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ISM France - Archives 2001-2021

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Naplouse -

Témoignage d’un soldat israélien

Par

Kole est le coordinateur international de l'ISM à Naplouse

Nous reproduisons ci-après le témoignage d’un soldat israélien affecté à Naplouse. Cette transcription d’interview provient d’un ami israélien de confiance, militant actif du mouvement refusenik, qui m’a donné l’autorisation de reproduire et de diffuser ce texte en respectant l’anonymat des personnes citées.
Ces derniers mois, un groupe de soldats particulièrement courageux a travaillé activement afin de réunir les témoignages de soldats israéliens sur les violations des droits de l’homme perpétrées à l’encontre de civils palestiniens par des unités israéliennes imposant une occupation militaire illégale à la Cisjordanie et à la bande de Gaza.

Témoignage d’un soldat israélien


Photo : Hébron - 2002 : Des soldats se font prendre en photo avec leur victime palestinienne étendue à leurs pieds

L’interview est inédit, à l’exception des paragraphes de présentation des différentes parties. Les omissions, dans le texte original (en hébreu), ont été respectées en l’état au moment où l’on m’a demandé de le traduire en anglais.
Certaines affirmations présentées ici sont choquantes.

J’espère que cette interview – réalisée en hébreu – amènera les gens à agir et que les commandants responsables de tels abus devront rendre des comptes.
Il convient de rappeler ici que l’unité de ce soldat était considérée "exemplaire", en raison de sa discipline relativement acceptable en comparaison d’autres unités combattantes de l’armée israélienne.

Cet interview est donc bien un témoignage fiable sur la véritable nature d’une force armée trop souvent présentée comme « l’armée la plus morale au monde ». Après en avoir pris connaissance, il est bien difficile de comprendre comment ce mythe peut perdurer dans le monde politique israélien, ainsi que dans l’opinion publique américaine majoritaire.


CHECKPOINTS

Soldat : Je suis allé au checkpoint, et il y avait des saloperies. Tout d’un coup, un commandant d’équipe, tout juste vingt ans, arrête tout, et il me dit que tant que tous les conducteurs (la cinquantaine, en moyenne) ne seront pas venus nettoyer le check, personne ne passera.

Interviewer : C’était quoi, ces saletés, au checkpoint ?

S : Leurs poubelles, mais pas seulement les leurs…

I : Lesquelles, celles du poste de garde ?

S : Non, pas le poste. Mais bien les saletés qu’il y avait entre les blocs de ciment. Non, non, il ne voulait pas qu’ils (les Palestiniens) fassent le ménage du poste : il voulait qu’ils nettoient entre les blocs de ciment…

I : C’était quoi, des emballages de snacks ?

S : Les Palestiniens n’avaient pas à choisir ce qu’ils allaient ramasser. Et jusqu’à tout ce que soit nickel, personne ne passerait. Et pendant ce temps, la queue se formait ; il y avait déjà pas mal de monde, je sais pas moi…

I : Et c’est un chef d’équipe qui décide tout ça ?…

S : Sur un check, un chef d’équipe, c’est le roi. Tant qu’il n’y a pas d’inspection du commandant du régiment, ou quelque chose dans le genre, ils se fout pas mal…

I : Et si le commandant du régiment se pointe et voit une queue monstrueuse ?…

S : Eh bien, ça ne lui fait ni chaud ni froid. Il ne pose pas de question : pour lui, avoir une queue monstrueuse à un check point « dos à dos », c’est normal… [Il s’agit des barrages où il y a rupture de charge pour les camions et les taxis, les marchandises devant être déchargées d’un premier camion et rechargées dans un deuxième camion de l’autre côté, aucun camion ne franchissant le barrage, idem pour les passagers des taxis, ndt]

I : Et là, c’est quoi : une inspection du commandant ?

S : Ce genre d’inspection, c’est du bidon : il ne fait que passer. Il se fout pas mal si…

I : Et si un commandant de régiment se pointe et voit qu’un commandant d’escadron a arrêté tout le trafic jusqu’à ce que les Palestiniens aient nettoyé le checkpoint ?

S : Eh bien, ça m’étonnerait qu’il dise quoi que ce soit !

I : Vous avez déjà vu un truc comme ça ?

S : Je n’en ai pas le souvenir. Mais ça n’est pas si grave que ça…


ORDRES DE TIRER

S : « Tazpitanim », cela désigne une situation où vous êtes dans la procédure de la « Veuve de Paille », et qu’il y a plein de trafic militaire dans la ville, les positions de snipers sur les terrasses identifiant les gens qui ont des téléphones portables et caftent vers où les véhicules de l’armée se dirigent, et tout ça.
Ce sont des gens qui ont en quelque sorte… qui ne sont pas totalement innocents… mais ce ne sont pas non plus vraiment…


I : Je posais la question, parce qu’à Hébron, c’était pas comme ça.

S : Ah bon ? Parce qu’à Balata [un camp de réfugiés, près de Naplouse], ils ont aussi l’autorisation de tirer. Tu leur tires dans les jambes. Aux « éclaireurs ».
Ou alors sur un type debout sur un toit avec un portable au moment d’un engagement, ou un truc dans le genre, et si les snipers le voient regarder en bas au moins deux fois, ou un truc dans le genre, s’il a l’air un peu suspect, alors tu demandes au commandant l’autorisation de tirer dans les jambes d’un client comme ça.


