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Gaza -

Rachel, 10 ans

Par

Cet article a été publié initialement le 16 mars 2006, pour les 3 ans de la mort de Rachel.

Rachel Corrie, citoyenne américaine et membre de notre mouvement, a été assassinée le 16 mars 2003 par un bulldozer israélien à Rafah, au sud de la Bande de Gaza, alors qu'elle tentait d'empêcher la démolition de la maison du Dr Samir où elle était hébergée.
Beaucoup de choses ont été dites, beaucoup d'hommages ont été rendus à notre camarade.
Pour le 10ème anniversaire de sa mort, nous lui laissons la parole, avec une série de mails qu'elle a envoyés à ses parents depuis Rafah, dans la Bande de Gaza.

Rachel, 10 ans

7 février 2003

Salut les amis, la famille et les autres,

Je suis en Palestine depuis deux semaines et une heure maintenant, et les mots me manquent pour décrire ce que je vois.

C'est plus difficile pour moi de penser à ce qui se passe ici quand je m'assieds pour écrire aux Etats-Unis.

Je ne sais pas si beaucoup d'enfants ici ont vécu sans trous d'obus de chars dans leurs murs et sans les tours d'une armée d'occupation qui les surveillent constamment d'un horizon proche.

Je pense, bien que je n'en sois pas entièrement sûre, que même les plus petits de ces enfants comprennent que la vie n'est pas comme ça partout.

Un enfant de 8 ans a été abattu et tué par un char israélien deux jours avant mon arrivée ici, et beaucoup d'enfants me murmurent son nom - Ali - ou me montrent ses posters sur les murs.

Les enfants aiment également m'obliger à pratiquer mon Arabe limité en me demandant, "Kaif Sharon?" "Kaif Bush?" et ils rient quand je dis, "Bush Majnoon", "Sharon Majnoon", toujours dans mon Arabe limité. (Comment est Sharon ? Comment est Bush ? Bush est fou. Sharon est fou.)

Naturellement, ce n'est pas tout à fait ce que je pense, et certains des adultes qui parlent Anglais me corrigent : " Bush mish Majnoon"... Bush est un homme d'affaires.

Aujourd'hui, j'ai essayé d'apprendre à dire, "Bush est un outil", mais je ne pense pas que cela le décrive vraiment bien.

Mais de toute façon, il y a ici des gosses de 8 ans bien plus avertis des fonctionnements de la structure mondiale du pouvoir que je ne l'étais il y a seulement quelques années.

Néanmoins, peu de livres, de conférences, de documentaires et de témoignages auraient pu me préparer à la réalité de la situation ici.
Vous ne pouvez pas l'imaginer si vous ne le voyez pas - et même alors, vous êtes toujours bien conscients que votre expérience n'est pas du tout la réalité : quelles seraient les difficultés de l'armée israélienne si elle tirait sur un citoyen américain non armé, et qu'en est-il du fait que j'ai l'argent pour acheter l'eau quand l'armée détruit les puits, et le fait, naturellement, que j'ai l'option de partir ?

Personne dans ma famille n'a été abattu en conduisant sa voiture, par une roquette tirée d'une tour au bout de la grande rue de ma ville natale.

J'ai une maison. Je peux aller voir l'océan.

Quand je pars pour l'école ou le travail, je peux être relativement certaine qu'il n'y aura pas un soldat fortement armé à m'attendre à mi-chemin entre Mud Bay et le centre d'Olympia à un checkpoint avec le pouvoir de décider si je peux continuer ce que j'ai à faire, et si je pourrai revenir à la maison quand j'aurai terminé.

Après toutes ces divagations, je suis à Rafah : une ville d'environ 140.000 personnes, dont environ 60% sont des réfugiés - beaucoup d'entre eux sont des réfugiés pour la seconde ou la troisième fois.

Aujourd'hui, alors que je marchais sur les décombres de maisons, les soldats égyptiens m'ont appelé de l'autre côté de la frontière, "Partez ! Partez !" parce qu'un char arrivait. Et ensuite ils ont fait un signe de la main et "Comment vous appelez-vous ?".

