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Palestine -

Interview de l'écrivain et militant arabe Hisham Bustani

Par

Première publication sur Senza Censura : http://www.senzacensura.org/sc/index.asp le 22 mars 2007.

La question de la Palestine n'est pas du tout compliquée, mais ceux qui refusent de voir la simplicité de la situation, à savoir qu'une entité raciste colonialiste liée à l'impérialisme est bâtie sur la destruction, le meurtre et l'expulsion d'une population entière, font les malins et vous disent combien les choses sont compliquées.

Q : Nous commencerons par la Palestine, qui est une question très compliquée, et les solutions proposées sont nombreuses et quelquefois contradictoires. Comment voyez-vous cette question et sa solution ?

Hisham Bustani : La question de la Palestine n'est pas du tout compliquée, mais ceux qui refusent de voir la simplicité de la situation, à savoir qu'une entité raciste colonialiste liée à l'impérialisme est bâtie sur la destruction, le meurtre et l'expulsion d'une population entière, font les malins et vous disent combien les choses sont compliquées.

Le fait que la division de la Palestine entre sa population arabe et les envahisseurs sionistes soit le fruit d'une résolution des Nations Unies de 1947, soutenue par les deux superpuissances de l'époque, ne rend pas la décision correcte ou légitime. Et le fait que les Européens se soient sentis responsables des actes des nazis et des fascistes contre les Juifs européens ne signifie pas qu'ils avaient le droit de résoudre la question juive et d'apaiser leur conscience au dépens d'une troisième partie : les Arabes.

La lutte pour la Palestine a été sujette à d'énormes distorsion, désinformation et déformation.

En Occident, un grand nombre de gens pensent que le problème a commencé en 1967, lorsque Israël a occupé la Cisjordanie et Gaza, et ils oublient qu'Israël n'était pas là seulement 20 ans avant 1967, et que les racines du projet sioniste dans la région arabe remontent à la création du mouvement sioniste, au 19ème siècle.

Les Occidentaux pensent aussi que la lutte pour la Palestine est un conflit entre "Palestiniens et Israéliens", alors qu'en réalité, c'est une lutte de libération arabe contre l'impérialisme et le sionisme.

Avant la division colonialiste de l'Orient Arabe lors de l'accord Sykes-Picot de 1917 entre les puissances coloniales britanniques et françaises, la Palestine, la Jordanie, le Liban et la Syrie – pays que nous connaissons aujourd'hui – n'existaient pas. C'était un espace commun où les gens vivaient ensemble.
Ces Etats sont tous des fabrications coloniales, créés selon la doctrine du "diviser pour mieux régner".

Les solutions qui recueillent un certain degré de popularité sont la solution à Deux-Etats, ou la solution d'un Etat démocratique unifié. Les deux sont très insuffisantes, ni objectives, ni éthiques.

La solution à Deux-Etats signifie simplement que c'est bien d'occuper une terre, de tuer ou d'expulser son peuple, et ensuite rendre des parties de cette terre à certains de ses habitants d'origine pour créer une sorte d'Etat avec un semblant d'autorité mais tout est complètement contrôlé et surveillé par l'occupant, dont le projet de domination régionale originel est toujours en vigueur !

Le résultat du processus d'Oslo est très clair, et un tel résultat signifie le renforcement de l'entité sioniste raciste colonisatrice illégitime.

D'un autre côté, la solution "d'un Etat démocratique" ne résout pas les contradictions de l'occupant parce qu'elle le transforme en un "citoyen normal".


De plus, cette présentation pose la question d'un point de vue de l'"Etat", et donc elle ne précise pas le fondement de la lutte entre les Arabes et les sionistes. Cette lutte n'est pas géographique, mais plutôt une lutte de libération contre l'hégémonie, c'est la lutte du projet de libération arabe contre le projet impérialiste sioniste.

Une telle lutte ne peut pas être résolue d'un point de vue géographique, elle ne peut l'être que sur une base existentielle.

Elle ne peut pas être résolue du point de vue de l'"Etat", mais seulement d'une perspective de libération nationale, ou même d'une lutte internationaliste pour mettre en échec l'impérialisme.

La solution, d'après moi, émane des faits, et les faits sont simples : Israël est une entité illégitime qui doit être éliminée ; les gens expulsés doivent réintégrer leur statut originel d'avant l'invasion sioniste qui date du début du 20ème siècle.
Cet objectif peut être atteint par une lutte de libération arabe contre l'impérialisme et le sionisme qui unifie les masses arabes soumises à l'oppression et à l'exploitation.