I : Vous demandez l’autorisation ? Y a-t-il des cas où vous ne la demandez pas ?

S : Non.

I : Mais, de voir quelqu’un parler dans son portable, ça suffit ?

S : De le voir parler dans son portable ET regarder en bas, alors là, oui : ça suffit.

I : Bon, alors tu lui tires « seulement » dans les jambes. Et si tu ne les vois pas, ses jambes, qu’est-ce que tu fais ?

S : Je ne crois pas que ça arrive… Mais, il y a des fois où tu rates ton coup : tu rates ses jambes et tu l’atteints au-dessus des jambes : dans le bide.


100 SHEKELS POUR AVOIR TUE UN ENFANT – PAS DE PROCES / PAS D’ENQUETE

I : Tu connais les mecs qui ont fait ça ?

S : Euh… Ils l’ont pas fait exprès. Mais nous avons eu des cas, en ville, de gamins tués, et pas nécessairement des « éclaireurs »… c’est parce qu’on avait essayé de les toucher aux jambes, mais ils ont été touchés au ventre, dans le dos… Résultat : c’est toi qui est puni. Ordinairement, un officier se prend une amende de 100 shekels quand il dézingue un gamin, et…

[Note de Kole : la plupart des morts et des blessés en état critique que j’ai pu voir au cours des neufs mois écoulés étaient atteints à la tête ou dans la partie supérieure du corps]

I : Qu’est-ce que tu dis ? Je ne savais pas ça !

S : Je confirme.

I : Attends, je veux bien comprendre : si je vise les jambes et que j’atteins en réalité le gamin à…

S : Non, non, non… Attends… Si nous entrons dans la ville en patrouille motorisée ou quoi ou qu’est-ce, sur un Abir [commentaire du traducteur : véhicule militaire blindé] et qu’on nous balance des pierres et même tout un tas de trucs ; là, tu n’as pas l’autorisation. Mais si tu vois un gamin te balancer un parpaing dessus, là, tu peux le viser, aux jambes.

I : Le gamin qui jette un parpaing ? Sur un Abir ?

S : Ouaip !

I : Et cet Abir, par définition, il est blindé, non ?

S : Positif. On nous a tiré dessus, ils nous ont balancé n’importe quoi, et rien ne s’est passé. Mais en cas de parpaings, tu peux viser les jambes : tu as l’autorisation du capitaine.

I : Quel capitaine ? L’officier qui dirige les opérations ?

S : Non, non. Le capitaine qui est dans le véhicule Abir. Non : pas un 08 [terme de jargon militaire désignant un officier]. C’est une permission provenant généralement du commandant de l’unité.
C’est lui d’ailleurs qui tire si je suis en train de me rendre quelque part pour y procéder à une arrestation ou dans le cadre d’une procédure « Livnat shibush ».


I : Et c’est quoi, une procédure « Livnat shibush » ?

S : C’est quand tu as une alerte spéciale, parce qu’il va y avoir un transfert d’armes à l’intérieur de la ville, à l’intérieur de Balata…
Si quelqu’un se pointe, pour attirer l’attention sur nous, alors on conduit comme des dingues, on fout le bordel dans la ville, on balance un tas de grenades incapacitantes, plein de gaz lacrymogène, juste pour donner l’impression que nous sommes une force très importante et les terroriser pour qu’ils ne sortent pas.
L’idée, c’est de les faire sortir et de causer des affrontements.
Quand il y a des échauffourées, tu as l’autorisation de tirer dans les jambes des gamins qui balances des parpaings, et s’il m’arrive de tirer – je suis juste un tireur, pas un tireur de précision [sniper], et que je vise le genou…



I : N’importe quel soldat peut tirer ?

S : Ouaip ! Avec son arme personnelle. Si le commandant durant la procédure est un adjoint de commandant d’une compagnie, il peut avoir l’autorisation.
Et si, par erreur, je l’atteints au dos ou si je le tue, et c’est arrivé… deux ou trois fois, rien qu’au cours de la dernière période de service, à Naplouse.


I : Des soldats ont tué des enfants ?

S : Ils ont tué des enfants… Par erreur.

I : Ils les ont visés aux jambes, ils les ont touchés dans le dos et ils les ont tués. Comment pouvez-vous savoir, après coup, si des soldats les ont tués ?

S : On a les rapports du DCO [Bureau de coordination du district], on a le rapport des Palestiniens, dans ce domaine, il y a une certaine coopération. Alors, voilà : des gamins se font tuer. Pour un soldat, ce n’est rien. Et un officier peut être condamné, pour ça, à verser une amende de cent ou deux cents shekels…

I : Cent, deux cents shekels… Pour la vie d’un enfant ?

S : Yep ?

I : Des peines de prison ?

S : Non… non.

I : Un procès ? Y a-t-il enquête sérieuse, dans un cas comme ça ?

S :… Non. Je suis certain que ça ne monte pas plus haut que le commandant du régiment.
Je ne connais personne qui ait fait l’objet d’une enquête.
Je n’en suis pas certain… mais je n’ai jamais vu quiconque subir une enquête, et je n’ai connaissance d’aucune suite qui aurait été donné à ce genre d’affaire.




