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7 novembre 2003
Par Baruch Kimmerling
Baruch Kimmerling est professeur de sociologie à l'université hébraïque de Jérusalem. Auteur, entre autres, de "sionisme et territoire". Dans l'analyse qu'il fait du livre " Erud Barak - combattre les démons" de Ran Edelist, il dissèque l'échec des accords d'Oslo et suggère que tant que les négociations n'auront pas pour point de départ l'équité - ce qui implique de commencer et non de terminer par le retrait israélien des territoires illégalement occupés- elles n'aboutiront pas.
Larges extraits d'un texte de Baruch Kimmerling à propos du livre de Ran Edelist " Erud Barak, combattre les démons", le général tueur d'Israël et son héritage alors que " Camp David " se métamorphose en "feuille de route".
Revue de la Nouvelle Gauche - septembre-octobre 2003.
Il y a un an, la " Revue de Livres de New York " a consacré ses pages à un échange intéressant au sujet de : qui devait être blâmé pour l'échec des pourparlers de paix entre Barak et Arafat à Camp David, et présidés par Clinton. Ceci n'était pas seulement et n'est toujours pas seulement, un problème historique : ce qui s'est passé a Camp David a des répercussions sur les relations actuelles et futures entre les Israéliens et Palestiniens. L'échange en question - d'un côté, un interview de Barak par l'historien Benny Morris, et de l'autre une "réponse à Erud Barak " de Robert Malley et Hussein Agha - a surtout focalisé sur le côté Barak-Morris, en disculpant l'un des participants par rapport à l'autre, de la responsabilité de l'échec de ces pourparlers. En procédant ainsi, le débat a été décontextualisé, empêchant l'élargissement de la discussion à ce qui réellement s'est mal passé et pourquoi, et se concentrant au lieu de cela sur les dynamiques interpersonnelles qui se sont développées à Camp David et les psychologies des principaux acteurs concernés.
La conséquence tragiques des négociations de juin 2000 fut l'acceptation, très répandue dans les pays occidentaux et en Israël, de la déclaration de Barak comme quoi "son offre la plus généreuse" avait été refusée pour de mystérieuses raisons par Arafat, preuve ultime qu'Israël n'avait pas de " partenaires" pour faire la paix parmi les Palestiniens.
Cette "conclusion " fatidique a aidé dans le déclenchement du soulèvement palestinien de septembre 2000 et la combinaison des assertions de Barak et de l'intensification des attaques palestiniennes contre des civils israéliens à l'intérieur de la Ligne Verte ont provoqué l'effondrement du Camp de la Paix et les deux victoires écrasantes de Sharon aux élections.
A la suite de cette horrible conséquence et surtout après la description " révisionniste" du sommet de Camp David faite par Deborah Sontag dans le New York Times en juillet 2001, et le texte de Malley et Agha en août 2001 "une tragédie d'erreurs commises", Barak, un politicien aspirant à revenir en politique - car si Sharon avait pu le faire, il semblait que tout soit possible - a senti clairement qu'il devait quelque chose au peuple israélien et au monde entier. A cette fin, il a recruté un historien réputé et a choisi, "la Revue de New York" le plus respectable des forums américains, pour construire sa version de l'histoire afin de sauver la face. Que des érudits d'une telle envergure puissent être employés aussi facilement pour satisfaire les objectifs de relations publiques de politiciens, est profondément regrettable. Mais le texte de Barak-Morris a certainement été efficace.
Avant les discussions de Camp David, Barak et Clinton s'étaient mis d'accord pour coordonner à l'avance chacun des mouvements des Etats Unis et d'Israël; et, si le sommet échouait, Israël ne serait pas blâmé. Clinton a tenu ses engagements ainsi que la plupart de ses subordonnés. L'exception fut Malley, l'assistant spécial du Président pour les affaires arabo- israéliennes pendant les négociations, qui fit son propre compte-rendu de la stratégie dévastatrice de Barak, et répartit proportionnellement le blâme de l'échec sur les trois camps. Néanmoins, avec le soutien de Morris et de Dennis Ross, l'homme désigné par Clinton pour s'occuper des Palestiniens (employé aujourd'hui comme directeur de l'Institut de Recherche pro-israélien et faucon) et à travers de nombreux articles personnels et des apparitions publiques, Barak a réussi à convaincre la majorité du public américain de la validité de son affirmation qu'il n'y avait " pas de partenaire".