La Palestine serait dissoute dans une entité arabe, comme c'était le cas avant 1917 et toutes les contradictions se dissoudraient avec elle. Cette étape est nécessaire pour atteindre la souveraineté du peuple sur sa terre et ses ressources, la justice sociale et le socialisme.

Il est important que la Gauche européenne, en particulier, reprenne cette question, qu'elle lutte contre la déformation et la désinformation, et qu'elle dessine une approche révolutionnaire de la question de la Palestine qui est le coeur de la ré-invention d'une conscience impérialiste compatible avec ses intérêts.

La Gauche européenne doit comprendre la nature de la lutte, les contradictions qui doivent être abordées et la centralité de la Palestine pour l'impérialisme d'aujourd'hui.
On ne peut pas être à la fois anti-impérialiste et indulgent envers Israël.

Israël est la matérialisation du projet sioniste/impérialiste dans la région arabe ; il doit être combattu et éliminé.


Malheureusement, ceux qui contribuent au principal problème sont les Arabes eux-mêmes (les militants et les organisations). La plupart de ceux qui participent à des conférences en Europe et dans le monde font soit partie des autorités ou sont liés ou financés par des ONGs et, pour des raisons évidentes, ils restent dans les limites des régimes locaux ou dans les priorités de leurs donateurs.

Un autre type de ces participants arabes sont ceux qui présupposent qu'il y a une façon spéciale de parler aux Européens, que notre discours interne ne convient pas aux étrangers, et ils finissent par dire ce qu'ils ou elles pensent que les Européens veulent entendre !

Ces comportements dénaturent complètement la lutte arabe dans les forums internationaux.



Q : Les régimes arabes ont été vaincus par Israël alors que la résistance ne l'est pas. Comment expliquez-vous ceci ?

Hisham Bustani : En général, les régimes officiels arabes, tout au long de leur courte histoire, sont le fruit de l'ère coloniale, les classes dirigeantes arabes sont liées et subordonnées à l'impérialisme et ils en dépendent même en ce qui concerne leur existence politique.

Les régimes arabes ne veulent pas se lancer dans des batailles contre Israël ; au contraire, ils veulent soutenir l'existence d'Israël et promouvoir les projets des Etats-Unis dans la région pour de nombreuses raisons :

1. La conjonction d'intérêts et d'existence à travers le mécanisme du "dominateur et du dominé".

2. L'existence d'Israël est une raison fonctionnelle de l'existence des régimes arabes parce que les régimes sont importants dans la dilution de la contradiction populaire avec Israël, et sont un garant contre l'explosion du peuple qu'il affronte.

3. L'existence anormale et illégitime d'Israël est le reflet de l'anormalité et de l'illégitimité des régimes arabes eux-mêmes, ce qui leur donne donc une sorte de "normalité" et de "légitimité".

4. Israël fonctionne comme barrière contre la réalisation du projet de libération arabe et l'unification des masses arabes exploitées est le reflet du même fonctionnement des régimes arabes, puisqu'ils considèrent les Etats actuels résultant de la division colonialiste comme l'horizon politique ultime.


5. Les régimes arabes n'ont pas de projet arabe, ni de visions au niveau des Etats actuels, et ils font partie du projet américano-sioniste dans la région.
Ces régimes sont les partenaires d'Israël, et c'est la raison pour laquelle ils ne l'ont jamais vaincu.

Les résistances, en Palestine et au Liban, ont prouvé que la société israélienne, qui comprend un large éventail de nationalités, d'ethnies et de races, est une société fabriquée de toutes pièces et fragile qui peut facilement se briser.

Tout ce qu'il faut, c'est une réelle volonté de résister et la société israélienne s'effondrera sous le bombardement des missiles à courte portée et les attentats-suicide.

C'est en particulier pour cette raison qu'Israël et les régimes arabes s'engagent dans des processus de paix sans fin, le but principal étant de protéger Israël et de gagner du temps pour renforcer sa faible structure interne et homogénéiser davantage ses composantes.

A la suite des deux défaites d'Israël par le Hezbollah (en 2000 et en 2006), il est devenu clair que les 50 ans de gestion du dossier israélien par les régimes Arabes a été une série organisée de tromperies destinées seulement à permettre à Israël de gagner du temps pour se renforcer, en interne et en externe.



