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Cisjordanie -

Meshaal dirigera-t-il Ramallah depuis Amman ?

Par

Qusay Hamed est analyste politique palestinien et coordinateur des relations internationales à l'Université d'Al-Quds.

La récente visite de M. Khaled Meshaal, chef du bureau politique du Hamas, en Jordanie, qui accompagnait le Prince héritier du Qatar, est une affaire de très haute importance qui doit être examinée dans le contexte de la scène politique palestinienne et les relations futures entre la Jordanie et le Hamas.
Les dix dernières années ont vu une rupture entre le Hamas et Amman depuis que le gouvernement jordanien a décidé de fermer les bureaux du Hamas en Jordanie en 1999, et de geler toutes ses activités dans le royaume, décision qui a obligé les dirigeants du Hamas à quitter le pays pour aller au Qatar puis en Syrie. Le gouvernement jordanien a également refusé la médiation des leaders des Frères Musulmans en Jordanie et d'autres partis arabes qui souhaitaient qu'il assouplisse sa position vis-à-vis du Hamas, et il a, à maintes reprises, refusé d'autoriser Meshaal à entrer en Jordanie.

Meshaal dirigera-t-il Ramallah depuis Amman ?

Khaled Meshaal en Jordanie le 29 janvier 2012, pour la première fois depuis 1999 (ici avec le Roi Abdallah, à droite)
Pour sa part, le Hamas a plusieurs fois tenté un rapprochement avec le régime jordanien, en particulier après avoir obtenu la majorité aux dernières élections au Conseil législatif palestinien de 2006. Il a essayé de mettre à profit cette nouvelle donne comme une "justification légitime" qui inciterait le régime jordanien à traiter avec le Hamas comme représentant élu plutôt que comme mouvement palestinien.

Ces derniers mois, le régime jordanien a assoupli son approche à l'égard d'un dialogue avec le Hamas, réchauffement qui a abouti à la visite récente de Meshaal à Amman. Cette nouvelle approche soulève des débats aux différentes dimensions, impacts et "timing" sur l'avenir de la scène politique palestinienne, et celui des relations Jordanie-Hamas. Cet article tente d'analyser les implications du rapprochement Jordanie-Hamas, au vu des événements qui se produisent actuellement dans le monde arabe, et en prenant en compte des changements de pouvoir, l’ascension des Frères Musulmans, et le lien important avec le processus de paix dans l'impasse entre les Israéliens et les Palestiniens.

La position jordanienne tempérée par les révolutions arabes et les démarches du Qatar

Les dirigeants jordaniens suivent avec beaucoup d'attention les changements de pouvoir provoqués par les révolutions arabes, qui ont dépassé les attentes en mettant fin à des régimes au pouvoir depuis des décennies en Tunisie, en Egypte, en Libye et au Yémen. Ils se rendent également compte de l'influence croissante du Qatar dans la région et l'impact direct de ce pays d'un point de vue politique et financier, sans parler de son rôle médiatique, qui pourrait déstabiliser la situation en Syrie, ainsi que le rôle du Qatar de contrôle des Frères musulmans dans le monde.

Toutefois, Amman est conscient des risques d'une expansion des révolutions du printemps arabe, et de leurs conséquences dans la région. Le pouvoir jordanien a compris qu'une amélioration de ses relations avec le Hamas, qui jouit du soutien politique et financier des Etats du Golfe, améliorerait ses relations avec ces Etats, et que le Hamas pourrait être une carte maîtresse entre ses mains.

En même temps, il est évident que le Prince héritier du Qatar est venu en Jordanie avec des propositions attractives pour encourager Amman à aller plus avant dans ses relations avec le Hamas : éviter de provoquer la situation jordanienne intérieure, offrir des opportunités de travail aux ouvriers jordaniens dans des entreprises qataries engagées dans la reconstruction de la Libye, ainsi que des accords économiques pour fournir la Jordanie en gaz et en pétrole à prix forts plutôt qu'un soutien financier, et activer son rôle dans le Conseil de Coopération du Golfe.

Le Qatar et le Hamas : un nouveau rôle pour remplir le vide iranien

La période choisie pour cette tentative de rapprochement montre que le Qatar a voulu lancer une bouée financière et politique au Hamas pour le tirer de sa situation critique dans le contexte de la révolution en Syrie. Le Hamas réalise que toute attitude de soutien à la révolution aura forcément des conséquences sur ses relations avec l'Iran et le Hezbollah ; leur soutien financier et politique sera également influencé de façon négative.

Le Qatar semble avoir entrepris d'extraire le Hamas de la protection iranienne et syrienne, pour qu'il joue un rôle plus important dans les recompositions qui surviennent dans la région, et pour combler le vide que pourraient laisser les Iraniens et les Syriens.

