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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Tali Fahima, au tribunal : "Ma liberté est au détriment des Palestiniens, à Jénine, je ne peux l’accepter"

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Dans diverses interviews, elle ne fit pas de mystère sur le fait qu’elle tenait Zubeidi en très haute estime : pour lui, Zubeidi est un combattant de la liberté, qui a tout sacrifié afin de se mettre au service de son peuple.
"Ne pas l’admirer ? C’est impossible. Je ne connais pas toute la Palestine ; donc je ne sais pas si tout le monde, dans ce pays-là, mérite d’être sauvé. Mais une chose est sûre : cet homme, il le mérite."

Toute la ville de Kiryat Gat n’arrive pas à se faire à l’idée que Tali Fahima se retrouve en détention préventive (c’est la première Israélienne à subir ce sort) parce qu’elle aurait été impliquée dans des activités terroristes. Qu’est-ce qui a conduit cette jeune femme, qui a toujours été de droite, à s’identifier à des activistes de Cisjordanie ?

En cette fin de matinée, Kiryat Gat ne veut pas entendre parler de Tali Fahima. C’est lundi : dans les cafés de la ville, les clients parcourent les journaux du jour, et ceux qui sont du coin ne laissent planer aucun doute sur ce qu’ils pensent de Fahima, dont la photo est en une de tous les quotidiens.
Pas de pardon !
Pas de pardon pour Tali Fahima, pas même ici, dans sa ville natale, depuis que les services de sécurité Shin Bet ont déclaré que Tali Fahima, de Kiryat Gat, représente un danger réel et immédiat pour la sécurité de l’Etat d’Israël

La jeune femme, accusée (sans avoir été formellement déclarée coupable) d’avoir préparé un attentat dans un lieu bondé de monde et de tentative d’introduction d’une bombe en Israël, est (ici) une "traîtresse", une "pute à Arabes", "une gauchiste de la pire espèce".

Les gens, ici, ne comprennent pas comment leur ville a pu produire quelqu’un comme elle ; dans son quartier, on la considère comme une terroriste et sa famille est stigmatisée. La publicité médiatique qui a entouré cette famille au début de l’affaire n’a fait qu’augmenter l’hostilité à son encontre. Leur nom est sur toutes les lèvres. On dit que l’ "espionne" est issue de la famille Fahima, et que cette famille habite rue Eliyahu Hanavi [du Prophète Elie]. Une ennemie de l’intérieur, je vous dis.

Ces dernières semaines, Dikla, la sœur cadette de Tali Fahima, a reçu des menaces de mort par téléphone. La police de Kiryat Gat a immédiatement lancé une enquête. D’après Gabi Dadon, commissaire principal, cette enquête a été menée avec tout le sérieux requis, et "les services de sécurité y ont été associés".

Un vent coulis traverse le centre commercial un peu décrépi : l’automne approche. D’ici deux mois, les étendues fauves autour de Kiryat Gan seront de nouveau verdoyantes. Mais ce sera le seul changement, car ce bastion Likoud continuera à être le point de mire de tout Israël.

Les chiffres fournis par la municipalité indiquent qu’un tiers des 52 000 habitants de cette ville sont des clients des services sociaux. Au kiosque, juste en face de la station centrale des autobus, Liron Duani s’arrête, pour échanger quelques mots avec une amie, étudiante au collège Ahva, mais qui doit bosser à mi-temps à tenir le kiosque afin de pouvoir payer ses études. "Cette Fahima… une vraie serpillière à Arabes…" dit-il tranquillement, le visage assombri. "Beurk ! Dégoûtant !"


Liron Duani connaît Tali. "Sa sœur, Dikla, et moi, sommes dans la même classe. Avez-vous pu lui parler ?", veut-il savoir. Il me demande aussi : "Et sa mère, comment prend-elle les choses ?".
Il regarde le journal et Tali le regarde, en retour, de ses yeux noirs grand ouvert derrière ses lunettes finement cerclées. "Elle est moche", dit Duani. "Sa mère est algérienne… : donc, c’est une Arabe, elle aussi. Vous savez où elle habite ? En face de la yeshiva Chabad. Au prochain square, vous tourner à gauche, ensuite à droite, ensuite deux fois à gauche. Vous y êtes…"



Retour à Kiryat Gat

Tali Fahima, 28 ans, la première femme juive à avoir été placée en détention administration en Israël (il s’agit d’une arrestation sans procès) – elle serait impliquée dans des activités terroristes palestiniennes – a grandi rue Eliyahu Hanavi, dans cette ville accrochée aux franges du désert du Néguev.

