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ISM France - Archives 2001-2021

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Tulkarem -

Raid de l’armée israélienne à l’hôpital de Tulkarem

Par

Tiré du journal de Weaverly sur www.livejournal.com

Une des victimes de la matinée, je pense, était déjà morte à ce moment-là. Une autre était dans la salle d’opération avec une blessure critique à la tête.
Apparemment une troisième était dans l’ambulance prête à être transférée à Naplouse pour y subir un traitement crucial. Les soldats israéliens empêchaient l’ambulance de partir. Ils voulaient aussi le corps, et exigeaient qu’il soit mis dans leur unité de transport. Je ne sais pas combien de temps a duré cette situation

Raid de l’armée israélienne à l’hôpital de Tulkarem

Tulkarem, dimanche…
Je suis de mauvais poil récemment. Heureusement, quelque chose est arrivé aujourd’hui. En fait, ça a été une drôle de journée. Depuis quelque temps, j’ai une petite crise de quelque chose.
Ca pourrait être le mal du pays (si j’avais un pays) ou de solitude ( mais ce n’est pas mon genre, et j’ai toujours aimé rester seule), un cas sévère de déni…l’estomac gargouille, les nerfs sont à vif, et d’horribles douleurs dans le cou et dans le dos.

Mais ce matin je me suis réveillée avec seulement cette douleur dans le cou et le dos, et j’ai été reconnaissante. Peut être que c’est ça être palestinien. Reconnaissante du fait que, même s’ils ont démoli ma maison, je suis en vie. Même s’ils ont construit un mur entre ma famille et l’école, ils n’ont au moins pas volé toute ma terre.

Shariff est arrivé à midi avec son habituel salut : « Tu es prête maintenant ? » Et mon habituelle réponse : « Maintenant ?! ? »

En fait, j’ai arrêté de lui demander ça, je lui fais confiance. Nous sommes allés à la clinique, où on me soigne bien. Cette fois-ci (le pied est guéri) ils ont fait des radios de mon dos et de mon cou, et, parce que j’en ai parlé l’autre jour, fait une analyse de sang. Quand j’ai demandé combien je devais, ils ont dit « Rien, c’est pour nous. Tu es ici avec nous. Nous nous occuperons de toi. » Ce qu’ils ont fait.

Je suis rentrée chez moi, avec la bénédiction de Shariff qui avait emprunté une voiture qui ne voulait pas grimper les collines et s’intéressait de façon indue à tous les piétons, et la malédiction d’Abdel Karim, qui ne faisait pas confiance à Shariff comme conducteur. On a bavardé un peu, Abdel et moi, et il est retourné à son bureau (il est journaliste) et moi à ma natte. J’ai dormi un peu, bercé par les gamins qui jouaient dehors. J’ai été réveillée par des coups de feu, plutôt éparpillés, on aurait dit un tank qui tirait, mais ça pouvait être des grenades assourdissantes, puis encore des coups de feu. J’ai appris à dormir malgré ces coups de feu. Mais je suis allé en bas. Abdel Karim était revenu, et était en train de transmettre des photos ; plusieurs heures s’étaient passées.

Il y a deux nuits, un jeune palestinien, apparemment libéré d’une prison israélienne depuis peu, a pénétré par effraction dans une colonie israélienne et a tué un homme. Lui-même a été tué par l’armée israélienne. Cette colonie est proche de Tulkarem. Le lendemain matin, un « couvre-feu » a été imposé sur la ville, bien que les gens n’aient rien eu à voir avec ça. Quant à moi, sans me rendre compte de rien (et mal en point, comme vous vous le rappelez), j’ai pensé qu’une petite ballade au marché, à quelques rues de chez moi, me ferait du bien.

Pas de marché. La plupart des boutiques fermées. Les entreprise fermées. J’ai compris plus tard que les soldats avaient encerclé la ville, fermé toutes les sorties et toutes les entrées. La fermeture n’était pas hermétique, mais la ville était affectée.

