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Palestine -

L’avenir de la Nakba

Par

Article publié en anglais sur The Electronic Intifada le 13 mai 2018. Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d'histoire intellectuelle à l'université de Columbia. Son ouvrage le plus récent est ‘Islam in Liberalism’ (University of Chicago Press, 2015).

La conquête sioniste de la Palestine, qui a débuté de façon hasardeuse au début des années 1880 et s’est intensifiée au tournant du siècle pour atteindre son apogée avec l'invasion et l'occupation britanniques du pays avant la fin de la Première Guerre mondiale, fut le moment inaugural de ce qui allait être connu comme la Nakba - la Catastrophe.
Alors que le terme "Nakba" était utilisé par l'intellectuel syrien Constantin Zureik pour décrire ce qui arrivait aux Palestiniens en août 1948 (quand il écrivait et publiait son ouvrage ma'na al-Nakba), d'autres utilisaient des mots comme karitha (désastre), comme le fit l'officier militaire jordanien et gouverneur de Jérusalem-Est, Abdullah al-Tall, dans son livre de 1959 karithat filastin, ou ma'saa (tragédie), comme l'a fait l'intellectuel nationaliste palestinien Muhammad Izzat Darwaza dans son livre de 1959 ma'sat filastin.

L’avenir de la Nakba

Vendredi 16 mars 2018, entrée nord d’al-Bireh (Ramallah) – La résistance des Palestiniens à la Nakba actuelle et future persiste malgré tous les efforts d’Israël pour l’écraser.
"Nakba" est cependant devenu le référent le plus approprié et le plus utilisé pour décrire les difficultés endurées par les Palestiniens. Dans son importante historiographie multi-volumes des événements de 1947-1952, publiée pour la première fois en 1956, Arif al-Arif, journaliste anticolonialiste palestinien et plus tard maire de Jérusalem-Est, tint à utiliser ce terme comme titre.

Al-Arif commence par se demander : « Comment pourrais-je l'appeler autrement que Nakba ? Car nous avons subi une catastrophe, nous, les Arabes en général, et les Palestiniens en particulier (...) on nous a volé notre patrie et nous avons été expulsés de nos maisons, et nous avons perdu un grand nombre de nos enfants et de nos proches et en plus de tout cela, notre dignité a été touchée au cœur. »

Si les caractéristiques les plus saillantes de la Nakba sont le vol de terres palestiniennes et l'expulsion des Palestiniens de leurs terres, et le fait de soumettre les terres qui ne pouvaient pas être volées et les personnes qui ne pouvaient pas être expulsées à un contrôle et à une oppression systématiques, comme je l’ai argumenté il y a dix ans , il serait très erroné de considérer la Nakba comme un événement ponctuel qui fait référence à la guerre de 1948 et à ses conséquences immédiates. Au contraire, il doit être historicisé comme un processus qui a traversé les 140 dernières années, en commençant par l'arrivée des premiers conquérants sionistes pour coloniser la terre au début des années 1880.

En outre, les dirigeants israéliens continuent d’abreuver leur propre peuple et le monde en les assurant que la Nakba n'est pas seulement un processus passé et présent de dépossession du peuple palestinien et de son expulsion de ses terres, mais qu'il doit continuer à préserver la survie future d'Israël. La Nakba s'avère alors être non seulement un événement passé et un processus qui continue dans le présent, mais une calamité dont l’avenir est assurément planifié. Si tel est le cas, quel pourrait être cet avenir ?

Le colonialisme sioniste de peuplement, qui s'est débarrassé de son sponsor colonial britannique en 1948 et a établi l'Etat colonial de peuplement, n'a jamais cessé de s'inquiéter du possible renversement futur de la Nakba. Si les hommes politiques et les intellectuels « pragmatiques » libéraux et néolibéraux arabes et palestiniens des trois dernières décennies ont entendu la propagande sioniste et impérialiste selon laquelle Israël est là pour rester et que la Nakba palestinienne est un événement historique qui ne pourra jamais être inversé, on ne peut pas en dire autant des dirigeants des colons juifs.

