsables israéliens et palestiniens, mais de plus les forces de la sécurité palestinienne leur ont fourni une escorte sécuritaire pendant leur visite aux zones sous administration de l'Autorité palestinienne en Cisjordanie . Même si le groupe a visité Hébron et Naplouse, il les a vues comme faisant partie d'Israël, ce qui semble avoir fait la différence pour naviguer dans les arcanes des conditions d'entrée souvent arbitraires du gouvernement israélien.
Le gouvernement israélien et ses forces ont activement aidé, plutôt qu'empêché, la visite du groupe, ce qui jette un doute supplémentaire sur les motivations des invités kabbalistes de Naplouse. Le contraste est frappant avec le traitement typique israélien des activistes palestiniens, internationaux et israéliens, qui ont de fortes chances de se retrouver confrontés aux checkpoints, à la détention, aux gaz lacrymogènes et pire. Il va de soi qu'en dépit des déclarations de l'AP, ces étudiants n'étaient pas du tout des activistes - et en particulier aux yeux du gouvernement israélien.
Par ailleurs, à un moment où l'AP fait face à une grave crise financière, assumer les coûts d'un événement aussi absurde soulève d'autres questions sur les décisions de gouvernance de l'AP. Un peu plus d'un mois avant la déclaration d'Etat aux Nations Unies, l'AP a prouvé une fois de plus qu'elle n'a pas à cœur les intérêts du Palestinien moyen. De fait, elle a montré qu'elle privilégie la coopération permanente avec Israël et avec la communauté internationale plutôt que la paix ou la liberté du peuple palestinien.
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM
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