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Cisjordanie -

Jamal Juma’: L'Autorité palestinienne est en train de "tuer la résistance populaire"

Par

Jamal Juma' est interviewé par Ida Audeh, Palestinienne de Cisjordanie qui travaille comme rédactrice technique à Boulder, Colorado. Ses éditoriaux et ses articles ont été publiés par The Daily Camera, The Electronic Intifada, Countercurrents and Counterpunch. On peut la joindre à : idaaudeh@yahoo.com.

Peu de Palestiniens sont aussi étroitement identifiés à la lutte contre le mur d'Israël en Cisjordanie que Jamal Juma'. Coordonnateur de la Campagne populaire contre le mur depuis sa création en 2002, Juma' a souffert de ses activités politiques. Il a été emprisonné fin 2009 et début 2010 et après sa libération, il a travaillé sans relâche contre un projet qui a été déclaré illégal par la Cour internationale de Justice.
Ida Audeh interroge Jamal Juma' sur le déficit de résistance populaire dans les zones de Cisjordanie sous compétence de l'Autorité palestinienne, sur la candidature de l'Etat aux Nations Unies et sur le rôle de la diaspora palestinienne dans la libération nationale.

Jamal Juma’: L'Autorité palestinienne est en train de 'tuer la résistance populaire'

Manifestation contre le mur à Artas, près de Bethléem, le 25 mai 2007 (Photo Musa al-Shaer)
Ida Audeh : Voilà neuf ans qu'a démarré la campagne contre le mur. Quels objectifs aviez-vous fixés ?

Jamal Juma’ : Nous voulions stopper la construction du mur, démolir les sections construites et rendre leurs propriétés aux fermiers qui en étaient propriétaires. D'ailleurs, ces objectifs étaient identiques aux recommandations de la Cour internationale de Justice en 2004. Depuis 2004, nous appelons au boycott d'Israël.

IA : Selon un récent rapport des Nations Unies, intitulé "Barrier Update: Seven years after the Advisory Opinion of the International Court of Justice on the Barrier”, environ 30% du mur n'a pas encore été construit. L'achèvement du mur est-il plus lent que prévu initialement ?

JJ : La résistance populaire a eu un rôle primordial dans le retard de la construction. Lorsque Israël a démarré les travaux sur le mur en 2002, le projet était de le terminer en 2005. A l'époque, le gouvernement parlait d'un mur d'environ 650 à 700 km. La construction a été interrompue dans certains endroits grâce à la résistance des communautés concernées. Des poursuites judiciaires ont été engagées, pendant la durée desquelles toute construction était suspendue. Le délai a ainsi été repoussé de 2005 à 2008. En 2008, ils l'ont reporté à 2011. Et cette année, ils n'ont pas pu non plus le terminer, alors la date limite est 2020. La longueur du mur est maintenant fixée à 810 km de long.

IA : Comment avez-vous exploité l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice ?

JJ : L'avis a été rendu sous l'égide du droit international, et il a eu un impact énorme au niveau mondial sur la question du boycott d'Israël. La décision a fourni une base juridique aux activistes du monde entier qui travaillaient sur le mur, les colonies et Jérusalem, parce que la décision touchait toutes ces questions. Les activistes pouvaient fonder leurs appels au boycott et au démantèlement du mur sur cette décision de la cour.

Il faut noter l'aspect politique officiel. Des pressions ont été faites sur l'Autorité palestinienne et l'Organisation de Libération de la Palestine pour qu'elles laissent la décision dans un tiroir et n'en tirent aucun parti. La décision a donc été gelée et n'a jamais été soumise au Conseil de Sécurité des Nations Unies, jusqu'à ce jour.

Aujourd'hui, plus qu'à aucun autre moment dans le passé, alors que les perspectives politiques sont totalement bouchées, que les négociations, comme on les appelle, aient échoué et que la position états-unienne affiche un soutien total à la colonisation, nous disons que nous devons commencer à lancer des défis. Nous devons mener une bataille globale au niveau juridique international. La première chose que doit faire l'AP et de prendre cette recommandation et la mettre sur la bonne voie pour une mise en application au sein du Conseil de Sécurité et autres forums internationaux.

IA : Que pensez-vous de la campagne dans son effet mobilisateur de la population au niveau local ? Ramallah semble être dans une bulle. Bil'in, Budrus et les autres villages du district de Ramallah semblent devoir affronter le mur seuls.