En effet, les dirigeants et les hommes politiques israéliens trament chaque jour des plans visant à empêcher le renversement de la Nakba. Les célébrations en cours du 70e anniversaire du déferlement de cette calamité sur le peuple palestinien sont entachées de ces inquiétudes et préoccupations.

Peur du renversement

En prévision de cet anniversaire, nul autre que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a ouvertement exprimé ses craintes et ses espoirs. Au cours d'une session ordinaire d'étude biblique à la résidence du Premier ministre à Jérusalem-Ouest en octobre dernier, Netanyahu a averti, comme Haaretzl’a rapporté : « Israël doit se préparer à faire face aux menaces existentielles futures s'il veut célébrer son centenaire dans trois décennies. » Netanyahu, selon le journal, a ajouté que « le royaume hasmonéen n'a survécu que pendant environ 80 ans, » et qu'il « travaille pour s'assurer que l'Israël moderne dépasse cette durée et atteigne son 100ème anniversaire. »

Le contexte de l'étude biblique est très révélateur, car ce n'est pas seulement une caractéristique du leadership de plus en plus religieux de la colonie de peuplement, mais plutôt un rituel initié par son premier ministre fondateur laïque et athée David Ben Gourion, qui a inauguré la tradition des cours d'étude de la Bible à la résidence du Premier ministre. Netanyahou l'a simplement repris il y a plus de quatre ans. Si Ben Gourion et les premiers dirigeants juifs sionistes laïques, en opposition aux sionistes chrétiens protestants, mais très largement comme les sionistes chrétiens, considéraient la Bible comme un livre d'histoire et de géographie qui inspire la colonisation, Netanyahou et les leaders religieux juifs de la colonie la voient aujourd'hui comme un précepte religieux pour la colonisation.

Alors que la menace que craignent les dirigeants d'Israël est un futur renversement de la Nakba, les stratèges de la colonie de peuplement planifient activement sa rémanence future. Le bien nommé "Contrat du Siècle" du président américain Donald Trump n'est que le dernier numéro de relations publiques dans cette direction. Car l'accord actuel du siècle n’est rien d'autre que l’accord d’Oslo du début des années 1990 (même si la nouvelle version est pire que la précédente), qui garantissait à Israël l'avenir de la colonie de peuplement et l'éternité de la Nakba palestinienne.

Les plans d'Israël sont multiformes. Ils incluent l'effacement complet de la Nakba de la mémoire publique, l'élimination de ses témoins qui ont survécu en les expulsant et en en faisant des réfugiés hors de leur patrie, tout en extirpant simultanément de ces survivants de la Nakba qu'il n’a pu ni ne peut éliminer la reconnaissance qu'Israël et le sionisme ont le droit de perpétrer la Nakba et que les Palestiniens sont responsables de tout ce qui leur est arrivé.

Netanyahu est très concerné par cette dernière question. Il a déclaré lors de la même étude biblique que les conditions qui garantiraient l'avenir d'Israël et de la Nakba doivent être remplies : « Quiconque parle d'un processus de paix doit tout d'abord parler du fait que [les Palestiniens] doivent reconnaître Israël, l'Etat du peuple juif. »

La volonté d’expulser

Un regard sur la stratégie sioniste consistant à imposer la Nakba du passé et du présent nous fournit des indices sur la stratégie actuelle d'Israël pour l’avenir, au moins jusqu'à ce que la colonie de peuplement atteigne l'âge de 100 ans.

Ce fut la modernisation ottomane, qui incluait en 1858 une nouvelle loi destinée à transformer les terres publiques et communales en propriétés privées à travers le sultanat, qui a représenté le début de la perte des terres des Palestiniens et de leur expulsion par la force de loi. Lorsque les paysans palestiniens, suite à la privatisation des terres, ont été incapables d'enregistrer leurs terres en leurs noms propres par crainte de l'impôt impérial, ces terres ont été vendues aux enchères dans les dix ans aux marchands urbains de Beyrouth, Jérusalem et autres villes.