Q : Qu'ont réalisé les Etats-Unis dans leur "guerre contre le terrorisme" et leur tentative de "faire" un nouveau Moyen-Orient a-t-elle été un succès ?

Hisham Bustani : La guerre contre le "terrorisme" ne vise pas la lutte contre le "terrorisme", même selon la définition américaine du terme.
La guerre contre le "terrorisme" a bien d'autres buts :

1. Contrôler les réserves stratégiques de pétrole et de gaz situées dans le monde arabe et en Asie Centrale, et cela va gêner d'autres économies montantes dans le monde (Europe, Chine et Japon) et les rendre vulnérables à l'escroquerie américaine.

2. Implanter davantage de bases militaires américaines dans des régions "interdites" avant, comme la Péninsule Arabique, l'Europe de l'Est et les anciennes républiques soviétiques, encerclant ainsi le monde entier d'une ceinture de bases militaires, avec une capacité d'intervention militaire n'importe où à travers le monde.

3. En finir avec les dernières poches de résistance militaire concentrées dans la région arabe (Irak, Liban et Palestine), en Amérique Centrale et en Amérique du Sud (Mexique, Colombie, Pérou) et en Asie du Sud Est (Népal, Philippines).


En bref, ce que les Etats-Unis appellent "la guerre contre le terrorisme" est simplement un effort de réorganisation géopolitique du monde sous une seule puissance dominante après la formule internationale précédente (l'équilibre des puissances victorieuses de la Seconde Guerre Mondiale) qui s'est terminée avec la fin de la Guerre Froide.

Par leur guerre contre le "terrorisme", les Etats-Unis pourront réussir à contrôler les réserves d'énergie et à implanter des bases militaires mais ils échoueront à coup sûr à étouffer et "domestiquer" les peuples et à vaincre les mouvements de résistance, ce qui les plongera dans l'insécurité et augmentera leurs dépenses militaires ; les avantages récoltés par le contrôle seront perdus par les coûts élevés du maintien de ce contrôle (Regardez les exemples au Vietnam et maintenant en Irak).

Le "chaos créatif", l'une des réussites frappantes de la guerre américaine contre le "terrorisme", leur reviendra en pleine face comme un boomerang, et les mettra peut-être ko.

Ceci nous mène à la seconde partie de votre question. Le succès américain dans la création d'un "nouveau Moyen Orient" est partiel.

Les Etats-Unis ont réussi plusieurs aspects importants : l'implantation de bases militaires dans l'Orient arabe, le contrôle des réserves de pétrole, la neutralisation des Etats "voyous" par élimination (Saddam Hussein) ou par l'isolement (Bashar el-Asad) et le renvoi des sociétés Arabes à des centaines d'années en arrière par la promotion de structures sociales pré-nationales et pré-étatiques (partisanes, religieuses, ethniques, claniques).

L'échec est visible sur deux questions principales qui engendreront l'échec complet du projet global de Nouveau Moyen Orient :

1. L'incapacité totale d'Israël à s'intégrer dans la région et à devenir l'axe principal économique régional, à cause du rejet des peuples à cette intégration.

2. L'incapacité des Etats-Unis et de leurs alliés à étrangler les résistances dans le monde arabe ; de plus, les résistances irakiennes et libanaises ont fortement frappé les Etats-Unis et Israël, elles ont réussi à freiner leurs projets et à transformer l'Orient Arabe en un bourbier où les américains ne peuvent pas gagner, et qu'ils ne peuvent quitter.

C'est maintenant le moment précis de donner un coup paralysant à l'impérialisme, ici, dans l'Orient Arabe.
C'est un moment historique qui ne se reproduira pas souvent. Les forces révolutionnaires et progressistes de par le monde devraient s'en rendre compte, ainsi que de leur rôle historique dans la matérialisation du succès des résistances.

Cela nécessite une alliance globale de toutes les forces anti-impérialistes, et ce n'est pas facile lorsque vous prenez en compte les tendances pacifistes parmi les partis de Gauche en Europe et aux Etats-Unis.



Q : Dans le monde arabe, le terme "résister à la normalisation" avec Israël a un sens spécial qui n'est pas très connu à l'extérieur. Que pouvez-vous nous en dire ?

Hisham Bustani : La normalisation est un terme diplomatique utilisé lorsque les liens entre deux Etats hostiles reviennent à la normale et qu'un processus de "reconnaissance mutuelle" démarre.
Ce terme a pris un sens plus chargé politiquement immédiatement après la signature de l'accord de "paix" entre l'Egypte et Israël à la fin des années 70.
Le terme a été alors utilisé en référence à "l'acceptation de l'Etat sioniste" par le régime égyptien et aux liens économiques, politiques et culturels qui se sont créés en conséquence.