UTILISATION DE MATERIEL DE DISPERSION DE MANIFESTATIONS - SE COMPORTER COMME DES "ATTARDES"

S : Quelqu’un vient trouver l’équipe d’alerte : « Allons-y les mecs, y’a un Livnat Shibush ! »
« Quoi, qu’est-ce qui s’est passé »
« Y’a eu une tentative d’introduction clandestine d’armes à Balata ».
« Qu’est-ce qu’on fait ? »
« On va à Balata : on utilisera le matériel anti-manifs et les grenades incapacitantes ! »


I : Y a-t-il des restrictions, pour l’utilisation de ce genre d’équipement ?

S : Aucune. Tu peux aller là-bas avec quatre grenades sur toi. Nous avons une caisse à matériel, dans le véhicule Abir, et tout le monde peut se servir autant qu’il veut.
Combien de rasades de gaz lacrymo le 08 va-t-il lancer ?
Autant qu’il voudra ! Non, pour ça, on peut pas dire qu’il y ait des "restrictions" !…


I : Dans tout véhicule de ce type, il y a un 08… Il vous dit où tirer ?…

S : Non, il est assis devant, à côté du conducteur, et nous, nous sommes assis derrière. « Ecoute, Erez, il y a des gamins, là-devant. Je suis en train de les sulfater ». « Bien reçu, chef, c’est un 2A. L’équipement anti-manifestations est prêt ! » « Bien reçu ! »
Et puis tu balances les grenades, tu balances du gaz. Pas d’autorisation : pas besoin. Rien du tout. « Erez, je lance des lacrymos ! »
Et on en arrive au point où les gens se comportent comme des petits gamins capricieux : « Laisse-moi lancer des lacrymos ! Laisse-moi lancer des lacrymos ! »


I : Et vous, vous protestez, contre ça ?

S : Oui. Dans ma compagnie, je suis dans la minorité. Dans une unité de neuf, nous étions trois à être opposés à ce que nous nous comportions comme des gamins attardés à chaque fois qu’on entrait dans la ville, en lançant des grenades comme…

I : Que voulez-vous dire, par "enfants attardés" ?

S : C’est quand on vous balance des pierres, et que vous, vous êtes dans votre Abir blindé, et que vous savez très bien qu’il ne peut strictement rien vous arriver.
Alors il n’y a absolument aucune nécessité de leur balancer des grenades incapacitantes, et de les rendre sourds pour au moins un mois !


I : Les ordres, c’est de leur lancer des grenades ?

S : Il n’y a pas d’ordres précis. S’il y en a, personne ne les connaît. L’utilisation du matériel anti-manifestation ? Personne ne nous a jamais rien dit à ce sujet. Et pourtant c’est ce qu’on fait. En pleine ville. En plein Naplouse.

I : Dans Naplouse – vous pouvez faire tout ce que vous voulez ? Utiliser des balles enrobées de caoutchouc ?

S : Le caoutchouc : je veux, mon neveu !

I : Tout, quoi ?

S : Tout ! Peut-être, tu vas devoir faire un rapport sur la radio de communication, pour des tirs à balles de caoutchouc. Je n’ai jamais entendu personne répondre « non ».
Quel que soit le problème. Il y a quatre soldats derrière, le commandant et devant : il n’a aucune idée de ce qui est en train de se passer.


I : Pouvez-vous lui dire : « J’ai vu quelque chose – je vais tirer » ?

S : Tant que ce ne sont pas des balles réelles – tu fais ce que tu veux.

I : Et vous, les mecs, vous avez déjà tiré des balles de caoutchouc ?

S : Bien sûr !

I : Sur quoi ?

S : Personnellement, je n’en ai jamais tiré. Mais si on est vraiment en difficulté, et si je vois qu’ils sont sur les toits et qu’ils nous balancent des frigos sur la tronche et qu’ils sont sur le point de démolir notre beau Abir, alors là, nous sommes prêts à tirer des balles en caoutchouc ou des balles réelles dans leur direction.

I : Et ces balles en caoutchouc, vous visez quoi, avec ?

S : Le bas du corps.



PREMIERE PERIODE MILITAIRE, OCTOBRE 2002

I : Et vous avez déjà atteint quelqu’un ?

S : Je ne sais pas. Je n’ai jamais vu ce genre de truc atteindre quelqu’un. Je n’ai pas eu à utiliser ça. Mais au début, dans notre première campagne, quand on faisait partie du régime positionné dans la ville, c’était…

I : Quand était-ce ?

S : En octobre 2002. L’Intifada avait commencé depuis deux ans. Quelque chose comme quatre ou cinq mois après l’opération « Bouclier de Protection ».
Nous devions nous emparer d’une maison abandonnée, afin d’empêcher des villageois d’entrer.. C’était une des missions.
Et puis il y en avait une autre, avec un APC : il fallait imposer un couvre-feu, et patrouiller partout.
C’est le 08 qui donne ce genre d’ordres. Genre : détruisez leurs rues, de telle ou telle manière…


I : Qu’entendez-vous par « détruire leurs rues » ?

S : L’APC roule dans la rue : ça suffit pour la détruire.

I : Comment, avec les voitures stationnées, ce genre de choses ?

S : Cela dépend. Parfois oui, parfois non : parfois vous roulez sur les bagnoles et vous les aplatissez, et parfois : non.

I : Nécessité militaire ?

S : Non. Sans aucune nécessité militaire.

I : Non, je voulais dire : si vous voulez entrer quelque part et qu’il y a une voiture sur la route, alors là, nous avons affaire à une nécessité militaire.