Cette transformation a permis aux colons sionistes européens de descendre en Palestine. La première vague est arrivée en 1868. Les colons étaient des protestants allemands millénaristes appelés Templiers, qui ont décidé d'installer plusieurs colonies dans le pays pour accélérer la seconde venue du Christ.

Pendant ce temps, les propriétaires arabes absents vendaient des terres à des philanthropes juifs, comme le Baron Edmond de Rothschild, qui les fournissaient à une nouvelle génération de Juifs russes colonisateurs qui se faisaient appeler les Amants de Sion, afin d'établir leurs colonies.

Les colons chrétiens allemands ont apporté leur propre expertise aux nouveaux colons juifs, puisqu'ils avaient déjà acquis une expérience coloniale d'une décennie et demie. Alors que le sort des colons allemands était scellé par la Seconde Guerre mondiale, quand leurs terres furent reprises par les sionistes juifs et leur population expulsée par les Britanniques et plus tard les Israéliens, l'avenir des colons juifs sionistes fut beaucoup plus prometteur.

Les Allemands semblaient avoir des relations relativement cordiales avec les Palestiniens autochtones, mais pas les colons juifs, qui insistaient pour expulser tous les villageois palestiniens des terres qu'ils avaient achetées. Certains des chefs des colons juifs chargés de l'expulsion avaient mauvaise conscience.

L'agronome et colon polonais Chaim Kalvarisky, dirigeant de la Jewish Colonization Association, l'une des branches du mouvement sioniste, a rapporté en 1920 que, en tant que personne ayant dépossédé les Palestiniens pendant 25 ans, c'est-à-dire depuis les années 1890, « la question des Arabes m’est d’abord apparue dans toute sa gravité immédiatement après le premier achat de terres que je fis ici. Je devais déposséder les habitants arabes de leurs terres dans le but d’installer nos frères. »

Kalvarisky se plaignait que le « chant funèbre » de ceux qu'il expulsait de leurs terres « n'ait cessé de retentir dans mes oreilles longtemps par la suite. » Pourtant, il a dit à l'Assemblée provisoire sioniste qu'il n'avait pas d'autre choix que de les expulser parce que « le public juif l'exigeait. »

Bien que ces expulsions, qui ont suivi l'acquisition sioniste de la terre, aient été légales en vertu de la loi ottomane, l'occupation britannique a mis en place un nouveau régime légal d'expulsion peu après sa conquête.

L'un des premiers et des plus importants instruments britanniques pour dénationaliser et expulser efficacement des dizaines de milliers de Palestiniens fut l'Ordonnance de citoyenneté palestinien de 1925 que les Britanniques ont imposé au pays. À la lumière du Traité de Lausanne de 1923 qui énonce les conditions de la période post-Première Guerre mondiale dans les anciens territoires ottomans, l'article 2 de l'Ordonnance sur la citoyenneté palestinienne donne à des milliers d'expatriés palestiniens un ultimatum de deux ans pour demander la citoyenneté palestinienne, qui a été réduit par le haut commissaire britannique en Palestine à seulement neuf mois.

Comme l'affirme l’historien juridique palestinien Mutaz Qafisheh, cette période de neuf mois « était insuffisante pour que les indigènes qui travaillaient ou étudiaient à l'étranger rentrent chez eux. Par conséquent, la plupart d’entre eux sont devenus apatrides. D'une part, ils avaient perdu leur nationalité turque [ottomane] en vertu du Traité de Lausanne, d'autre part, ils ne pouvaient acquérir la nationalité palestinienne selon l'Ordonnance sur la citoyenneté. » Une estimation prudente de leur nombre le situe à 40.000.

Les débats que les sionistes ont eu depuis les années 1890 sur ce qu'ils appellent le « transfert » des Palestiniens sont riches en détails et reflètent un consensus entre les sionistes travaillistes majoritaires et les révisionnistes minoritaires, qui se séparèrent pour former leur propre groupe plus tard, mais leur conclusion était incontournable.