Refuser la normalisation des relations avec les Sionistes est devenue la position dominante des peuples Arabes, en Egypte et ailleurs.

Ceci s'est intensifié au début des années 90 après la signature des accords de "paix" entre Israël et les autorités jordaniennes, d'un côté, et l'Organisation de Libération de la Palestine, de l'autre, et l'effondrement du boycott officiel arabe d'Israël.

Les masses arabes se sont senties trahies. Résister à la reconnaissance d'Israël comme un "voisin" et une entité normale était la façon de montrer leur engagement dans la lutte historique de libération.

Un mouvement politique a émergé de ce sentiment populaire, appelé "le Mouvement contre la Normalisation".

Le plus grand danger de la normalisation réside dans ses dimensions intellectuelles et philosophiques.
La normalisation signifie accepter ce qui est anormal, injuste et contraire à l'intérêt du peuple comme un fait qui doit être traité par un statut quo acceptable.

La normalisation, c'est promouvoir une narration truquée de l'histoire que les gens sont poussés à croire et à agir en conséquence, et elle vient alimenter d'autres énormes mensonges (ou disons d'autres normalisations) comme "la légitimité internationale", qui représente en fait la volonté politique des puissances impérialistes ; ou le "projet démocratique" des Etats-Unis dans la région, qui est en réalité un projet hégémonique.

Depuis le début, le but est d'intégrer l'entité Sioniste dans le monde arabe comme un Etat normal et de préparer le terrain pour qu'il devienne l'axe de contrôle économique et politique sur son environnement faible et fragmenté.

Pour faire accepter Israël avec ses mensonges et ses projets, il était nécessaire de faire accepter davantage de mensonges préliminaires, au sommet desquels viennent les Etats créés par le colonialisme (les Etats arabes que nous connaissons aujourd'hui) et leurs subdivisions (sectes, religions, clans, ethnies).
L'acceptation de la division coloniale dans le monde Arabe et l'acceptation de l'ordre qui en a résulté comme étant la fin de l'histoire signifient la fin de la lutte de libération arabe et sa mort.

Cela transformera les peuples en structures sociales isolées sans profondeur, chacun cherchant son intérêt individuel sans se soucier de l'intérêt collectif, et signifiera la reconnaissance matérielle de l'entité sioniste et l'intégration organique dans son projet comme seule alternative de survie.

Je dois faire référence à un acte de normalisation important, quoique souvent non pris en compte, qui est tranquillement en train de réussir partout dans le monde, et qui normalise le processus politique en cours en Irak sous le contrôle total de l'occupation américaine.

Ce processus, avec toutes ses composantes (gouvernement, parlement, présidence, élection, etc.) est un processus illégitime et anormal effectué sous le contrôle total et la supervision de l'occupation et sert ses intérêts.

C'est pourquoi, traiter avec le résultat et les représentants de ce processus est un acte direct de normalisation, une falsification de la compréhension et de la conscience, et nuit profondément aux intérêts des Irakiens et à la lutte de libération arabe en général.

Les visites des officiels représentant le processus politique en Irak doivent être refusées parce qu'ils sont les clients de l'occupation et traiter avec eux au niveau officiel ou populaire est un acte de soutien à l'occupation et à ses outils.



Q : Pourquoi les ONG occidentales se concentrent-elles sur le soutien aux "institutions de la société civile" dans le monde arabe, et quelle est votre opinion quant à leur rôle ?

Hisham Bustani : Le terme "institutions de la société civile" est tellement vague. Il me gène parce qu'il a pour but de remplacer le concept des organisations populaires qui sont impliquées de façon militante dans le changement.

De plus, la soi-disant "société civile" n'est pas un ensemble uni, et elle ne représente pas une contradiction, une alternative, ou même un phénomène parallèle aux régimes ; c'est plutôt quelque chose de vague qui indique un certain nombre de formations qui fonctionnent avec des intérêts différents souvent en conflit.

Elles travaillent également à des degrés différents d'indépendance (ou dépendent) des gouvernements locaux ou des puissances impérialistes qui financent de nombreuses organisations correspondant à ce terme.

