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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

Le droit au retour de mon grand-père

Par

Ramzy Baroud est un journaliste arabo-américain connu, et l’auteur d’un ouvrage à paraître intitulé "A Force to Be Reckoned With: Writings on the Second Palestinian Uprising" (Une force avec laquelle il faudra compter : écrits sur la seconde Intifada palestinienne).]

"Ramzy, il faut que je l’avoue : c’est dur, d’être Palestinien, par les temps qui courent…"
C’est ainsi qu’une de mes amies, une personne dévouée qui consacre ses journées et ses années à réclamer justice pour le peuple palestinien, concluait un message navrant qu’elle m’envoya voici quelques mois. Je me rappelle souvent ses paroles.
Et, tout aussi souvent, je me souviens de mon grand-père, mort dans une cabane en torchis d’un camp de réfugiés, loin de son village, loin de son pays.

Je me suis souvent demandé ce qui soutenait le vieil homme. Il avait perdu sa maison et ce qui faisait la fierté de sa vie – sa terre.

Sous la menace des fusils, il avait été contraint de rassembler en hâte sa famille et de fuir le village de Beit Daras, où il vivait autrefois heureux.

Il avait passé le restant de son existence, vieillissant et déclinant, dans un camp de réfugiés ; plusieurs années sous la tente, puis dans une maison en torchis subventionnée par les Nations unies. C’est là qu’il mourut, près d’un poste radio à transistors.


Le poste de radio de mon grand-père avait été vert, dans son jeune temps, mais son coloris avait quelque peu fané, virant au blanc. Ce poste était fêlé, rafistolé avec du chatterton, juste ce qu’il fallait pour qu’il tienne en un seul morceau. Le vieil homme se souciait peu de l’esthétique de sa radio.

Tout ce qui importait, c’est que ce poste de radio parvenait tant bien que mal à lui diffuser les bulletins d’information de la "Voix de Londres" en arabe, de la "Radio du Moyen-Orient" ou encore de la "Voix des Arabes", sur lesquelles il était en permanence syntonisé.

Le soir, il plaçait son poste à côté de lui, avant de se coucher, pour pouvoir entamer la journée du lendemain avec les dernières nouvelles.


Il aimait à imaginer qu’un jour ou l’autre, la radio déclarerait que les réfugiés palestiniens allaient être autorisés à rentrer chez eux. Il se berça de cette illusion jusqu’à sa mort, à l’âge de quatre-vingt quinze ans, des dizaines d’années après avoir été chassé de Palestine.

Alors, on voyait sortir grand-père de la cuisine et s’approcher du poste, ou s’éveiller en sursaut de sa sieste de l’après-midi, et demander fiévreusement, en montrant la radio du doigt : "Oh, mais ils viennent de parler des réfugiés, là… non ?"

"Mais non, pépé, mais non…!", répondait l’un d’entre nous, un sourire juvénile aux lèvres. Alors il retournait faire son ménage, portant le poids de son âge, et son espoir inextinguible.


Mais grand-père est mort, quelques années avant le début de l’insurrection palestinienne de 1987. Il était trop vieux et ne pouvait plus marcher. Il était trop vieux, aussi, pour engueuler mémé parce qu’elle n’avait pas donné du grain aux poules en temps et en heure, ou pour bavarder avec un voisin tout aussi peu ingambe.

Mais il ne fut jamais trop vieux pour porter son petit poste de radio, amoureusement, avec un dernier fil d’espoir que la nouvelle si longtemps attendue, au sujet de son retour dans son village, soit annoncée.



Quand grand-père rendit son dernier soupir, tous ses amis et toute sa famille étaient à son chevet, murmurant des versets du Coran et bien des larmes furent versées, ce jour-là.
Moi aussi, j’étais près de lui, effrayé de ma première confrontation avec la mort.

Mais grand-père me rendit cette épreuve plus aisée, avec ce sourire sur son visage.
Et aussi, avec ce poste de radio, là, tout près de lui, avec le son presque imperceptible, mais jamais interrompu.


L’année de sa mort fut une année où beaucoup d’autres réfugiés âgés disparurent, eux aussi. Ils furent enterrés dans un cimetière entouré par les tombes de réfugiés plus jeunes, pour la plupart des martyrs tombés au fil de ces années-là.


J’aurais aimé pouvoir conserver le vieux poste de radio de grand-père. Mais, en quittant mon camp de réfugiés, j’ai seulement pu emporter en cachette beaucoup de souvenirs, son espoir éternel, et sa fierté d’être palestinien.



Bien souvent, et plus que jamais, je me rappelle ces mots de mon amie, au sujet de la difficulté qu’il y a à être un Palestinien, en ce moment. Je me les rappelle chaque fois qu’un enfant palestinien est tué, ou qu’une maison est démolie, à chaque discours que fait le président Bush, et qui souligne le manque de vision de sa vision du Moyen-Orient.

Je m’en suis souvenu quand un tribunal de Bruxelles a refusé aux Palestiniens le droit de juger Ariel Sharon pour ses massacres, au Liban ; quand un officier hollandais m’a retenu pendant très longtemps, retardant tout un avion, me posant des tas questions pour la simple raison que je suis né à Gaza

Je m’en souviens quand mon père me téléphone, juste pour me dire que les Israéliens sont en train de bombarder son quartier.

C’est non seulement chaque jour, que je m’en souviens ; c’est à chaque heure qui passe…



Mais je me souviens aussi de ces paroles de mon grand-père : "Tu ne seras jamais amené à défendre une cause plus vertueuse que la cause palestinienne…, à moins que Dieu ne t’aie particulièrement béni".


Je me suis bien souvent demandé pourquoi mon grand-père, âgé, dépossédé de tout et malade, était mort, dans sa masure de pisé, le visage illuminé par un sourire. Nous mourrons tous un jour, riches et pauvre, citoyens et apatrides, Palestiniens et Israéliens, présidents et réfugiés.

C’est cet instant, final et décisif, ce moment où grand-père a rendu son dernier soupir, qui compte. Il a vécu sa difficile existence de réfugié, avec ce qu’il possédait de plus précieux au monde : un poste transistor cabossé.

Mais il est mort en Palestinien, qui n’a jamais fait de concessions sur ses droits.

Il est mort fier, avec le sourire, ne nous laissant rien d’autre qu’un poste à transistor fatigué et un tombereau d’espoir.

Grand-père n’est jamais retourné dans son village de Beit Daras. Mais je sais qu’un jour, mes enfants iront.

Source : www.scoop.co.nz/

Traduction : Marcel Charbonnier

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