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Jérusalem -

La ville de la peur

Par

Jalal Abukhater est jérusalémite, diplômé en Relations et politique internationales de l'Université de Dundee, Ecosse. Email : Jma1994@hotmail.com ; Twitter : @JalalAK_Jojo

14.07.2016 - Il y a quelques jours, je traversais en voiture le checkpoint de Qalandiya, pour la première fois depuis mon retour à Jérusalem. Mon père, assis à côté de moi, s'est mis à crier "arrête-toi ici !" alors que je me mettais dans la file, derrière une voiture au checkpoint. "Tu es trop près," dit-il, "arrête-toi et attends qu'ils t'appellent, sinon ils vont te tirer dessus et ils s'en fichent."

La ville de la peur

Un policier israélien des frontières repousse des Palestiniens qui essaient de traverser le checkpoint de Qalandiya, entre Jérusalem et Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 11 juillet (Oren ZivActiveStills)
Quand je suis parti commencer ma vie d'étudiant il y a quatre ans, et malgré mon sentiment général d'optimisme, je n'ai jamais réellement cru que je reviendrais dans une Jérusalem en meilleure situation, plus porteuse d'espoir.

Au cours de ces quatre années, je suis revenu l'été et j'ai fini par partir avec la forte conviction que les choses ne seraient que pires la prochaine fois que je reviendrai chez moi.

Me voici maintenant de retour, quatre étés plus tard, mon diplôme en poche, et je crois que Jérusalem est pire que jamais pour ses habitants non-juifs, les Palestiniens.

Malgré cette évaluation déprimante, j'étais impatient de revenir à Jérusalem car c'est non seulement la ville où j'ai grandi, mais c'est l'endroit où je veux me lancer dans l'aventure de la vie de jeune adulte.

La peur partout

Il y a deux ans, j'écrivais sur la peur omniprésente que nous ressentons, nous, les Jérusalémites, dans notre propre ville.

Aujourd'hui, je constate avec tristesse que cette peur est encore plus intense et tangible. Ce ne sont pas les fanatiques ou les groupes nationalistes qui me préoccupent, c'est chaque israélien armé -citoyen, policier ou militaire- qui peut mettre fin à ma vie ou à celle de n'importe qui d'autre en une seconde, sans raison et sans que personne ne sourcille.

Depuis l'été dernier, la laideur de la vie à Jérusalem est manifeste. Des centaines de Palestiniens de tous âges ont été harcelés, brutalisés, arrêtés, blessés ou tués. Une ville dans laquelle la discrimination lente, régulière mais systématique d'Israël oblige les enfants palestiniens à quitter les écoles et les familles palestiniennes à quitter leurs maisons.

En avril, Maram Salih Hassa Abu Ismail, 23 ans, mère de deux petits enfants, enceinte de cinq mois, et son frère de 16 ans Ibrahim Salih Hassan Taha, ont été abattus par le staff israélien au checkpoint de Qalandiya, en Cisjordanie occupée, au nord de Jérusalem (photo ci-dessous).

Israël a affirmé qu'ils ont été tués lors d'une tentative d'attaque au couteau contre des soldats, mais des témoins oculaires ont décrit l'exécution de deux personnes qui n'ont pas compris des ordres criés en hébreu, et qui ne présentaient aucune menace pour quiconque.

Photo

La société privée en contrat avec les Israéliens pour la tenue du checkpoint a mené une "enquête interne" et s'est absoute de toute acte répréhensible.

Le frère et la sœur sont parmi les plus de 220 Palestiniens, ainsi que plus de 30 Israéliens et 2 Américains, qui sont morts depuis le début de la nouvelle phase de violence, en octobre dernier.

Et selon le groupe israélien pour les droits de l'homme B'Tselem, Maram et Ismail font partie des dizaines de Palestiniens, tués, alors qu'ils ne constituaient pas de menace, dans des meurtres "assimilables à des exécutions."

Conduire quand on est Palestinien

Le jour où je suis passé par Qalandiya, je me rappelle mon père me répétant que je devais faire extrêmement attention à la manière dont j'étais perçu par les Israéliens sur la route, car tout ce qu'ils jugeaient suspect pouvait avoir des conséquences fatales.

C'est devenu la norme, au cours des derniers mois, que les Israéliens jugent toute irrégularité de conduite ou tout accident comme une attaque délibérée à la voiture, ce qui les incite à attaquer le conducteur et à lui poser des questions ensuite.

Le mois dernier, un automobiliste israélien a foncé en voiture dans un restaurant de Tel Aviv, tuant deux personnes, avant que la foule ne le sorte de la voiture et ne le tabasse, croyant que c'était un assaillant palestinien. Mais l'homme avait eu une attaque cardiaque. Il est mort, et on ne sait si c'est à cause du lynchage ou de l'attaque cardiaque.

