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Palestine -

Fanon en Palestine : La Palestine dans l’optique de Frantz Fanon

Par

Cette étude en 3 parties (4 annoncées mais nous n’avons pu trouver le 4ème) de Nick Rodrigo, associé de recherche au Centre afro-moyen-oriental de Johannesburg, a été publiée en octobre/novembre 2015 sur le site en anglais The New Arab, Al-Araby Al-Jadeed

2ème partie : Du sumud à la capitulation
La semaine dernière, nous avons examiné la vie, l’époque et les écrits de Frantz Fanon, en mettant l’accent sur son concept de reconnaissance. Avec son habileté littéraire et sa maîtrise intellectuelle, Fanon a réussi à sauver Hegel de son moi racialisé et à utiliser son dialogue maître / esclave dans un appareil conceptuel qui explique les pièges de la mentalité néo-colonisée.

Fanon en Palestine : La Palestine dans l’optique de Frantz Fanon

La résistance populaire pendant la Première Intifada.
Ici dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse.

Fanon a affirmé que les populations colonisées avaient tendance à intérioriser les images moqueuses qui leur étaient imposées. Par conséquent, ces images, ainsi que les relations structurelles, en venaient à être reconnues comme naturelles. Le colonialisme de peuplement opère par l'élimination de l'existence des peuples autochtones sur leurs terres. Sans cet élément réductible, le colonialisme de peuplement ne peut pas fonctionner. Le colonialisme de peuplement ne s’intéresse pas à l’exploitation des indigènes, il tente plutôt une totalité en éliminant sa négation, l’existence des peuples autochtones, et en les réduisant à une persona non grata invisible. C'est pourquoi il ne faut pas voir l'impasse israélo-palestinienne sous l'angle d'un événement particulier, mais plutôt comme une structure qui œuvre à l'élimination des Palestiniens autochtones en tant qu'entité.

On peut voir le désir de reconnaissance, selon ses propres termes, de la structure coloniale dominante comme une forme d’erreur de reconnaissance car ce désir renforce la domination de l’oppresseur, cherchant sa légitimité à la source même du dilemme, en faisant apparaître le colonisé comme le rédempteur final : « voilà, j’obligerai l’homme blanc à reconnaître que je suis humain. »

Dans la deuxième partie de cette série d’articles, je retracerai l’évolution socio-historique du Mouvement national palestinien et sa quête de reconnaissance. En distinguant diverses tactiques de reconnaissance, j'expose la source du capital symbolique de l'Intifada présente et le fait que l'échec des dirigeants palestiniens actuels ait représenté davantage d'obstacles aux fondamentaux de la reconnaissance palestinienne.

Sumud

En français, sumud fait référence à la détermination, mais elle peut se manifester sous différentes formes de pratiques et d’idées. Par exemple, de nombreux réfugiés qualifient leur existence de « résistance », ou de manifestation du sumud lorsqu’ils parlent de leur exil forcé après 1948. Repérer le sumud dans le discours de l’OLP aide à montrer comment le changement de stratégie politique de la résistance à la reconnaissance d’Israël a affecté l’ensemble du Mouvement national palestinien. Ce cadre met en évidence la façon dont les Palestiniens ont été impliqués dans la lutte anticoloniale, comment ils ont pu construire une histoire politique palestinienne par le discours, et comment ils furent contraint après avoir reconnu Israël et après avoir recherché la reconnaissance d’un État par Israël et par la communauté internationale.

Sumud : Les années 60 et 70

La nature populaire du mouvement palestinien qui est apparu en 1959 a gagné du terrain après les échecs successifs du panarabisme et l’émergence d’un programme national palestinien distinct, centré sur le concept de lutte armée. La lutte nationale s'articulait autour de l'exil dans la diaspora et de la vie des fedayin dans les camps de réfugiés, représentés comme l'archétype des Palestiniens. Le Fatah a eu recours à l’idée du militant-feda'i comme héros national et culturel pour mobiliser un soutien dans les camps de réfugiés. Là où auparavant il n'y avait pas de lutte palestinienne unifiée et collective, cela représentait une rupture et un changement dans le discours et l'identité palestiniens, profondément démontrés dans les romans de Ghassan Kanafani (1).