Il est important d'attirer l'attention sur certaines institutions auto-gérées qui sont enregistrées comme des associations à but non lucratif (ce qui est un gros mensonge parce qu'elles font d'énormes bénéfices !) sont maintenant spécialisées dans ce qui est connu sous le vocable d'ONG d'affaires.

Ces associations sont très importantes dans la gestion des droits de l'homme, de la démocratie, de la liberté de la presse, des droits de la femme, des droits d'enfants et autres, et sont présentées, lors des réunions internationales, comme représentantes "de la société civile", bien qu'elles appartiennent à des individus, qu'elles n'ont aucune Assemblée Générale ou aucune direction élue, et sont principalement financées par des ambassades étrangères !

Les institutions recevant ces fonds se plient aux demandes, aux ordres du jour, et aux injonctions de ceux qui donnent l'argent, et deviennent par la suite leurs instruments sur le terrain.

Si nous savons que les plus importants fournisseurs de fonds dans le monde Arabe sont l'USAID (une agence gouvernementale étasunienne), les Ambassades des Etats-Unis et du Royaume Uni, la Fondation Ford (avec ses liens prouvés avec la CIA), les fondations allemandes liées aux partis politiques traditionnels allemands (Friedrich-Naumann-Stiftung, Friedrich-Ebert-Stiftung, Fondation Conrad Adenaur), nous pouvons facilement en conclure que l'argent versé n'est pas votre don de charité habituel.

Ces institutions jouent des rôles dangereux : elles effectuent des recherches et des enquêtes fournissant d'importantes informations de renseignements, elle favorisent les terminologies qui servent l'hégémonie comme "Moyen-Orient", "légitimité internationale", "non-violence", "résolution de conflit", "solution à deux Etats", "coexistence avec Israël" et ainsi de suite.

Elles s'occupent de questions fragmentées et isolées du contexte général, par exemple : prendre la démocratie sans faire référence à l'occupation, cela détruit le contexte général et le transforme en éléments isolés non pertinents.

En conclusion, plusieurs de ces organisations aident et soutiennent l'occupation sous couvert d'un travail humanitaire.


Laissez-moi développer ce point : Il est bien connu que l'objectif de toute résistance est de maximiser les coûts de l'occupation à un niveau qui dépasse ses bénéfices.
On sait également que la force occupante est totalement responsable de la terre et du peuple qui tombe sous son occupation en ce qui concerne la sécurité, les services, l'administration et autres.

Les ONGs et les soi-disant "organisations de la société civile" participent à l'occupation en appliquant des programmes de santé, d'eau, d'eaux usées et autres, économisant ainsi d'énormes frais et coûts à la force occupante, ce qui entraîne finalement une prolongation de la période d'occupation et constitue une aide énorme aux occupants.

De telles organisations se sont multipliées en Palestine et en Irak avec le consentement des occupants.



Q : Nous finirons avec la question de la Mondialisation ; à votre avis, que représente la mondialisation et quels en sont les effets sur le Monde Arabe ?

Hisham Bustani : Pour commencer, nous devons définir clairement le terme "mondialisation", qui est devenu tellement branché dans le monde arabe que tout le monde en parle en y ajoutant ses définitions et visions personnelles du terme, en lui enlevant ainsi son sens objectif pour refléter un ensemble d'opinions subjectives : la prolifération écrasante de la technologie (en particulier, les technologies de communication et médiatiques comme les téléphones portables, internet et les chaînes de télévision par satellite), ou la nature globale des pensées et des idées, ou la transformation du monde en un "village global" où ses habitants peuvent facilement interagir, finir par se connaître et se parler.

Donner aux mondialisations d'anciennes significations (comme un exemple aux opinions subjectives lancées sur cette question) revient à tenter de prouver que la résistance à la mondialisation est inutile, et à qualifier ceux qui appellent à sa résistance d'attardés et d'êtres hostiles au progrès et au développement.

Les significations subjectives ci-dessus n'ont aucun lien avec la réalité objective de la mondialisation qui est l'une des phases de l'évolution du capitalisme, où les capitaux essayent d'éliminer toutes lois, réglementations et obstacles qui gênent son déplacement d'un endroit à un autre afin de spéculer sur des marchés financiers et d'investissements, et pour maximiser les bénéfices par des "investissements" dans des pays qui fournissent de la main d'oeuvre à bas prix, qui ont des syndicats faibles, n'ont aucune protection juridique pour l'homme et la nature, et où l'infrastructure, l'eau, l'électricité et la terre sont fournies à "des prix avantageux" pour "attirer" ces capitaux.