Ayant épousé des opinions de gauche, elle est entrée en contact, un beau jour, avec un Palestinien recherché, Zakaria Zubeidi, chef de la Brigade des Martyrs d’Al-Aqça à Jénine, et elle s’est dite prête à servir de "bouclier humain" pour le protéger contre les services de sécurité israéliens. Elle est originaire de ce quartier de bâtiments gris, rectangulaires, mornes. Elle est allée à l’école du quartier, elle a fait son service militaire et elle est partie s’installer à Tel-Aviv, à l’âge de vingt-trois ans.

Elle a été secrétaire dans un cabinet juridique. Mais, récemment, elle a été licenciée au motif de ses activités politiques. Les problèmes financiers qui en ont découlé l’ont contrainte à renoncer à son appartement et à retourner vivre chez sa mère, à Kiryat Gat. C’est de là, explique son avocate Smadar Ben-Natan, qu’elle s’est rendu à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie , où elle a passé deux semaines. C’est alors qu’elle repartait de cette ville, qu’elle a été arrêtée, une première fois.

Elle a déclaré alors que les interrogatoires du Shin Bet ne la feraient pas changer d’avis.
"Ayant pris conscience du fait que ma liberté est au détriment des Palestiniens, à Jénine, je ne peux l’accepter", a-t-elle dit, ajoutant : "Je ne veux pas d’une liberté au détriment de qui que ce soit".


Après six jours de garde à vue, elle a été assignée à son domicile durant quatre jours supplémentaires. Elle se sentait persécutée. L’incarcération, a-t-elle dit, était une tentative pour faire "dérailler" son activité.

Mais elle a ajouté : "Je crois en la justesse de la voie que j’ai choisie. Ici, c’est un pays démocratique – dès lors que je ne fais de mal à personne, je peux faire ce que je veux." Le 9 août, elle fut arrêtée une deuxième fois.

Un remugle fétide d’égoût plane, à la lisière d’un des modestes jardins où Fahima a joué dans son enfance, entre les immeubles. Ses parents ont divorcé alors qu’elle était encore une petite fille ; son père, Shimon Fahima, habite toujours au numéro 6. Nous sommes chez lui, le téléphone sonne.

Esther Fahima, la grand-mère de Tali, soulève le combiné.
De sa voix éraillée, elle transmet le message, on ne peut plus clair : "Shimon ne veut pas parler. Nous ne voulons pas en parler : ne rappelez-pas, c’est inutile !", puis elle raccroche.

Dans une interview accordée à la presse par le père de Fahima, juste après que le "scandale" ait éclaté, il a exprimé sa rancœur à l’égard des habitants de la ville : pour lui, ils les avaient trahis, sa fille et lui.
"Je ne suis pas en colère contre Tali – pourquoi le serais-je ?" avait-il dit. "Elle est allée là-bas pour aider des enfants. Et c’est tout. Ce qu’en pensent les gens, ici, à Kiryat Gat, je m’en fous. Tali fait exactement ce qu’elle pense devoir faire. Tout le monde a sa propre opinion – pourquoi devrait-elle être la seule exception? Non, je ne suis pas inquiet."


Tandis que l’agitation s’intensifiait autour de lui, M. Fahima décida de se draper dans un silence digne. Sous ses fenêtre, un groupe d’enfants Harédi (ultra-orthodoxes) traversent la rue. Il y a quelques yeshivas, et d’autres écoles religieuses, dans le voisinage, ainsi qu’un magasin qui vend des objets de culte et des livres sacrés.
Les étudiants passent, tranquillement, et ils entrent à la Yeshiva Chabad, sur les murs de laquelle un slogan en hébreu a été peint en grandes lettres noires : "Nous voulons le Messie ! Tout de suite !"


