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Naplouse - 2 mai 2004
Par Kole
Les mots de Khaled Mattour, le directeur de l¹hôpital Rafidia, résonnent dans ma tête : "Nous sommes insuffisamment financés, surmenés, en sous effectifs. Nous avons du personnel qualifié mais nous avons tellement d¹entrées que c¹est souvent difficile de faire face. Nous couvrons le nord de la Cisjordanie pour tellement de choses, nous avons de grands médecins mais il y a trop de choses dont nous devons nous occuper. L¹occupation épuise la santé des gens qui travaillent ici".
A l¹hôpital Rafidia la nuit dernière, il y avait deux sortes de personnes dans deux salles différentes provoquant deux types d¹émotions.
Sameh et moi étions dans la première pièce, là où Jamal Shadeh Hamdan (21 ans) de la Vieille Ville de Naplouse, était dans un état critique.
Ses amis et sa famille se tenaient dans la pièce, au bord des larmes, voûtés.
Un ami se rappelait comment la nuit d¹avant seulement ils plaisantaient avec Jamal, quand un ami les a stoppés et a dit, tout d’un coup : « On ne peut pas plaisanter comme ça, nous devons nous respecter nous-mêmes, même si personne de l¹extérieur ne fait attention».
Jamal était allé au « Duwar » dans le centre ville hier soir vers 18h30 quand l¹armée israélienne est entrée dans la Vieille Ville en tirant à balles réelles et en jetant du gaz lacrymogène pour faire déguerpir un tas de jeunes lanceurs de pierres.
Occupant deux maisons, des snipers de l¹armée tiraient apparemment au hasard sur la population dans la foule. Jamal a été touché dans le dos par une balle.
Nous revenions juste d¹une exposition photographique - réalisée par l¹Union des Femmes, sur la destruction infligée à la Vieille ville par l¹armée israélienne en avril 2002 – quand nous sommes arrivés sur place.
On ne voyait aucun homme armé, seulement des lanceurs de pierres, des représentants de la presse et une poignée de volontaires médicaux.
A 23h43, on annonçait par haut-parleur à Jamaah Kbire (la Grande Mosquée) que Jamal avait rejoint les rangs des martyrs civils et innocents de Naplouse. Douze heures après Jamal était enterré au cimetière près de la Vieille Ville.
Ce qui n'a pas empêché le correspondant du Ha¹aretz, Arnon Regular, qui était partout sauf à proximité de l¹affrontement, et encore moins à Naplouse à ce moment-là, de rendre compte de l¹incident en ces termes :
"A Naplouse, en Cisjordanie , les soldats ont tué Jamal Hamdan, 22 ans, qui participait dimanche à des attaques par jets de pierres contre les soldats israéliens.
L¹armée a déclaré que les soldats d¹un véhicule de patrouille avaient identifié l¹homme comme étant armé et avait tiré sur eux, mais les témoins palestiniens ont dit que l¹homme n¹était pas armé et qu¹il a été tué par des soldats qui avaient pris position dans un immeuble voisin pour observer l¹affrontement".
Cet entrefilet lui-même est révélateur des partis pris propres aux médias israéliens. Les euphémismes employés soulignent comment la réalité de la situation ici, sur le terrain, est souvent cachée au courant dominant de la société israélienne par des journaux aussi «libéraux» que le Ha¹aretz.
Ainsi, les agresseurs ne sont pas les soldats israéliens qui pénètrent dans les villes palestiniennes, mais la résistance symbolique des jeunes de la Vieille ville avec des pierres, qui sont décrits comme les initiateurs « d¹attaques contre les soldats israéliens ».
L¹IDF se déplace dans des «véhicules de patrouille» non blindées, dans des jeeps militaires équipées contre les pierres et dans des véhicules Hummer. De même, les snipers de l¹armée israéliennes, qui tiraient sur une foule sans armes sont en revanche décrits comme «des soldats qui avaient pris position dans un immeuble voisin pour observer l¹affrontement».
Un euphémisme si gênant pour le mot «sniper» n¹est pas le produit d¹une convention journalistique, qui normalement cherche à minimiser des expressions verbeuses, mais le désir de cacher la réalité au public israélien sur qui sont les véritables agresseurs.
Un hôpital débordé
Dans la salle qui est parallèle à celle où la famille de Jamal et ses amis s¹étaient regroupés, il y avait des sentiments tout à fait différents.
Deux jours plus tôt, Zeiad et moi étions venus ici voir la famille d¹Ahmed Samir Abu Fidah (10 ans) qui vit près du camp de réfugiés de Tulkarem.
L¹enfant a été blessé à la tête au cours du raid sanglant de l¹armée israélienne sur la ville de Tulkarem qui a fait au moins trois morts.
Des morceaux de son cerveau ont dû être maintenus par le personnel d¹aide d¹urgence pendant qu¹on évacuait le jeune garçon vers l¹hôpital de Rafidia de Naplouse, à deux heures de là (checkpoint compris) pour une crâniotomie.
