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Gaza - 19 janvier 2009
Par Eva Bartlett
Les bombes se sont peut-être arrêtées de tomber, pour l’instant, mais la terreur demeure. Des F-16 continuent de voler à basse altitude, effroyablement basse, aujourd’hui, si bruyants, si imprévisibles. Personne ici n’a de raison de croire un seul mot des dirigeants israéliens. Toutes les raisons de croire le pire. Mais par la force des choses, nous devons espérer le meilleur.
Sur un mur, à Gaza : "IDF, nous sommes ici !"
Aujourd’hui 18 janvier, c’est le premier jour que les secouristes et les journalistes peuvent entrer dans les zones occupées par les troupes israéliennes d’invasion. Les Palestiniens, depuis des semaines, désespéraient de retrouver un semblant de vie normale, même si, ici, la normalité est loin d’être la même que partout ailleurs.
Ils attendaient désespérément de revenir dans leurs maisons pour évaluer les dégâts et si possible réparer, trouver les membres déplacés de leurs familles, ou leurs cadavres, et aussi leurs voisins, leurs amis.
Certains sont rentrés chez eux ; on a pu en voir, en nombre, repartant vers où étaient leurs maisons pour récupérer ce qu’ils pouvaient. Des charrettes tirées par des ânes et des taxis ont été chargés de piles de couvertures, de vêtements, d’ustensiles de cuisine, de placards, de morceaux de meubles, de gens…
Je suis allée directement à Ezbat Abed Rabbo, le secteur de Jabaliya qui a été bouclé depuis le premier jour de l’invasion terrestre, il y a environ 2 semaines. Le Croissant Rouge a reçu des appels pour évacuer les blessés et les morts depuis ce tout premier jour, et en a été empêché, à la pointe du fusil. Nous avons entendu les pleurs de ceux qui avaient réussi à s’échapper, leurs récits de bouclage dans les maisons sous la menace des armes, les morts des membres des familles tués à bout portant ou sous les bombardements.
Et bien que les habitants paniqués, dont beaucoup étaient blessés, sans eau, sans nourriture, leurs maisons occupées par les soldats israéliens soient entassés dans cette zone, j’étais particulièrement inquiète sur le sort d’un homme, le père de mes amis.
Nous n’avions aucune idée s’il était vivant ou non, bien que nous sachions qu’il était resté dans le secteur. J’étais paniquée, tous les jours, j’avais le sentiment que j’avais dit adieu à mon grand-père. Je me suis précipitée chez lui, bien que ce soit si difficile, les rues et la terre sont complètement sens dessus dessous, détruites, pleines de carcasses de maisons et d’animaux.
Il était là, miraculeusement, si noble dans sa robe traditionnelle, avec sa longue barbe, son chapeau. Mais il semblait hagard.
“Il a pleuré pour nous”, m’a dit son fils. « Il ne savait pas si nous étions vivants ou morts. » La confusion est le désespoir étaient dans les deux sens. Complètement coupés les uns des autres, nous vivions ce que vivaient les familles et ceux qui s’aiment dans toute la Bande de Gaza. Mais nous avons eu de la chance, parce que nous sommes tous vivants. Sauf sa femme, la mère de mon ami, qui a été tuée le tout premier jour de l’attaque. Mais aujourd’hui, tout est relatif et nous nous raccrochons désespérément à ce qu’il y a de positif, parce qu’il n’y a qu’à cela ici qu’on peut se raccrocher.
J’ai tellement de choses à dire, parce que les photos ne rendent pas justice aux souffrances, aux traumatismes, aux dommages psychologiques ni à l’abattement des gens ici. Tant d’odeurs sont engrangées dans ma mémoire qui, quand je les sentirai, me ramèneront à des images d’enfants morts, de maisons brûlées, d’incendies chimiques.
Les claquements de porte me rappelleront à jamais les missiles frappant la terre, la vie en-dessous.
Et rien qu’en allant aujourd’hui dans quelques quartiers, j’ai vu aujourd’hui tellement de gens, voulant à tout prix raconter leur histoire, parler de leur angoisse. Pour certains, elle est immense : des maisons pulvérisées, des membres de la famille tués, des cadavres non retrouvés, tout ce qui est sacré a été profané. Pour d’autres, la souffrance est dans la tragédie de rêves ruinés, dans chaque objet personnel détruit ou perdu. Tout a de l’importance, leur besoin de raconter est énorme, et le mien de les écouter. Mais très vite leurs mots se transforment en sanglots, une spirale d’agonie. Mon Arabe de base n’est pas suffisant lorsque j’écris leurs souffrances, leurs pertes.
Je reviendrai faire un inventaire méticuleux de la destruction, physique et émotionnelle. Beaucoup de ceux qui sont revenus à l’endroit où étaient leurs maisons doivent repartir dans des écoles surpeuplées, où rodent les souvenirs des massacres, même dans les bâtiments scolaires.
Les bombes se sont peut-être arrêtées de tomber, pour l’instant, mais la terreur demeure. Des F-16 continuent de voler à basse altitude, effroyablement basse, aujourd’hui, si bruyants, si imprévisibles. Personne ici n’a de raison de croire un seul mot des dirigeants israéliens. Toutes les raisons de croire le pire. Mais par la force des choses, nous devons espérer le meilleur.
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM
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