Le rôle croissant des Frères musulmans dans la région

Il est très important de mettre cette initiative dans le contexte de l'arrivée au pouvoir des Frères Musulmans. Il est clair que le changement de pouvoir dans le monde arabe tend à créer un espace stratégique plus proche de l'idéologie du Hamas, et d'un plus grand soutien à son programme. La montée des mouvements islamiques, qui jouissent d'une grande considération dans la rue arabe et ont des relations fortes avec le Hamas, peut créer une nouvelle profondeur stratégique pour le mouvement, dont l'absence a limité la performance et l'influence du Mouvement.

D'un autre côté, la reconnaissance internationale croissante des Frères Musulmans comme force politique influente dans la région peut fournir au Hamas une marge confortable lui permettant de sortir de l'isolement politique imposé par les régimes arabes et occidentaux.

Hamas : une lecture plus minutieuse de l'avenir

Le Hamas pense que la nouvelle atmosphère de la région est très propice au lancement du navire palestinien. Il cherche à investir dans l'accès des Frères musulmans au pouvoir, et la convergence des Etats-Unis avec eux, pour redessiner la scène politique palestinienne. Le Hamas donne donc corps à cet objectif par des gestes politiques internes qui tendent à le préparer à diriger l'OLP et de l'Autorité Palestinienne à l'avenir.

D'où son désir de ne pas lester le Mouvement avec de futurs échecs, et de faire, autant que faire se peut, une "séparation" entre les deux organes : tirer une ligne claire entre le mouvement Hamas et le gouvernement Hamas, pour éviter de répéter l'expérience du Fatah dans sa direction de l'OLP et de l'AP. Dans ce contexte, il semble que le Hamas établira une nouvelle direction de son bureau politique, et Khaled Meshaal serait nommé à l'OLP et à l'Autorité palestinienne.

Les nouvelles tactiques qu'adoptent le Hamas se fondent sur une analyse minutieuse des nouvelles réalités dans la région, qui donne des indications sur ses tendances à ajuster son positionnement politique : être un mouvement politique islamique plutôt qu'un mouvement de résistance. Ce qui signifie que le Hamas se retirera du projet de résistance armée pour adopter la résistance de la base populaire. Mais il continuera, officiellement, de se prévaloir d'être un mouvement de résistance adhérant à ses prises de position historiques.

Une des indications des nouvelles tactiques du Hamas est la souplesse dont il a fait preuve, tant dans sa déclaration d'acceptation d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967 que dans sa déclaration publique de remplacement de la résistance armée par la résistance de la base populaire. De plus, les discussions avec le Jihad Islamique semblent indiquer leur désir et intention d'établir un mouvement islamique palestinien fort dans les territoires palestiniens.

La prochaine étape du Hamas

L'entrée prévue du Hamas à l'OLP pourrait embarrasser des pays qui refusent de le considérer comme un mouvement ou un parti élu. Ceci soulèvera des questions sur la manière de traiter avec l'OLP si le Hamas en prend la tête. Et puisque l'OLP est largement reconnue comme le seul représentant légitime du peuple palestinien, ces pays refuseront-ils de reconnaître la reconnaître, à cause de la présence du Hamas ?

En plus de la convergence Jordanie-Hamas qu'il cherche à réaliser, il est évident que le Qatar a pris ces questions en considération, et qu'il cherche à surmonter les obstacles auxquels le Hamas pourrait être confronté à l'avenir d'un point de vue logistique ou politique. Cette visite peut être vue comme une "démarche d'anticipation" de ce que pourraient donner les prochaines élections palestiniennes - prévues en mai 2012. Le Qatar connaît les obstacles subjectifs et logistiques que rencontreront les leaders du Hamas, comme Khalid Meshaal, dans la conduite des affaires de l'OLP et de l'AP depuis la Cisjordanie . En conséquence, le Qatar se demande pourquoi des dispositions ne permettraient-elles pas au Hamas de diriger l'OLP et l'AP depuis l'extérieur - depuis la Jordanie par exemple ? De cette manière, le Hamas éviterait les obstacles logistiques israéliens.

Le Hamas et la communauté internationale : pugilat ou harmonie ?

Pour la communauté internationale, les Etats-Unis en particulier en tant qu'intermédiaire du processus de paix, le nouveau rapprochement entre la communauté internationale et les factions islamiques dans le monde arabe, et l'émergence d’intérêts mutuels, sont deux facteurs très importants qui pourraient être utilisés pour inciter les factions islamiques à influer sur la politique et les positions du Hamas à l'égard du processus de paix et des relations avec Israël. Ces changements apparus dans les relations entre l'Occident et les factions islamiques poseront la question de l'acceptation du Hamas ; ils contribueront à assouplir les exigences vis-à-vis de cette acceptation, ces mêmes exigences posées par le Quartet lorsque le Hamas a remporté la majorité aux dernières élections du Conseil législatif en 2006.