Quelque chose de dérangeant au sujet de cette curiosité amicale.
Cela m'a rappelé combien, à un certain niveau, nous sommes tous des gosses curieux au sujet des autres gosses.
Des gosses égyptiens criant sur des femmes étrangères qui errent sur le chemin des chars.
Des gosses palestiniens abattus par des chars quand ils sortent le bout de leur nez de derrière les murs pour voir ce qui passe.
Des gosses internationaux qui se tiennent devant des chars avec des banderoles.
Des gosses israéliens anonymes dans des chars – criant de temps en temps et également faisant des signes de la main de temps en temps - beaucoup forcés d'être ici, beaucoup juste agressifs - tirant dans les maisons alors que nous nous éloignons.

J'ai eu accès à des informations inquiétantes au sujet du monde extérieur ici, j'entends qu'une escalade de la guerre contre l'Irak est inévitable. Il y a de beaucoup d'inquiétude ici concernant la "ré-occupation de Gaza".

Gaza est réoccupée chaque jour à divers degrés mais je pense que la crainte est que les chars entrent dans toutes les rues et restent ici au lieu d'entrer dans certaines rues et puis de se retirer après quelques heures ou journées pour observer et tirer depuis les abords des communautés.

Si les gens ne pensent pas déjà aux conséquences de cette guerre pour les gens de l"ensemble de la région, alors j'espère qu'ils vont commencer.

J'embrasse tout le monde. J'embrasse ma maman. J'embrasse smooch. J'embrasse fg et barnhair et sesamees et Lincoln School. J'embrasse Olympia.

Rachel


20 Février 2003

Maman,

L'armée israélienne a maintenant réellement creusé la route en direction de Gaza, et les deux principaux checkpoints sont fermés. Cela signifie que les Palestiniens qui veulent aller s'inscrire à la prochaine session à l'université ne le peuvent pas.

Les gens ne peuvent pas aller à leur travail et ceux qui sont coincés de l'autre côté ne peuvent pas rentrer chez eux ; et les internationaux, qui ont une réunion demain en Cisjordanie , n'iront pas.

Nous pourrions probablement y aller si nous faisions une sérieuse utilisation de notre privilège d'homme blanc international, mais cela signifierait également un risque d'arrestation et d'expulsion, bien qu'aucun de nous n'ait fait quoi que ce soit d'illégal.

La bande de Gaza est divisée en trois maintenant. Il y en a qui parle de "réoccupation de Gaza", mais je doute sérieusement que cela se produise, parce que je pense que ce serait une intiative stupide au niveau géopolitique pour Israël en ce moment.

Je pense que la chose la plus probable est une augmentation des petites incursions sous le niveau-radar de tollé international et peut-être le "transfert de population" qu'on a laissé entendre.

Je reste à Rafah pour l'instant, pas de projets pour aller au nord. J'ai toujours l'impression que je suis relativement en sécurité et je pense que mon plus gros risque en cas d'invasion à grande échelle est l'arrestation.

Une initiative pour réoccuper Gaza produirait un tollé bien plus grand que la stratégie de vol de terres/assassinats pendant des négociations de paix de Sharon qui travaille très bien actuellement pour créer des colonies partout, lentement mais sûrement, en éliminant toute possibilité signicative d'une autodétermination palestinienne.

Sache que j'ai beaucoup de Palestiniens très gentils qui s'occupent de moi. J'ai une petite grippe, et j'ai obtenu quelques bonnes boissons au citron pour me guérir.

En outre, la femme qui garde la clef de l'endroit où nous dormons toujours m'interroge en permanence à votre sujet. Elle parle peu l'anglais, mais elle demande assez fréquemment des nouvelles de ma maman – elle veut s'assurer que je t'appelle.

Je t'embrasse et papa et Sarah et Chris et tout le monde

Rachel


27 février 2003
(A sa mère)

Je t'aime. Tu me manques vraiment.
J'ai fait de vilains cauchemars avec des tanks et des bulldozers à l'extérieur de notre maison et vous et moi à l'intérieur.

Parfois l'adrénaline agit en tant qu'anesthésique pendant des semaines et puis, en soirée ou la nuit, ça me frappe encore - un peu de la réalité de la situation.

Je suis vraiment effrayée pour les gens ici. Hier, j'ai vu un père, tenant la mains de ses deux petits enfants, sortir à la vue des tanks et d'une tour de tireur isolé et des bulldozers et des jeeps parce qu'il pensait que sa maison allait exploser.