La plupart des victimes de ce raid et des autres raids de Jénine et de Qalqilya la semaine dernière, ont été évacuées à Rafidia où il y a des spécialistes prêts à retrousser leurs manches pour de nombreux types de blessures et de traumatismes
La première fois que j¹ai vu Ahmed, il était totalement inconscient et dans un état critique.
Jihad Bani Duda, l¹infirmière du service de soins intensifs de l¹hôpital, nous a expliqué que si Ahmed survit, il restera paralysé du côté droit, aura des difficultés pour parler et des troubles de la mémoire pour probablement le reste de sa vie.
Selon Ouda, Ahmed devrait être transféré à Bet Jala pour sa rééducation, ce qui signifie une autre séparation d¹avec sa famille.
Pourtant aujourd¹hui, Rami, un ami de Tulkarem, qui a été blessé à la main et a lui aussi été emmené à l¹hôpital Rafidia, rayonnait de joie. Il me conduit vers la famille d¹Ahmed. Son père, qui était livide la première fois que je l¹avais rencontré, sourit maintenant chaleureusement.
Ensemble nous allons au chevet de l¹enfant. Aami chatouille son pied et Ahmed remue sa jambe gauche.
Ce qui semblait impossible quelques jours plus tôt est maintenant une réalité. Le jeune garçon va affronter maintenant un difficile chemin vers la guérison, mais tout le monde pour l¹instant est soulagé parce qu¹il vivra.
Quand nous partons de l¹Unité de soins intensifs, nous passons devant le corps de Khaled Kharawish (30 ans) lui aussi de Tulkarem, toujours dans un état critique. Aami ne dit rien, pour ne pas nous casser le moral. Khaled a été victime d¹un tir ciblé de l¹armée israélienne. Il est maintenant dans le coma.
Les mots de Khaled Mattour, le directeur de l¹hôpital Rafidia, résonnent dans ma tête : "Nous sommes insuffisamment financés, surmenés, en sous effectifs.
Nous avons du personnel qualifié mais nous avons tellement d¹entrées que c¹est souvent difficile de faire face. Nous couvrons le nord de la Cisjordanie pour tellement de choses, nous avons de grands médecins mais il y a trop de choses dont nous devons nous occuper. L¹occupation épuise la santé des gens qui travaillent ici".
Preuve en fut la nuit dernière. :
De l¹unité de traumatisme pour les enfants blessés par les soldats, à celle d¹hommes plus vieux dans leurs lits d¹hôpital, mains ensanglantées, jambes, etc.. enveloppés dans des bandages.
Nous rencontrons Mohamed (8 ans) du village de Jamoun dans le gouvernorat de Jénine, qui a été blessé à la jambe il y a quelques jours.
Aujourd¹hui l¹enfant nous fait un grand sourire avec ses yeux ronds . Il est heureux de pouvoir rentrer bientôt chez lui. Il secoue ma main et nous parlons pendant que sa mère regarde, soulagée.
Dans une autre chambre, nous parlons à des hommes plus vieux, certains de Balata, d¹autres de Tulkarem, un encore de Jénine. Ils ont été amenés ici par les balles de l¹armée israélienne. Ils sont tous devenus amis au cours des dernières nuits . Moments intense de souffrance partagés collectivement entre les blessés et leurs familles inquiètes.
Je retourne dans le hall où les amis de Jamal s¹inquiètent.
Les médecins ne peuvent sauver tout le monde, ces jours-ci, et toutes les familles n¹ont pas «la chance» de celle d¹Ahmed. Le nombre de victimes augmente tandis que les lits de l¹hôpital se remplissent.
Il y a quelques jours, le Centre d¹information national palestinien a publié un rapport indiquant que 3 531 Palestiniens ont été tués par les forces d¹occupation depuis le début de l¹intifada Al-Aqsa et que plus de 40000 Palestiniens ont été blessés.
Les victimes de l¹activité intensive de l¹armée israélienne de ces derniers jours en Palestine occupée feront encore grimper ces chiffres.
Je repense aux images de « Shaheed » (martyrs) d¹une exposition de l¹Union des femmes. Pour diverses raisons, je continue de repenser à l’installation d¹une cascade teintée en rouge, qu'entourent des roses et des bougies, et qui symbolise le sang des tués de Naplouse qui m¹a frappé comme un endroit étrange et hors du temps, avec toute l¹émotion des autres photos et cette mise en forme de l'exposition.
Aujourd¹hui, on voit la poussière que soulèvent, en plein soleil, les pas traînants de la procession des funérailles de Jamal. Des drapeaux et des chants à l’intérieur des murs de la Vieille Ville, au milieu des boucheries et des étals de falafels.
Le rythme de l¹occupation se poursuit avec la même violence tandis que le corps de Jamal est silencieusement descendu dans la terre noire du cimetière herbeux . Les hommes prient, ils essuient leur visage de leurs deux mains et se dispersent calmement.
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : CS pour ISM-France
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