Cependant, le plus important encore pour Barak était de s'expliquer pour les annales de l'histoire israélienne. Pour ce faire, il a recruté les services de Ran Edelist, un journaliste bien connu spécialisé dans des histoires d'espionnage militaire, et dont le livre de 500 pages raconte l'histoire de la brève carrière de Premier Ministre de Barak, de sa prise de fonction en juillet 1999 jusqu'à son éviction en février 2001. "Combattre les démons" est une chronique pratiquement quotidienne de ces mois, qui suit de près le cahier de rendez-vous du Premier Ministre, détaillant ses conversations - celles significatives et les autres - et ses innombrables voyages à l'étranger. Ce livre regorge également de monologues philosophiques, historiographiques, et des introspections pas vraiment très profondes de l'homme lui-même. Néanmoins, c'est un document plus intéressant qu'il visait, ou avait l'intention d'être.
Bien que le livre ait été écrit en collaboration étroite avec Barak, quelque chose a réellement changé pendant son écriture. Un lecteur attentif remarquera qu'à un certain moment, la voie d'Edelist diverge de celle de son héro. Malgré les remarques régulières de Barak et sans même vraiment le reconnaître, cet écrit offre une interprétation des évènements plus proche de celle de Malley et de Sontag - ou d'autres comptes rendus critiques, tel que celui de Yossi Beilin en 1999 " la paix touchée", ou même celle en 2001 d'un proche de Barak, Gilad Sheer, dans son " juste à portée de main " - que de la narration de Barak-Morris...
L’essence de l'approche de Barak, distincte de celle de Rabin, fut mise en évidence par sa décision de geler tous les accords intérimaires avec les Palestiniens et qui découlaient des Accords d'Oslo - Wye - parmi ceux ci :
un retrait partiel des troupes israéliennes de Cisjordanie ,
le contrôle par les Palestiniens de trois villages près de Jérusalem,
la libération des prisonniers arrêtés avant 1993 - et ce en faveur d'un règlement raisonnable avec statut de règlement permanent (la seule exception fut l'ouverture après un long délai, d'une route principale dans Hébron).
Au lieu de s'occuper de cela, Barak choisit de faire d'un accord avec la Syrie sa première priorité. Il y avait deux raisons à cela : tout d’abord, un tel accord semblait relativement simple comparé aux négociations chargées d'émotions à mener avec les Palestiniens; la deuxième, moins évidente, était que Barak prévoyait qu'en isolant l'Autorité Palestinienne de cette façon, celle ci pourrait être forcée de signer un arrangement final selon ses termes à lui. Quand les discussions de Sheperdstown ont échoué à propos de quelques mètres en bordure du lac de Tibériade, qui devait devenir zone démilitarisée de toute façon, l'hésitation de Barak était due à la crainte que la Syrie ait accès au lac, principal réservoir d’eau d'Israël. Barak décida le retrait du Liban sans qu'il y ait eu accord, malgré l'opposition des chefs d'Etat-Major : seule réalisation de son mandat de Premier Ministre. Ce ne fut qu'à ce moment-là, pendant l'été 2000, alors que le mandat de Clinton touchait à sa fin (et rétrospectivement celui de Barak aussi) que Barak trouva enfin le temps de discuter avec les Palestiniens.