Jenny et moi sommes restées dans la maison avec plusieurs femmes et deux petits bébés.

C'était notre erreur dans la traduction qui lui a fait penser que c'était sa maison qui allait se faire exploser.

En fait, l'armée israélienne était en train de faire sauter un explosif sur le terrain voisin - un explosif qui semble avoir été planté par résistance Palestinienne.

C'est dans ce secteur que dimanche environ 150 hommes ont été rassemblés et gardés à l'extérieur de la colonie avec des tirs au-dessus de leurs têtes et autour d'eux, alors que les tanks et les bulldozers détruisaient 25 serres : la source de revenu pour 300 personnes.

L'explosif était juste devant les serres – juste au point d'entrée des tanks au cas où ils reviendraient encore.

J'ai été terrifiée à l'idée que cet homme avait pû penser qu'il était moins risqué de sortir devant les tanks avec ses gosses que de rester dans sa maison.

J'ai eu vraiment peur qu'ils soient tous abattus et j'ai essayé de me mettre entre eux et le tank.

Cela se produit chaque jour, mais ce père qui marchait dehors avec ses deux petits gosses semblait très triste, il s'est avéré qu'il a justement capté mon attention à ce moment particulier, parce que j'ai pensé que c'était probablement nos problèmes de traduction qui l'ont fait partir.

J'ai beaucoup pensé à ce que tu as dit au téléphone au sujet de la violence palestinienne qui n'aide pas la situation.

Soixante mille ouvriers de Rafah travaillaient en Israël il y a deux ans.

Maintenant seulement 600 peuvent aller travailler en Israël.
Sur ces 600, beaucoup se sont déplacés, parce que les trois checkpoints entre ici et Ashkelon (la ville la plus proche en Israël) qui était à 40 minutes de route, est maintenant à 12h de route soit un voyage impossible.

De plus, ce que Rafah identifiait en 1999 comme sources de croissance économique sont toutes complètement détruites : l'aéroport international de Gaza (pistes démolies, totalement fermé); la frontière pour le commerce avec l'Egypte (maintenant avec une tour géante de tireur isolé israélien au milieu du passage) ; l'accès à l'océan (complètement séparé ces deux dernières années par un checkpoint et la colonie de Gush Katif).

Le nombre de maisons détruites à Rafah depuis le début de cet Intifada s'élève à plus de 600, appartenant généralement à des gens sans lien avec la résistance mais qui s'avèrent tout simplement vivre le long de la frontière.

Je pense qu'il est peut-être officiel maintenant que Rafah est l'endroit le plus pauvre au monde. Il y avait une bourgeoisie ici - récemment.

Nous avons également des rapports que, par le passé, des expéditions de fleurs de Gaza vers l'Europe ont été retardées pendant deux semaines au passage d'Erez pour des inspections de sécurité.

Tu peux imaginer la valeur de fleurs coupées depuis deux semaines sur le marché européen, donc le marché s'est tari.
Et alors les bulldozers viennent raser les cultures et les jardins des gens. Que reste-t'il aux gens ?

Dites-moi si tu penses à quoi que ce soit. Je ne peux pas.

Si l'un d'entre nous avait sa vie et son bien-être totalement étranglés, qu'il vivait avec des enfants dans un endroit effrayant que nous connaissons, en raison d'une expérience précédente, que les soldats et les tanks et les bulldozers pourraient venir pour nous à tout moment et détruire toutes les serres que nous cultivions depuis longtemps, et que pendant ce temps, certains d'entre nous étaient battus et détenus avec 149 autres personnes pendant plusieurs heures - ne penses-tu pas que nous pourrions essayer d'utiliser des moyens quelques peu violents pour protéger les quelques fragments qui restent ?

Je pense à cela en particulier quand je vois la destruction de vergers et de serres et d'arbres fruitiers – juste des années d'entretien et de culture.

Je pense à toi et au temps qu'il faut pour faire pousser les choses et ce qu'est un travail qu'on aime. Je pense vraiment que, dans une situation pareille, la plupart des gens me défendrait du mieux qu'ils peuvent.

Je pense qu'oncle Craig le ferait.
Je pense que Grand-mère le ferait probablement. Je pense que je le ferais.