JJ : En tant que mouvement de résistance populaire, un de nos principaux objectifs est de trouver le moyen d'impliquer les forces nationales pour qu'elles soutiennent de tout leur poids la résistance populaire, d'en faire leur priorité. Tout le monde parle de résistance populaire mais en pratique, personne ne pense à la mise en œuvre.

Une autre raison qui fait que des villages comme Bil'in et Budrus résistent seuls est la suivante : 70% de la population de la Cisjordanie est située en Zone A, sous contrôle de l'AP qui les empêche de se lancer dans la résistance populaire. Au moins 95% des camps de réfugiés sont en Zone A, ainsi que les villes les plus importantes. La position de l'AP est que quiconque veut résister ne doit pas être en Zone A, comme si la Zone A était libérée. C'est un des problèmes les plus mortels qui tue la résistance populaire. Parce que quand vous excluez 70% de votre population, vous ne soutenez pas la résistance populaire. (1)

Donc, les villages en Zone C, qui sont sur le tracé du mur, peuvent agir contre le mur. Mais essayez d'aller [en Zone A] et vous aurez en face de vous les forces de la sécurité palestinienne. Nous devons surmonter cela. Pour avoir un activisme national généralisé, il faut se mettre d'accord sur une stratégie de travail nationale. Je le dis pour chaque pouce de terre occupée, nous avons le droit d'organiser notre résistance.

IA : Pourquoi nos marchés sont-ils toujours approvisionnés en produits israéliens ?

JJ : Depuis longtemps maintenant, nous avons appelé à un boycott total des produits israéliens. Puis l'Autorité palestinienne est arrivée, avec une position de boycott des produits des colonies israéliennes. Ce qui éliminerait du marché un tiers des produits israéliens et s'ils sont complètement éliminés, alors en termes pratiques cela élimine plus de 50% des produits israéliens de nos marchés, parce que beaucoup d'entreprises israéliennes sont dans les colonies. Mais à quoi l'AP est-elle parvenue dans ce domaine ? On sent que la question est morte, comme si l'AP s'était retrouvée, dans une certaine mesure, coincée avec cette question et souhaitait tirer sa révérence. Alors maintenant, ils se taisent sur cette question et essayent de la tuer. Quand ils ont annoncé ce projet au début, le plan était de n'avoir ici aucun produit des colonies israéliennes à la fin de l'année 2010. Mais en fait, il y a maintenant davantage de produits, pas moins. Ramadan approche et la plupart des produits du Ramadan viennent des colonies. C'est ce que disent les gens. Je n'ai pas vraiment vérifié.

IA : Alors comment faites-vous face à cela ?

JJ : Nous avons lancé une campagne populaire de boycott qui a mené des actions dans les villes et les villages. Des groupes vont dans les magasins, les institutions, les zones commerciales et ils parlent aux propriétaires de ne pas acheter de produits israéliens. Nous abordons la question dans les camps d'été et nous avons eu de bons résultats dans les cafétérias des universités. Ça a demandé un effort énorme mais maintenant, beaucoup ne vendent plus du tout de produits israéliens. Nous essayons de faire de même dans les écoles, à travers les messages du matin et autres moyens. Ce n'est pas un problème simple ; il demande beaucoup d'efforts de la part de nombreux groupes qui travaillent ensemble, depuis les syndicats et les comités de femmes jusqu'aux syndicats étudiants.

IA : Le boycott des produits israéliens doit être difficile à promouvoir avec des projets comme Rawabi, le projet de développement immobilier dirigé par l'homme d'affaires palestinien Bashar Masri, qui implique des entreprises israéliennes.

Photo
Le projet d'une nouvelle ville, "Rawabi", qui serait située au nord de Ramallah, sur la route de Naplouse


JJ : La classe moyenne palestinienne est en train de disparaître. Beaucoup de grandes entreprises et quelques individus ont pris le contrôle de l'activité économique. Ces grandes entreprises ont malheureusement une influence politique et des relations avec des acteurs politiques, et elles peuvent faire capoter n'importe quelle action nationale. Quand vous travaillez pour le boycott, vous marchez sur les plates-bandes de mafias locales qui ont une influence politique et qui sont prêtes à vous couler.

IA : En juillet, le chef de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a accueilli le président grec à Ramallah, indifférent semble-t-il au scandale que provoquerait une telle démarche après l'attaque massive du gouvernement grec contre la Flottille de la Liberté II.