Les Palestiniens doivent être expulsés et leurs terres prises de force, mais pour ce faire, les sionistes doivent d'abord acquérir la souveraineté. C'était déjà le projet dans le livre de 1896 de Théodore Herzl, L'État des Juifs : « Une infiltration [des Juifs] est vouée à mal finir. Elle continue jusqu'au moment inévitable où la population indigène se sent menacée, et force le gouvernement à arrêter l'afflux de Juifs. L'immigration est donc stérile à moins que nous ayons le droit souverain de la poursuivre.»

Les dirigeants sionistes en convinrent. Le leader révisionniste Vladimir Jabotinsky était très clair sur ce point, alors que le prudent David Ben Gourion, convaincu de l'importance de la propagande, était plus vigilant sur la façon d'articuler le plan jusqu'à ce que l'expulsion devienne la politique officielle de la puissance souveraine.

Le rapport de la Commission Peel publié en 1937 par le gouvernement britannique pour mettre fin à la grande révolte des Palestiniens de 1936-39 lors de leur ré-invasion de la Palestine rendit alors service aux conquérants britanniques. Ce rapport était la première proposition britannique officielle de voler la terre palestinienne et d'expulser des centaines de milliers de Palestiniens.

Ebauche d’un « transfert »

Le rapport prônait la partition du pays entre les colons juifs européens et les Palestiniens indigènes et proposait que pour réaliser la partition, il était nécessaire de voler les terres des Palestiniens et de les expulser. Le rapport citait comme précédent les « échanges » de populations grecques et turques de 1923.

L'« échange » proposé en Palestine impliquait l'expulsion de 225.000 Palestiniens de l'Etat juif proposé et de 1.250 colons juifs de l'Etat palestinien proposé.

De plus, à une époque où les Juifs ne contrôlaient que 5,6% de la terre en Palestine (achetée ou conquise par les conquérants britanniques), principalement concentrée dans la plaine côtière, la Commission Peel proposa de créer un Etat juif sur le tiers du pays, y compris la Galilée appartenant et peuplée entièrement d’Arabes. Cela aurait nécessité la confiscation de tous les biens appartenant à des Palestiniens dans ces zones.

C'est après cette approbation officielle britannique de l'expulsion massive et de la confiscation que Ben Gourion a confié à son journal : « Le transfert obligatoire des Arabes des vallées de l'Etat juif proposé pourrait nous donner quelque chose que nous n'avons jamais eu, même quand nous y étions nous-mêmes à l’époque des premier et deuxième temples : [une Galilée presque exempte de non-Juifs]. (...) On nous offre une opportunité dont nous n'avons jamais osé rêver dans nos rêves les plus fous. C'est plus qu'un Etat, un gouvernement et une souveraineté - c'est une consolidation nationale dans une patrie libre. »

Après la publication du rapport, le gouvernement britannique a déclaré son accord avec ses conclusions et a cherché à obtenir l'aval de la Société des Nations pour partager le pays. Cependant, les Britanniques ont finalement dû rejeter le plan Peel car il aurait entraîné une expulsion forcée massive des Palestiniens, en violation, entre autres, des règlementations de la Société des Nations.

Les sionistes, cependant, ont correctement vu le rapport de la Commission Peel comme une autorisation à être plus ouverts au sujet de leurs plans de vol de terres et d'expulsion. En accord avec l'appel précédent de Jabotinsky à une expulsion massive, Ben Gourion déclara en juin 1938 : « >Je soutiens le transfert obligatoire. Je n’y vois rien d’immoral. » Sa déclaration faisait suite à la politique adoptée par l'Agence juive - le principal organe sioniste chargé de faire avancer la colonisation juive de la Palestine - qui créa son premier « Comité de transfert de population » en novembre 1937 pour élaborer la stratégie de l'expulsion forcée des Palestiniens.