La mondialisation n'est pas arrivée d'elle-même à un développement "naturel". Elle a été imposée par des pays puissants grâce à des organismes qui prétendent être "internationaux" mais qui, en réalité, représentent les intérêts d'organes puissants tels la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, l'Organisation Mondiale du Commerce et autres.

Ce sont les conditions politiques des plans d'emprunt faits par ces organismes aux pays pauvres qui ont permis la mise en œuvre de la mondialisation, selon le scénario suivant :

Le Nord a colonisé et occupé le Sud, il l'a dépouillé de ses richesses et de ses ressources (et il continue aujourd'hui).
En conséquence, le Sud s'est appauvri, et quand les pays du Sud ont voulu mettre en application des programmes de développement, ils ont eu besoin de prêts énormes, donc les ex-colonisateurs leur ont prêté l'argent qu'ils leur avaient piqué (c.-à-d., ils leur ont prêté leur propre argent !)

Comme les régimes qui ont hérité du pouvoir des colonisateurs dans les pays du Sud étaient corrompus et dans beaucoup de cas, des marionnettes des ex-colonisateurs, les plus grandes parties de ces prêts ont fini dans les poches de ces régimes au pouvoir et des classes qui y sont liées, ce qui a signifié de nouveaux emprunts, etc., jusqu'à ce que les pays du Sud (maintenant appelés Tiers Monde !) soit endettés jusqu'au cou et qu'ils ne soient même plus en mesure de payer les intérêts de ces prêts.

Par ce biais, les pays puissants du Nord sont revenus avec l'excuse "d'aider les pays pauvres à régler leurs énormes dettes" par "une restructuration économique", qui est le terme gentil pour un projet d'hégémonie totale.

"Restructuration" signifie trois choses principales :

1. Retrait des responsabilités de l'Etat dans le secteur social comme la santé, l'éducation et d'autres au profit du secteur privé qui ne s'intéresse qu'au profit.

2. Privatisation des industries, des services et d'autres secteurs de l'Etat qui avaient été à l'origine établis grâce à l'argent du peuple (par les impôts et d'autres formes de contribution et de financement) afin de financer le paiement de certains intérêts d'emprunt, qui étaient, à l'origine, le résultat de la corruption et de l'échec des programmes de développement.

3. Modification de toutes les lois liées à l'économie afin que toutes les réglementations, les obstructions et les protections contre les capitaux extérieurs soient retirées ; et en présentant de nouvelles lois telles que "des lois d'encouragement à l'investissement" qui sont en fait des exonérations d'impôt énormes sur les capitaux et des prix avantageux sur les équipements d'infrastructure et les services ; c'est donc le peuple qui finance les projets d'infrastructure au profit du projet capitaliste qui ne paye aucun impôt, ruine l'environnement et exploite ce même peuple qui a, au départ, financé l'infrastructure des projets.

Comme on aurait pu s'y attendre dans de telles conditions, les industries locales ne peuvent pas concurrencer les entreprises multinationales qui ont des budgets énormes, des capacités et des expériences monumentales soutenues par des armées puissantes et des volontés politiques qui considèrent seulement ce qui est dans leurs intérêts, sans respect de l'éthique ou des droits.

C'est ainsi que les entreprises multinationales règnent sur l'économie des pays pauvres, sans colonialisme direct dans la plupart des cas.

On observe souvent le mécanisme suivant :

Les multinationales s'emparent des industries minières et d'exploration, ainsi que des secteurs de services à fort profit (comme les communications).
Elles font d'importantes économies en utilisant la main d'œuvre non protégée et bon marché du Tiers-Monde, et puis, en exportant et en réexportant, elles vendent les mêmes produits dans ces mêmes pays à des prix très élevés, après avoir éliminé les concurrents locaux par le dumping et en réduisant les prix au-dessous du coût pendant un temps limité, s'emparant ainsi des concurrents, parmi d'autres mécanismes.

De cette façon, une multinationale spécialisée dans le sport qui fabrique ses ballons de football au Pakistan en faisant travailler des enfants payés autour de 1 dollar par jour, réexportera ces mêmes ballons de football au Pakistan et dans le reste du monde en les vendant 24 dollars pièce au même enfant qui a été exploité lors de sa fabrication !