En début de semaine, les bulletins d’information ont consacré un temps considérable à l’histoire de Fahima – "la jeune femme israélienne soupçonnée de planifier un attentat terroriste en Israël" et placée en détention administrative pour quatre mois, au lendemain d’une ordonnance signée par le ministre de la Défense Shaul Mofaz.

Le recours à la détention administrative contre des juifs est rare.

Les cas les plus récents furent ceux de deux activistes d’extrême droite de la colonie juive d’Hébron, Baruch Marzel et Noam Federman. L’espoir de la famille de Tali, à savoir qu’elle serait relâchée après une garde à vue d’une durée d’un mois, a été déçu.


Preuve secrète

Au cours de ces dernières semaines, Fahima a été emmenée au tribunal à cinq reprises, puis renvoyée en résidence surveillée.

A chaque fois, sa mère, Sara Lahiani, a fait le voyage jusqu’au palais de justice de Tel-Aviv. C’est avec une douleur refoulée qu’elle a vu sa fille amenée au tribunal de district, menottée, des chaînes aux chevilles, les juges acceptant à chaque fois l’avis de la défense pour finir par entendre donner l’ordre très concret de garder sa fille derrière des barreaux.

Mardi dernier, elle est rentrée chez elle abattue, et personne de son voisinage n’est venu lui apporter le moindre soutien moral ni n’a cherché à la réconforter. "C’est une situation qui m’a été imposée, brutalement, et il faut que je vive avec…" nous dit Mme Lahiani. "Les gens ne me menacent pas ; ils m’évitent. Bon, il y en a qui continuent à me saluer, à me serrer la main. Mais je vois bien qu’ils soutiennent uniquement mon combat en tant que mère de famille, et que leur soutien s’arrête là…"


D’après le Shin Bet, Fahima a lié des relations avec Zubeidi dans l’intention de perpétrer un attentat terroriste en Israël. Elle est également soupçonnée d’avoir aidé l’ennemi en temps de guerre, d’avoir conspiré en vue de perpétrer un crime, d’être en possession de matériel de combat et de violer des ordres provenant du chef du Commandement Central interdisant aux Israéliens de pénétrer en zone A (sous contrôle palestinien).

Au cours des auditions en appel, le Shin Bet a organisé une confrontation entre Fahima et le Palestinien responsable de l’attaque contre le checkpoint de Qalandiyah, le 11 août dernier.

Des pièces strictement confidentielles ont peut-être persuadé les juges d’ordonner le maintien en préventive de Fahima, mais des responsables de la sécurité ont décidé qu’ils ne formuleraient pas de mise en examen et qu’ils laisseraient le tribunal examiner les preuves qu’ils disent détenir.

La raison qu’ils invoquent : ils ne veulent pas révéler quelles sont leurs sources d’information. Cela n’a pas empêché le ministre de la défense, Mofaz, d’assurer, au cours d’une interview à la Radio de l’Armée, qu’il "était au courant de tous les faits, gestes et exploits de Tali Fahima, et qu’elle est impliquée dans la préparation d’un attentat terroriste en Israël, à laquelle elle a pris une part active."


Toute la semaine, Tali Fahima a été le sujet de toutes les conversations à Kiryat Gat, mais la porte-parole de la mairie, Ariela Salomon, insiste sur le fait qu’il n’y a aucun rapport entre Fahima et sa ville, en ajoutant qu’elle est surprise d’apprendre que les parents de Fahima habitent toujours à Kiryat Gat.
"Elle n’est pas d’ici, et nous ne savons rien de cette personne", a déclaré cette chargée de relations publiques, avec un mépris non dissimulé. Elle a suggéré qu’un journaliste d’un des journaux locaux du sud du pays, qui habite à Kiryat Gat "savait peut-être quelque chose"…


Rami Ohayon, 37 ans, qui habite la ville et qui travaille comme journaliste à l’hebdomadaire local Kan Darom, n’a jamais rien connu de tel.

