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Cisjordanie occupée -

Une histoire commune à tous les prisonniers

Par

La page Facebook d’Abdelkarim Dalbah.

22 février 2017 - Abed Dalbah, 58 ans, vit à Tulkarem, au nord-ouest de la Cisjordanie, avec son épouse depuis 26 ans, Bassma. Assis dans un fauteuil du salon, la fumée d’une cigarette flottant autour de son visage, il raconte leur histoire d’amour improbable sur fond de Première Intifada.
Au début des années 1980, Abed était étudiant en génie mécanique dans une université en Turquie, et revenait régulièrement en Palestine pour voir sa famille. Ce fut lors de l’un de ces voyages, le 29 juillet 1984 pour être précis, qu’il a été arrêté au Pont Allenby entre la Jordanie et la Palestine.

Une histoire commune à tous les prisonniers

Après un long interrogatoire et un procès, il a été condamné à cinq ans de prison pour avoir prétendument participé à la guerre du Liban et se livrer à des activités politiques. Bien qu’il ait nié toutes les accusations, deux témoins avaient donné son nom sous la torture, ce qui a suffi à le faire condamner.

Après sa libération pendant l’été 1989, la Première Intifada approchait de sa deuxième année et Abed, comme tous les anciens prisonniers, a reçu une carte d’identité verte lui rendant impossible le passage par les postes de contrôle pour quitter Tulkarem. Venant d’être libéré de prison, il était sans emploi et incapable de terminer ses études car il n’y avait pas d’université dans sa ville.

Il se souvient de ce 8 août quand sa sœur, qui travaillait comme technicienne de laboratoire à Tulkarem, lui a demandé de venir à son bureau à 9h pour utiliser le téléphone et parler à son autre sœur en Jordanie. Pendant ce temps, le patron de Bassma lui a demandé d’aller chercher du matériel au bureau de la sœur d’Abed, à 9h. Abed admet en souriant que selon toute probabilité, ce matériel n’existait pas.

« Quand Bassma est partie, ma sœur m’a demandé, ‘Alors comment tu la trouves ?’. Je lui ai répondu, ‘Pourquoi tu me demandes ça ? Qu’est-ce que tu fais ?’ »

La famille d’Abed a organisé une fête pour célébrer sa libération de prison et Bassma y a participé. « A partir de là, nous avons commencé à nous rencontrer et nous sommes tombés amoureux. »

Abed admet que ce ne fut pas facile de gagner le respect de la famille de Bassma. Un ex-prisonnier, sans travail ni diplôme. « Ce n’est pas normal ici, » dit Abed. « J’avais un ami dans un bureau de presse alors j’ai demandé à Basma de dire à sa famille que je travaillais comme journaliste. J’ai téléphoné à mon ami et lui ai dit, ‘A partir de maintenant je suis ton employé’, et j’ai commencé à me former au travail dans les médias. »

Les fiançailles d’Abed et de Bassma eurent lieu le 25 janvier 1990. Environ un mois après, Abed rendait visite à Bassma dans sa famille. « C’était la Première Intifada, il y avait le couvre-feu et des soldats dans la rue. Habituellement, j’essayais de rester chez Bassma jusqu’au coucher du soleil pour avoir une excuse pour ne pas rentrer chez moi. »

Ce jour-là, des amis d’Abed venaient le voir, et il n’est donc pas rester chez Bassma. Pendant la nuit, il a été réveillé par les soldats surgissant chez lui à 2 heures du matin. « Ils m’ont dit de m’habiller et ils m’ont menotté. Si j’étais resté chez Bassma, je n’aurais pas été arrêté. » Abed a passé les cinq mois suivants en détention administrative pour, d’après lui, « ses activités de militant et de journaliste. »

Abed a été transféré de la prison de la prison de Tulkarem à celle du Naqab, où les visites étaient interdites.

Abed se souvient combien c’était dur de ne pas pouvoir communiquer normalement avec Bassma. La Croix-Rouge faisait passer les lettres [format carte postale] entre les prisonniers et leurs familles mais la lettre était limitée à 10 lignes et était contrôlée par les autorités israéliennes. « Elle prenait 3 à 4 mois pour arriver, si elle arrivait, cela dépendait de ce que vous aviez écrit. J’ai envoyé une fois la carte postale officielle. Seul des petites discussions étaient autorisées. »

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Cependant, il a découvert une autre façon de lui écrire. Abed a récupéré un album photo dans un placard et l’a ouvert pour trouver des dizaines de lettres. « Dans la prison du Naqab, il y avait environ 4.000 prisonniers, des prisonniers arrivaient donc tous les jours et certains étaient libérés. » Les prisonniers libérés pouvaient servir à passer des lettres et des babioles.

« On choisissait du papier très fin, quelquefois des feuilles de papier à cigarettes collées ensemble. » Le papier était plié et placé dans une capsule de type médicament, que le prisonnier avalait et qu’il récupérait plus tard dans ses excréments. En retirant les enveloppes externes de la capsule, on trouvait le nom et le numéro de téléphone du destinataire, pour éviter toute confusion ; souvent le prisonnier avalait plus d’une lettre. « Parfois, le prisonnier devant être libéré disait, ‘Désolé, je suis plein ! J’en ai avalé 16’ – certains ne pouvaient en avaler que 5, ça dépendait de leur organisme. »

Dans la première lettre à Bassma, Abed a écrit ce qui se passait et la situation en prison. Ensuite, ses lettres parlaient « surtout de sentiments », « pour qu’elle m’attende, » dit-il d’un air timide.

