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ISM France - Archives 2001-2021

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Gaza -

La jeune fille et la Mer

Par

> jazzphoto@free.fr

La première chose qui vous frappe quand vous rencontrez Madeline, ce sont les étincelles qui pétillent au fond de son regard franc. Dans sa voix ferme transparaît la force de son caractère. La dureté de ses traits vous fait oublier qu'elle n'a que dix-huit ans, jusqu'à ce que soudainement un sourire lumineux les éclaire, faisant tomber pour un instant le masque que la jeune fille s'est forgée.

La jeune fille et la Mer

Madeline Kullab est issue d'une famille de pêcheurs. Elle avait 12 ans quand son père s'est gravement blessé à la jambe en pêchant. Cette blessure l'a rendu incapable de continuer son métier et a privé d'un coup sa famille de sa seule source de subsistance. Sa mère étant âgée et pas diplômée, elle ne pouvait travailler.

Madeline, l'aînée de la famille, a alors décidé de quitter l'école et de se mettre à pêcher pour nourrir les siens. Quand elle avait 6 ans, elle allait déjà pêcher avec son père, pour le plaisir. Car Madeline aime passionnément la Mer. « Personne ne m'oblige à faire ce travail, je l'ai choisi et j'aime pêcher. Si je n'allais pas tous les jours en mer, il n'y aurait pas d'argent pour la famille, les autres membres sont trop jeunes pour aller pêcher ou ne peuvent pas. » Cela dit, le travail reste pénible, et elle s'interroge sur combien de temps elle pourra encore le continuer.

Les trois premières années, Madeline, aidée de son frère, pêchait à l'aide d'une toute petite embarcation à fond plat, ce qui ne lui permettait de ramener qu'une faible quantité de poisson, à peine 3kg, qui servaient essentiellement à nourrir la famille. A la vente, une telle quantité de poisson ne rapporterait que 20 ou 30 shekels, une somme dérisoire.

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Le fait qu'une femme décide d'être pêcheur était inédit. Au début, son père a refusé. Elle a réussi à le convaincre de la mettre à l'essai. Il est allé deux fois en mer avec elle pour voir ce dont elle était capable. En voyant, dès la 2ème fois, qu'elle était capable de bien faire, il a changé d'avis. Aujourd'hui, même les autres pêcheurs reconnaissent son talent, et elle ramène de bonnes pêches quand elle en a les moyens matériels.

Le travail est très dur, mais elle n'a pas le choix. Elle dit qu'avec la pratique, on s'habitue. Le corps devient endurant. Mais malgré tout son courage, elle peine parfois à hâler le filet à bord quand celui-ci est trop lourd. Seul son jeune frère, à qui elle apprend le métier, peut l'aider à bord. Avoir un équipier masculin qui ne soit pas de sa famille serait contraire aux lois Islamiques et donnerait à ses adversaires le prétexte idéal pour l'atteindre. Même quand le temps est mauvais, ils doivent sortir. Peu importe les conditions, elle est toujours dans les premières à mettre son embarcation à l'eau.

Comme les autres pêcheurs, Madeline subit les conséquences du blocus maritime imposé par Israël. Elle ne peut pêcher que dans la zone autorisée des trois miles. Elle n’hésite pas à aller jusqu'à la limite, parfois plus encore afin d'avoir une bonne pêche. Elle doit alors subir la pression des navires de guerre israéliens, qui ont déjà mitraillé autour de son bateau pour lui faire rebrousser chemin, sans considération pour son âge ou son sexe. La raréfaction des ressources halieutiques, conséquence de la minuscule zone de pêche autorisée, ne lui permet de ramener beaucoup de poissons. Mais pour son père, c'est Hamas qui leur fait le plus de mal.

Au début, certains pêcheurs refusaient l'idée qu'une femme puisse être des leurs. Même si quelques uns, des amis de son père, l'ont appuyé comme des frères, d'autres refusaient son choix ou l'enviaient pour son talent. Des rumeurs nauséabondes ont été lancées sur elle. On a dit d'elle qu'elle travaillait avec des hommes n'appartenant pas à sa famille, ce qui est interdit, et pire encore. Elle s'est fait dénoncé auprès des autorités, qui ont commencé à les harceler.

