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Gaza -

Des étoiles et des bombes

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5 août 2011 - Nous observons le ciel, depuis la terrasse où nous dormons pour échapper à la chaleur. J'admire la beauté des nuages et quelques étoiles filantes quand le premier F16 apparaît, venant de la côte. Pas un bruit, juste une lumière rouge qui clignote très haut dans le ciel. Trois autres suivent. Lentement, leur vrombissement devient audible et ils larguent quelques fusées éclairantes.

Des étoiles et des bombes

14.10.2010 - Un F16 israélien fait des cercles au-dessus de Gaza (Photo Ali Ali / European Pressphoto Agency (LATimes)
Nous suivons leur trajectoire, au-dessus de nous, glacés de peur. Le bruit est normal, les F16 sont normaux et lire dans les journaux le lendemain qu'une partie de Gaza a été bombardée est normal. Ils continuent vers l'est et un bombardement semble imminent. Il l'est. Un épais nuage de fumée noire masque les faibles lumières à l'est de Deir al-Balah, où les F16 ont frappé.

Leur vrombissement ne disparaît pas encore.

"Ils bombardent Khan Younis," me dit Emad. Pas très difficile à deviner, que peuvent-ils faire d'autres là-bas à presque 2h du matin.

Il continue de travailler sur son ordinateur portable et je continue de regarder le ciel, à moitié endormie, mais cette fois je guette leur réapparition, pas les étoiles filantes.

Après quelques minutes de re-contemplation du ciel, nous savons précisément où ils sont allés. Deux explosions massives, la maison tremble. Ils ont bombardé quelque part près de la mer, qui n'est qu'à quelques centaines de mètres. Je me souviens des secousses de la maison, à Ezbet Abed Rabbo, où Leïla et moi étions lorsque les F16 ont rasé le secteur pendant l'attaque israélienne de Gaza en 2008-2009. Une bombe directement derrière la maison, les murs prêts à s'effondrer ; une autre de l'autre côté du chemin, à 30 mètres, laissant un énorme cratère.

Le ciel nocturne est à nouveau orange, fini les étoiles et le romantisme.

Emad me serre dans ses bras, me pousse la tête sur le sol pour me protéger de tout éclat. Il essaie de me protéger en vain, quand vous êtes sous les explosions, peu importe que vous vous étreigniez ou que vous tentiez d'esquiver, rien n'y fait.

Moment de confusion... rester sur la terrasse ou se précipiter dans la maison. Je me souviens quand l'immeuble Sharouk, qui abritait divers organes médiatiques, a été plusieurs fois frappé par des missiles plus petits, pas ceux d'une tonne, largués par les F16 et qui creusent des cratères. L'immeuble a dansé, on aurait dit que les escaliers s'étaient transformés en un long toboggan, et nous nous étions retrouvés en bas depuis le 9ème ou le 10ème étage à la vitesse de la lumière.

L'envie de voir ce qui se passe ensuite est forte, et nous ne voulons pas quitter le toit. Nous restons et bientôt les frères d'Emad arrivent pour voir où les bombes sont tombées. Nous descendons pour aller voir leurs parents, heureusement endormis, cette fois être dur d'oreille est un soulagement. Nous remontons sur la terrasse et la couleur orange a disparu, le ciel est maintenant gris et sans étoiles.

"Il pleut," dit Emad. Je confonds, je pense qu'il veut dire que le bombardement a déclenché une réaction du temps. De la poussière de béton flotte au-dessus de nous, une sorte de pluie sèche. Les sirènes des ambulances hurlent, les ambulances du Croissant Rouge ou celles du ministère de la Santé doivent se ruer sur le site. S'ils arrivent en retard, les morts et les blessés seront empilés dans n'importe quelle voiture, près de l'explosion, encore capable de rouler. Il y a un klaxon prolongé à Gaza que tout le monde reconnaît comme signifiant "écartez-vous, il y a une autre victime ici."

Maintenant, trois de ses frères sont sur la terrasse avec nous et examinent les explosions. Pour une Bande qui a vu tant de bombardements terroristes israéliennes au fil des ans, ce dernier - comparativement lointain à quelques centaines de mètres - a touché une corde sensible, même pour ces hommes qui ont une réaction de bravade. Ils sont courageux, bien sûr, et endurent une guerre psychologique en plus des explosions bien réelles. Chaque fois qu'un de ces putains de F16 nous survole, c'est un rappel de la dernière guerre, ou d'attaques précédentes, ou de bombardements au hasard, ou d'amis ou de proches morts en martyr dans leur sommeil, dans leurs voitures, dans leurs maisons...

Chaque fois que ces F16 passent délibérément le mur du son pour créer un bang supersonique qui ressemble à une bombe, chacun dans le périmètre se souvient instinctivement de ses propres horreurs personnelles, lors d'une attaque israélienne ou d'une autre.

Les frères d'Emad parlent de leurs enfants, comment l'un d'entre eux se roule en boule pendant son sommeil, combien c'est dur pour tous les enfants. Mais leur badinage rapide les trahit : c'est dur pour eux aussi.