Quelquefois, le seul fait de conduire met votre vie en danger. Mercredi, à al-Ram, trois jeunes ont reçu une grêle de balles des forces israéliennes attaquant le village, au nord de Jérusalem. L'un d'entre eux, Anwar al-Salaymeh, 22 ans, a été tué. Un autre a été grièvement blessé et le troisième arrêté. Un porte-parole israélien a déclaré à l'agence de presse Ma'an que les soldats "ont vu un véhicule roulant à vive allure dans leur direction" et qu'ils ont ouvert le feu. Une autopsie a été ordonnée pour al-Salaymeh, révélant qu'il était mort de trois balles dans le dos, en contradiction avec le récit israélien.

Et pendant le Ramadan, Mahmoud Badran, 15 ans, (photo ci-dessous) a été tué quand des soldats israéliens ont tiré de nuit sur la voiture dans laquelle lui et ses amis rentraient chez eux après une fête au bord d'une piscine. Dans ce cas, Israël a admis que la voiture avait été "visée par erreur".

Photo

Le simple fait de me promener dans la vieille ville de Jérusalem, pour la première fois, cet été, fut une expérience désagréable.

Tout ce qui est jugé comme une provocation par la police israélienne omniprésente peut avoir des conséquences coûteuses. C'est un environnement de peur conçu pour que nous, Jérusalémites, nous nous sentions mal à l'aise et indésirables dans notre propre ville.

Premier recours

Le meurtre de Fadi Alloun en octobre dernier, et d'autres cas où la police israélienne a tiré sur des Palestiniens sous les acclamations de la foule sont des souvenirs que nous ne pouvons chasser et des rappels de la nature précaire de la continuité de notre existence dans cet endroit.

Des documents révélés récemment montrent que la police israélienne a été autorisée à faire usage de la force létale en premier recours contre tout Palestinien vu en train de lancer des pierres ou des pétards.

Pendant des années, Israël a prétendu que la force létale n'était que le dernier recours - même si dans la pratique, les forces israéliennes ont fréquemment tué, sans provocation et en toute impunité.

Mais vous ne verrez jamais des mesures similaires prises contre les lanceurs de pierre ou assaillants juifs qui harcèlent les Palestiniens quotidiennement, dans toute la Cisjordanie . Au contraire, les agresseurs jouissent habituellement de la protection de l'armée.

Tous les deux ou trois jours, je me réveille avec les nouvelles de Palestiniens tués pour avoir agi "de manière suspecte" ou pour avoir soi-disant été en possession d'un couteau. Dans tous ces cas, Israël est juge, partie et souvent bourreau, sans système juridique crédible en place pour enquêter de façon indépendante sur de telles affirmations ou crimes. Je me souviens encore, il y a quelques années, d'un homme devant moi, au checkpoint de Qalandiya, que les soldats ont frappé à coups de pieds, humilié et qui a fondu en larmes quand ils l'ont empêché de traverser le checkpoint. Il portait un sac plein de matériel de cuisine et de couteaux de chef, et il avait tous les papiers indiquant qu'il travaillait dans une école culinaire à Jérusalem.

Aujourd'hui, quelqu'un dans une situation similaire serait tué et personne ne remettrait ça en question, puisque la simple possession d'un couteau est devenue une excuse suffisante légitimant l'exécution sommaire de Palestiniens.

Toujours debout

Un rapport interne de la police cité par le quotidien de Tel Aviv Haaretz cette semaine a, révélé, sans surprise pour tout jérusalémite, que la police israélienne des frontières à Jérusalem "provoque délibérément les Palestiniens" pour obtenir une réponse violente.

A Issawiyeh, en janvier dernier, ce genre de provocation fabriquée a conduit à une confrontation au cours de laquelle les forces israéliennes ont blessé à la tête Ahmad Abu Hummus, 12 ans, provoquant de graves lésions cérébrales.

Les réseaux sociaux ne manquent jamais de vidéos quotidiennes montrant le harcèlement constant, les fouilles et l'humiliation des jeunes Palestiniens à Jérusalem qui conduisent à la même violence.

C'est bizarre de vivre à Jérusalem en ce moment, surtout sachant que cette situation ne fait que renforcer ma détermination à rester ici, à vivre ici et à me battre pour cette ville.

Je sais aussi que si je voulais écrire sur toutes les formes d'abus contre les Palestiniens à Jérusalem, j'écrirais sans cesse pendant des jours et des jours.

C'est une situation où tout le pouvoir et la puissance de l'Etat israélien est tendu vers l'expulsion des Palestiniens jérusalémites. Cependant, cette cruauté et cette injustice ne produit que davantage de résistance et de défi.

Ils peuvent considérer que nos vies n'ont pas de valeur, que notre dignité n'a pas de valeur, que notre existence est une gêne, mais je crois que Jérusalem continue à se tenir debout et à défier l'oppression, peu importe combien sombres les temps sont devenus.


Source : Electronic Intifada

Traduction : MR pour ISM

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