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Gaza -

Pourquoi les Palestiniens devraient-ils parler à leurs oppresseurs ?

Par

Hind Khoudary est un journaliste indépendant.

27.04.2020 - J'ai récemment été au centre d'une controverse après avoir exprimé publiquement ma colère contre quelqu'un à Gaza qui voudrait normaliser les relations avec Israël et les Israéliens.
C'est arrivé tout à fait par hasard. Je naviguais sur Facebook au début du mois d'avril lorsque je suis tombée sur un post promouvant une réunion sur Zoom - un outil de communication populaire pendant cette pandémie de coronavirus qui maintient tout le monde piégé et isolé (dans le cas de Gaza, encore plus piégé et isolé).

Pourquoi les Palestiniens devraient-ils parler à leurs oppresseurs ?

Des Palestiniens de Gaza protestent contre la conférence organisée à Manama (Bahrein) l’année dernière pour faire avancer le plan de paix de l'administration Trump qualifié de "trahison et normalisation", deux termes qui sont souvent synonymes pour les Palestiniens. (Ibrahim al-Khatib-UPI)
Le post portait le visage de Rami Aman, ce qui a aiguisé ma curiosité car il est bien connu à Gaza pour ses activités de normalisation. En juin 2019, Aman - qui est considéré dans les milieux israéliens comme un militant de la paix - a organisé une course cycliste qui a eu lieu simultanément à Gaza et en Israël. Lors de cette course, il a été brièvement arrêté par les autorités du Hamas à Gaza.

La réunion Zoom a réuni des Palestiniens de Gaza et des Israéliens. Son but déclaré était de discuter de la propagation du coronavirus à Gaza.

J'ai écouté ; la réunion était ouverte à tous ceux qui avaient vu le post sur Facebook. J'ai entendu Aman dire comment "nous, les Palestiniens, aimons les Israéliens", comment "la majorité est comme moi, ils veulent la paix".

Je l'ai entendu dire combien c'était difficile à Gaza, mais qu’il espérait créer une "nouvelle génération".

Il était clair pour moi que ceux qui écoutaient pensaient qu'Aman était la voix de deux millions de personnes à Gaza.

Qui est Aman pour parler au nom de qui que ce soit ?

Cause profonde de la misère

En écoutant cette réunion, j'étais tellement en colère que je me suis mise à trembler.

C'était de la normalisation pure et simple. Pour moi, il n'y a pas de plus grand péché.

La cause profonde de la misère palestinienne est la création de l'État d'Israël, un péché originel qui a vu la majorité de la population indigène de la terre chassée de ses foyers pour devenir des réfugiés dépossédés et démunis, si ce n'est simplement assassinés. Les autres se sont retrouvés sous la loi militaire comme citoyens de seconde zone du nouvel État.

Israël a refusé de permettre tout recours à la justice pour les Palestiniens laissés apatrides en 1948. Les réfugiés se sont vu expressément refuser le retour, leurs biens ont été confisqués par l'État et distribués aux nouveaux arrivants d'Europe.

Même ceux qui ont été déplacés à l'intérieur du pays ont perdu leurs propriétés et ont été catégorisés - ce qui est incroyable - comme "absents présents".

Ce fut du vol, massif et global. Et ce fut aggravé par l'occupation du reste de la Palestine historique en 1967.

La normalisation cherche à approfondir les liens avec les Israéliens sans les tenir responsables des crimes - historiques et actuels - commis contre le peuple palestinien.

Comment pouvez-vous si facilement parler aux personnes qui ont volé votre terre, dépouillé votre peuple de ses biens et de son sentiment d'appartenance, tué des dizaines de milliers de personnes et imposé des centaines de restrictions à votre vie ?

Comment pouvez-vous si facilement parler aux personnes qui vous traitent de terroriste parce que vous voulez récupérer ce qui vous appartient ? Les gens qui vous diabolisent et vous tirent dessus, emprisonnent vos proches, humilient vos parents.

Comment ?

Tollé

J'étais en colère. J'ai exprimé ma colère, clairement et directement, à Aman, qui m'a bloquée.

J'ai tagué trois responsables du Hamas sur les médias sociaux. "J'espère que ces absurdités vont se terminer le plus vite possible", leur ai-je écrit.