En pur style palestinien, ils masquent toute crainte qu'ils peuvent éprouver - et qu'éprouverait n'importe quel être humain dans de telles circonstances - par des plaisanteries et des taquineries.

"Tu as eu peur ?"
Oui et non. Encore une fois insensibilisée" à la peur, comme je l'ai été pendant les 23 jours de bombardement israélien à Gaza, l'hiver 2008-2009, mais cette épouvante du moment suivant existe toujours. Combien de martyrs y aura-t-il ? Inshallah aucun. Est-ce le début du prochain massacre israélien de Palestiniens enfermés, ou bien ce sera demain ? Que diable ferai-je si je ne suis pas ici... pas que je puisse arrêter quoi que ce soit, ni que je puisse les protéger plus que le geste d'amour d'Emad. Mais comment pourrais-je jamais partir d'ici quand le prochain massacre jaillissant de ses machines de guerre israéliennes au-dessus et autour de nous est toujours imminent ?

Demain, les informations sionistes blablateront sur une frappe stratégique contre le terrorisme. Mais réorganisez les mots et vous aurez la vérité : c'est un terrorisme stratégique contre les Palestiniens, comme toujours, contre des êtres humains qui vivent, rêvent et travaillent sous ces F16 terrorisants, et qui respirent la poussière d'un nouvel immeuble bombardé.

2h30 du matin

Emad et moi dormons, ou plutôt nous sommes allongés, à l'intérieur maintenant, bien que ça ne fasse pas beaucoup de différence. Je me dis, merde, merde, merde, comment pourrais-je jamais le quitter, lui et sa famille et mes amis et tous ici ? Nous sommes tous deux perdus dans nos propres pensées, songeant à l'explosion.

Une explosion. Encore une autre. On l'entend mieux dedans, à cause de l'écho. Heureusement que les fenêtres sont ouvertes ; avec des explosions comme celle-ci, les vitres volent en éclats et nous aurions reçu cette fois une pluie de tessons de verre.

Son plus jeune frère revient de travailler à son épicerie, chargé de yaourt et de houmous pour suhoor, le repas du matin avant que le jeûne ne reprenne. Ses oreilles bourdonnent à cause de la proximité de la bombe mais il cache ce qu'il peut ressentir d'angoisse par des sourires et du bavardage.

Ils se redisent les mêmes plaisanteries faites plus tôt sur le toit. C'est pour Ramadan, ils nous offrent des feux d'artifice, ils font la fête. Ils nous aident à nous réveiller, (hier nous avons dormi pendant suhoor, nous n'avons même pas entendu le léger battement des tambours de rue qui circulent pour réveiller les gens pour le repas et la prière).

Le père d'Emad est troublé. Il ne feint ni la bravade ni la plaisanterie, il s’assoit juste, un peu endormi, et regarde sur un journal où il a noté les heures des prières. Il va à la mosquée voisine cinq fois par jour, y compris pour la prière du petit matin. Sa vie a été longue et dure, il a été chassé de sa ferme et de son village qui est maintenant enterré sous un quelconque nom israélien, il a élevé sa famille dans un de ses innombrables camps de réfugiés surpeuplés où les familles ont dormi sous des tentes pendant des années jusqu'à ce qu'elles construisent des maisons étouffantes en blocs de béton, avec des familles entières dans une seule pièce sombre. Il a travaillé pour donner une éducation à ses très nombreux fils et filles. Il a vécu tous les enfers sionistes qu'Israël a servis, depuis l'expulsion par l'occupation et toutes les horreurs qui s'en sont suivies, jusqu'aux bombardements sporadiques et aux invasions totales. Il a perdu un fils à cause d'un cancer qui n'a pas pu être soigné convenablement parce qu'il n'a pu avoir accès aux traitements médicaux adéquats en dehors de Gaza.

Alors quand nous sommes tous en train de jacasser ou de plaisanter ou de ruminer sur le dernier bombardement, il est ailleurs, quelque part dans sa tête mais son expression ne le trahit pas. Et je pense que la seule chose qui le préoccupe réellement, c'est d'être à l'heure pour la prochaine prière. Une vie de drames à répétition est suffisante pour rendre les bombardements quelque peu négligeables.

C'est la même cible qu'il y a une demi-heure, mais cette fois, il y a forcément des victimes, les gens qui ont attendu quelques minutes avant d'aller fois les dégâts. Israël, bien sûr, le sait. Pendant la dernière guerre à Gaza, les premiers bombardements israéliens étaient suivis, juste une ou deux minutes après, quelquefois cinq minutes, par une autre bombe exactement au même endroit. Les familles et les amis qui étaient venus secourir les victimes de la première bombe étaient à leur tour déchiquetés par la deuxième ou la troisième explosion. Une technique assurée de frapper les civils qui viennent à la rescousse, sinon les médecins.

Nous repartons dormir, méfiants.

Source : In Gaza

Traduction : MR pour ISM

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