Jénine - 28 septembre 2003

Encore un nouveau bouclage

Par Aaron

" Quand tu auras des enfants, ne leur enseigne pas de tuer des Palestiniens. Ne leur enseigne pas de tuer qui que ce soit au monde. Nous avons besoin d'amour pour la Paix, sans amour, il n'y a pas de Paix. "

Ce matin, Jénine fait l'objet encore d'un nouveau bouclage rigoureux imposé par l'armée israélienne. Tout ce que je peux dire, c'est que pour l'instant l'armée ne fait rien. Ce qui est difficile avec ces bouclages, c'est qu'il sont plus perturbateurs que leur durée n'indique. Que la ville soit fréquemment paralysée est terrible, mais le pire est qu'on ne sait pas combien de temps cela va durer. Il est incroyablement difficile d'avoir une vie régulière ou de développer une société civile dans de telles circonstances. Même notre petite équipe de l'ISM avons échoué à préparer la prochaine campagne de cueillette des olives dont dépend la survie de dizaines de villages dans le secteur de Jénine. Je ne doute pas que les conséquences soient encore plus graves pour ceux qui ont des activités plus poussées et des projets civils. En tout cas, le concensus par les internationaux est qu'il y a probablement deux raisons à l'actuel " couvre-feu ", en admettant que Rosh Hashanah ne soit pas le facteur.

D'abord, aujourd'hui est le troisième anniversaire du deuxième intifada et les israéliens sont vraisemblablement inquiets des manifestations de célébration ou quelque chose comme ça. Cependant, il est difficile d'imaginer que les Palestiniens pourraient vouloir le feter, et il semble, en fait, que rien n'a été prévu.

Deuxièmement, un jeune homme de 19 ans a reçu une balle dans le cou il y a environ une semaine alors qu'il jetait des pierres sur un tank. Il est mort quatre jours plus tard mais apparemment la famille a essayé de garder le secret par peur des manifestations auxquelles l'armée israélienne répondrait en faisant encore plus de morts. Je ne peux pas imaginer comment ce doit être difficile de concilier le fait que mon fils ait été tué avec la crainte que la vengeance que je provoquerais sûrement apporterait plus de mort parmi la population.

En tout cas, la nouvelle est tombée quelques jours plus tard (Il y a très peu de secrets à Jénine) et les funérailles avaient lieu hier. Il y a une forte colère au sujet de la mort du garçon, particulièrement parce qu'il n'était pas un membre de la résistance armée. La façon dont on peut savoir cela est l'un des aspects les plus bizarres du conflit. Apparemment, il y a une grande importance placée sur le fait de ne pas mourir comme victime sans défense contre les forces d'occupation. En raison de cela, un grand nombre d'hommes, jeunes ou agés, ont une photo d'eux avec une arme s'ils font partie de la résistance armée ou non.

Quand un garcon ou un homme est tué ou meurt dans un attentat-suicide, ces photos sont utilisées comme posters de martyr qui sont placardés dans différents endroits de Jénine. A la base, la photo d'un jeune homme avec une arme ne veut pas nécessairement dire qu'il était un membre de la résistance armée mais lorsque l'on voit la photo d'un garçon " sans " arme, cela garantit qu'il n'en faisait pas partie. Dans son cas, il n'y a pas d'arme sur la photo.

J'ai eu cette information d'un jeune combattant du Djihad Islamique avec qui j'ai lié quelque amitié. Il ne semblait pas gené par le fait que je sois Juif, et nous avons parlé de nos religions à plusieurs reprises, bien qu'il soit imperceptiblement " observateur ", tout au plus. Partageant un café et un narguilé (pour lui) et un jus de fruit (pour moi), il a également décrit son expérience lors de l'invasion de Jénine. Il avait alors 16 ans. Lui et un ami ont été pris par l'armée. Pour je ne sais quelle raison, son ami a été relaché alors qu'il a été battu à plusieurs reprises et menacé de mort par les soldats qui pointaient leur arme sur plusieurs parties de son corps. Au moins une fois, un soldat pointa son arme sur ses parties génitales et lui dit qu'il allait lui enlever. Finalement, le garçon dit aux soldats qu'ils pouvaient y aller et le tuer, que cela ne l'effrayait pas (il m'a ajouté que, bien sûr, ce n'était pas vrai).

Les soldats l'emmenèrent alors dans une zone de combat et le forcèrent, sous la menace d'une arme, à marcher devant eux, ouvrir les portes des maisons et le transformerent en un bouclier humain. A la fin de notre conversation, qui avait couvert de nombreux sujets, je m'excusais alors pour aller me coucher, il m'arrêta et me demanda d'écouter la dernière chose qu'il désirait me dire. Avec une forte intensité, il dit : " Quand tu auras des enfants (je lui avais dit que j'étais marié), ne leur enseigne pas de tuer des Palestiniens. Ne leur enseigne pas de tuer qui que ce soit au monde. Nous avons besoin d'amour pour la Paix, sans amour, il n'y a pas de Paix. " Je lui dit que j'enseignerais à mes enfants d'aimer plutôt que de tuer et lui ai demandé qu'il fasse pareil. Il approuva catégoriquement et je rentrai à notre appartement pour aller dormir.

Alors que notre équipe est bloquée à Jénine, il y a à peu près 99 jeunes écoliers dans un village voisin qui sont enfermés dans une école depuis environ 5 jours maintenant. Ils vivent dans la partie nord de leur village (Abad ?) et leur école est dans la partie sud avec un checkpoint entre les deux. Nous avions prévu de leur faire escorte aujourd'hui mais le blocage l'a rendu impossible. Jusqu'à hier, les enfants ont simplement été renvoyés au checkpoint (et bien sûr, refusé d'avoir accès à l'éducation) mais la dernière fois, les soldats ont tenté de les faire chanter : "Saddam, Saddam, fais tomber tes armes chimiques sur Jénine. " Je dois mentionner que j'ai appris cela par notre coordinateur de l'équipe ISM lors d'une conversation, comme un simple détail. Il ne semblait pas terriblement travaillé par cela ou le considérer comme important et je n'ai pas de raison de douter de son propos.

Shanah Tovah,