Tu m'interroges sur la résistance non-violente.

Quand cet explosif a éclaté hier, il a cassé toutes les fenêtres de la maison de la famille. On me servait le thé et j'étais en train de jouer avec les deux petits bébés.

J'ai une période difficile en ce moment. J'ai très mal à l'estomac avec ce qu'on m'offre à toute heure, très gentiment, par des gens qui sont ruinés.

Je sais que des Etats-Unis, cela semble excessif.

Honnêtement, à de nombreuses reprises la gentillesse des gens ici, couplée à l'évidence accablante de la destruction préméditée de leurs vies, me semble aussi irréelle.

Je ne peux vraiment pas croire que quelque chose comme ça peut se produire dans le monde sans plus de protestations.

Ca me fait vraiment mal, encore, comme ça m'a fait mal par le passé, de voir à quel point nous permettons au monde d'être horrible.

J'ai eu l'impression, après t'avoir parlé que, peut-être, tu ne m'avais pas totalement cru. Je pense que c'est bien si ce n'est pas le cas , parce que je crois par-dessus tout à l'importance de la pensée critique indépendante.

Et je me rends compte également qu'avec toi, je fais beaucoup moins attention que d'habitude à essayer de vérifier la source de chacune de mes affirmations.

La raison à cela est que je sais que tu vas réellement faire ta propre recherche. Mais cela m'inquiète au sujet du travail que je fais.

Toutes les situations que j'ai essayé d'énumérer ci-dessus - et beaucoup d'autres choses - constituent un évolution et une destruction - souvent cachées, mais néanmoins massives - quelque peu progressives de la capacité d'un groupe particulier de personnes à survivre.

C'est ce que je vois ici.
Les assassinats, les attaques de roquettes et les tirs sur des enfants sont des atrocités - mais en me concentrant sur eux, je suis terrifiée de passer à côté de leur contexte.

La grande majorité de personnes ici - même s'ils avaient les moyens financiers de s'échapper, même s'ils voulaient réellement cesser de résister sur leur terre et tout simplement partir (qui semble être peut-être moins infâme des objectifs possibles de Sharon), ne peut pas partir.

Puisqu'ils ne peuvent même pas entrer en Israël pourfaire une demande de visas, et parce que leurs pays destinataires ne les laissent pas entrer (notre pays et des pays Arabes).

Donc, quand tous les moyens de survie sont enfermés dans un stylo (Gaza) dont les gens ne peuvent pas sortir, je pense que cela se qualifie de génocide.
Même s'ils pouvaient sortir, je pense qu'on pourrait toujours le qualifier de génocide.

Tu pourrais peut-être rechercher la définition du génocide selon le droit international. Je ne m'en souviens pas en ce moment. Je vais mieux illustrer ça, si tout va bien.

Je n'aime pas utiliser ces mots accusateurs.

Je pense que tu me connais à ce sujet. Je pèse vraiment mes mots. J'essaye vraiment d'illustrer et de laisser les gens tirer leurs propres conclusions.

Quoi qu'il en soit, je m'égare. Juste écrire à ma maman et lui dire que je suis témoin de ce génocide chronique, insidieux et j'ai vraiment peur, et je remets en cause ma croyance fondamentale dans la qualité de la nature humaine.

Cela doit s'arrêter.
Je pense que c'est une bonne idée pour nous tous de tout laisser tomber et de consacrer notre vie à arrêter ça. Je ne pense pas qu'en faire plus soit une chose extrémiste.

Je veux toujours danser sur Pat Benatar et avoir des petits amis et faire des bandes dessinées pour mes collègues.
Mais je veux aussi que ça s'arrête.

L'incrédulité et l'horreur sont ce que je ressens.

Déception. Je suis déçue que ce soit l'ignoble réalité de notre monde et que nous, en fait, y participions.
Ce n'est pas du tout ce que j'avais demandé quand je suis venue au monde.
Ce n'est pas du tout ce que les gens ici ont demandé quand ils sont venus au monde.
Ce n'est pas le monde dans lequel toi et papa voulaient que j'entre quand vous avez décidé de m'avoir.
Ce n'est pas ce que je voulais dire quand je regardais Capital Lake et disais : "C'est un monde considérable et je viens à lui."
Je ne voulais pas dire que j'entrais dans un monde où je pourrais vivre une vie confortable et probablement, sans aucun effort, exister dans l'ignorance totale de ma participation à un génocide.

