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Jérusalem - 18 mars 2010
Par Julien Salingue
Entretien de Sylvian Mouillard pour Libération.fr.
« C'est toute la jeunesse des camps de réfugiés qui sort. Ils ont entre 10 et 15 ans, et veulent en découdre avec les soldats israéliens», analyse Julien Salingue, qui réfute toute « récupération politique ». « Le mouvement qui est en train de naître ces dernières semaines n'est contrôlé par personne. Il n'y a plus de parti ou de factions dans le paysage politique palestinien qui puisse de toute façon prétendre le faire. »
Jets de pierre contre les troupes d'occupation, quartier Wadi al-Joz, AlQuds, 16 mars 2010 (REUTERS/Baz Ratne)
Les images sont connues. Des manifestants palestiniens, souvent très jeunes, visages couverts, jetant des pierres sur des soldats israéliens. Ces scènes se sont produites ce mardi à Jérusalem-est, dans un climat de tension grandissant. Vendredi, le ministre de la Défense israélien Ehud Barak annonçait en effet un bouclage total de la Cisjordanie . Depuis, la situation s'est nettement tendue.
Les Palestiniens manifestent notamment pour « la défense de Jérusalem », au cœur des frictions avec Israël. Ils protestent en particulier contre l'inauguration de la synagogue historique de la Hourva, reconstruite dans le quartier juif de la Vieille ville et perçue comme une nouvelle provocation israélienne.
Julien Salingue, enseignant et doctorant au département de sciences politiques de l'université Paris 8 de Saint-Denis, analyse les facteurs de la mobilisation.
Un climat général pesant
«La colère se cristallise autour des déclarations de Netanyahu sur les 1600 nouveaux logements à Jérusalem-Est, mais on ressent quelque chose de beaucoup plus profond au sein de la population palestinienne», explique Julien Salingue.
Pour le chercheur, «la colère montait depuis quelques semaines à Jérusalem et dans d'autres villes de Cisjordanie , avec des manifestations régulières. Deux villages symboliques du nord de la Cisjordanie , Bilin et Nilin, sont déclarés "zone fermée" par les Israéliens tous les vendredis, ce qui déclenche des manifestations».
Qui manifeste?
Des incidents (jets de pierres, tirs de grenades assourdissantes et lacrymogènes, de balles caoutchoutées) ont été rapportés dans plusieurs lieux de Cisjordanie , notamment dans le camp de réfugiés de Choufat et dans le quartier arabe d'Issawiyeh.
« C'est toute la jeunesse des camps de réfugiés qui sort. Ils ont entre 10 et 15 ans, et veulent en découdre avec les soldats israéliens», analyse Julien Salingue, qui réfute toute « récupération politique ». « Le mouvement qui est en train de naître ces dernières semaines n'est contrôlé par personne. Il n'y a plus de parti ou de factions dans le paysage politique palestinien qui puisse de toute façon prétendre le faire. »
Julien Salingue voit plusieurs analogies avec la situation en 1987 et 2000, lors des deux premières Intifadas: «On a la même répression, la même impasse sur le plan diplomatique. La deuxième analogie, c'est d'un point de vue générationnel. Comme par le passé, le soulèvement est le fait de gens très jeunes. Les personnes qui manifestent aujourd'hui n'ont connu que l'occupation. Leur colère traduit une absence totale de perspectives.»
«En revanche, en 1987, il y avait une organisation très structurée, autour de comités locaux dans les villages, dont on est très loin aujourd'hui. Le mouvement national palestinien est en état de décomposition», nuance-t-il.
Peut-on craindre une troisième Intifada ?
Moussa Abou Marzouq, le chef-adjoint du bureau politique du Hamas, a déclaré depuis Damas que «l'Intifada (soulèvement, ndlr) doit bénéficier de la participation de toute la société palestinienne». Des milliers de Gazaouis ont aussi participé à «une journée de la colère» pour dénoncer l'inauguration de la synagogue de la Hourva.
Pourtant, comme l'explique Julien Salingue, «une organisation politique ne peut pas décréter l'Intifada. Celle de 1987, considérée comme la référence, est née d'en bas, dans les camps de réfugiés. En septembre 2000, c'était la même chose. On a assisté à une explosion populaire dans les territoires palestiniens». Si «le Hamas a tout intérêt à apparaître comme l'organisation qui prépare le soulèvement, il ne peut en aucun cas être vu comme étant à l'origine de ce mouvement», analyse-t-il.
Pour l'instant, note le chercheur, «il est trop tôt pour dire qu'on est passé à un stade supérieur. Mais les événements d'aujourd'hui peuvent être le déclencheur d'un mouvement plus profond, notamment s'il y a un mort palestinien dans la rue au cours des prochains jours». Un responsable de la police israélienne a quant à lui déclaré que ces heurts ne s'apparentaient pas à une «troisième intifada», disant espérer «un retour à la normale dimanche».
Comment expliquer cette radicalisation ?
Le chercheur décèle trois facteurs. «La colonisation continue, ce qui signifie des expropriations et des limitations de déplacements. Il n'y a pas non plus de véritable embellie économique dans les territoires palestiniens pour la très grande majorité de la population. Enfin, la rue palestinienne accorde très peu de confiance à un processus négocié. Il y a un décalage flagrant entre la rhétorique diplomatique et ce qui se passe sur le terrain.»
Quelle est la position israélienne ?
Selon la police israélienne, qui avait mobilisé 3000 hommes dans la Ville sainte ce mardi, 60 Palestiniens ont été arrêtés et 14 policiers blessés, dont quatre ont été hospitalisés. Du côté des services d'urgence du Croissant rouge palestinien, on avance le chiffre de 16 manifestants blessés et hospitalisés. Des dizaines d'autres auraient été soignés sur place.
Malgré ce déploiement de force impressionnant, la situation reste délicate: «Au checkpoint de Kalendia, par exemple, les soldats israéliens sont plutôt habitués à faire face aux manifestants. A Jérusalem, la situation est beaucoup plus compliquée à gérer. Du côté israélien, on essaye de canaliser les choses, pour éviter d'être débordé et qu'il y ait des morts.»
Julien Salingue s'interroge néanmoins sur les récentes décisions de l'Etat hébreu: «S'il voulait mettre le feu, le cabinet Netanyahu ne s'y prendrait pas autrement. Il enchaîne les provocations: construction de 1600 nouveaux logements, inauguration d'une synagogue dans la Vieille ville de Jérusalem...»
Quant à une éventuelle action de la communauté internationale, le chercheur observe qu'«il ne semble pas y avoir de remise en question de la politique israélienne». L'envoyé spécial américain George Mitchell a lui reporté d'ici la fin mars sa visite prévue mardi au Proche-Orient.
Source : Blog Julien Salingue
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