JJ : Ce fut une décision vraiment terrible. La direction palestinienne n'a pas le droit de se comporter de cette manière. Ce faisant, elle insulte son propre peuple. La grande question aux dirigeants palestiniens, est "pendant combien de temps encore allez-vous miser sur les Américains ?" Nous avons besoin d'une évaluation réelle du passé et un accord sur une nouvelle stratégie. Je ne pense pas que la situation politique actuelle, la configuration politique actuelle et les forces nationales soient capables de le faire. Pour cette raison, nous avons besoin d'une pression nationale et internationale, et de la pression de la part de nos amis, pour développer de nouvelles stratégies de soutien et de réactivation de la résistance populaire dans toute la Cisjordanie , pas seulement en Zone C ou dans les secteurs proches du mur, et de nous organiser et d'avoir une direction unifiée. Il faut que nous activions la solidarité internationale et le droit international dans deux secteurs : obtenir de la direction palestinienne qu'elle soutienne pleinement et explicitement le mouvement international de boycott et qu'elle exige que le monde impose un boycott et des sanctions sur Israël. La résolution sur le mur doit être portée aux Nations Unies et au Conseil de Sécurité une fois de plus. La résolution Goldstone [sur les crimes de guerre d'Israël à Gaza] doit être mise en application. Il y a des dizaines de résolutions, dont la Résolution 181 et la résolution sur le droit au retour. Toutes ces résolutions doivent être portées aux Nations Unies.

IA : L'Autorité palestinienne a prévu d'aller aux Nations Unies en septembre pour demander la reconnaissance d'un Etat palestinien. Etes-vous d'accord avec cette approche ?

JJ : Nous en avons discuté avec les forces nationales, les forces et les institutions de gauche et démocratiques, et avec les organisations palestiniennes de la société civile et des droits de l'homme. Nous avons rédigé un document qui développe nos positions. Nous voulions avoir une perspective juridique sur ce que dit le droit international sur le fait d'aller à l'ONU. Nous avons conclu que nous devrions en fait aller à l'ONU, mais pas pour établir un Etat dans les frontières de 1967. Nous devrions exiger que l'adhésion de l'OLP soit élevée au statut d'Etat. La démarche [d'aller à l'ONU] n'a d'incidence ni sur le droit au retour [des réfugiés palestiniens] ni sur les droits palestiniens ni sur l'OLP.

Nous allons suivre ces questions et organiser des réunions dans tous les districts. Nous essayons de dégager une position que nous pourrons soumettre à la discussion publique et informer la population de ce qui se passe, parce que personne ne dit au peuple ce qui se passe. Les gens ne savent pas ce que veut l'AP.

IA : Quel rôle aimeriez-vous voir les Palestiniens jouer en Occident ?

JJ : Nous voulons que les Palestiniens à l'étranger agissent non pas par loyauté envers le Fatah ou le Hamas, mais plutôt par loyauté à la cause et à ce qui la sert. Sinon, la première chose qui est menacé, c'est le droit au retour. C'est cette question qui est visée. Les Palestiniens à l'étranger doivent en être conscients et s'organiser, sinon il sera sacrifié.

Nous sommes dans une phase très dangereuse. Nous sommes dans une impasse. Il doit y avoir un véritable réveil palestinien. Les Palestiniens en diaspora doivent réajuster leurs actions et faire pencher la balance. Ils représentent 70% du peuple palestinien, et ce sont eux qui doivent s'exprimer. Ceux d'ici [en Cisjordanie et à Gaza] sont les otages de l'occupation et des Américains. Ceux de l'étranger peuvent coordonner leurs revendications et travailler avec tous les activistes. L'énorme activité déployée par le lobby sioniste et son chantage sur les organisations internationales exigent un contre-pouvoir puissant, un travail concerté. Pour faire face aux défis, nous devons nous organiser et savoir ce que nous voulons.


1. Suite aux accords d'Oslo de 1993, la Cisjordanie est divisée en Zones A, B et C. L'Autorité palestinienne a une autonomie limitée en Zone A ; la Zone B est sous contrôle commun israélien et palestinien et la Zone C, qui couvre 60% de la Cisjordanie , est contrôlée par l'Administration civile israélienne.

Photo
Jamal Juma'a


Source : Electronic Initifada

Traduction : MR pour ISM

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