S : Non, non, par erreur… [Vous écrasez les bagnoles parce que] vous ne pouvez pas voir que « ça ne passe pas »…
A l’époque, on pouvait faire tout ce qu’on voulait.
On tirait, on restait sur les checks, sur le toit des maisons abandonnées : on pouvait voir des gens arriver depuis cinq cent mètres, jusqu’à un kilomètres, avant qu’ils arrivent, alors vous n’avez pas l’énergie nécessaire pour leur parler et les repousser.
Alors vous essayez de les repousser, pour qu’ils n’approchent surtout pas.
Alors, qu’est-ce que vous allez faire ?
Leur tirer juste à côté des pieds.


I : A balles réelles ?

S : A balles réelles. A l’époque, nous n’utilisions que ça. Nous étions dans la ville, tu tirais sur tout ce que tu voulais. On tirait sur les lampadaires… tu tirais à côté de ceci… ou de cela… tu tirais pour dissuader, en l’air, tu n’avais pas besoin d’autorisation d’un responsable au-dessus de ton 08, rien du tout. Ils te demandaient, par la radio de communication, ta compagnie, ton régiment.
Alors là, tu disais : "C’est moi qui l’ai fait. OK ".
Personne ne te demandait la raison, personne ne te demandait jamais rien. A un moment, on était dans des Hummers, des Hummers cuirassés.
Nous imposions le couvre-feu dans une ville où personne ne vous obéit réellement quand il y a un couvre-feu. On écrabouillait même des bagnoles « vivantes »
[= avec leurs occupants, ndt]



ECRASER DES VOITURES AVEC LEURS OCCUPANTS A L’INTERIEUR – FRAPPER DES AUTOMOBILISTES

I : Attendez. Là, j’ai pas compris…

S : Tu… des voitures passent, et puis le conducteur te voit, il se rend compte qu’ils doivent passer, et qu’ils ne peuvent pas conduire, alors ils font marche arrière,

I : Est-ce que cela vous est arrivé, à vous, dans votre Hummer ?

S : Oui, j’étais dans un Hummer, quand c’est arrivé.

I : Combien de fois ?

S : Moi, personnellement ? Une fois. Et, mis à part le sergent qui était avec moi, dans le Hummer, personne ne l’a su.

I : Savez-vous si cela se produit souvent, dans votre unité ?

S : Si ça ne va pas jusque-là, il arrive très souvent que vous les sortez (de leur voiture) et que vous les tabassiez, histoire qu’ils comprennent qu’il y a un couvre-feu.

I : Qu’entendez-vous dire par « tabasser » ?

S : Oh, tu sais, quelques taloches, quelques coups de pied. "Viens ici ! Ferme-là ! Pourquoi t’es là ? Pourquoi … ?…" et puis après : "Yalla, fous le camp ! Rentre chez toi !"

I : Savez-vous si cela s’est passé, une autre fois, avec le Hummer ?

S : Avec ce Hummer ? Non.

I : Qui a assisté à cet incident-là, précisément ?

S : On était dans un Hummer blindé. Quatre : le commandant, le conducteur, moi, et un autre type. J’voudrais dire qu’à l’époque, je n’avais que huit ou neuf mois de service…
Je ne me rendais pas compte. Tout ça, ça me semblait OK.
Tout ce qui se passait paraissait normal, alors, tu ne te rends pas du tout compte…
On a descendu la colline, alors (le type en voiture) s’est avancé vers le carrefour, mais il a fait marche arrière, et il a cherché à nous échapper.


I : Et alors, c'est le sergent, qui a donné l’ordre ?

S : Oui, c’est ça : "Poursuis-le ! Poursuis-le !". Et notre chauffeur, il n’avait aucun état d’âme. C’était un chauffeur de notre compagnie, un soldat d’active.
Et puis la voiture a été bloquée, à cause de la circulation : nous arrivions en ville… Alors on l’a doublé (par-dessus), et on a continué.


I : Vous voulez dire que le Hummer a roulé sur la voiture ?

S : Il ne l’a pas écrasée, nous avons juste écrasé le coffre. Et puis on a sauté du Hummer, on a tiré le conducteur dehors. Il ne pouvait pas croire que sa bagnole était totalement foutue.
Tu chopes le mec, tu le plaques contre le mur, en commençant immédiatement à le… et une voiture est arrivée, c’était un photographe, et il s’est mis à prendre des photos.
Alors mon sergent était hors de lui, fallait voir : il lui a pris son film et sa carte de photographe.




"COMME AU FAR-WEST" - CONFISCATION DE DOCUMENTS, DE CLES DE VOITURE, D’EFFETS PERSONNELS

I : C’était un photographe étranger ?

S : Non, un Arabe. Mais, oui, il avait une carte de journaliste. Et nous avons chopé son film. Personne ne l’a su. Personne…
Après la mission, y’a pas d’enquête, tu n’as pas, je sais pas… c’était une période… comme le Far-West.
Tu pouvais faire ce que tu voulais et personne ne te demandait jamais rien.