En dépit de son expérience journalistique et de ses contacts au jour le jour avec les habitants de la ville, leurs réactions l’ont supris. Ils ont refusé de lui parler, parce qu’"ils avaient peur que la stigmatisation leur colle aussi à la peau", explique-t-il.

Comme la porte-parole de la mairie, les amis et les parents de Fahima préfèrent chasser Fahima de leur esprit, de l’ostraciser de leur ville autant qu’ils le peuvent.

"Je n’ai pas réussi à parler à un seul de ses amis, et pourtant, j’habite ici, et je connais bien les gens", dit Ohayon, encore stupéfait de leur réaction.
"Lorsque je mentionne le nom de Tali Fahima, les gens me disent qu’ils ont honte de l’avoir eu pour amie. Ils coupent court à la conversation, en disant qu’ils ne veulent pas parler de ça. Même ceux qui la connaissent m’ont dit qu’ils ne la connaissaient pas. Tout le monde connaît Ninette Taib [championne du concours de chant "Une Etoile est née" sur la deuxième chaîne de la télévision israélienne], qui est également originaire d’ici, mais personne ne connaît Fahima. J’ai parlé à une personnalité locale, ami de la famille de Fahima : il s’est contenté de me demander de ne pas mentionner son nom à côté de celui des Tali, dans mes articles…"


Pour Ohayon, aussi, Tali Fahima reste un mystère. "C’était une fille normale, comme tout le monde", dit-il.
"Je ne sais pas ce qui lui a pris, parce qu’elle a été élevée dans une famille de partisans grand teint du Likoud. Je ne comprends pas comment cela a pu arriver, parce qu’elle est née dans un quartier pauvre, pas à Sheinkin [une rue branchée de Tel-Aviv].
Je n’arrive pas à comprendre comment une fille de Kiryat Gat a pu finir par adopter une culture de gauche…
En tous cas, je suis sûr que toute cette histoire a été gonflée. Je ne vois pas une gamine comme elle embringuée dans les horreurs qu’on lui prête. C’est insensé
…"


L’assaut des médias

Cela fait quatre heures que Sara Lahiani a quitté le palais de justice de Tel-Aviv, et elle est encore désemparée. Plutôt naïvement, elle a déclaré qu’elle se battrait pour sa fille jusqu’au bout, qu’elle se battrait contre tout ceux contre qui elle devrait se battre, peu importe : qu’il s’agisse du Shin Bet, de la police, ou des tribunaux.

Mais tout plaide contre elle : elle se bat contre des moulins à vent. Après avoir refusé longtemps de parler aux médias, Mme Lahiani est allée au centre de la scène et elle a demandé à l’avocate Smadar Bar-Natan de communiquer son numéro de téléphone portable à tout ceux qui le lui demanderaient. Après deux bulletins d’information à la radio au sujet de la détention administrative de Tali, son téléphone n’arrête pas de sonner.
L’assaut médiatique a commencé.

Mme Lahiani passe d’un journaliste à l’autre. Elle est épuisée, mais elle continue, obstinément. Elle est au cœur du maelström. En tant que femme qui n’est pas tombée de la dernière pluie, elle dissimule son cœur brisé derrière chacune de ses phrases commençant par les mots : « Ma Tali… »

"Ma Tali a eu une enfance normale…" dit-elle. "Même si je l’ai élevée seule et si j’ai dû faire face à tout – éduquer mes enfants, travailler et leur donner de l’amour – elle n’a manqué de rien. Dans notre voisinage, j’ai connu des familles où les deux parents ne réussissaient pas à donner à leurs enfants autant d’amour que j’en ai donné à ma Tali…"


Les boucles noir de jais de Sara Lahiani lui dissimulent parfois une partie du visage. Elle n’a pas parlé à sa fille depuis un mois, et elle s’efforce de montrer qu’elle est forte.
"Les gens, dans cette ville, me connaissent, et pour eux, ce n’est pas évident de me parler. Ils pensent que ce que racontent les journaux au sujet de Tali est vrai", dit-elle.
"Personne ne la considérait comme une pacifiste. C’est vrai qu’ils n’acceptent pas l’idée qu’on puisse parler à des Arabes, en particulier ici, dans le sud – ce n’est pas Tel-Aviv, ici, vous savez… C’est plus ric-rac, ici. Ici, les choses ne sont pas aussi faciles qu’ailleurs, et les gens la condamnent."

