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Naplouse -

Le combattant oublié : Naplouse, ou la volonté de vivre

Par

Beaucoup de Palestiniens que j'ai rencontrés au cours de mes voyages en Cisjordanie m'ont dit que pour savoir ce qu'est réellement la Palestine et ce qu'elle implique, je devais aller à Naplouse. Beaucoup d'entre eux m'ont aussi dit que Naplouse était leur ville préférée. Après y avoir passé 5 semaines cet été, je comprends pourquoi.

Le combattant oublié : Naplouse, ou la volonté de vivre


En arrivant de Ramallah (par le service de taxi le plus rapide dont j'aie fait l'expérience) la première chose que vous voyez en arrivant à Naplouse est son plus fameux checkpoint : Huwara. Huwara, ses gens et sa couleur. Jaune. Jaune comme les centaines de taxis garés sur les deux côtés du checkpoint. Vous avez besoin d'eux pour entrer et sortir de la ville, parce que la plupart des voitures et des camions ne peuvent pas passer à travers le checkpoint depuis le début de la seconde intifada. Vous traversez le checkpoint à pied, et vous trouvez une voiture pour vous rendre en cinq minutes au centre plein de vie de la ville de Naplouse.

Ensuite quelque chose d'autre vous frappe et vous commencez à réaliser que Naplouse n'est comme aucun autre lieu en Cisjordanie .

Le centre ville est animé. Les voitures sortent de nulle part, les gens bavardent au milieu de la route, des boutiques à falafels à chaque coin de rue, un homme vend du café à des conducteurs en stationnement, des vendeurs de fruits, des gens qui vous font signe de vous arrêter pour bavarder, des « Bienvenue, comment allez-vous ? » venant de toutes les directions. Naplouse est non stop. Vous entendez, sentez, goûtez et voyez ici ; tout d'un coup.

C'est le meilleur exemple que j'aie vu jusqu'ici d'un chaos contrôlé. Les gens semblent vivre ici. Tous ceux que j'ai rencontrés sourient, rient, m'invitent chez eux pour le thé, m'interrogent sur mon pays. Tout le monde semble heureux de me voir là. Tout le monde.

Après quelques jours dans la ville, je réalise que c'est seulement l'extérieur. L'intérieur de chaque chose est beaucoup plus noir.

Naplouse me fait penser à un clown. Souriant pour cacher ses souffrances. Tout le monde est heureux de voir un étranger, un international, parce que peu d'entre eux viennent à Naplouse. En marchant autour de la ville vous réalisez vite qu'il n'y a pas de tourisme ici. Seulement quelques ONG travaillent ici amenant des internationaux (une nationalité en soi à Naplouse. Quiconque venant d'Europe, des USA, de Scandinavie... est appelé international) à Naplouse.

Au Royaume-Uni, le Bureau de l'étranger et du Commonwealth conseille fermement de NE PAS voyager à Naplouse. Mais pourquoi ? C'est une ville étourdissante pleine de gens étonnants. Je lutte pour comprendre. Les gens veulent connaître mon histoire et je veux connaître les leurs. Ils veulent comprendre pourquoi le monde les a oubliés et je veux comprendre ce qui leur est arrivé. Ils veulent me laisser entrer. Je ne peux pas refuser et je décide de les filmer. Pour qu'ils parlent et que le monde les entende. Pour leur donner une plateforme pour qu'ils s'expriment eux-mêmes.

Après quelques interviews, il devient évident que chacun a une histoire ici. Bachir me dit qu'il a dû arrêter ses études pour un temps parce qu'il n'avait pas les moyens. Il a dû travailler à Ramallah de longues heures, se faisant seulement 20 shekels par jour. Ses deux parents sont au chômage. Comme près de 70% de la population à Naplouse. Une augmentation colossale comparée au taux de 1997 (14,2%).

Les citoyens de Naplouse ont perdu 60% de leurs revenus depuis le début du second intifada. La plupart des gens ici sont jeunes (50% de la population à moins de 20 ans) et sont très éduqués. Néanmoins la plupart des jeunes ici sont soit au chômage, soit travaillent dans des magasins où ils vendent tout ce qu'ils peuvent (certains magasins vendent des articles d'épicerie mais aussi des vêtements, des fournitures pour la maison...). Les magasins peuvent être ouverts plus de dix heures par jour sans un seul client. Les gens de Naplouse n'ont tout simplement pas d'argent à dépenser.