I : Et, dans ce cas, vous n’avez rien dit au sergent ? Par exemple : « Vous savez, ce qu’on a fait avec cette voiture… ce n’est pas correct… et… ? »

S : Non. Je ne me rendais pas compte que je faisais quelque chose de mal. J’veux dire : t’as pas conscience… Je… J’sais pas. Même si ça paraît stupide, tu ne sais pas en quoi ce que tu fais est mal.
Ce n’est qu’après, peut-être deux ans après, peut-être après que tu sois devenu commandant, que tu sois plus équilibré, que tu aies grandi…
Tu commences à prendre conscience de ce que tu as fait à ce moment-là. C’est moi qui… mais j’ai vu mon pote les mettre contre le mur, et ils avaient trente ou quarante ans, et non pas…
J’ai dit "Holà", mais je n’ai pas vu le voyant rouge. Je me suis dit : quelle situation dégueulasse, et c’est tout. Faire des rondes dans la ville, glander, gueuler.
Des fois, on avait avec nous un véhicule Sufa de la police des frontières
[Note : il s’agit d’un véhicule blindé, de couleur bleue]. Juste comme ça… Ils arrêtaient, s’ils voyaient une boutique ouverte, et ils tabassaient au petit bonheur la chance. Juste pour les remettre à leur place. C’était étonnant, je m’en souviens très bien.
On s’arrêtait et on restait là, devant une boutique déjà ouverte, alors qu’il y avait encore couvre-feu. Les mecs de la police des frontière, à peine le comandant a ouvert sa portière et fait mettre tout le monde en rang, ils savent très bien ce qu’ils ont à faire.
Ils disent : "Pourquoi tu… " et bang ! bang ! deux torgnoles et "fous le camp !".
Comme, une fois, ils étaient onze, alors : 11 x 2 torgnoles = 22 torgnoles. Je viens tout juste d’apprendre que confisquer les clés de voiture des Palestiniens était illégal. C’est Y qui me l’a dit.


I : Ah, c’est Y [Note : ce nom est occulté volontairement. Y est le soldat qui a rendu ce genre d’interviews possible, depuis quelques mois] ?

S : Oui, parce que c’est quelque chose… Quand nous étions à Halamish [Note du traducteur : une colonie, près de Ramallah], c’était tout à fait naturel. Tu prenais les clés de la voiture, et tu partais. Cela arrive, aussi, à Naplouse.

I : Vous voliez leurs voitures ?

S : Non, non. Il restaient avec leur voiture, fermée, comme des cons. Comme en ville, à Naplouse. Tu leur dis : "Pourquoi tu conduis une bagnole, en pleine journée ?"

I : Cela devait arriver, lors de vos patrouilles en Hummer. OK, tu arrives en Hummer vers la voiture : qu’est-ce que tu dis au conducteur ?

S : Oh, ceci ou cela… Tu commences à lui gueuler après… Après quelque temps, on s’est rendu compte qu’ils avaient tous des doubles de leurs clés de bagnole. Alors on prenait les doubles, aussi. On le laisse avec sa voiture, et on fout le camp.
"Viens nous voir, d’ici deux jours, au check, et on te rendra tes clés… "


I : C’était réglementaire ?

S : Quoi, réglementaire ? Même si ça l’était, les clés disparaissaient quand même… Il y a la relève…

I : …

S : Oui. Quand on était dans cette maison abandonnée, où les gens n’étaient pas autorisés à pénétrer… une voiture pouvait y pénétrer, elle. "Hop là ! ça, là-bas ? Pourquoi ?"
Et tu chopes ses clés, son double de clés. "Rentre chez toi à pied, ta bagnole reste ici, reviens dans deux jours !"
Alors tu mets les clés à l’étage, dans la maison abandonnée, et les mecs de la relève n’ont plus qu’à piquer leurs cartes d’identité.


I : Et on leur les rendait, après ?

S : Très souvent, non. Un beau jour, tu vois un narguilé dans le placard d’un mec. "Dis donc, Benny, comme ça s’fait : t’as un narguilé dans ton placard ?"
Alors, lui : "Oh, j’savais pas quoi en faire… et patati et patata… "
Alors, je lui fais : "Walla, je le prends ! ", alors, lui, y me fait : "Je sais pas si ça te plaira : c’est un narguilé de Balata".
"Et pourquoi t’as un narguilé de Balata dans tes affaires
?"
"Oh, une fois, on était en procédure d’ « Almanath Kash »… et il y avait une maison remplie de narguilés, alors j’en ai piqué un".
Alors, je lui ai dit : "Non, je prends pas ton narguilé. Merci bien !"




SERVICE ACTIF (DECEMBRE 2003 A MAI 2004) – NOËL : LA COMPAGNIE TUE

I :Votre compagnie était en service actif. Quand était-ce ?

S :C’était entre décembre 2003 et mai 2004. Aujourd’hui, jusqu’à il y a six semaines.

I : Et ça s’est passé dans Naplouse, aussi ?

S : Non. Notre QG était à la brigade régionale, et nous entrions dans la ville pour des embuscades, à chaque fois.

I : Quand vous dites « à chaque fois », vous voulez dire…

S : Quelque chose comme quatre ou cinq fois par semaine. Des arrestations, des procédures « Almanat Kash », des procédures « Livnat Shibush »…

I : Combien d’X a la compagnie ? [Les X sont des notes employées par les soldats pour comptabiliser les morts]

S : Hmm… on a dans les onze hommes armés, je pense, et quatre ou cinq gamins…

I : Quatre ou cinq gamins ?

S : Oui. C’était même tellement remarquable qu’ils nous ont dit que, comme nous n’avions descendu que quatre gamins, ils confiaient des missions à notre compagnie, parce que nous passions pour être une compagnie qui ne tuait pas des civils innocents…

I : Qui vous a dit ça ?