L'ironie, c'est que ces pays puissants qui prêchent la déréglementation, le retrait des protections sur les industries locales, et favorisent le retrait du soutien de l'Etat à l'agriculture, à l'industrie et à d'autres activités économiques sous les slogans de la "clarté", de "l'augmentation de la concurrence", et du "soutien au libre échange", ils soutiennent et mettent en vigueur des politiques de protection économique pour eux-mêmes !


Les exemples bien connus sont : les problèmes entre l'Europe et les Etats-Unis sur la protection de l'industrie sidérurgique américaine, qui rend l'acier de l'Union Européenne non compétitif ; la demande des pays du Nord aux pays du Sud de supprimer toutes les formes de soutien à l'agriculture (principale activité économique du Sud) afin de les submerger de produits agricoles du Nord totalement subventionnés par l'Etat (les gouvernements européens dépensent par exemple deux euros par jour pour chaque vache de l'Union Européenne !).

D'autres exemples :

En France, le gouvernement a pesé "de tout son poids" pour empêcher l'entreprise italienne Enel de s'emparer de l'entreprise française spécialisée dans l'eau et l'électricité, Suez, et l'entreprise d'Etat, Gaz de France.
Le Premier Ministre français, Dominique de Villepin, a déclaré que cette action était importante en raison "de l'importance stratégique de l'énergie pour la France", tandis que l'Italie l'a considérée comme équivalent à "un acte de guerre", alors que le président d'Enel, Fulvio Conti, a vu cette action comme un "nationalisation" de Suez.

En Espagne aussi, le gouvernement a tenté d'empêcher une prise de contrôle d'une entreprise de production d'énergie locale (Endesa) par l'entreprise allemande E.ON Energie. En outre, le gouvernement espagnol a déclaré qu'il ferait jouer son autorité pour empêcher des sociétés étrangères d'acheter les entreprises de production d'énergie espagnoles.

Dans un autre exemple, l'administration américaine a empêché la prise de contrôle par une société de Dubaï sur la gestion d'un port américain.

En conclusion, la mondialisation est un mécanisme destiné à faciliter l'hégémonie des entreprises multinationales capitalistes, et à augmenter leurs bénéfices en arnaquant le monde, en exploitant les peuples et en les transformant en esclaves de la consommation.

La mondialisation n'est pas l'ennemi à abattre, ce n'est qu'un mécanisme, un outil, et il est inutile de combattre un outil ; mais c'est celui qui utilise l'outil qu'il faut combattre, et dans ce cas, c'est l'impérialisme capitaliste.

Par conséquent, je pense que les slogans "anti-mondialisation" ou "lutte contre la Mondialisation" sont trompeurs, parce que comme je l'ai dit, la mondialisation est un outil de l'impérialisme ; la chose à faire, c'est donc de combattre l'impérialisme lui-même, et non ses outils.

Un autre mélange de concepts est fait par ceux qui divisent la mondialisation entre beaucoup de "mondialisations" : mondialisation économique, mondialisation culturelle, mondialisation militaire, etc. Ceci est également une division illusoire pour dire que "tous les aspects de la mondialisation ne sont pas mauvais, seulement certains le sont".

La mondialisation est un phénomène économique, comme je l'ai clarifié ci-dessus, mais pour le soutenir, des outils supplémentaires comme la culture, l'armée et autres sont nécessaires.

Par exemple : pour que l'industrie de la beauté vende des produits d'une valeur de milliards de dollars, elle doit commercialiser une certaine marque de vêtements, une certaine gamme de "valeurs" de beauté, ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, et pour cela, elle mobilise une impressionnante armada de mannequins, chanteurs, acteurs, magazines, vidéo clips, chaînes satellite, créant ainsi sa propre "culture", qui n'est pas en réalité une véritable culture mais une propagande consumériste qui pousse les gens à dépenser leur argent pour le bénéfice de ceux qui ont fabriqué et promu cette propagande, et qui tirent leurs profits de rien !

La même chose peut s'appliquer aux marques alimentaires (McDonalds, Burger King, Coca Cola, Pepsi, etc., toutes créent et font la promotion d'un certain style de vie et d'habitudes pour maximiser leurs ventes et ainsi leurs profits).

Les interventions militaires viennent régler les problèmes lorsque l'intervention politique et économique a échoué. L'exemple de l'Irak est particulièrement parlant, où des entreprises comme Bechtel et Halliburton ont suivi les soldats jusqu'aux puits de pétrole et aux projets d'infrastructure.

Je vais aborder maintenant un autre aspect de la question : l'effet de la mondialisation sur le monde arabe.