Yasser Arafat s'est saisi de ces images. Il les a reprises dans ses discours, notamment dans son discours aux Nations Unies en 1974. Lors de son discours à l'Assemblée générale des Nations Unies, vêtu du costume des fedayin, Arafat a insisté sur le droit à la résistance armée, en plaçant la lutte palestinienne dans le cadre d’une lutte mondiale plus large contre le racisme, l’impérialisme et le colonialisme. Ce discours servit à gagner énormément de légitimité et de reconnaissance pour sa cause. Bien que l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dont le Fatah était la faction dominante, ait finalement été reconnue comme l'unique représentant légitime du peuple palestinien par la communauté internationale, il n'a pas réussi à obtenir de résultats sur le terrain. Ceci, ajouté à l'exil de l'OLP de Jordanie puis du Liban, a créé un sentiment de désillusion dans les territoires palestiniens occupés, entraînant la montée d'un activisme populaire qui a surpris les dirigeants déracinés.

L'Intifada : se défaire de l'occupation

La résistance palestinienne dans les Territoires palestiniens occupés a atteint son zénith au cours de la première Intifada (1987-1993) : confrontations à grande échelle avec l'armée israélienne, manifestations de masse et désobéissance civile telles que grèves et refus de payer des impôts, tentative directe pour extraire les Palestiniens des structures du colonialisme. L'Intifada différait des opérations du Fatah car elle était dirigée par des conseils de communauté et une direction nationale du soulèvement (United National Leadership of the Uprising - UNLU) unifiée avec un contrôle très limité du Fatah et de l'OLP. Le Fatah a finalement dirigé le soulèvement. Cela a abouti à la conférence de paix de Madrid de 1991 qui ouvert la voie au processus d'Oslo et à la mise en place de l'Assemblée nationale palestinienne (ANP) en 1994. Avec l'Intifada et l'influence de l'OLP, il y eut un changement dans le discours : de la libération de la Palestine mandataire à celui de la création d’un État qui marquait la reconnaissance et la diplomatie comme nouvelle stratégie politique.

Reddition

La Conférence de Madrid, qui a été le point de départ du processus de paix, n'a abouti à aucun résultat concret, mis à part la fin de l'Intifada. Cela était dû au refus des Palestiniens de remettre à plus tard certaines questions clés et aux efforts déployés par le Premier ministre israélien, Yitzhak Shamir, pour retarder les négociations. Cette tactique du retard, tout en modifiant les faits sur le terrain grâce au renforcement de l'occupation, a été un thème central de toutes les négociations israélo-palestiniennes dans le cadre du processus de paix. Le processus de Madrid n’a pas pris en compte les questions centrales en matière de réfugiés et de perte de terres sur lesquelles la délégation palestinienne insistait. Ce fut le point de départ pour le début de la fin, constituant le précédent des futures négociations de paix. Oslo servirait à fournir aux institutions le soutien de cet "accord différé", avec la mise en place d'une structure axée sur la construction d'un État sur le modèle souverain juridique international. Cependant, pour la première fois, il y eut un autre récit du Mouvement national palestinien, celui de l'institutionnalisation de l'idéologie et des pratiques sionistes, d'où le report de questions fondamentales.