Mme Lahiani garde son calme, même quand elle entend que certains de ses voisins affirment ne pas connaître sa fille. Rien ne la suprend plus. "Au début, il y a eu du harcèlement, après la révélation de l’histoire de Tali, mais je ne veux pas en parler", dit-elle.
"Il y a eu des journalistes qui ont écrit que les gens venaient jeter leurs ordures sur notre palier. Mais c’est exagéré. Il y a eu du harcèlement, oui. Mais maintenant, c’est fini."


Mme Lahiani est née à Alger, en 1956. Elle a immigré en Israël avec sa famille, à l’âge de deux ans. Dès son arrivée en Israël, sa famille fut envoyée à Kiryat Gat. Son père travaillait au Fonds National Juif, et sa mère était femme au foyer.
Les premières années, la famille continua à mener une vie traditionnelle de juifs religieux, et les enfants sont allés dans des écoles religieuses. Après quelques années, ils allèrent dans des écoles laïques.



Abandonnée par sa famille

Sara Lahiani avait dix-sept ans lorsqu’elle a épousé Shimon Fahima, c’est pourquoi elle n’a pas fait de service militaire. "J’étais le cas exceptionnel, dans la famille, parce tout le monde s’est marié très tard. Bien que la plus jeune, j’ai été la première à me marier", relève-t-elle.
"Peut-être la raison était que papa était décédé, nous formions une famille très unie, mais j’avais besoin d’avoir mon petit monde à moi…"

Aujourd’hui, la famille est apparemment moins unie. Seuls trois, sur les sept frères et sœurs de Mme Lahiani, ont pris son parti.
"Ces trois-là ont toujours été avec moi. On n’a pas révélé leur identité publiquement, mais ils ne m’ont jamais abandonnée. Les autres m’ont laissé tomber, à cause des opinions de ma fille. Ils me disent que je lui ai donné une mauvaise éducation…"


Au moment de son divorce (elle avait 26 ans), Mme Lahiani avait trois filles. Pour assurer leur avenir, et le sien propre, elle fit tous les boulots qui se présentaient – femme de ménage, couturière à l’usine Bagir, agent de sécurité pendant cinq ans, aide-soignante auprès de personnes âgées.

Aujourd’hui, elle travaille dans le cadre d’un projet d’aide aux mères isolées à l’Autorité des parcs naturels : son boulot consiste à entretenir et à améliorer le parc de Beit Guvrin, non loin de Kiryat Gat.

Le poste de télé, dans le salon dela famille, a joué un grand rôle dans l’enfance de Tali.
"Elle regardait toutes les émissions. Les informations l’ont intéressée depuis sa plus tendre enfance", explique la mère. "Son deuxième centre d’intérêt, quand elle était encore enfant, c’était les animaux. Elle recueillait des animaux abandonnés – c’est à cause d’elle, si nous avons toujours eu un chien à la maison. Quand notre chien se faisait écraser par une voiture – et c’est arrivé plus d’une fois… - elle venait me trouver à mon travail, tenant le chien enveloppé dans une serviette de bain. Elle pleurait, et elle me demandait ce qu’il fallait faire, elle me demandait de sauver son chien… Elle voulait que je résolve le problème à sa place."


Après l’école primaire à Kiryat Gat, Tali Fahima a été pensionnaire dans un collège près de Netanya. Là, elle s’est intégrée à un groupe de danse, qui se produisait en public, et qui dansait principalement sur des musiques de jazz.
Elle tomba amoureuse de cette forme de musique nouvelle pour elle. Elle dansait des heures durant sur ses rythmes, qu’elle ramenait chez elle. Elle quitta le pensionnat au bout d’un an et demie, et elle retourna à l’école à Kiryat Gat.