Hakim me dit que chaque fois qu'il entend l'armée israélienne pendant la nuit, il se réveille, s'habille et s'assoit tranquillement sur son canapé en les attendant. Pas parce qu'il serait coupable de quoi que ce soit. Sauf peut-être d'être Palestinien.

Personne n'est en sécurité à Naplouse pendant la nuit. La situation est extraordinaire. Naplouse a été une des premières villes à accueillir une force de police palestinienne il y a quelques mois (autour de novembre 2007) mais cette force de police n'intervient que de 6 heures du matin à minuit. A partir de minuit l'armée israélienne prend le dessus. Chaque nuit l'armée israélienne entre dans la ville et ses camps de réfugiés de Balata, Askar et El Ayn et, à l'aide de haut-parleurs, de bombes soniques et d'armes, arrêtent les palestiniens, très souvent en saccageant leur maison, en les battant eux et leur famille, et parfois en les tuant. L'armée israélienne a carte blanche ici. Même pendant la journée.

Un officier de police m'a dit que les Israéliens les appellent parfois durant la journée pour leur dire qu'ils vont descendre (le camp de l'armée surplombe la ville, sur le sommet d'une montagne) dans quelques minutes. Ils dégagent la ville immédiatement pour laisser l'armée faire « son travail ».

Hassan me dit qu'un jour il a été arrêté pendant qu'il traversait le checkpoint d'Huwara. Il a passé 11 mois en prison. Jusqu'à ce jour personne ne lui a dit pourquoi. La seule chose qu'il sache est qu'il était en détention administrative.

Dans chaque histoire que vous entendez, la prison surgit. Pour un citoyen mâle de Naplouse, la prison est à peu près obligatoire. Près de la moitié des habitants masculins de Naplouse ont été en prison. Certains d'entre eux sont incarcérés pendant des mois sans savoir pourquoi ils ont été arrêtés en premier lieu ou quand ils seront relâchés.

Maroof me dit que pendant la première et la seconde invasion de Naplouse, pendant qu'il travaillait comme volontaire avec les pompiers et le Croissant rouge, il a presque été tué deux fois par l'armée israélienne. Ils savaient qu'il travaillait comme infirmier. Maroof a été témoin de nombreuses fois de violations flagrantes des droits de l'Homme par l'armée. Les ambulances ne peuvent pas faire leur travail correctement et sauver les gens. Beaucoup de personnes sont mortes parce qu'elles n'ont pas été transportées à l'hôpital à temps.

Maroof et son équipe ont une fois été interdits de quitter la vieille ville. Ils ont dû rester 12 jours sans nourriture mangeable.

Il y a Saed qui a perdu sa mère en 2002 quand elle a été assassinée par un sniper israélien. Il y a Eslam qui a vu deux fois l'armée israélienne occuper sa maison et qui ne pouvait pas sortir pendant des jours. Il y a Ala de l'université An Najah (la plus grande université de Cisjordanie ) qui ne peut pas dormir la nuit à cause de cauchemars dus aux multiples interventions de l'armée et les traques sur le campus durant la nuit. Il y a Amad qui a été en prison avec toute sa famille pendant trois mois en 2005.

Puis il y a cette fille palestinienne de 17 ans, du camp de réfugiés de Balata, qui me dit mon dernier jour à Naplouse en partageant un repas que les gens du camp avaient préparé pour nous : « Dis-moi. Quelle image avais-tu de nous avant de venir ici ? Pensais -tu que nous sommes tous des tueurs ? Pensais-tu que nous sommes tous fous ? Parce que j'ai des amis en Europe qui m'ont dit que les gens pensent que nous sommes tous des fous et des terroristes. Tu sais que cela me choque quand j'entends des choses pareilles. Nous ne sommes pas fous. Nous sommes de bonnes personnes ici. Je ne veux pas dire que tout le monde est bon. Comme partout ailleurs. Mais la plupart d'entre nous sont bons. Des gens agréables. Vois-tu beaucoup de terroristes dans cette salle ? Est-ce que nous te semblons tous fous ? Nous sommes juste des gens normaux et nous voulons vivre une vie normale. Mais la vie pour nous est dure ici. Peux-tu dire la vérité à ton peuple quand tu retourneras en Europe ? Peux-tu leur dire qui nous sommes réellement, s'il te plaît ? »

J'ai été tellement touché que je n'ai pas pu répondre. Le pourriez-vous ?


Visitez le blog de Franck Barat, "Life under occupation".

Source : Maan News

Traduction : MM pour ISM

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