Pendant ce temps, l'Autorité Palestinienne avait mendié des concessions notamment la libération des prisonniers, le sujet le plus douloureux pour son peuple, afin de diminuer la pression venant d'en bas. D'un côté, l'Autorité Palestinienne était supposée se comporter comme " Ben Gourion dans l'affaire de l'Altalena, donnant l'ordre en 1948 de faire couler un bateau chargé d'armes pour l'organisation clandestine de l'Etzel ", un ordre qui provoqua une vague de protestations de la population juive. D'un autre côté, il ne pouvait montrer à son peuple un quelconque signe de réussite. Les services secrets ont averti que le contrôle de l'Autorité Palestinienne faiblissait et que celui du Hamas et du Djihad Islamique se renforçait. Barak a insisté pour qu'il n'y ait pas de libération de prisonniers avec " du sang sur les mains", ou de " concessions" territoriales avant l'accord final. Avant qu'il ne soit élu, Barak a dit une fois qu'il comprenait les Palestiniens, que s'il était l'un d'entre eux, il rejoindrait une organisation terroriste. Ceci , bien sûr, provoqua une vague de protestations, et Barak dû insister en expliquant qu'il avait été mal compris, que ses remarques avaient été citées hors de leur contexte etc...
Après avoir lu le livre d'Edelist, on peut le croire. Il n'a pas, et n'a jamais eu la capacité de se montrer emphatique que ce soit avec ses adversaires, ou avec ses amis. C'est sans nul doute l'une des raisons de l'échec de ses négociations avec à la fois Assad et Arafat, et pour ses pauvres relations avec ses coéquipiers politiques israéliens, y compris les membres de son parti.
Ainsi, les graines de la méfiance mutuelle entre Barak et Arafat avaient déjà été semées, à l'approche de l'été 2000. Bien que les négociations centrales de Camp David aient été précédées d'innombrables pourparlers à tous les niveaux, tout ceci restait improductif. Arafat était à priori opposé à l'approche de Barak - un gel du troisième retrait des troupes israéliennes et d'autres engagements israéliens précédents, et une transition pour des pourparlers sur un accord final raisonnable - Arafat n'avait rien à montrer comme bénéfice des accords d'Oslo à une population palestinienne de plus en plus insatisfaite. Etant donné que toutes les cartes étaient dans les mains d'Israël, Arafat n'avait pas d'autre alternative que d'accepter de prendre part aux négociations de Camp David.
La proposition israélienne, telle que transmise par Clinton, était assez détaillée. En ce qui concerne les territoires, les Palestiniens se voyaient offert 80-20, c'est à dire :
80% de la Cisjordanie et la Bande de Gaza seraient sous contrôle et souveraineté de l'Etat palestinien,
20% seraient annexés à Israël, y compris les 7 blocs de colonies comprenant environ 80% de la population des colons juifs;
un viaduc serait construit reliant la Bande de Gaza à la Cisjordanie .
Précédemment, la possibilité qu'Israël loue à long terme l'équivalent de 10% de la Cisjordanie le long de la vallée du Jourdain, " pour des raisons de sécurité ", avait aussi été discuté. Ensuite, l'argument avancé pour maintenir un contrôle israélien sur la rive du Jourdain fut qu'il était important, principalement pour la Jordanie, à cause de l'irrédentisme des Palestiniens et de l'unification possible des deux rives.
Le droit au retour des Palestiniens serait reconnu seulement dans le cadre de l'Etat palestinien; tandis qu'Israël aiderait à la réhabilitation des réfugiés, il ne reconnaîtrait aucune responsabilité morale ou légale dans la création de ce problème des réfugiés.
Les limites de la municipalité de Jérusalem seraient étendues - apparemment pour inclure l'annexion d'Abu Dis, Azariya et un petit nombre d'autres villages - de sorte qu'il y ait effectivement quelque chose à partager.
L'intention était de garder la majeure partie du territoire sous souveraineté israélienne, le reste étant " vendu" aux Palestiniens comme " leur" Jérusalem. Une route de contournement serait construite autour de Jérusalem est pour permettre aux fidèles d'aller prier sur le lieu saint d'Haram al Sharif, le noble sanctuaire de l'Islam, Mont du Temple juif.