"Après, elle changea de type de musique", se souvient Mme Lahiani. "Elle commença à écouter de la trance, comme tous les jeunes, et puis elle a eu une période où écoutait de la musique qui me plaisait, comme Julio Iglesias et la musique marocaine. Plus grande, elle se mit à apprécier la musique arabe, elle aussi, avec le luth, les percussions orientales et tout ça…"


Elle n’a été dans aucun des mouvements de jeunesse locaux. Elle allait souvent nager à la piscine municipale. Elle voulait arrêter l’école, et elle n’a continué ses études que sous la pression de sa mère. Dan sl’armée, elle a servi dans un service d’intendance, non combattant. Sa mère explique qu’elle chouchoutait « ses » soldats.


"Ce n’est pas là un contexte dans lequel nous aimerions être cités dans les journaux", dit la porte-parole de la municipalité.
"Nous nous efforçons de construire une image positive de la ville, et voilà que cette Tali Fahima arrive et fait de nous des collaborateurs, comme si la ville avait quoi que ce soit à se reprocher…"

Les voisins proches qui connaissaient Tali depuis qu’elle était toute petite "savent qu’elle est incapable de faire du mal à une mouche", dit sa mère.

"Mais ceux qui pensent qu’il n’y a rien de pire que les Arabes la réprouvent, bien sûr, et c’est leur droit. Je respecte leur opinion, je ne critique personne. C’est leur droit de dire qu’ils n’ont jamais entendu parler de Tali.
Ma fille n’a rien fait de mal, elle a son opinion et je la respecte comme celles de tout le monde, même si rien ne m’oblige à les partager. Je suis une mère inconditionnelle. Pour moi, ce qui importe plus que tout, c’est qu’elle sorte de cette situation ; elle est innocente, les charges contre elle sont inexistantes.
Qu’est-ce qu’ils croient, au Shin Bet, qu’ils vont éduquer ma fille ?
A vingt-huit ans ?
Elle parle aux Palestiniens, comme beaucoup d’autres Israéliens le font – cela ne fait pas d’elle une terroriste pour autant. J’ai le sentiment qu’ils sont en train de chercher à faire un exemple avec elle, parce qu’elle est originaire des sans pouvoir : les communautés orientales. "

Mais Mme Lahiani se trompe : même ceux qui connaissent sa fille depuis sa plus tendre enfance ne voudront pas prendre sa défense.

Dada Krispal n’a pas une seule bonne parole au sujet de la fille des voisins. Il passait par là, et il est entré dans le kiosque du quartier, si près de la maison de Mme Lahiani que s’il élèvait la voix, elle l’entendrait. "Je l’ai connue (parlant de Tali, bien sûr) quand elle jouait encore, dans le quartier, toute petite, en sous-vêtements de bébé", dit Krispal.

"Son père et moi, nous sommes des amis d’enfance ; il a deux ans de plus que moi. Tous les gens que je connais la mangeraient vivante, s’ils pouvaient. C’est aussi mon sentiment, bien que son père soit un vieil ami, pour moi, comme je l’ai dit.
Des choses comme ça, c’est dégoûtant, tout le monde est furieux contre elle. Ici, c’est une petite ville, si vous dites quelque chose ici, les gens l’entendront immédiatement, au centre-ville.
Presque tous les soirs, je discute avec son père, mais nous ne parlons jamais de Tali. Tout le monde connaît le problème, mais les gens ne veulent pas l’enfoncer encore plus."

Après un moment d’hésitation, comme pour chercher ses mots, Krispal se met à rire, en pensant à l’"accoutrement" de Tali Fahima – selon lui, elle porte les mêmes vêtements à chaque audition en cour d’appel. Il trouve ça drôle. "Elle était une fille solitaire, elle n’avait pas beaucoup d’amies. Je pense qu’elle va prendre un tas d’années en prison. Elle ne sera pas pardonnée – des gens comme elle ne méritent pas d’être pardonnés. Dé-goû-tant."