Dans cette situation, les paysans ne pouvaient pas venir au marché vendre leurs légumes. Qui pourrissent. Le lait et les livraisons ne sont pas autorisés. Le docteur israélien qui devait venir s’occuper de mon dos n’a pas pu venir à cause des check-points. Ca pourrait même signifier que les ambulances n’avaient pas le droit de passer.
Quand on pense que les Palestiniens vivent avec moins de 2 $ par jour, un jour sans marché peut faire beaucoup de mal.

Au petit matin, l’armée israélienne a détruit la maison de la famille de ce jeune homme. Cette maison était bien sûr accolée à d’autres maisons. Beaucoup de dégâts. En dehors de la perte de son fils, cette femme est maintenant à la rue. Il semble que ce soit une procédure standard. Qu’elle ait eu connaissance de ses activités ou non.

Il apparaît que les Forces Spéciales ont réquisitionné l’appartement le plus élevé au-dessus de la maison de la famille où, ce matin, la famille et les amis de cette femme sont venus pour pleurer, exprimer leur colère et leur commisération. Tirer en l’air est une des façons dont les Palestiniens envoient un message à la personne décédée, pour lui dire qu’il a été aimé et entendu, que sa famille ne sera pas abandonnée, etc. Les rites de deuil ici sont très différents des miens ; ils semblent apporter une stabilité nécessaire en période de grande douleur.

Dans ce cas précis, les soldats israéliens étaient dans une maison au-dessus de cette maison démolie, cherchant apparemment les amis du jeune homme. Ils ont tiré sur une voiture, blessant plusieurs personnes. Ils ont aussi tiré sur la foule. Les blessés ont rampé jusqu’à la foule, puis ont été emmenés à l’hôpital de Tulkarem.

Juste après que je quitte moi-même le quartier de l’hôpital, les soldats sont entrés en force dans la ville.
Il semble qu’ils retenaient des lycéennes à leur école, située non loin de l’hôpital, et ils en bloquaient l’accès, empêchant quiconque d’entrer ou de sortir.
Une des victimes de la matinée, je pense, était déjà morte à ce moment-là. Une autre était dans la salle d’opération avec une blessure critique à la tête.
Apparemment une troisième était dans l’ambulance prête à être transférée à Naplouse pour y subir un traitement crucial. Les soldats israéliens empêchaient l’ambulance de partir. Ils voulaient aussi le corps, et exigeaient qu’il soit mis dans leur unité de transport. Je ne sais pas combien de temps a duré cette situation.

Prises dans tout ceci étaient les familles qui étaient venues ce matin pleurer la mort et la destruction d’une famille de plus. Maintenant, ils avaient perdu un des leurs, et étaient attaqués encore une fois par l’armée. Je sais qu’un des volontaires du service médical avait été pris.

Au moment où Abdel Karim me disait ça, il a fallu que je monte en vitesse à l’étage chercher un chargeur de téléphone. J’ai entendu un joyeux « Salut ! »venant du haut, et j’ai finalement localisé un groupe de femmes et d’enfants au sommet d’un immeuble, de l’autre côté de la rue. « What’s your name ? », comment tu t’appelles ?, la première chose que les enfants palestiniens apprennent en anglais.
J’ai fait un signe de la main, leur ai crié mon nom et j’ai fini ce que j’avais à faire.
En bas, j’ai aidé Abdel Karim à identifier des photos qu’il avait prises plus tôt et à les envoyer à Associated Press et à d’autres agences. On entendait encore des coups de feu. J’essayais de comprendre la chronologie de ce qui venait de se passer. Il recevait sur son portable des appels lui fournissant des détails, ou s’enquérant de noms de personnes, etc. Les enfants ne jouaient pas dehors comme ils le font d’habitude après l’école.

Il m’a passé à fumer. Je n’arrivais pas à comprendre.
Combien faut il de morts palestiniens pour égaler un mort israélien ?
Est-ce qu’un mort palestinien et la démolition de sa maison ne « suffisent » pas ?
Les jeunes qui ont été tués n’étaient pas nécessairement proches de lui. Et empêcher le transfert de gens gravement blessés de l’hôpital ?
Terroriser les autres en même temps ? Il va probablement mourir aussi.