Il faut rappeler que les Palestiniens, de leur point de vue, avaient déjà fait l’ultime concession, et de ce fait n'avait aucun atout pour négocier. Dans les accords d'Oslo, ils avaient reconnu le droit d'Israël d'exister sur 78% de la Palestine historique, en espérant que, suivant les accords de paix avec l'Egypte et la Jordanie, et sur la base de l'interprétation arabe des résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui appelle au retrait des Territoires Occupés en 1967, ils puissent récupérer le reste, avec quelques ajustements mineurs de frontière. Pourtant, et bien que plus tard il y eut un certain relâchement des demandes israéliennes, les discussions continuèrent concernant l'annexion d'environ 12% de plus de la Cisjordanie afin de créer 3 blocs de colonies, divisant ainsi l'Etat palestinien en cantons séparés, avec des liens entre eux très problématiques. Les Palestiniens appelèrent les portions de territoires qui leurs étaient attribués des « bantustans », mais les enclaves d'origine crées par les Afrikaners pour les noirs d'Afrique du Sud étaient mieux pourvues que celles de l'offre" généreuse " de Barak.
Il ne faut pas s'étonner alors, qu'Arafat, qui savait que les positions israélienne et américaine étaient coordonnées, fut amené à ce sommet contre son gré. Même le livre d'Edelist soutient l'argument de Sontag, que les Palestiniens sentirent qu'ils étaient traînés sur les coteaux verdoyants du Maryland pour être mis sous pression conjointe d'un Premier Ministre israélien et d'un Président américain qui, en raison de leurs programmes politiques et de leurs préoccupations quant à leur héritage politique, étaient animés par un sens personnel de l'urgence. Les Palestiniens ont dit que les Américains leur avaient répété que la coalition israélienne était instable. Au bout d'un certain temps, ils leur dirent que le but de la rencontre au sommet était tout autant de faire la paix que de sauver Mr Barak. C'est pour ces raisons, que la plupart des membres de la délégation palestinienne ont adopté une stratégie futile dite du " bunker" refusant automatiquement toute proposition.
Les soupçons d'Arafat se sont confirmés quand Clinton, soupe au lait, a lancé une attaque crue contre lui, bafouant son honneur. Une autre fois, quand les délégations se sont laissées entraîner dans un argumentaire sur la question de savoir si les ruines du Temple étaient enterrées sous la Mosquée Al Aqsa, c'est le protestant Clinton qui a fait un sermon sur le Temple Sacré de Salomon selon la Bible. L'un des assistants juifs du Président est intervenu pour le sauver d'une situation embarrassante, en disant que c'était le point de vue personnel du Président, et non la position officielle des Etats Unis. Dans son compte-rendu des rencontres de Camp David, le ministre des Affaires Etrangères de Barak, Shlomo Ben Ami, a fait remarqué que cet épisode montrait à quel point Arafat était prisonnier de ses propres mythes. Ce que cet incident montrait réellement, c'est à quel point chaque camp était plongé dans ses propres mythes. C'est apparemment la raison principale pour laquelle les discussions ont finalement échoué sur le statut du Mont du Temple, en dépit du fait que les Palestiniens avaient accepté la division de la ville et la souveraineté d'Israël sur le mur Ouest, en échange du contrôle du reste de la zone de la mosquée et des quartiers arabes.
Pendant la durée des discussions, Barak a accepté effectivement d'être " flexible" sur les propositions israéliennes sur différents problèmes, et s'est rapproché d'une concession territoriale de 92%. Mais chaque proposition et chaque problème étaient discutés séparément, et il a été stipulé que jusqu'à ce que tout soit accepté, rien n'était accepté. Ainsi des offres discrètes ont été faites aux Palestiniens sur beaucoup de points, sachant principalement que tout serait totalement rejeté sans en tenir compte, alors que les Palestiniens - et c'est ainsi que cela a été rapporté à ce moment là - n'avait fait aucune contre proposition. Plus tard, Barak pouvait regrouper tous les cas séparés et affirmer qu'il avait fait une offre incomparablement généreuse aux palestiniens.
Quand le sommet a échoué, et alors que les restes de son gouvernement s'effritaient, Barak a fait cette déclaration fatidique qu'il n'y avait "pas de partenaire coté palestinien". Clinton, aussi par intérêt résolument personnel, a honoré sa promesse et l'a soutenu. Il y eut d'autres " non-discussions " et " non-papiers" ainsi appelés, à Taba, où, selon certaines sources, les parties s'étaient rapprochées encore plus qu'auparavant d'un accord. Pour ce qui concernait Barak et Arafat, le jeu était terminé depuis Camp David. De cet épisode jusqu'au conflit armé, ce n'était plus qu'une question de temps.