Il semblerait que ce fut là ma plus grande erreur - du moins pour ceux qui ont lu un article article du New York Times et qui, depuis, m'ont traité de tous les noms possibles.

Pour vous donner un avant-goût, ce ne sont là qu'une infime partie des commentaires et des messages de colère que j'ai reçus après la parution de l'article du New York Times.

"J'effacerais ce sourire sur son visage après l'avoir mise au chômage", a écrit l'un d'entre eux.
"Vous êtes une moucharde, une bête répugnante et sadique, vous êtes vraiment une ordure", a écrit un autre, qui a trouvé le courage de laisser son message.
"J'espère que vous mènerez une vie misérable et solitaire", a déclaré un troisième, tandis qu'un autre a simplement commenté : "Honte à Hind Khoudary".

Disons le clairement : je n'ai pas tagué les responsables du Hamas pour m'assurer qu'ils sachent que la réunion avait eu lieu, comme l'a rapporté le New York Times. Aman lui-même a noté, lors de la réunion de Zoom, que le Hamas était au courant de ses activités.

Je les ai encore moins tagués pour que les autorités arrêtent Aman.

Je ne suis pas particulièrement amie avec le Hamas. Je n’en fais pas partie. J'ai moi-même été arrêtée en mars 2019 après avoir couvert des manifestations à Gaza contre le gouvernement Hamas.

J'ai été accusé d'être une espionne et un agent pour des partis internationaux inconnus. J'ai été interdite de travail pendant cinq mois après cela.

Bien qu'Aman ait enfreint les règles - il a été arrêté conformément à l'article 153 du Code pénal révolutionnaire de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) de 1979 - l'arrestation de personnes comme lui (ou moi, d'ailleurs) ne fera pas de différence.

Interdire le type d'activités auxquelles Aman se livre peut cependant faire une différence. C'est pourquoi j'ai tagué les responsables.

L'article du New York Times donnait l'impression que, premièrement, le Hamas n'était pas au courant de cette réunion, qui a été annoncée sur Facebook, et deuxièmement, que je voulais qu'il soit arrêté.

Normaliser la perversion

Beaucoup de personnes qui ont réagi à l'article étaient en colère parce que moi, journaliste, j'aurais dû soutenir ce qu'elles perçoivent comme la liberté d'expression d'Aman.

Mais c'est mal comprendre à la fois ce que je crois et ce que signifie naître et grandir à Gaza, où la liberté, quelle qu'elle soit, est une denrée précieuse, et où elle nous est avant tout refusée par nos occupants.

Je suis journaliste, oui, mais je suis aussi une Palestinienne qui a été témoin des crimes israéliens toute sa vie.

Je n'oublierai jamais - quand je n'avais que 5 ans – avoir vu à la télévision Muhammad al-Dura mourir dans les bras de son père après avoir été abattu par les soldats israéliens.

Photo


Je n'oublierai jamais le bruit des frappes aériennes qui nous entouraient - tant de fois - avec mes parents et mes frères qui essayaient d'agir comme si ce n’était que l’orage.

J'ai vécu sous un blocus interminable, j'ai survécu à deux guerres d'agression (j'étais en dehors de Gaza lors de l'attaque de 2012) et j'ai couvert la Grande Marche du Retour, où les gens ont été utilisés comme cibles d'entraînement, leurs vies et leurs membres détruits par des tireurs d'élite chaque semaine.

Je crois que le pire pêché qu'un Palestinien puisse commettre est la normalisation.

Je sais que ce qui s'est passé peut affecter ma carrière future, mes relations avec les organisations internationales avec lesquelles j'ai déjà travaillé, et même ma présence en ligne. J'ai déjà été virée de quelques groupes de journalisme en ligne.

Mais j'ai aussi reçu beaucoup de soutien de la part de Palestiniens, de gens ordinaires, de journalistes et de militants politiques.

Et à ceux qui demandent comment on peut parvenir à une solution et à la paix sans "dialogue", la réponse est simple : la paix commencera lorsque l'occupation prendra fin.





Source : The Electronic Intifada

Traduction : MR pour ISM

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