D'un autre côté, la communauté internationale sait parfaitement que les opportunités de la réalisation d'un accord de règlement final entre Israël et les Palestiniens régressent. Et continuer de se traîner derrière deux parties qui se sont complètement épuisées l'une l'autre est une perte de temps. L'Occident attend désespérément un changement de posture à un moment où les deux bords font des démarches unilatérales. En outre, la communauté internationale voit que le processus de paix est dans l'impasse et que depuis la fin de la période intérimaire, il est allé d'échec en échec ; continuer à adopter la même politique conduira aux mêmes résultats.

De plus, la conviction que le parti modéré en Palestine, représenté par le Président Mahmoud Abbas, est capable de parvenir à un accord politique, s'éloigne, au vu des démarches unilatérales qu'il a engagées, en particulier la demande de reconnaissance de l'Etat palestinien à l'Assemblée Générale des Nations-Unies, et sa candidature à des organes internationaux comme l'Unesco, en plus de son insistance sur un gel de la colonisation comme condition de retour à la table des négociations.

Le désir de trêve exprimé par le Hamas peut tenter la communauté internationale, en particulier si la trêve conduit à un apaisement du conflit et à une réduction du fardeau et de son impact sur les intérêts occidentaux dans la région. Ce serait une alternative idéale pour les Etats-Unis qui n'ont pas réussi à présenter une initiative de paix ni à modérer la position israélienne. Cette approche, au moment présent, peut être attractive et serait encouragée par la communauté internationale et les pays arabes, qui sont très au fait des difficultés pour parvenir à un accord de règlement, et veulent se débarrasser du conflit ou réduire son impact sur leurs intérêts dans la région de manière à consacrer leurs efforts à s'attaquer aux dossiers iranien et syrien.

Israël avalera-t-il le rapprochement jordanien-Hamas ?

Israël ne va pas vers un règlement final du conflit. Aucun de ses gouvernements et dirigeants successifs n'ont tendu vers une résolution finale, en particulier sur les attendus des résolutions de l'ONU et sur la légitimité internationale. Le processus de paix a donc buté sur l'intransigeance israélienne qui a empêché la réalisation d'une solution finale. De plus, Israël n'est pas prêt à payer la facture de la paix puisqu'il est engagé dans le projet sioniste colonialiste.

Actuellement, Israël veut une situation de "Pas de paix, pas de guerre". Pas de paix, et il n'a pas à faire face à ses obligations au niveau national et international. Pas de guerre, et il n'a pas à affronter les mouvements palestiniens de résistance, ce qui lui donne une certaine stabilité.

Le Hamas semble être maintenant le mouvement palestinien le plus proche de cette approche. Il ne veut pas abandonner officiellement son programme de résistance armée, ni copier l'expérience du Fatah dans le processus de négociation. Le statut idéal pour la Hamas est d'obtenir une trêve avec Israël, arbitrée par la communauté internationale, pendant laquelle il pourra consacrer ses efforts à établir ses piliers politiques.

L'analyse de la situation actuelle à partir de différents angles et perspectives nous conduit à la conclusion que les révolutions arabes et l'accès au pouvoir des partis islamiques auront de profondes répercussions sur la cause palestinienne dans la période à venir, comme sur la politique des parties arabes et internationales concernées, et des changements auront lieu dans les rangs du leadership palestinien.

Si les prochaines élections palestiniennes voient le Hamas diriger l'OLP et/ou l'AP, il semble clair que la gestion de ces résultats ne prendra pas la même direction que celle prise en 2006 et les acteurs qui ont émergé du nouvel environnement aideront le Hamas, aux niveaux international et régional, à jouer un rôle influent dans les nouvelles configurations.

Les supporters de ces tendances affirment que la politique d'exclusion du Hamas n'a pas abouti aux résultats convoités ; le Hamas ne s'est pas soumis aux conditions du Quartet, pas plus qu'il n'a été exclus de la scène politique palestinienne. Au contraire, les circonstances ont tourné en sa faveur dans nombre d'aspects après qu'il ait renforcé son contrôle sur la Bande de Gaza, comme il a contrôlé le rythme de la réconciliation palestinienne.

Enfin, disons que le Hamas commettrait une grosse erreur s'il se soumettait aux agendas étrangers et à un intérêt partisan étroit, plutôt que de se consacrer aux intérêts palestiniens nationaux suprêmes ; il doit réaliser que la participation politique et l'existence d'une direction nationale unifiée sont les choix adéquats pour sortir de sa situation difficile une cause palestinienne qui ne peut plus supporter d'autres politiques d'exclusion.

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