Un membre clé du comité était Joseph Weitz, directeur du Service des Terres de l'Agence juive. Ce n'était pas une coïncidence. Comme la colonisation et l'expulsion font partie de la même politique, les points de vue et le rôle de Weitz étaient au centre des deux. Weitz les a exprimés par la formule célèbre : « Entre nous il doit être clair qu'il n'y a aucune place pour deux peuples dans ce pays. Aucun ‘développement’ ne nous rapprochera de notre objectif d'être un peuple indépendant dans ce petit pays. Après le transfert des Arabes, le pays nous sera grand ouvert ; si les Arabes restent le pays restera étroit et restreint. (...) Le seul moyen est de transférer les Arabes d'ici vers les pays voisins, tous sauf peut-être Bethléem, Nazareth et la vieille Jérusalem. Il ne doit pas rester un seul village ou une seule tribu. »

Comme l'a raconté l'historien palestinien Nur Masalha, l'Agence juive a établi un deuxième comité de transfert de population en 1941, et encore un troisième pendant la conquête sioniste de la Palestine en mai 1948.

Tandis que la révolution palestinienne en cours interrompait le plan britannique et que le début de la Deuxième Guerre mondiale signifiait que les Britanniques ne pouvaient pas faire face à plus de soulèvements en Palestine, l'expulsion des Palestiniens dut attendre la fin de la guerre.

Partition mais pas expulsion

Une nouvelle proposition émana du plan de partition des Nations Unies de 1947. Si la Commission Peel voulait que les terres privées et publiques soient volées et que les populations soient expulsées, le plan de partition des Nations Unies ne proposait que de diviser les terres d'État entre les colons juifs et les indigènes palestiniens, donnant ainsi aux colons qui constituaient alors moins d'un tiers de la population plus de la moitié de la terre.

Mais contrairement à la Commission Peel, le plan des Nations Unies interdisait explicitement la confiscation des terres privées et l'expulsion des populations. Les sionistes ont accepté la partition de l'ONU, sauf qu'ils ont violé tous ses préceptes et l'ont traitée comme s'il s'agissait du plan de la Commission Peel, mais maintenant ratifié par l'ONU.

Le plan de partage des Nations Unies est en fait une proposition non contraignante qui n'a jamais été ratifiée ni adoptée par le Conseil de Sécurité et n'a donc jamais acquis de statut juridique.

Néanmoins, il est important d’examiner ce que le plan entendait par "Etat juif" et "Etat arabe" du fait qu'Israël utilise ce document comme autorisant son établissement et ses revendications que les Palestiniens et le monde reconnaissent son droit à être "l'Etat juif" plutôt qu'un Etat israélien pour tous ses citoyens.

Le plan stipule clairement que « aucune discrimination ne doit être faite entre les habitants pour des raisons de race, de religion, de langue ou de sexe » et que « aucune expropriation de terres appartenant à un Arabe dans l'Etat juif (par un juif dans l'État arabe) (...) n’est autorisée sauf à des fins d’intérêt public. Dans tous les cas d'expropriation, la compensation intégrale fixée par la Cour suprême sera payée avant la dépossession. »

Lorsque la "Déclaration de la création de l'Etat d'Israël" a été publiée le 14 mai 1948, les forces sionistes avaient déjà expulsé environ 440.000 Palestiniens de leurs terres et en expulseraient 360.000 autres dans les mois suivants.

Il en résulte clairement que la revendication d'Israël d'établir un État à majorité démographique juive créée par le nettoyage ethnique n'était pas préconisée par le Plan de Partage des Nations Unies, mais était plutôt autorisée par les recommandations du Rapport de la Commission Peel.

La définition d'Israël comme Etat juif n'était pas non plus conforme au Plan de Partage des Nations Unies, dans le sens d'un Etat qui privilégie racialement et religieusement les citoyens juifs par rapport aux citoyens non juifs légalement et institutionnellement, comme Israël le fait.