• Les régimes au pouvoir sur la patrie Arabe sont similaires à ceux du Tiers-Monde : ils sont la continuation de l'ère coloniale, et intégrés aux intérêts des puissances impérialistes.
A cause de leur subordination politique et économique avec l'impérialisme, ces régimes ne représentent pas les intérêts de leurs peuples, mais plutôt les intérêts des Etats puissants et des entreprises trans-nationales.

Ces intérêts évoluent et changent, ce qui signifie que ces régimes peuvent être influencés et changés lorsque le maintien des intérêts impérialistes nécessite des approches différentes. Ce qui rend ces régimes sujets à de continuelles escroqueries venant de l'extérieur et une crainte continuelle venant de l'intérieur.

Le résultat est une subordination totale à l'extérieur et une poigne sécuritaire ferme en interne. Ceci est le premier effet de la mondialisation (= impérialisme) sur la patrie arabe.

• Le deuxième effet est l'abandon complet et total de programmes de développements locaux indépendants, l'ouverture de marchés locaux, l'élimination de la protection sur les industries et services locaux, en plus de la vente des établissements publics.

Ce qui mène automatiquement à la perte du contrôle de l'Etat sur l'économie et a pour conséquence une augmentation énorme des prix, l'inflation accompagnée d'une stagnation ou même d'une diminution des salaires, le licenciement de nombreux travailleurs et l'absence de réelle possibilité d'emploi résultant de la propagande de l'Etat, "surmonter la culture de la honte", qui pousse les diplômés des universités à devenir les esclaves à 100$/mois des industries sionistes et internationales dans les Zones Industrielles Qualifiées de Jordanie.

• Le troisième effet est que l'Etat a découvert qu'il n'a aucune sources de revenus après la privatisation et la vente du secteur public (l'un des secteurs les plus générateurs de revenus pour un Etat), l'annulation des droits et taxes de douane à cause de l'engagement dans des accords de libre-échange (une autre source de revenus), le retrait des taxes sur les capitaux étrangers pour "attirer" l'investissement (comme troisième source de revenus).

Il ne reste plus qu'une seule source de revenus, ce sont les taxes collectées sur le peuple, et les amendes !

Alors les régimes ont cessé de subventionner les produits de première nécessité, ont introduit une "taxe sur les ventes" et l'ont augmenté de nombreuses fois (actuellement en Jordanie, elle est de 16% sur tous les produits à l'achat), ils sont devenus très stricts sur l'impôt sur le revenu et le secteur gouvernemental tout entier est devenu une machine à collecter l'argent qui ne fournit aucun service.


Donc, sous la mondialisation, l'Etat :

1. devient l'animateur du capitalisme et de son exploitation des travailleurs, du peuple et des ressources en changeant les cadres légaux, en retirant les protections et les contrôles tout en récupérant des commissions sous forme d'aide, d'avantages ou autres.

2. ne fournit aucun service puisqu'il a abandonné ses tâches sociales au secteur privé.

3. collecte l'argent du peuple pour pouvoir mettre en application ces points !

C'est la plus habile supercherie de l'histoire : le peuple finance sa destruction, son exploitation et sa propre transformation en esclaves consuméristes !

Le peuple arabe et les peuples du monde, en général, n'ont aucun intérêt à un tel système. Ce dont ils ont besoin, ce n'est pas de suivre l'impérialisme et sa mondialisation, mais plutôt d'aller vers un développement indépendant et un détachement de la dépendance.

Tous ceux qui prétendent que c'est impossible devraient se référer aux expériences du Venezuela, de la Bolivie et de Cuba qui tiennent toujours face à l'embargo des Etats-Unis qui est peut-être le plus long dans l'histoire.

Ce qui est impossible dans le monde arabe, c'est qu'un tel développement indépendant soit réalisé au niveau d'un Etat individuel et c'est la raison pour laquelle les régimes arabes travaillent dur à promouvoir le modèle des Etats Arabes actuels comme horizon ultime et statut final, ce qui signifie en réalité une dépendance et une subordination éternelles et le maintien des intérêts des classes dirigeantes.

Ce dont nous avons besoin, c'est de jeter à la poubelle "le modèle des Etats arabes" et de revenir à une approche pan-arabe.

En tant que Marxiste, je pense que pour combattre l'impérialisme, le Sionisme et leurs outils dans le monde arabe (les régimes arabes), les peuples exploités doivent s'unir et devenir le moteur de la révolution.

Source : Double Standards

Traduction : MG-MR pour ISM

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