Des explosions plus fortes quelque part au loin.

Quand je reviendrai de Palestine, j'aurai probablement des cauchemars et je me sentirai constamment coupable de ne pas être ici, mais je peux canaliser cela dans plus de travail.

Venir ici est un des meilleures choses que j'ai jamais faites. Donc, quand je semble dingue, ou si les militaires israéliens en finissent avec leur tendance raciste de ne pas blesser les Blancs, tiens-t'en seulement au fait que je suis au milieu d'un génocide que je soutiens également indirectement, et dont mon gouvernement est en grande partie responsable.

Je t'aime toi et papa. Désolée pour la diatribe.
OK, des hommes étranges à côté de moi viennent de me donner quelques pois, donc je dois manger et les remercier.

Rachel

Photo
16 mars 2003, Rachel vient d'être écrasée par le bulldozer (photo ISM)



28 février 2003

A sa maman

Merci, maman, de ta réponse à mon email. Cela m'aide vraiment de recevoir quelques mots de toi et de d'autres qui s'inquiètent pour moi.

Après que je vous aie écrit, je me suis isolée du groupe d'affinité pendant environ 10 heures que j'ai passées avec une famille sur la ligne de front dans Hi Salam - qui m'a invitée à dîner - et possède le câble TV.

Les deux pièces du devant de leur maison sont inutilisables parce que des balles ont été tirées à travers les murs, donc la famille entière – les trois gosses et les deux parents - dort dans la chambre à coucher des parents.

Je dors sur le plancher à côté de la plus jeune des filles, Iman, et nous avons partagé les couvertures.
J'ai aidé un peu le fils à travailler son Anglais, et nous avons tous regardé Pet Semetery, qui est un film d'horreur.

Je pense qu'ils ont tous trouvé assez drôle de voir à quel point j'étais troublée de le regarder. Vendredi, c'est férié, et quand je me suis réveillée, ils regardaient Gummy Bears doublé en Arabe.

Alors, j'ai pris le petit déjeuner avec eux et je me suis assise là pendant un moment, juste à apprécier d'être dans ce grand magma de couvertures avec cette famille qui regardait ce qui m'a semblé être des dessins animés du samedi matin.

Puis je me suis promenée un peu dans B'razil, qui est l'endroit où vivent Nidal et Mansur et grand-mère et Rafat et tout le reste de la grande famille qui m'ont vraiment adoptée à bras ouverts.

(l'autre jour, d'ailleurs, la grand-mère m'a fait un sermon mimé en Arabe qui impliquait beaucoup d'essoufflements et montrait son châle noir.

J'ai pris Nidal pour lui dire que ma mère apprécierait de savoir que quelqu'un ici me faisait la morale sur le fait que le tabagisme rendait mes poumons noirs.)
J'ai rencontré leur belle-soeur, qui venait du camp de Nusserat, et j'ai joué avec son petit bébé.

L'anglais de Nidal s'améliore chaque jour. C'est celui qui m'appelle, "Ma soeur". Il a commencé à apprendre à grand-mère comment dire, "Bonjour. Comment allez vous?" En anglais.

On peut toujours entendre les tanks et les bulldozers passer à côté, mais tous ces gens sont vraiment enjoués les uns avec les autres, et avec moi.

Quand je suis avec les amis palestiniens, j'ai tendance à être légèrement moins horrifiée que quand j'essaye d'agir dans le rôle d'observateur des droits de l'homme, de documenter, ou de faire des actions directes de résistance.

Ils sont un bon exemple sur la façon de se comporter pendant un long trajet. Je sais que la situation leur arrive - et peut finalement les tuer - à toutes sortes de niveaux, mais je suis néanmoins sidérée de leur force en étant capable de garder un aussi grand degré d'humanité - rires, générosité, temps passé avec la famille - face à l'horreur incroyable qui survient dans leurs vies et face à la présence constante de la mort. Je me suis sentie bien mieux après ce matin.

J'ai passé beaucoup de temps à écrire sur la déception de découvrir, un peu aux premières loges, le degré de mal dont nous sommes encore capables.