Le Plan de Partage de l'ONU sur lequel Israël fonde son établissement envisageait initialement un Etat juif avec une majorité arabe (qu'il a ensuite modifié légèrement pour inclure une population arabe de 45%). Le plan n'a donc jamais envisagé un État juif sans Arabes, ou Araberrein, comme l'État israélien l'avait espéré et comme beaucoup de Juifs israéliens l’envisagent aujourd'hui.

En effet, alors que la Palestine était divisée en 16 districts, 9 d’entre eux étaient situés dans l'Etat juif proposé, les Arabes palestiniens étaient majoritaires dans 8 des 9 districts.

Nulle part le terme « Etat juif » utilisé dans le Plan de Partage des Nations Unies n’autorise le nettoyage ethnique ou la colonisation d'un groupe ethnique des terres privées confisquées à un autre, d'autant plus que le plan envisageait les Arabes dans l'État juif comme une large « minorité » perpétuelle et stipulait ainsi les droits qui devaient être accordés aux minorités dans chaque Etat.

Cette situation démographique n'aurait pas été un problème pour l'Etat arabe, car le plan de l'ONU prévoyait que l'Etat arabe ne compterait plus que 1,36% de population juive.

Le mouvement sioniste a compris les contradictions du Plan de Partition et sur la base de cette compréhension, il a conçu l’expulsion de la majorité de la population arabe de l'Etat juif projeté, conformément aux recommandations de la Commission Peel. Mais les sionistes furent dans l’impossibilité de rendre l'Etat Araberrein, ce qui a compliqué les choses pour eux au fil du temps.

Aujourd'hui, environ un cinquième de la population d'Israël sont des Arabes palestiniens qui se voient interdire l'inclusion dans le nationalisme juif et souffrent d'une discrimination légale institutionnalisée à leur encontre en tant que non-Juifs.

Les sionistes, y compris l'éminent historien israélien Benny Morris, ont soutenu que c'est la présence même des Arabes dans l'Etat juif qui le pousse à enchâsser son racisme dans toutes ces lois. Sinon, si Israël avait réussi à expulser tous les Palestiniens, la seule loi dont il aurait eu besoin pour préserver son statut juif serait une loi sur l'immigration qui le stipule. (Voir mon débat avec Morris dans History Workshop Journal et dans mon livre Persistance de la question palestinienne.)

Contrairement au Plan de Partage des Nations Unies, pour Israël, le sens d'un "Etat juif" est l'expulsion d'une majorité de la population arabe, le refus de les rapatrier, la confiscation de leurs terres pour la colonisation exclusive des Juifs et la promulgation de dizaines de lois discriminatoires contre ceux qui sont restés dans le pays.

Losqu’il insiste aujourd'hui sur le fait que l'Autorité palestinienne et les autres Etats arabes reconnaissent son droit à être un Etat juif, Israël ne veut pas dire qu’ils doivent reconnaître sa judéité comme l'envisageait le Plan de Partage des Nations Unies, mais plutôt la façon dont Israël comprend cette définition sur le terrain.

Le plan sioniste pour engendrer la Nakba est resté immuable depuis la recommandation de Herzl. Si le rapport de la Commission Peel fut le premier appui gouvernemental occidental à ce plan, le Plan de partage des Nations Unies était en retrait. A la lumière de cela, la Nakba infligée aux Palestiniens sera exécutée en trois phases principales, l'une précédant le plan de l'ONU et deux après l'échec de l'ONU à le mettre en œuvre.

Phase I (1880-1947)

Les sionistes ont favorisé une alliance avec le gouvernement souverain (les Ottomans et les Britanniques), ont acheté des terres ou ont obtenu des terres d'Etat grâce à des subventions du gouvernement souverain, ont expulsé les Palestiniens des terres acquises légalement et ont commencé à construire une structure étatique discriminatoire et une économie racialiste qui a empêché l'entrée des indigènes, en préparation à la prise du reste de la terre par la force et à l'expulsion obligatoire de la population.
Sur le front des relations publiques, les Palestiniens expulsés furent représentés comme des perdants mécontents dont l'expulsion, légale et morale, n’était même pas à déplorer (malgré les réserves de Kalvarisky).