Institutionnalisation du statu quo

En cherchant à être reconnue, l’OLP devait s’engager dans le langage de la communauté internationale et du pouvoir colonial - Israël - afin de maintenir le statu quo, c’est-à-dire de ne pas remettre en cause la structure coloniale de la violence. Tout au long du processus de paix à Oslo, l'OLP a reconnu de facto deux pratiques et idées sionistes qui caractérisent le discours dans les relations israélo-palestiniennes : nettoyage ethnique et maximisation des terres. Les accords d'Oslo ne font aucune référence à l'exil des Palestiniens en 1948, et cette négation continue de régir les règles de négociation dans les relations israélo-palestiniennes. Bien que les réfugiés aient été mentionnés, aucune responsabilité explicite qui reconnaisse l’exil forcé des Palestiniens, n’était imputée à Israël. Parallèlement au transfert, la maximisation des terres était une stratégie utilisée depuis la création du sionisme. Aujourd’hui, on peut observer des pratiques similaires à Jérusalem et en Cisjordanie – la maximisation constante de terre de la Nakba continue.

Le sacrifice de composants clés de la lutte palestinienne au nom de la reconnaissance, et selon les conditions du colonisateur, a été menée pour réaliser l'idéal eurocentrique hégémonique de l'État. Comme Azmi Bishara l'avait prédit en 1999, si l'ANP déclarait un État palestinien, le problème deviendrait la reconnaissance de cet État alors qu'il y aurait des pourparlers sur les colonies de peuplement et les réfugiés, l'objectif réel et la stratégie politique se tourneraient vers la reconnaissance de cet État. Ainsi, la stratégie interne de l'ANP réduit toute possibilité de confrontation. Les Palestiniens sont obligés de consacrer leur énergie à la reconnaissance et à la survie du pseudo-État. La poursuite de la reconnaissance de cet État a entraîné toute une série d'actions de l'Autorité palestinienne, telles que la coopération sécuritaire avec les Israéliens, l’enracinement dans le système financier international et la bureaucratisation de la gestion de l’occupation. Toutes ces pratiques très néocoloniales seront examinées plus en détail dans la troisième partie de cette série, « L’Économie de capitulation ».

Le passage du sumud à la reddition, qui a caractérisé l’attitude de l’OLP vis-à-vis d’Israël, montre ce que Fanon a appelé « l’épidermisation raciste des opprimés », dans lequel l’ANP est devenue un produit de l’internalisation tel que l’oppresseur pense que cette assemblée doit devenir. En réfutant sa propre histoire et ses propres réalisations, l'ANP a tenté de présenter une nouvelle image des Palestiniens perçus comme des êtres pacifiques et civilisés, et donc dignes de leur propre État. Ainsi, à la suite d'une quête de reconnaissance globale, la lutte et la résistance ont mis l'accent sur la reconnaissance de cette nouvelle image palestinienne plutôt que sur la structure globale du colonialisme de peuplement, qui en avait créé le besoin. Comme l'a découvert Fanon, les colonisés deviennent obsédés par l'attention de l'homme blanc, c'est-à-dire un désir fort de montrer à l’homme blanc qu’il a tort au sujet de l’homme noir.

Fanon a écrit fébrilement que ce sont les masses qui ont « pris le ciel d'assaut » et ont ainsi vaincu leur complexe d'infériorité face à l'oppresseur colonial. Ce qui s’est passé à l’époque de sumud, c’est une direction et des gens qui ont compris les possibilités de transformation d’un processus révolutionnaire qui crée « un homme nouveau ». Fanon n'était pas esclave du nationalisme, mais il comprenait que les particularités de la race et de la nationalité sont indispensables pour mobiliser le peuple. La réduction brutale des prétentions de l'Autorité palestinienne à agir dans l'intérêt national est symbolique de l'effondrement des composantes révolutionnaires du nationalisme palestinien. Dans la partie suivante de cet article, nous examinerons les institutions issues de la capitulation néo-coloniale.

(1) Cf. Ghassan Kanafani, Des hommes dans le soleil, Paris, Sindbab, 1999

Merci à Youssef Girard pour sa relecture experte.



* 1ère partie : Pourquoi Fanon ? Le caractère indispensable de la pensée et l’urgence de l’action, ISM-France, 8 mars 2019.
* 3ème partie : Les institutions de la capitulation, ISM-France, 11 mars 2019.



Source : Middle East Monitor

Traduction : MR pour ISM

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