Je devrais au moins mentionner que je découvre également le degré de force et de capacité basiques des hommes à rester humains dans les pires circonstances : que je n'avais également pas vu auparavant.
Je pense que le mot est dignité.

J'aimerais que tu puisses rencontrer ces gens. Peut-être, si tout va bien, tu le pourras un jour.


8 Février 2003

J'ai reçu un certain nombre de réponses très attentives à l'email que j'ai envoyé la nuit dernière, auxquelles je n'ai pas le temps de répondre en ce moment. Merci à tous pour les encouragements, les questions, la critique.

La réponse de Daniel m'a particulièrement inspirée et mérite d'être partagée.

La résistance des Juifs Israéliens à l'occupation et l'énorme risque pris par ceux qui refusent de servir dans l'armée israélienne donne un exemple, en particulier à ceux d'entre nous qui vivent aux Etats-Unis, sur la façon de se comporter quand vous découvrez que les atrocités sont commises en votre nom.
Merci.


Reçu par Rachel le 7 février 2003

Je suis premier sergent de réserve dans l'IDF. Les orémus militaires sont remplis d'objecteurs de conscience. Bon nombre d'entre eux sont des réservistes avec des familles. Ce sont des hommes qui ont prouvé leur courage sous le feu par le passé. Certains ont été en prison pendant plus de six mois sans en connaître la fin.

Le nombre d'AWOLS et de refus à servir sont sans précédent dans notre histoire en tant que nation ainsi que les refus d'appliquer les ordres qui impliquent le tirs sur des cibles quand des civils peuvent être blessés.

A une époque où, maintenant en Israël, le travail est rare et les gens perdent leurs maisons et entreprises pour la vendetta de Sharon, beaucoup de soldats de carrière - parmi eux des pilotes et des membres des reseignements - ont choisi la prison et le chômage à ce qu'ils peuvent seulement décrire comme meurtre.

Je suis censé faire un rapport au Département militaire de la Justice – c'est mon travail de faire la chasse aux soldats en cavale et de les ramener.

Je n'ai pas fait de rapport depuis 18 mois. Au lieu de cela, j'ai utilisé mes talents et mes qualifications à documenter sur film et à voir de mes propres yeux ce que les ISMers et d'autres internationaux prétendent : jusqu'où ont pu aller mes soldats.

J'aime mon pays. Je pense qu'Israël est dirigé par des personnes très mauvaises en ce moment. Je crois que les colons et la police locale sont de connivence les uns avec les autres et que la police des frontières agit honteusement. Ils sont un embarras pour 40% du public israélien et ils seraient un embarras pour 90% de la population si elle savait ce que nous savons.

S'il vous plait, documentez tout ce que vous pouvez et n'embellissez rien par de l'écriture créatrice. Les médias ici servent en tant qu'agent de contrôle très convaincant pour tout ça.
Faites suivre cette lettre à vos amis. Il y a beaucoup de soldats parmi les rangs de ceux qui servent dans les territoires occupés qui sont malades de ce qu'ils voient.

Il y a un code d'honneur dans l'IDF - ça s'appelle “tohar haneshek” (prononcez TOWhar haNEHshek). C'est ce que nous disons à un camarade qui est sur le point de faire quelque chose de terrible, comme tuer un prisonnier non-armé ou effectuer un ordre qui viole la décence. Cela signifie littéralement "La pureté des armes".

Une autre expression qui parle à un soldat dans sa propre langue est : “degle shachor” (DEHgel ShaHor) - Cela signifie "drapeau noir".

Si vous dites, "Atah MeTachat Degle Shahor" qui signifie : "Vous effectuez des ordres immoraux", c'est un choc de l'entendre des lèvres "des étrangers imprudents et idiots"

Essayez à chaque fois que c'est possible d'engager les soldats dans la conversation. Ne faites pas l'erreur de les repousser comme ils vous ont repoussés. Le respect est contagieux, de même que le non-respect, il peut desservir ou non.

Vous faites quelque chose de bien. Je vous remercie pour ça.

Paix,

Danny


Suite de l'email à sa mère le 28 février 2003

Je pense que je pourrai voir un Etat palestinien ou un Etat Israélo-Palestinien démocratique avant la fin de ma vie.

Je pense que la liberté pour la Palestine pourrait être une source incroyable d'espoir pour les peuples qui luttent partout dans le monde.