S : Le commandant de la compagnie a dit que c’était le commandant de la brigade. On nous confie des missions parce que nous savons être sélectifs, et parce que nous ne tuons pas les innocents.

I : Mais ce n’était que quatre gamins…

S : Juste des gamins…

I : Et ces quatre enfants, ils ont été tués quand ?

S : Entre décembre 2003 et mai 2004.

I : De décembre 2003 à mais 2004 ; quatre gamins ?

S : C’est une compagnie de soixante types, qui sait comment cibler…
Il y a eu une opération, « Mei Menuhot » [opération Eaux Calmes – elle dura de la mi-décembre 2003 au début janvier 2004], qui a duré deux semaines et demie : la compagnie au complet est entrée dans le camp de Balata. A chaque fois, pour quelques jours. On rentrait… on sortait… on re-rentrait…
Je pense que rien que là, tout en faisant partie de cette (fameuse) compagnie (« éthique »), nous, les paras, on a descendu pas mal de civils.
On achetait les journaux, à chaque fois, et on voyait qu’un vieillard avait été tué, ici ou là.
On n’avait pas conscience de ça. Ils ne nous disaient pas que l’équipe d’à côté avait descendu quelqu’un." "Un vieil homme et quatre gamins ont été tués, à Balata : ils avaient pénétré sur une zone de combat".
Dites-moi un peu : vous êtes sur place, et vous savez ce que signifie "zone de combat"…


I : C’est quoi, une zone de combat ?

S : J’sais pas. Les canards disent que Balata est une zone de combat. Il n’y avait pas beaucoup de tirs, là-bas. Mais c’est une zone de combat… J’sais pas…
Y’a des troufions qui tirent, pour que ça en devienne une, de zone de combat… mais il y a eu très peu d’engagements, cette année-là, où nous entrions en plein jour dans les ruelles du souk, pour aller choper des types armés. C’était le but.
Une fois, on a procédé à une fausse arrestation, dans une échoppe du marché. On est juste entré dans une boutique. Juste celle qui semblait le mieux convenir.
En même temps, des snipers entrent dans les maisons voisines, et on reste là, dans la boutique, trois quarts d’heure, comme des cons, en espérant que personne ne va nous dézinguer au beau milieu de Balata.
C’est un endroit très… comment dire ?… un camp de réfugiés…
Un adjoint de commandant d’une compagnie de paras s’y est fait tuer, le mois dernier… Alors, on est dans la même ruelle, et on espère que nos snipers vont les dégommer avant…




OCCUPATION DE DOMICILES PRIVES - FAUSSES ARRESTATIONS

I : Juste une minute : il y avait des raisons, à cette attitude ?

S : J’sais pas. Y’avait pas de renseignement, ou quelque chose dans le genre. C’était juste parce que le commandant en avait décidé ainsi.

I : Ah bon ? En pleine opération ?

S : Non, non, non ! C’est une procédure de combat, qui dure trois jours. Tu regardes les photos aériennes, tu te dis : « Si je choisis cette boutique, alors, cette maison, là, c’est là où je le mettrai » et, stratégiquement, pour ainsi dire, cette boutique là devient la plus indiquée. Elle a la meilleure entrée, elle a la meilleure issue de secours.

I : Et le couvre-feu, il est levé, ou non ?

S : Quoi ? Mais y’a pas de couvre-feu, dans la ville…

I : Alors, il y a du monde, dans le souk…

S : Plein de monde. Partout. C’est le but. A midi, les ruelles du souk sont noires de monde. C’est comme n’importe quel marché…

I : Et vous foncez dans le tas… ?

S : On fonce. Avec des grenades incapacitantes, avec des tirs en l’air. Une boutique, c’est grand comme çà [il montre, avec les mains], avec une ouverture qui fait toute la façade. Un rideau de fer ouvert, côté rue, et une grande ouverture, de l’autre côté. Tout l’étal se voit de la rue. Dès qu’on rentre, les gens commencent à s’enfuir.

I : A quoi ça rime ?

S : C’est pour que les Palestiniens armés se pointent, et pour permettre aux copains de les allumer avant qu’ils ne nous dézinguent. On sert d’appât…

I : OK. Et qu’est-ce que vous faites, pendant ce temps-là ?

S : Rien. On se planque dans la boutique, on se met à l’abris. Au cas où ils viendraient, dans la ruelle, devant la devanture, et où ils nous verraient, et…

I : Les jetons ?

S : Ouais.

I : Combien de temps ça dure ?

S : Quarante, quarante-cinq minutes. Le but, c’est que ça ressemble à une arrestation, de A jusqu’à Z. C’est pour qu’ils ne pigent pas le truc. Alors tu arrêtes aussi un type. Tu arrêtes un client, dans la boutique, et tu le fais passer par toutes les étapes… tu l’emmènes au centre de détention, les yeux bandés, au QG de la brigade régionale : là, il sera interrogé et, à la fin du circuit, il sera libéré.
Tu leur fais croire que c’était une vraie arrestation et qu’on n’a pas chopé le bon…
Et il y a eu une fois, où on est entré dans la boutique, mais il n’y avait personne…
Une autre fois, il y avait trois personnes : un septuagénaire, un quinquagénaire et une femme de soixante ans…


I : Alors, vous n’aviez personne à arrêter, juste…

S : Oui, mais ça n’a pas empêché le commandant de l’escadre de bander les yeux et de passer les menottes à l’homme de soixante-dix ans, et de l’emmener…

I : Et aussi de le détenir, et de… ?