Phase II (1947-1993)

Il s’est agi de conquérir la terre et d'expulser de force de la population, cette fois illégalement - en 1947-1950 dans les zones où l'Etat israélien a été déclaré en 1948, et en 1967-1968 la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées, ainsi que les hauteurs du Golan en Syrie et la péninsule du Sinaï en Égypte. Israël a promulguer des lois qui légitiment la confiscation de la terre et empêchent le retour des réfugiés expulsés et a institué un système de gouvernement démocratique racialisé qui prive les indigènes restants d’égalité et limite leur accès à la terre et à la résidence dans le pays.

Il a coopté et/ou créé une classe de collaborateurs et les a nommés comme dirigeants des Palestiniens (les mukhtars dans les zones de 1948, et les ligues de village dans les régions de 1967) tout en délégitimant les réfugiés survivants en les présentant comme victimes de leurs propres erreurs, en affirmant qu'ils étaient partis de leur plein gré et qu'ils n’avaient pas été expulsés par les sionistes.

Cette stratégie à multiples facettes a été appliquée de manière efficace même si de manière différente en Israël et dans les territoires occupés de 1967, à l'exception de la création d'une direction collaborationniste qui, malgré de sérieuses tentatives, n'a été que partiellement et temporairement couronnée de succès.

Phase III (1993-2018)

L'expulsion massive illégale est devenue impossible pendant cette période bien que l'expulsion individuelle légale ait continué. Cependant, des confiscations de terres massives sous couvert de la loi ont continué sans entraves.

Un changement crucial est également observable, notamment en ce qui concerne la cooptation de la direction palestinienne. Plutôt que de créer un leadership alternatif pour remplacer le leadership palestinien anticolonial, une initiative qui a finalement échoué, l'objectif israélien a consisté à coopter le leadership national historique légitime (l'Organisation de Libération de la Palestine) lui-même et à le transformer en une équipe de collaborateurs et d’exécuteurs du colonialisme sioniste sous la forme de l'Autorité palestinienne.

Israël a également cherché à obtenir la reconnaissance officielle de la part des dirigeants collaborateurs que le colonialisme sioniste de peuplement était et est légitime et que l'expulsion des Palestiniens et le vol de leurs terres jusqu'à maintenant étaient légitimes. C’est ce qu’ont réalisé avec les accords d'Oslo et les nombreux accords que l'AP et Israël ont signés depuis.

Sur la base des stratégies employées au cours de ces trois phases, nous pouvons extrapoler le plan pour les 30 prochaines années afin qu'Israël atteigne 100 ans, rende la Nakba éternelle et totalement irréversible.

La phase future

La phase future est déjà en cours et requiert un effort plus sérieux pour éliminer complètement les deux tiers du peuple palestinien et son droit à la terre.

Ceci a été partiellement réalisé pendant la Phase III, en éliminant l'OLP en tant qu'organisation viable représentant tous les Palestiniens, et en créant l'AP qui ne représente nominalement que ceux de la Cisjordanie (moins Jérusalem) et de Gaza.

Israël a déjà relégué la question des réfugiés palestiniens dans des soi-disant pourparlers sur le statut final qui ne viendront jamais et espère maintenant éliminer formellement leur droit de retour garanti par l'ONU en particulier et les réfugiés en tant que catégorie de manière plus générale.
Les efforts actuels du gouvernement américain et d'Israël pour détruire l’UNRWA, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, visent à accélérer ce processus une fois pour toutes.

Dans la phase future - déjà en cours - Israël insistera également pour éliminer complètement les prétentions nationalistes de l'Autorité Palestinienne, et assurer une équipe de collaborateurs de l'Autorité Palestinienne qui n’exprimera même pas de revendications symboliques pour atténuer la douleur continue de la Nakba.