Je pense que ce pourrait également être une inspiration incroyable pour les peuples arabes au Moyen-Orient, qui luttent sous des régimes non démocratiques que les Etats-Unis soutiennent.

J'attends avec intérêt qu'un nombre croissant de gens privilégiés des classes moyennes comme vous et moi se rende compte des structures qui soutiennent notre privilège et commence à soutenir le travail de ceux qui ne sont pas privilégiés pour démanteler ces structures.

J'attends avec intérêt plus de moments comme le 15 février quand la société civile se réveille en masse et exprime une preuve massive et résonnante de sa conscience, on n'aime pas être réprimé, et c'est de la compassion pour la souffrance des autres.

J'attends avec intérêt de voir apparaître plus de professeurs comme Matt Grant, Barbara Weaver et Dale Knuth qui enseignent la pensée critique aux gosses américains.

J'attends avec intérêt que la résistance internationale qui se produit maintenant engendre une analyse sur toutes sortes de questions, avec le dialogue entre divers groupes de personnes.

J'attends avec intérêt que nous tous qui sommes nouveaux dans tout ça développions de meilleures capacités à travailler dans des structures démocratiques, que nous guérissions notre propres racisme, classification, sexisme et hétérosexisme, agisme et capacités et que nous devenions plus efficaces

Une autre chose - je pense beaucoup aux manifestations publiques - comme celle il y a quelques semaines ici à laquelle assitaient seulement environ 150 personnes.

A chaque fois que j'organise ou participe à une manifestation publique, j'ai toujours très peur que ce soit seulement de la lèche, qu'elle soit vraiment petite, embarrassante, et que les médias riront de moi.

Souvent, elle est vraiment petite et la majeure partie du temps les médias rient de nous.

Le week-end après notre protestation de 150 personnes, nous avons été invités à une manifestation de peut-être 2.000 personnes.

Quoique nous ayons eu une petite protestation et naturellement qu'elle n'a pas eu de couverture dans le monde entier, dans quelques endroits le mot "Rafah" a été mentionné en dehors de de la presse Arabe.

Colin portait une pancarte en Anglais et Arabe lors de la manifestation à Seattle qui disait : "Olympia dit non à la guerre contre Rafah et l'Irak".

Ses images ont été diffusées sur le site internet de Rafah-today dont s'occupe ici un gars appelé Mohammed. Les gens d'ici et d'ailleurs ont vu ces images.

Je pense à Glen qui est sorti chaque vendredi pendant dix ans avec des pancartes taggées qui indiquaient le nombre d'enfants morts en Irak en raison des sanctions.

Parfois juste un ou deux personnes étaient là et tout le monde pensait qu'ils étaient fous et qu'ils devraient se faire cracher dessus. Maintenant il y a beaucoup plus de gens les vendredis soir.

Le carrefour entre la 4ème Rue et la rue de l'Etat est en alignement, et ils ont beaucoup de coups de klaxons et de signes de la main, et des pouces levés.

Ils y ont créé une infrastructure pour que d'autres fassent quelque chose. Installés là, ils ont facilité les choses pour que d'autres décident qu'ils pourraient écrire une lettre au rédacteur, ou se tenir en queue de manifestation - ou de faire quelque chose qui semble légèrement moins ridicule que se tenir sur le côté de la route en indiquant le nombre d'enfants morts en Irak et se faire cracher dessus.

Juste entendre ce que vous faites me donne l'impression d'être moins seule, moins inutile, moins invisible.

Ces klaxons et ces signes de la main aident. Les images aident. Colin aide.

Les médias internationaux et notre gouvernement ne vont pas nous dire que nous sommes efficaces, importants, légitimes dans notre travail, courageux, intelligent, valable.
Nous devons faire ça pour chacun d'entre nous, et la seule façon de le faire est en continuant notre travail, de façon visible.

Je pense également qu'il est important pour les gens aux Etats-Unis qui vivent dans un privilège relatif de se rendre compte que les gens sans privilège effectueront ce travail quoi qu'il se passe, parce qu'ils travaillent pour leurs vies.

Nous pouvons travailler avec eux et leur faire savoir que nous travaillons avec eux, ou nous pouvons les laisser effectuer ce travail eux-mêmes et nous maudire pour notre complicité dans leur massacre.