Pour son père, le Hamas est un cauchemar quotidien. Insultes, intimidation, mesures coercitives et injustes... Il s'est fait arrêter plusieurs fois, et Madeline a dû négocier avec la police pour qu'il soit libéré. La première fois, un officier leur a dit qu'il avait un document leur interdisait d'accéder au port, à la plage et de partir en mer, tout en refusant de le leur montrer. La deuxième fois qu'ils ont arrêté son père, elle a écrit une lettre demandant sa libération et la restitution de son permis de pêche et de navigation. Elle s'est tournée vers des organisations humanitaires qui sont intervenues auprès du gouvernement, qui a fini par renvoyer l'officier de police concerné. Pour se venger, la police continue à les harceler. Elle peut maintenant partir pêcher du port de Gaza, mais pas des plages au nord de Gaza, contrôlées par la police. Mais elle a retrouvé sa licence de pêche.

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Après quelques années, la famille a pu acheter un bateau à moteur, mais il a été rapidement confisqué par le Hamas qui ne le lui a jamais rendu. Elle est donc retourné à son petit bateau à fond plat. Quand elle le peut, elle emprunte ou loue le bateau d'autres pêcheurs pour ramener plus de poissons. Sa cahute de pêche a été incendiée. Le Hamas trouve moyen de lui nuire jusqu'en mer. Son père explique que pour les pêcheurs qui partent des plages, le Hamas a mis en place des couloirs de 100m où ces pêcheurs peuvent travailler. Cela correspond à l'emplacement des différents îlots de cahutes sur la plage. Chaque pêcheur se voit allouer un couloir dans lequel il doit pêcher. Le Hamas a refusé de leur donner la totalité de ces 100m. Ils ont été jusqu'à retirer son filet de l'eau, parfois à le détruire.

Quelques ONG la soutiennent et vérifient régulièrement que tout se passe bien pour elle. Son père a expliqué au Hamas que si ils lui trouvaient un emploi, il dirait à sa fille d'arrêter d'aller pêcher. Mais ils ont refusé. Peu de temps après notre rencontre, la police arrêtera Madeline au motif qu'elle parle trop aux journalistes. Pour la relâcher, ils l'obligeront à signer un papier où elle s'engage à ne plus parler aux médias sans la présence d'un officier de police.

Même parmi ceux qui la soutiennent, les remarques sont parfois dures. Si Madeline a accepté de me rencontrer, après un premier refus, c'est en fait pour demander à Omar, qui traduit ses propos pour moi, de discrètement faire comprendre aux personnes qui l'entoure qu'elle ne gagne aucun argent avec ses interviews. La rumeur s'était en effet répandue qu'elle touchait de grosses sommes. S'acquittant de cette tâche, Omar me confiera avoir entendu des hommes dire que jamais Madeline ne trouverait de mari, et qu'à Gaza sa vie était finie.

Toutes ces pressions ne l'effrayent pas, et ne la dissuaderont pas d'aller pêcher. Bravache, elle n'a peur ni du Hamas ni des Israéliens. Personne ne l'arrêtera.

Elle a un message pour ses sœurs Palestiniennes, et pour toutes les autres femmes dans le monde : « Beaucoup de métiers ne sont pas exclusivement réservés aux hommes. Les femmes aussi doivent aller pêcher. » Elle est prête à embarquer d'autres femmes dans l'aventure, pour peu qu'elles soient assez fortes.

En plus de pêcher, Madeline adore nager. Elle va en pleine mer avec son bateau, et puis elle plonge et nage librement. Elle a passé son diplôme de maître nageur auprès de la Défense Civile, ce qui lui a permis de secourir nombre de nageurs en mauvaise posture. Elle peste contre les vêtements qu'elle est obligée de porter, peu pratiques pour le travail en mer et la nage, qui l'alourdissent et entravent ses mouvements.

Madeline a plusieurs rêves, et ses yeux brillent quand les évoque. Elle voudrait que le siège maritime de Gaza cesse enfin. Elle aimerait aussi participer aux Jeux Olympiques de natation. Enfin, si elle pouvait, elle aimerait vivre en pleine mer, dans la mer. En attendant, elle continuera à pêcher.


Retrouver toutes les photos qui illustrent ce reportage sur Flickr.com.


Lire également, du même auteur : "Les pêcheurs de Gaza",
ISM-France, 14.09.2012.

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15 septembre 2012