Apres 7 ans de discussions futiles qui n'avait pas permis aux Palestiniens d'obtenir des avancées significatives, tout ceci accompagné par une intensification du processus de colonisation juive dans les Territoires Occupés palestiniens, la question n'était pas si la colère et la violence allaient éclater, mais quand, et sous quelle forme. Les Palestiniens n'ignoraient pas vraiment que les rapports de force avec Israël étaient asymétriques, mais ils ont changé le paradigme. D'une tentative pour mettre fin à l'occupation et obtenir l'indépendance qui reposaient sur des efforts diplomatiques et dépendaient de la générosité des Israéliens et des Américains, ils sont passés à "une guerre d'indépendance" pour partie alimentée par des émotions religieuses. Le type de combat pour lequel les gens sont prêts à payer une prix personnel et collectif élevé pour réaliser ce qu'il voient comme l’objectif suprême.
Dans cette perspective, la visite provocante de Sharon sur le Mont du Temple en 2000 n'était que l'allumette qui enflammait le stock de fuel que Peres, Natanyahu et Barak avait amassé chacun leur tour. Barak a pavé la voie de la victoire de Sharon aux élections de 2001, avec un score sans précédent de 52% des votes, un tournant historiquement renforcé au cours des élections générales de 2003, où le bloc de la droite s'est assuré 69 des 120 sièges du parlement, et Sharon est devenu le premier Premier Ministre israélien à être élu pour un second terme depuis Menahem Begin en 1981.
Sous Sharon, Israël est devenu un état orienté vers un but majeur : le politicide du peuple palestinien. Le politicide est un processus dont le but ultime est la destruction de certains espoirs d'un peuple - en fait, leur véritable volonté - d'obtenir leur auto détermination légitime, et leur souveraineté sur une terre qu'ils considèrent comme leur patrie. C'est en fait, un renversement du processus tel que suggéré par Woodrow Wilson à la fin de la première guerre mondiale, et depuis accepté comme un principe international standard. Le politicide inclut un mélange de mesures martiales, politiques, sociales et psychologiques.Les techniques les plus communément utilisées dans ce processus, sont :
• les expropriations de terres, et leur colonisation
• les restrictions dans la mobilité spatiale ( couvre-feux, bouclages, barrages )
• le meurtre, des massacres localisés, les détentions en masse, la division ou l’ élimination des dirigeants et des groupes d'élites
• l'entrave à l'éducation et à la scolarité
• la destruction physique des institutions publiques,des infrastructures, des maisons privées et des biens
• la famine
• l'isolation sociale et politique, et la rééducation
• et, le nettoyage ethnique partial ou total si possible, bien que celui-ci puisse ne pas être mené en une seule dramatique action.
Le but de la plupart de ces pratiques est de rendre la vie si insoutenable que la plus grande majorité de la population adverse, spécialement ses élites et ses classes moyennes, quitteront l'endroit " volontairement". Toutes ces actions sont prises précisément au nom de la Loi et de l'Ordre, l'un des objectifs clés étant d'arriver à obtenir le pouvoir de définir son propre camp comme celui faisant respecter les lois, et l'autre comme celui des criminels et des terroristes. Un but alternatif, peut-être, d'établir un régime fantoche comme celui des bantustans, qui est complètement soumis, mais fournit l'illusion d'une autodétermination à la communauté ethnique ou raciale opprimée.
Cependant, les faits bruts sont que le peuple palestinien existe et la possibilité que son politicide ou qu'il soit nettoyé ethniquement du pays sans que cela n'entraîne des conséquences fatales pour Israël, est nulle. D'un autre côté, Israël n'est pas seulement une présence établie dans la région, mais aussi une super-puissance, militaire, économique, et technologique.