Je n’arrivais pas à comprendre. Je n’arrive pas à comprendre.

Abdel Karim hausse les épaules. Il n’a pas de réponse. Une sonnerie à la porte d’entrée et je descends mon long couloir-cour (moins d’un mètre de large) pour répondre à la porte . Ce sont les deux femmes qui étaient sur le toit de l’autre côté de la rue, qui sont venues se présenter. Je ne me souviens pas de leurs noms.
Alors que nous en étions aux longues présentations, et nous montrions l’hélicoptère, parlions de la présence de soldats dans le quartier (un mot qui ressemble à jiish…), j’ai les ai vu, descendant la route à toute allure, un Hummer de la sécurité frontalière , avec son sinistre gyrophare bleu. Ils ont klaxonné (je suis sûr que c’était leur « Salut ! » poli) Mer…

Ca voulait dire qu’ils savaient maintenant où j’habitais. C’est eux qui peuvent m’arrêter. Pas l’armée. L’armée peut m’emmener, me rouer de coups, mais c’est la police de la frontière qui est le plus à craindre. Les deux femmes ont commencé à entrer pour se cacher, puis elles ont dit au-revoir très vite et elles sont parties en courant.

Peut-être ils ne m’avaient pas vu. J’en doute. Je suis visible. Je montre mes cheveux et je ne porte pas de longue robe ou de manteau. D’un autre côté, je ne suis pas le centre du monde, pas vrai ? Ils ne m’auront pas remarqué.

De retour à l’intérieur, je râle devant Abdel Karim qui a reçu d’autres renseignements indiquant que l’armée a bloqué un quartier près de mon cybercafé préféré et aussi un autre.

Il doit aller à son bureau pour écrire un article. Je veux aller avec lui et téléphoner à ma fille depuis son bureau. C’est moi qui la réveille au téléphone le dimanche matin. Il n’y a pas de danger ? J’apporte mon appareil photo. Tu es journaliste. Il n’y a pas de danger pour toi.
Ah ! Il n’a pas lu ? Ceux qui sont morts en Iraq. Ceux qui sont morts la semaine dernière à Naplouse ? J’y vais quand même. Son bureau est à deux rues d’ici. Le tout petit Abdoul, quatre ans, accompagné de son petit frère Mohammed, me salue encore avec un « What’s your name ? ». Il le connaît maintenant. Et je connais le sien. Salut du poing. Tout va bien.

Je rentre chez moi, trouve Ghali, mon voisin, coordinateur local de l’ISM, un ami dont le nom se prononce Khali (ça ira, même si c’est pas exactement ça), et qui était à Ramallah en formation. On parle, on rigole et les deux types avec qui il vit nous rejoignent. Je leur pose des tas de questions : Veulent-ils manifester ? Seraient-ils capable de tuer ? Feraient-ils des actions directes ? Est-ce que vous feriez exploser ? Question épouvantables.

Ghali me gronde de les poser. Je m’excuse. Je veux comprendre. Son ami me confie alors que son frère, qui habitait à Jénine, (une ville qui a eu plus que sa part de destructions, de morts, de maisons passées au bulldozer, de meurtres, etc… des mains de l’armée israélienne), a dû partir pour la Jordanie parce que, travaillant à l’hôpital, il voyait tous les jours des Palestiniens qui avaient perdu des membres, ou avec des balles dans la tête. Il lui a fallu quitter le pays.

Nous parlons d’autres choses. Ghali explique les plans pour la campagne d’été de l’ISM. Ce sera une chouette campagne. Je me rends compte que pour l’action à laquelle je veux participer, je ne serai plus là. Je serai chez moi. Où que ce chez-moi soit. Il dit non, tu ne peux pas partir. Tu dois aller au mur.

Et puis, je leur dis de rentrer chez eux. J’ai de nouveau mal au dos.

Est-ce que je suis différente de ce matin quand je me suis réveillée ?

Source : www.palsolidarity.org

Traduction : Jean-Luc Mercier pour ISM-France

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