S : Oui. Mais on ne l’a pas emmené. On s’est rendu compte que ce n’était pas la peine. Non. Ce qu’on a fait, c’est qu’on l’a envoyé ouvrir la maison pour nous.



UTILISATION DE BOUCLIERS HUMAINS

I : Je ne comprends pas…

S : Ils disent que la procédure de "Nohal Shahen" [note du traducteur : le fait d’utiliser des Palestiniens comme "Boucliers Humains"] n’est plus légitime.
Aussi vous ne l’appelez plus comme ça. Vous l’appelez "Mevi Haver", ou quelque chose comme ça. C’est un code…


I : Que signifie-t-il ?

S : Il veut dire que si je vais arrêter quelqu’un et que je sais que ce type est dangereux, qu’il est armé et tout et tout, rien ne peut m’empêcher d’aller chez son voisin, alors j’y vais et je ne sais pas exactement où aller : ça peut être dans quatre ou cinq maisons différentes.
Tiens, disons que je suis dans la Kasba [de Naplouse, ndt] ou [dans le camp] de Balata. Le renseignement dit que le type est supposé se trouver dans ce bloc.
Alors je frappe à la porte : c’est quelle famille, ici ? OK, c’est pas la bonne. Ou bien : "OK, vous me suivez". Je frappe aux portes, et je fais sortir tout le monde.


I : Bon. Alors le soldat, comme ça, cerne l’endroit. Il frappe à toutes les portes ?

S : Non : il va dans une maison, et puis nous allons prendre quelqu’un d’autre dans la maison suivante.

I : Et quand il sort, vous êtes où ?

S : Un peu derrière. Il nous devance.

I : Vous le mettez en joue ?

S : Non. D’abord il sort, et après vous visez, mais pas particulièrement le type. Il se rend compte qu’il n’a aucune échappatoire. Il frappe à la porte : "Ya zalamé" ["Eh, vous !"]. Il les supplie.

I : Quoi ?… Et ça arrive aussi, ce genre de choses, maintenant ?

S : Oui, c’est une procédure d’arrestation bien connue, dans les cas où…

I : A quand remonte la dernière fois où vous l’ayez fait ?

S : En avril, je pense… Je ne me souviens pas précisément.

I : Cela vous a-t-il semblé bizarre, quand vous l’avez fait ?

S : Pour moi, c’est évident que c’était anormal, pas bizarre. C’est quelque chose qui arrive tout le temps. C’est une procédure bien connue.



« ILS PRENNENT DES PHOTOS COMME LE FONT DES ADOS DANS UN MONDE NORMAL… »

S : Lors de notre dernière période d’active, on a eu une arrestation où le type a tenté de fuir. Ils ont vu qu’il était armé. Ils l’ont tué. Il avait sorti une de ses jambe et une mitraillette Uzi… il a essayé de sauter.
Ils lui ont tiré dans la jambe, il est tombé et il est mort d’hémorragie.
On a transformé la maison en cocotte minute, parce qu’il y en avait un autre, dedans. Il y a des photos, dans la compagnie, qui…
Plus maintenant, les mecs ont été démobilisés, depuis…


I : Des photos ? Quel genre de photos ?

S : Des photos de gens faisant le V de la victoire. Mais ils ne touchent pas le cadavre… Il n’y a pas eu de mutilations… Mais ils ont pris des photos souvenirs comme le fait un adolescent dans la vie normale…

I : Que vous ont-ils dit, après l’avoir tué ?

S : Rien. Que voulez-vous qu’ils m’aient dit ? Qu’ils avaient pris des photos ? Non. Rien

I : Le commandant de la compagnie a-t-il participé à ça ?

S : J’sais pas. Ce n’est pas impossible…

I : Il le savait, que des soldats avaient pris des photos ?

S : Oui. Oui, ça, c’est certain.

I : Il a dit quelque chose ?

S : Rien

I : Vous étiez l’opérateur radio du commandant de la compagnie, non ?

S : Non. Pas à l’époque. Cela fait seulement deux semaines…

I : Ah, je vois.

S : Mais il m’est arrivé d’être au commandement [note du traducteur : Hapa’’k, en hébreu] des opérations sur le front, une fois ou deux…


COMMANDEMENT DES OPERATIONS DU FRONT - DEGOMMER DES GENOUX

I : Et comment trouvez-vous leur attitude, à ce moment-là ?

S : Bien souvent infantile… des pierres lancées… des gamins… alors ils tirent sur les murs, juste à côté d’eux. A balles réelles.

I : A quelle distance d’eux ? A cinq mètres, par exemple ?

S : Non, cinq mètres, ce serait trop dire.

I : Exagéré, vous dites ? Et qui tire, c’est le commandant de la compagnie ?

S : Oui. On circule, avec le commandant des opérations (dans le véhicule), et ils nous bousillent avec des pierres…
Avec toujours un parpaing ou deux, au milieu…
Nous sommes avec un véhicule Hummer et un véhicule Sufa.
Y’a toujours deux véhicules, au minimum. Mais souvent il y en a quatre.


I : Vous avez commencé à m’expliquer que le commandant de la compagnie avance – on vous jette des pierres…

S : Oui. Donc, il est autorisé à tirer sur les murs, à côté d’eux. Mais pas à leur tirer dans les jambes…

I : Est-il arrivé qu’il atteigne quelqu’un ?