Pour les enfants de Jénine

Dans des interviews publiés dans l’hebdomadaire Ha’ir de Tel-Aviv (par Rona Kenan) et sur le site ouèbe Nana (par Oren Huberman), Tali Fahima a relaté la métamorphose que sa conscience a connue, voici deux ans. Jusqu’alors, elle se situait à droite, et elle a d’ailleurs voté Sharon aux dernières élections. "J’ai été éduquée à croire que les Arabes étaient des choses qui n’avaient rien à faire ici", a-t-elle expliqué. "J’ai été de droite toute ma vie, depuis mon enfance, j’ai été élevée à haïr les Arabes et à avoir peur d’eux, à penser que l’occupation est normale et juste. Ma désillusion a pourtant commencé avant les élections, mais j’ai quand même voté Likoud, parce que j’avais des restes inconscients de peur des attentats terroristes, et aussi parce que je savais que Sharon est un homme de guerre."

Fahima n’appartient à aucune organisation de gauche, et elle n’épouse systématiquement aucune doctrine idéologique. Elle est une militante d’un troisième type, un électron libre, sans enracinement politique.

Même après qu’elle eut rejoint la gauche sur le plan conceptuel, elle resta en marge du militantisme, en continuant à chercher sa voie. Sa curiosité obsessionnelle pour l’ "autre côté" du conflit arabo-israélien l’a amené à surfer pendant d’interminables heures sur les sites ouèbes arabes. En plus de relations virtuelles nouées sur les forum de dialogue en direct ("chat"), Fahima échangea son numéro de téléphone avec des surfers de différents pays arabes, et elle commença à avoir des conversations téléphoniques classiques avec certains d’entre eux.


Le nombre de coups de fils qu’elle passa dans divers pays arabes sortait tellement de l’ordinaire qu’à un moment donné, explique-t-elle, elle a été convoqué dans un commissariat de police, où l’attendait un agent du Shin Bet. "Il m’a brièvement interrogée et il m’a demandé pourquoi je parlait avec autant d’Arabes et si j’appartenais à une organisation. Je lui ai dit que non, et il ne m’a pas posé d’autre question."
Mais les conversations téléphoniques, pour Tali Fahima, cela n’était pas assez réel. Le rêve qu’elle nourrissait dans son cœur était grandiose. Inspirée par le documentaire de Juliano Mar, "Les Enfants d’Arna", consacré à un projet de théâtre d’enfants dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine et le sort de ceux qui y ont participé, Fahima décida de créer une association humanitaire dans cette ville. Elle eut l’idée d’une formation en micro-informatique destinée à des enfants, et elle organisa, à cette fin, une soirée récréative à Jaffa, pour recueillir des fonds.

Ses problèmes ont commencé après qu’elle fut rentrée en contact avec Zakaria Zubeidi, lequel était recherché par les services de sécurité israéliens. "A dire le vrai, je pensais qu’il n’était qu’un gangster parmi d’autres", a-t-elle expliqué…
"Mais un jour, j’ai lu un article sur sa terrible histoire : l’armée israélienne a démoli sa maison, et tué sa mère."
Elle transmit son numéro de téléphone à Zubeidi par l’intermédiaire du journaliste qui l’avait interviewé. A sa grande suprise, Zubeidi l’appela le jour-même.

Pendant un certain temps, ils n’arrêtèrent pas de s’appeler. Puis Fahima (= Tali, ndt) lui demanda si elle ne pourrait pas lui rendre visite, chez lui. En septembre de l’année dernière, elle s’est rendue à Jénine. Un émissaire, envoyé par Zubeidi, vint la chercher au checkpoint de Jalma, après quoi il la conduisit jusqu’au camp de réfugiés de Jénine. Elle parla longuement à Zubeidi et à ses amis, et elle passa la nuit dans la maison familiale de celui-ci.

(Tali) Fahima fit les gros titres de la presse après l’échec d’une tentative (israélienne) d’assassiner Zubeidi. C’est ce qui l’amena à déclarer qu’elle était prête à servir de bouclier humain pour le protéger – déclaration totalement extraordinaire, même aux yeux et aux oreilles de la gauche israélienne la plus radicale…

Dans diverses interviews, elle ne fit pas de mystère sur le fait qu’elle tenait Zubeidi en très haute estime : pour lui, Zubeidi est un combattant de la liberté, qui a tout sacrifié afin de se mettre au service de son peuple.

