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ISM France - Archives 2001-2021

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Naplouse -

Encore un crime anonyme

Par

Quand je me retourne sur ce que j’ai vécu au cours d’un séjour dans une maison promise à la démolition, je ne fais que penser à ce père au doux regard, mutilé par le feu israélien il y a deux ans, à cette mère, hébétée par la perte de son fils, qui posait par moment de timides questions en arabe, et à cet ami, assis en face de nous dans cette maison nouvellement louée par la famille, qui regardait le mur,et qui pensait au temps d’avant avec son jeune ami et qui, par intermittence, nous tendait des verres de Coca, avec cette atmosphère de deuil planant sur nos conversations difficiles.

La maison était décorée de drapeaux de compagnons d’élection, un des groupes armés importants d’ici, et de photos d’un nouveau martyr de 16 ans, Amer Abdullah qui après avoir vu son père mutilé et son oncle tué par les forces armées représentant le peuple israélien, avait décidé d’en finir avec la vie, de quitter cette souffrance dont il était devenu partie prenante et qu’il allait perpétrer.

A-t-on raison d’en vouloir à ceux qui profitent indirectement de la souffrance des autres au bénéfice de leurs propres souffrances ?
Une question que je me suis posée intérieurement pour ne pas laisser mon sentiment de rage immédiat prendre le dessus.

Son affiche orne le mur de notre appartement, un doux décor de pêche qui contraste désespérément avec les couleurs sombres et cruelles des affiches d’autres martyrs.

Je regarde le visage du garçon et je vois sa ressemblance avec son père, les yeux bruns, le nez romain et je me souviens du moment où le père souriant a fini par accepter malgé son obsédant chagrin qu’il avait perdu un fils en même temps qu’explosait sa maison.

J’ai photographié le regard d’innocence terrifiée que je lui ai vu plus tôt quand je l’ai entendu pleurer incontrolablement dans sa veste. Je me suis pressé contre lui pour lui offrir ma chaleur.


On nous a informés qu’une maison allait être démolie, à notre retour d’une manifestation émouvante à Budrus à proximité de Ramallah.



Le camp de réfugiés Askar, un camp adjacent dont je n’ai entendu parler qu’après avoir entendu dire qu’un autre homme y avait été tué.

On n’a jamais le sentiment d’entendre parler de tel ou tel lieu, simplement parce que quelque chose de bien s’y est produit, rien que des endroits aux évènements tragiques.


Sans comprendre pourquoi, nous étions effrayés par nos coordinateurs.

Nervosité, irrévocabilité de tout ça, les ambassades à appeler, les objets empaquetés...

Tout le monde partait en même temps, ce qui ajoutait à l’anxiété . Un groupe marchant étrangement dans les rues désertes. On nous a dit que les Jaesh (soldats israéliens) étaient à Naplouse ce qui ne soulageait en rien notre sentiment de vulnérabilité dans cette grande rue vide. Et ce contraste avec les routes habituellement pleines de taxis.

C’est angoissant quand vos sens peuvent se reposer et que votre tête dépense son énergie à réfléchir.
Une conversation, sans aucun lien avec tout ça que j’ai eue avec ma petite amie m’a doucement détourné de tout. Les rues étranges devenaient maintenant magnifiquement calmes.


Les chaudes poignées de main étaient agréables à éprouver en face de la nuit froide de l’esprit. Nous sommes entrés dans le camp par une large entrée principale et un labyrinthe de petites rues sinueuses.

Les lampadaires envoyaient une lueur artificielle circulaire et rouge sur les murs étroitement imbriqués. Des hommes assis sur le pas de leur porte nous ont salué d’un « As Salaam Al Akum ». La première chose que nous avons remarquée était que la maison était aussi vide que les rues . Pas de meubles. Rien pour la reconnaître. Pas de vie. Juste un obus, prête pour la démolition

Ni mère bouleversée
Ni père anxieux
Ni soumission de parents en deuil
Juste le sentiment de l’inévitable et de la résignation
Un calme froid.


De ce peu auquel nous nous attendions, il n’y avait que des visages, des conversations pessimistes, le climat ordinaire était effrayant, les voisins tout aussi inquisiteurs que dans toutes les situations qui prévalent ici.

La souffrance est devenue une part, une énorme part de la vie de ces gens, tellement que cette situation totalement hors normes et violente est considérée comme parfaitement normale.


Cette fois j’étais reconnaissant pour le thé sucré qu’on nous a toujours offert, mes yeux ont commencé à se fermer. On a émincé un choux rouge en fines lamelles comme des brins et on l’a distribué.

Le père est entré dans la pièce du devant, courbé, balayant une maison vide ; le voisin roulait des yeux plein de pitié. Il a levé les yeux et avec un grand sourire en proposant énergiquement de nous montrer la cuisine vide, en nous désignant du doigt le plancher fraîchement carrelé, redécoré il y a deux mois, et voulant dire :
« Que puis-je faire ? »

Un haussement d’épaules se comprend dans toutes les langues. Complète domination d’un peuple par un autre.

Que peuvent-ils faire ?

Ramasser un flingue, et mourir à vingt ans ?

Que peuvent faire les gens pour protéger leurs familles et leurs maisons et ne pas laisser leur humanité partir avec le contrôle de leurs vies ?

Comment Israël ose-t-il pousser ces gens à cette situation ?