Enfin, dans cette phase, Israël visera à isoler les survivants palestiniens de la Nakba en cours, qui dure depuis 140 ans, et les entourera d'ennemis arabes qui sont maintenant les meilleurs amis d'Israël ou du moins sont les ennemis de tout Palestinien qui continue de résister à la Nakba - cela inclut les régimes jordanien, égyptien, syrien et libanais ainsi que tous les régimes du Golfe (à l'exception peut-être du Koweït).

Alors que les politiciens et intellectuels arabes et palestiniens libéraux et néolibéraux et les dirigeants arabes non élus ont accepté de faire partie de ce plan pour assurer leur propre avenir, qui est maintenant lié à l'avenir d'Israël et à l'éternité de la Nakba, c'est le reste du peuple palestinien qui continue de résister et de renverser cette stratégie.

La résistance palestinienne continuelle à la Nakba actuelle et future, que ce soit en Israël, en Cisjordanie (y compris Jérusalem), à Gaza ou en exil, persiste malgré tous les efforts d'Israël pour l'écraser.

Comme les contradictions au sein de la colonie de peuplement et l'atmosphère internationale ont rendu beaucoup plus difficile pour Israël de se ré-embarquer dans l'expulsion massive illégale de la population, il a lancé des propositions pour une expulsion légale et volontaire des citoyens palestiniens d'Israël par un deal final (comme le Plan Peel) avec l'équipe de collaborateurs de l'AP. Ceci, cependant, s'est avéré être plus facile à proposer sur le papier que dans la pratique.

Comme la Nakba doit impliquer la conquête de la terre et l'expulsion de la population, alors une série d'obstacles se dresse maintenant sur le chemin d'Israël pour l'avenir de la Nakba. C'est une période de transition.
Sur le plan intérieur, les citoyens palestiniens d'Israël sont maintenant mobilisés contre la nature juive et colonialiste de l'État et exigent l’abrogation de ses nombreuses lois racistes. L'équipe de collaborateurs de l'AP, encore au pouvoir en Cisjordanie , est sur le point de perdre son dernier vestige de légitimité avec la disparition prochaine de Mahmoud Abbas.

La résistance à Gaza, par la population et l'aile militaire du Hamas, n'a pas été affaiblie malgré les invasions monstrueuses d'Israël et le meurtre de milliers de personnes depuis 2005, lorsque Israël a retiré ses colons et déplacé ses forces d'occupation de l'intérieur vers le périmètre de Gaza, où ils imposent un siège brutal.

Si la grande marche du retour des dernières semaines est un indice, c’est celui de la volonté constante et inébranlable du peuple palestinien.
Sur le plan international, le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions continue de croître et d'isoler Israël, sauf dans les cercles gouvernementaux occidentaux et arabes.

Alors que les régimes officiels occidentaux et arabes offrent leur soutien inconditionnel à la colonie de peuplement, ils refusent catégoriquement d'autoriser Israël à expulser de force les 6,5 millions de Palestiniens vivant sous sa domination coloniale, que ce soit dans les zones 1948 ou 1967. Ils lui permettent cependant de continuer à confisquer les terres des Palestiniens et à les opprimer, les tuer et les emprisonner. Ce faisant, ils soutiennent la moitié des plans Nakba d'Israël mais pas l'autre.

Cela a toujours été le dilemme d'Israël. Quand après la conquête de 1967, Golda Meir a demandé au Premier ministre Levi Eshkol ce qu'Israël ferait avec un million de Palestiniens puisqu'il ne rendrait pas les territoires occupés et qu'il ne pouvait plus les expulser en masse, il lui a dit : "La dot vous plait mais pas la mariée."

Dans ce contexte, il semblerait que la Nakba n’ait aucun avenir à moins que les dirigeants israéliens pensent qu'ils peuvent s'en tirer avec une nouvelle expulsion massive de millions de Palestiniens. En ce 70e anniversaire de l'établissement de la colonie juive de peuplement, Netanyahou a raison de craindre qu'Israël n'atteigne pas ses 100 ans et que l'avenir de la Nakba, tout comme celui d'Israël, puisse très bien être derrière lui.

Source : The Electronic Intifada

Traduction : MR pour ISM

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