"Ne pas l’admirer ? C’est impossible. Je ne connais pas toute la Palestine ; donc je ne sais pas si tout le monde, dans ce pays-là, mérite d’être sauvé. Mais une chose est sûre : cet homme, il le mérite."
D’un autre côté, elle a également déclaré à un journaliste qu’elle a fait part à Zubeidi de ses réserves sur les attentats suicide : "Je lui ai dit qu’envoyer un kamikaze est la chose la plus cruelle qui soit, tant pour les victimes que, même, pour la personne qui est "envoyée" (les « » sont de moi, ndt) se sacrifier."

L’avocate de Tali (l’article la désigne systématiquement par son nom de famille, Fahima, mais moi, j’arrête de le faire, ndt), Smadar Ben-Natan, évoque une situation kafkaïenne. "Nous sommes confrontés à une affaire à la fois énorme et nébuleuse", dit-elle, "où les faits établis et les indices solides sont inexistants. La seule chose qu’ils nous disent, c’est que "Tali Fahima est une extrémiste, déterminée à atteindre ses objectifs terroristes."

Au cours de leurs conversations, Tali l’a impressionnée par sa résolution. (Maître) Bar-Natan parle d’une personnalité impressionnante, dotée d’un caractère exceptionnellement trempé.
"Très peu de gens auraient supporté ce qu’elle a dû subir. Elle s’est forgé un nom, et une image. J’imagine que nous la verrons entrer dans la sphère politique, à l’avenir. Mais ce qui importe vraiment, c’est de garder à l’esprit que Tali est une prisonnière politique, même si je ne pense pas que la partie civile cherche intentionnellement et délibérément à la réduire au silence.
Le Shin Bet recherche du renseignement, et ce qu’il veut, ce sont les gens qui seraient prêts à leur donner du renseignement. En elle-même, leur tentative, de l’alpaguer et de l’incriminer est purement politique. Elle découle de ses opinions, et non d’un acte qu’elle aurait accompli concrètement. Telle est la situation : nous sommes en train de devenir un pays où des opposants au régime sont mis en cabane."


Mardi dernier, Tali Fahima a rencontré sa mère, à la prison pour femmes de Neveh Tirza, pour la première fois, après un mois durant toute la durée duquel on l’a empêché de parler avec des membres de sa famille. « C’était à la fois excitant et inquiétant », explique Mme Lahiani, qui répète, pensive : "excitant, et inquiétant…".
Elles ont pu se parler, pendant environ une heure et demi seulement.
D’après Mme Lahiani, les conditions dans lesquelles s’est déroulée la visite et l’attitude des gardiennes étaient hostiles et dégradantes. Sa fille n’a pas arrêté de pleurer.


"Je lui ai appris la mort d’un de ses amis d’enfance", raconte Mme Lahiani. "Elle était très peinée. Cet ami est mort deux jours après l’arrestation de Tali, et elle m’en voulait de ne pas le lui avoir dit. Elle a pleuré tout le temps, sans interruption. J’ai fait effort pour ne pas pleurer moi-même, parce que je ne voulais pas lui donner l’impression que je suis faible.
C’était vraiment triste, surtout parce que je n’ai pas pu la toucher.
Comment l’aurais-je pu ? Il y avait des barreaux, entre nous, et puis une paroi en plexiglass, et encore des barreaux, de son côté. Je ne pouvais même pas lui tenir la main. Pire, je ne la voyais presque pas : la paroi de plexiglass, qui aurait dû normalement être transparente, était sale : tout était brouillé.
Lors des audiences au tribunal, je me suis sentie plus proche d’elle, bien qu’on ne nous n’étions pas autorisées à nous rapprocher l’une de l’autre. Là, nous avons pu nous regarder dans les yeux : c’était comme si je pouvais la toucher…"


A lire également l'article de Chris Mc Greal au sujet de Tali Fahima

Source : www.haaretz.com/

Traduction : Marcel Charbonnier

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