Ils sont venus et le fusil pointé sur nous, nous ont ordonné de sortir, et comme nous le demandait le père, nous sommes partis.


J’ai regardé les yeux terrifiés du père, c’était un regard d’enfant au moment où les soldats cherchaient à l’attraper. J’étais tellement en colère en assistant à cette humiliation.

Comment osez vous terroriser cet homme !
Partez, tellement loin que vous ne pourrez plus humilier ces gens.

Ils ont défilé froidement à l’intérieur et à l’extérieur de la maison.

Et j’ai vu le système que l’armée israélienne met en œuvre chaque fois qu’elle entre dans une ville ou un camp pour des opérations militaires, l’utilisation de boucliers humains.

Ces mots là me traversent les lèvres comme des vomissures. Utiliser un être humain comme bouclier.

La première ligne de pénétration n’est pas un blindé ni des uniformes mais un être humain, fait de chair et de sang.

J’ai vu le voisin qui parlait un bon anglais et avec qui nous avions parlé franchement toute la nuit de ses enfants, de ses espoirs et de sa vie ici, que les soldats poussaient, le fusil dans les reins.

J’ai laissé éclater mon désespoir au moment où la vie d’un être humain servait de jouet et réduit à l’état de bouclier sans valeur.

Quand je lui en ai parlé plus tard il a dit que ça lui était arrivé de nombreuses fois. Un autre homme a été utilisé de cette manière, que nous regardâmes, et qui nous rendit un regard de terrible humiliation.

Ils continuaient froidement cette opération militaire bien calculée, faisant passer comme une couche de néant pour évacuer toute humanité.

Un homme nous a dépassé, sans fusil et les vêtements très ajustés. J’ai senti le froid de cet homme quand il a pressé le pas devant nous, avec un seul objectif, faire sauter une autre maison anonyme.
Ils sont partis comme ils étaient venus, avant , avant le lever du soleil et avant qu’on ne découvre leur noirceur.



« Punition collective, collective »

Hier nous sommes retournés dans la même maison pour faire des photos et documenter les conséquences. Ce que nous avons trouvé fut qu’ils avaient poussé à l’extrème les punitions collectives.

Nous avons rencontré Abu Ahmed et son grand sourire dans un nouvel appartement, loué récemment où lui et sa famille vivent maintenant.

Ils avaient l’air d’être bien mais pas installés. Le sourire d’Ahmed a disparu quand il nous a raconté comment les soldats étaient arrivés, de nuit et que devant lui, ils avaient utilisé des gourdins et des fusils pour battre quatre des cinq garçons qui lui restent.


Il a continué en nous disant comment ils les avaient traînés dehors et fourrés à l’arrière des jeeps et avaient pris la route. Les soldats étaient alors entrés dans la maison et s’étaient mis à retourner les lits, les divans et étaient partis au bout d’un quart d’heure.

Le plus déprimant, nous a dit la maman, c’était de ne pas savoir où ils avaient emmené l’aîné de leurs fils . Souvent des hommes et des femmes sont enlevés de leur famille et sont emmenés dans l’un des camps de détention qui parsèment Israël et on ne les revoit pas pendant des mois.

Et vous ne savez pas où se trouve votre fils, comme il est traité ni si - et quand - vous le reverrez.
Vous, toutes, Mères qui lisez ces lignes, vous ne pouvez que comprendre leur douleur et leur déchirement.



Les voisins des trois des côtés de la maison ont leurs murs mitoyens détruits et deux des voisins pensent déménager en raison de l’instabilité du mur et le très probable risque que le mur ne leur tombe dessus.

Une femme de 75 ans qui vit seule nous a dit qu’elle n’avait pas assez d’argent pour partir, qu’elle en courait le risque et restait. Le mur, qui a un énorme brèche et dont la structure est endommagée, pourrait facilement s’effondrer et tout écraser à l’intérieur.

L’autre voisin qui a quatre enfants et vient de refaire sa cuisine, faisait ses paquets quand nous sommes venus le voir, et était sur le point de partir.


Voici pour résumer la liste de ceux qui ont été touché par l’acharnement des Israéliens à vouloir implanter leur politique illégale de punitions collectives :

• Une famille de neuf personnes à perdu son unique maison

• Une femme de 75 ans obligée de vivre sous la menace d’un mur instable, et qui risque de voir s’écrouler sa maison et d’en mourir.

• Une famille de cinq personnes obligée de partir à cause de l’instabilité des murs, revenue dans une maison partiellement détruite.

• Quatre frères de martyrs frappés et arrêtés. On ne connaît pas la date de leur retour

• Un ami d’un ami de martyr battu et arrêté pour suspicion d’aide à un kamikaze à la bombe.



Les gens ne tuent pas d’eux-mêmes sans raison. La violence pénètre tous les aspects de la société ici, et ces enfants forcés de grandir tout en voyant leurs amis se faire tuer, et qui voient leur père tué par un char, et qui apprennent que leur oncle a été tué.


Vous finissez par cesser de chercher des réponses à vos pourquoi.

Et vous commencez à chercher accepter ça.
Votre systèmede survie se grippe.
Vous êtes obligé de vous battre avec, de chercher un exutoire à vos frustrations.

L’extrême frustration et l’extrême impuissance que j’ai éprouvées ici est 100 fois supérieure à celle que vous pouvez ressentir si vous rendez visite.

Je vous aime tous

Source : www.palsolidarity.org

Traduction : CS pour ISM-France

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