Je n'ai pas vraiment le sentiment que qui que ce soit nous maudisse ici.

J'ai également le sentiment que les gens ici, en particulier, sont réellement plus concernés dans l'immédiat par notre confort et notre santé que par les risques que nous prenons en leur nom.
Au moins, c'est le cas pour moi.

Les gens essayent de me donner beaucoup de thé et de nourriture au milieu des tirs et des explosions.

Je t'aime,
Rachel


Dermier e-mail de Rachel

Bonjour papa,

Merci pour ton email. J'ai l'impression parfois de passer tout mon temps à faire de la propagande auprès de maman, et je suppose qu'elle te fait tout passer, donc tu es négligé.

Ne t'inquiètes pas trop pour moi, en ce moment, ce que je crains le plus, c'est que nous ne soyons pas efficaces. Je ne me sens toujours pas particulièrement en danger.

Rafah semble plus calme ces derniers temps, peut-être parce que les militaires sont occupés avec des incursions dans le nord – toujours des tirs et des démolitions de maisons - un mort cette semaine dont j'ai entendu parler, mais pas de grandes incursions.

Je ne peux toujours pas dire comment ceci évoluera si et quand la guerre avec l'Irak se produit.

Merci également d'intensifier ton travail de pacifiste. Je sais que ce n'est pas facile à faire, et probablement bien plus difficile là où tu es que là où je suis.

Je suis vraiment intéressée pour parler au journaliste de Charlotte - fais-moi savoir ce que je peux faire pour accélérer le processus. J'essaye d'imaginer ce que je vais faire quand je partirai d'ici, et quand je vais partir.

En ce moment, je pense que je pourrais rester jusqu'en juin, financièrement. Je ne veux vraiment pas revenir à Olympia, mais je dois y revenir pour débarasser mes affaires du garage et pour parler de mes expériences ici.

D'autre part, maintenant que j'ai traversé l'océan, je ressens un fort désir d'essayer de rester de l'autre côté de l'océan pendant un certain temps.

J'envisage d'essayer de trouver un travail pour enseigner l'Anglais – je voudrais vraiment m'atteler à apprendre l'Arabe.

J'ai également été invitée à visiter la Suède lors de mon retour – ce que je pourrais faire à très bon marché.

Je voudrais quitter Rafah avec un projet viable pour revenir, aussi. Un des membres central de notre groupe doit partir demain - et la voir dire 'au revoir' aux gens me fait comprendre à quel point ce sera difficile. Les gens ici ne peuvent pas partir, de sorte que ça complique les choses. Ils sont également assez pratiques sur le fait qu'ils ne savent pas s'ils seront vivants quand nous reviendrons ici.

Je ne veux vraiment pas vivre avec beaucoup de culpabilité au sujet de cet endroit - pouvoir venir et repartir tellement facilement - et ne pas revenir.

Je pense que cela a de la valeur de s'engager - je voudrais pouvoir revenir ici dans un an environ.

De toutes ces possibilités, je pense qu'il y a de grandes chances que j'aille au moins en Suède pendant quelques semaines lors de mon voyage de retour - je peux échanger des billets et prendre un avion pour Paris de Suède et revenir pour une somme d'environ 150 dollars.

Je sais que je devrais essayer d'entrer en relation avec la famille en France - mais je pense que je ne vais pas le faire.

Je pense que je serai en colère tout le temps et que ce ne sera pas drôle d'être là-bas.

Cela me semble également une transition dans trop d'opulence en ce moment - je ressentirais beaucoup de culpabilité en permanence.

Dis-moi si tu as la moindre idée sur ce que je devrais faire pour le reste de ma vie. Je t'aime fort.

Si tu veux, tu peux m'écrire comme si j'étais en vacances dans un camp sur la grande île d'Hawaï à apprendre à tisser.

Une chose que je fais pour me rendre les choses plus faciles ici, c'est de me retrancher dans l'imagination : que je suis dans un film d'Hollywood ou un sitcom avec Michael J Fox.

Donc, sens-toi à l'aise pour déguiser les choses et je serai heureuse de jouer avec.

Je t'aime beaucoup Poppy.

Source : http://www.rachelcorrie.org/

Traduction : MG pour ISM

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