Dans une des lettres de l’époque où il était dans la prison du Naqab, Abed écrivait : « Bonjour Bassma mon amour, je pense à écrire une lettre, même si je sais qu’il n’est pas possible de l’envoyer maintenant. La vie ici est très dure, vide. Mais parce que tu es dans ma vie, je peux la supporter. »

Abed a aussi envoyé à Bassma des colliers, avec des chaînes faites en tressant du matériel de literie. Il ramassait une pierre et la taillait avec de l’eau et la gravait avec une aiguille. Sur un pion de backgammon, il a écrit un vers d’un poème palestinien : « La nuit doit disparaître et la chaîne doit être brisée. »

Sa libération étant prévue le 28 juillet, Abed et Bassma ont maintenu leur projet de se marier en Août. Cependant, moins d’un mois avant sa libération supposée, les soldats israéliens ont donné l’assaut à la maison de sa famille avec une nouvelle fois l’intention de l’arrêter. « Ils ne m’ont pas trouvé chez moi, ils m’ont trouvé en prison. Et ils m’ont arrêté en prison. »

« J’étais heureux et malheureux, » raconte Abeed. « Heureusement l’interrogatoire a eu lieu à Tulkarem, près de chez Bassma. Malheureusement, il a été très dur. »

Un autre Palestinien, probablement victime de la torture lui aussi, avait dit aux officiers qu’Abed était un militant et qu’il était venu chez lui en Avril, même si il était en prison à ce moment-là. « J’avais peur d’être condamné pour cinq autres années, mais ils ont découvert qu’il mentait. » Après 55 jours d’interrogatoire, la détention d’Abed a été prolongée de six mois et il a été transféré à la prison de Megiddo, où Bassma et la famille d’Abed n’ont pu lui rendre visite que deux fois en quatre mois.

Pendant qu’Abed était à Megiddo, un nouvel avocat a parlé au juge et a accéléré la procédure. « Le 11 novembre, j’étais couché sous ma tente. Un prisonnier qui revenait du tribunal est venu me dire que j’allais être libéré et je lui ai dit qu’il mentait. Il m’a demandé de lui donner deux cigarettes s’il me disait la vérité ; je lui ai dit que je lui en donnerai cinq. A 20h, ils ont annoncé qui serait libéré et ils ont dit mon nom ! Je ne pouvais le croire. Immédiatement, je suis allé me raser et le gars est venu chercher les cigarettes – je lui ai donné le paquet ! »

Malgré le froid, Abed a donné sa veste et ses vêtements chauds aux autres prisonniers et est parti en sous-vêtements. Son père et son cousin sont venus le chercher en pleine nuit et ont acheté une voiture pour rentrer à la maison le plus rapidement possible. « En début de matinée, le 12 novembre, je suis allé directement chez Bassma. »

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Abed et Bassma se sont mariés très vite, le 21 décembre 1990, « avant que quelque chose d’autre n’arrive. » Ils ont maintenant cinq enfants, et l’aîné a 25 ans.

Abed dit que son histoire « est l’histoire de tous les prisonniers. »

Dans les six premières années de la Première Intifada, 1.489 Palestiniens ont été tués, 120.000 ont été blessés et 600.000 ont été mis en prison. 185 Israéliens ont été tués.

Un rapport de 1991 sur le traitement des prisonniers palestiniens a conclu « au-delà de tout doute raisonnable que des pratiques revenant à des mauvais traitements ou de la torture ont été utilisées contre les détenus palestiniens. » Les méthodes d’interrogatoire habituelles incluaient « la violence verbale, l’humiliation et les menaces de blessures : la privation de sommeil et de nourriture ; la tête enfermée dans une cagoule pendant des périodes prolongées ; la station debout forcée pendant de longues périodes, parfois dans un espace clos, les mains attachées dans le dos et les jambes liées ; être entravé dans d’autres positions douloureuses pendant des périodes prolongées de confinement douloureux dans des petites cellules spécialement construites à cet effet et des coups graves et prolongés sur toutes les parties du corps (entraînant parfois des blessures nécessitant un traitement médical). »

B’Tselem indique que le plus grand nombre de détenus administratifs a été recensé pendant la Première Intifada. B’Tselem condamne (1) les violations persistantes du droit international contenues dans la détention administrative : le transfert des détenus en dehors du territoire occupé ; la violation du droit à la liberté d’expression en arrêtant les Palestiniens pour leurs opinions politiques et leur militantisme politique non-violent ; ne pas leur fournir d’informations valables sur les motifs de la détention ; ne pas leur fournir la possibilité de réfuter les soupçons portés contre eux, et utiliser la détention administrative comme une pratique de routine, plutôt que comme une mesure exceptionnelle.

En janvier 2017, il y avait 536 détenus administratives dans les geôles israéliennes, dont 4 députés (1)

________________


(1) Note ISM-France : Pour retrouver les statistiques de Janvier 2017 sur la population carcérale palestinienne séquestrée par les autorités d’occupation (ainsi que toutes les informations sur les Palestiniens séquestrés dans les geôles sionistes), consulter le site palestinien consacré à la défense des prisonniers Addameer :

- nombre total de prisonniers politiques : 6.500
- nombre de détenus administratifs : 536 (dont 4 députés)
- nombre d’enfants prisonniers : 300 (dont 11 de moins de 16 ans)
- nombre de prisonnières : 53
- nombre de prisonniers palestiniens du Territoire 48 : 70
- nombre de prisonniers de Jérusalem Est : 510
- nombre de prisonniers de Gaza : 350
- nombre de prisonniers d’avant Oslo : 30
- nombre de prisonniers condamnés à plus de 20 ans de prison : 459
- nombre de prisonniers condamnés à perpétuité : 458

Source : Palestine Monitor

Traduction : MR pour ISM

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