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Gaza - 12 août 2014
Par Mark Steel
Article original en anglais publié sur The Independant le 1er août 2014.
Ces dernières années, l'humanité est devenue plus tolérante avec les groupes jadis marginalisés par la société. Mais jusqu'à présent, on s'autorisait une certaine agressivité contre une minorité particulière : les tueurs d'enfants. Dieu merci les temps changent et nous commençons enfin à considérer le point de vue des tueurs d'enfants. Par exemple, le porte-parole Uri Dromi, un esprit courageux qui n'hésite pas à s'exprimer, a expliqué hier, sur Radio 4, qu'en fait, si le gouvernement israélien a bombardé une école et tué plusieurs enfants, les véritables responsables de cette tuerie sont les gens vivant dans la zone bombardée.
Quelle délicieuse évolution depuis cette façon de pensée, vieillotte et dépassée, qui toujours attribuait l'assassinat à l'assassin. Mister Dromie, ancien porte-parole du gouvernement israélien, a expliqué que les israéliens ont été "attirés dans un piège, et maintenant le Hamas verse des larmes de crocodile sur les morts".
Si seulement nous étions plus nombreux à avoir ce regard sur les écoles bombardées. Nous sommes toujours prompts à juger un pauvre gosse dans une école américaine qui mitraille ses petits camarades, sans même prendre le temps d'envisager que les mioches tués l'avaient probablement embobiné dans cette histoire. Et, pour empirer le tout, les parents font mine de pleurer.
Michael Oren, l'ex-ambassadeur israélien aux USA a eu encore plus d'imagination, sur Channel 4 News. Il a expliqué que le Hamas devait être accusé de tout ce massacre, parce que 'les grille-pain et les réfrigérateurs ont été piégés'.
Cela montre bien qu'on ne devrait jamais se faire une opinion trop vite. Nous sommes nombreux à avoir vu les images des décombres de bâtiments avec une bombe qui dépasse, et, à la hâte, nous en concluons que la bombe avait quelque chose à voir avec l'explosion. Mais regardez attentivement et vous verrez bien que ce sont ces imbéciles qui se sont fait sauter avec un grille-pain.
Je parie que si nous retournions à Hiroshima pour vérifier plus précisément ce qui s'est passé, nous découvririons que la déflagration n'avait rien à voir avec la bombe atomique, la cause en étant une casserole piégée. J'espère qu'à Gaza les émissions de consommateurs traitent de cette question, afin de prévenir les gens du danger. Cette semaine, l'édition gazaoui de Watchdog devrait commencer ainsi : "Nous avons reçu plusieurs plaintes de ceux parmi vous qui ont acheté au Hamas l'un de ces grille-pains, et qui ont été surpris que ça fasse exploser toute la rue".
Benjamin Netanyahou a défendu les droits civiques des tueurs d'enfants en nous informant que les Palestiniens disposaient délibérément les "morts télégéniques" pour qu'ils soient filmés, dans le but de provoquer la compassion. Il semble donc que le Hamas se promène autour des sites bombardés, plaçant les plus jolis cadavres bien en vue pour les équipes de télévision. Sans quoi nous penserions tous, "ça n'a pas d'importance que les israéliens aient tué ce gosse, c'était qu'un affreux moutard, de toute façon".
D'autres porte-parole ont répété cette idée, et ils passeront peut-être bientôt au stade supérieur, affirmant que les Palestiniens que l'on voit pleurer douloureusement leurs enfants assassinés ont été entraînés dans une école spéciale de comédie du Hamas. Les réalisateurs hurlent, "Encore une répétition tout le monde, puis, dès que nous avons fait sauter le grille-pain, tous les figurants à genoux et en larmes, donnez tout ce que vous avez, mes chéris, tout, puis nous ferons une prise".
Avec la poursuite des bombardements, nous devrions entendre de nouveaux arguments expliquant pourquoi les Palestiniens doivent être incriminés de se faire bombarder. Un ministre israélien dira, "Ces gens à Gaza se plaignent toujours de vivre dans une zone trop densément peuplée, nous essayons donc de les aider à réduire la population, tant que nous pouvons, pour leur donner plus d'espace. Mais ils se plaignent encore. Il y en a, je vous jure, ils ne sont jamais contents".
Les israéliens insistent sur le fait qu'ils donnent des avertissement avant de bombarder quelque part, et en général on pardonne toujours à quelqu'un qui bombarde une école, du moment qu'il l'a prévenue cinq minutes avant.
Etant données la surpopulation de la zone et les proportions des bombardements, tout avertissement pourrait sembler inutile, à moins qu"il ne donne la recette pour prendre son envol ou s"enfuir dans une autre dimension comme Doctor Who, mais c'est l'intention qui compte.
Ils rappellent à présent 16.000 réservistes de plus, mais s'ils pensent qu'ils ne font toujours pas assez de dégâts, une meilleure stratégie pourrait être de remiser leurs bombardiers F16 qui, à l'évidence, ne sont pas à la hauteur de la tâche, et de les remplacer par quelques grille-pain piégés qui sont apparemment plus efficaces.
En des temps moins éclairés, les responsables de tels massacres se seraient fait cracher dessus dans la rue et leur photo aurait été publiée dans les journaux sous des titres incendiaires.
Mais, heureusement, le libéralisme a fait des progrès et nous n'avons plus qu'à regretter de n"avoir pas traité plus gentiment les assassins, par le passé.
Le malheureux Fred West par exemple (tueur en série britannique, ndt), plutôt que de n'avoir que le droit de se défendre au tribunal, aurait pu passer à la télévision, disant, "Bien sûr je regrette la mort de civils. Mais vous devez comprendre que ces gens que j'ai tués pouvaient être sacrément dangereux. J'ai été amené à les tuer par fourberie mais je ne serai pas certain de les avoir tués tant que je n'aurai pas fait ma propre enquête. Pour se faire plaindre, nombre d'entre eux se tuent eux-mêmes en piégeant leur planche à repasser, vous savez".
Avec l'évolution des mœurs, Netanyahu et ses porte-parole prendront de l'assurance, ils organiseront une "Child Murderer Pride" (Parade des Tueurs d'Enfants, ndt), où les tueurs d'enfants pourront se rassembler pour défiler comme au carnaval, où ils pourront enfin se sentir en sécurité, et ne plus être méprisés pour avoir exercé leur droit humain élémentaire de réduire une école en miettes sous un tapis de bombes.
Source : The Independant
Traduction : Chris
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