S : Pas que je sache. Je connais des tas d’histoires avec des jambes et des genoux de gamins qu’il a dégommés. Mais conformément à la loi martiale, bien sûr…

I : Que voulez-vous dire ?

S : Des gamins lançant des cocktails Molotov, ou tel ou tel truc… vous leur bousillez les jambes.

I : Alors, il y a des « X », sur les armes ?

S : Non. Ils n’ont pas été tués. On leur a juste dégommé les genoux.

I : C’est comme ça que vous appelez ça ?

S : Pas obligatoirement… mais les gens disent : "Ahmmm, oui : j’étais à Beit Surik et je me suis fait au moins cinq genoux, là-bas." Souvent, vous avez l’impression que les gens traitent ça tout à fait à la manière d’un jeu.
Comme vous êtes là, assis dans un véhicule blindé Abir et que rien ne peut vous arriver, vous riez des pierres et des cocktails Molotov qu’on vous envoie, et alors vous leur tirez des gaz lacrymogènes et vous leur balancez des grenades incapacitantes.
C’est une sorte de truc dans le genre "Hasta la Vista"… Alors vous vous mettez à arroser tout avec les gaz. Même l’intérieur des boutiques…


I : Avez-vous l’impression que le commandant de compagnie excite ses hommes, ou qu’au contraire il cherche à les retenir ?

S : Non, il les excite pas : il essaie de les maîtriser. Oui, d’ailleurs, à ce sujet, avant chaque incursion, il leur dit…
Je ne suis pas certain que ce soit pour les bonnes raisons…
"Les mecs, ne tuez pas des civils… vous voyez, ils pensent que nous ne sommes pas une compagnie qui dégomme les civils.
Nous avons toujours les bonnes opérations
."
C’est ça, sa raison de ne pas "dégommer les civils"…


I : Ah oui ? Carrément ? Il présente les choses comme ça ?

S : Il y a peut-être une autre raison, mais vous y pensez à chaque fois, avant de tirer.
Parce que, encore une fois, je le rappelle, cette opération, où nous entrons dans la ville à midi, dans les boutiques, et tout ça… alors il y a beaucoup de civils innocents.
Alors il dit : "Je préférerais voir un homme armé échapper que d’avoir un seul innocent touché."
Il dit ça, mais pour obtenir encore plus d’opérations de ce genre…
Parce que, autrement, ils ne nous laisseront pas faire ce genre de truc, la prochaine fois…
Je ne suis pas sûr que ce soit pour les bonnes considérations. Quant à ce commandant, précisément, je sais qu’il est…
Je sais qu’il est conscient de ce problème.


I : Et qu’est-ce qu’il en déduit, à votre avis ?

S : Je ne pense pas qu’ils tuent et blessent des gens exprès…

I : Certainement pas « exprès »… Mais vous avez évoqué ces enfants, tués au cours de l’année et demie écoulée. Connaissez-vous personnellement des gens qui en auraient tué ?
Les soldats en parlent-ils ?
Disent-ils : "Je sais que j’ai tué un enfant, aujourd’hui" ?

S : Oui. Bien sûr que oui…



FAIRE SES PREUVES, DANS « TSAHAL »…

I : Et en quels termes en parlent-ils ?

S : Certains le prennent d’une manière, d’autres le prennent d’une autre manière. Il y a des gens qui… OK, j’ai tué un gamin… OK… Et puis, ils rient. Oui, maintenant, je peux dessiner un ballon, sur mon flingue. Un ballon, au lieu d’un « X ». Ou un smiley…
Il y en a qui en ont gros sur la patate. Je me rappelle, c’était durant un entraînement de commandant d’escadre, j’étais à Jénine.
Voyons… Ah, oui : on était en procédure « Almanat Kash », et tout ceux qui se hissent sur un les APC ou les véhicules blindés israéliens : on les abat. Et le but, dans tout ça, c’était de faire en sorte d’avoir des gens qui essayent de grimper sur nos véhicules… Parce que quand vous avez des APC devant chez vous, tout le temps…
Bien entendu, ils nous disent que le but, c’est de faire en sorte que les hommes recherchés sortent de leur planque. Mais quel homme recherché irait tirer, comme ça, sur un APC ?
Ils disent aussi que s’ils sautent sur l’APC et qu’ils essayent de s’emparer de la mitrailleuse… il faut les abattre.
Alors, un de mes amis est venu avec son M29, un fusil de précision de sniper, et juste à ce moment-là, un gamin a escaladé.
Il lui a tiré dessus, tout heureux : "J’en ai descendu un !".
Après, on lui a dit qu’il avait tué un gamin de onze ans, ou quelque chose comme ça. Il était scié.


I : Il a tué quelqu’un, alors il est tout content ? Pourquoi ?

S : Yep. Parce que vous vous affirmez. Vous êtes un homme. Un vrai.

I : Il est pourtant évident que le gamin n’a pas d’arme…

S : Oui. Bien sûr. Il n’a pas d’arme, et il escalade le véhicule…
Personne ne vous demande pourquoi vous avez deux "X" sur votre arme, ni si ceux que vous avez dégommés étaient armés et si donc vous les avez descendu conformément au règlement…
Même si c’était deux jeunes lanceurs de cocktails Molotov, vous avez quand même deux « X ».
Il n’y a rien qui ressemble plus à un « X » qu’un autre « X »…



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Source : http://intothemiddleeast.civiblog.org/

Traduction : Marcel Charbonnier

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