Comme beaucoup de sociétés de colons émigrants, l'Etat israélien est né dans le péché, sur les ruines d'une autre culture, qui a souffert d'un politicide et d'un nettoyage ethnique partiel, bien que l'Etat Sioniste n'ait pas réussi à annihiler la culture indigène rivale, comme beaucoup d'autres sociétés de colons émigrants l'ont fait. En 1948 , il n'avait pas le pouvoir de le faire et la force des sentiments post-coloniaux de l'époque rendaient ses actions inacceptables internationalement. Néanmoins, les Palestiniens n'ont pu, comme ce fut le cas en Algérie, Zambie, Afrique du Sud, renverser leurs colonisateurs.
L'Etat israélien, au Moyen-Orient a réussi à prouver sa viabilité et à développer une société et une culture ayant leur vitalité propre. Son développement à long terme et sa normalisation interne dépendent, cependant, de sa reconnaissance en tant qu'entité légitime, par les autres peuples de la région. L’accord de paix signé avec l'Egypte fut, dans ce sens, la deuxième plus grande victoire du Sionisme. Sa plus grande fut l'accord d'Oslo, dans lequel sa principale victime et principal adversaire a reconnu le droit à l'existence d'un Etat juif en Palestine. Comme le traité de Sadat avec Begin était le résultat, à retardement, de la victoire israélienne des guerres de 1967 et1973, ce changement révolutionnaire dans le courant de pensée politique majeur palestinien s'est manifesté à la suite de la victoire américaine dans la guerre du Golfe de 1991.
De façon identique, c'est au cours de la mise en place de son invasion de l'Irak que l'administration de Bush a délivré sa nouvelle" «Feuille de Route»". Son objectif était de stopper toute résistance armée contre Israël en échange de la création d'une entité décrite comme " un Etat palestinien" dans des frontières provisoires, pour la fin 2003. Ceci devrait être suivi d'un retrait des forces israéliennes des Territoires sous contrôle de l’Autorité Palestinienne, et d'élections pour un nouveau Conseil palestinien conduisant à des négociations avec Israël sur un statut permanent. Le soi-disant "Quartet" comprenant l'US, l'EU, l'UN et la Russie est supposé superviser l'application de ce plan, qui laissent ouverts tous les problèmes sujets de dispute - les frontières, les réfugiés, le statut de Jérusalem, entre autres. Cette stratégie s'accorde bien avec la tactique de Sharon de gagner du temps basée sur la supposition que les attaques terroristes palestiniennes continueront, s'attirant une réponse militaire israélienne aussi sauvage.
L'efficacité de l'approche de Sharon a été testée à l'aune d'un sondage d'opinion conduit début décembre 2002. Plus de 7 Palestiniens et Israéliens sur 10 ont indiqué qu'ils étaient prêts à entreprendre un processus de règlement du conflit basé sur le fait que les Palestiniens s'abstiendraient de tout acte de violence tandis que les Israéliens accepteraient un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Moins d'un Palestinien et d’un Israélien sur 5 (dans les deux cas, les résultats furent remarquablement similaires) soutenaient l'idée de récupérer la Palestine historique ou de s'accrocher aux Territoires Occupés. Néanmoins, une grande proportion de la majorité des Palestiniens et des Israéliens a exprimé sa méfiance sur le fait que l'autre camp soit prêt soit à renoncer à la violence, ou à faire les concessions nécessaires. Ainsi, une grande partie des Palestiniens continuent de soutenir les méthodes violentes utilisées dans l'Intifada, tandis qu'une proportion identique d'Israéliens continue de plaider pour une violente répression de l'armée israélienne.
Sharon, étant un expert en lecture de carte, a trouvé que le plan de Bush lui convenait tout à fait. Dans un discours en novembre 2002, il a présenté une vision claire sur comment le conflit devrait être mené : avec l'application de la «Feuille de Route», Israël pourrait créer une zone contiguë sur le territoire de la Cisjordanie , qui, par la combinaison de tunnels et de ponts, permettrait aux Palestiniens d'aller de Jénine à Hébron sans passer par les points de contrôle et les barrages israéliens. Israël prendrait des mesures telles que " créer une continuité territoriale entre les centres peuplés de Palestiniens", aussi longtemps que les Palestiniens s'engageraient à faire " un effort sincère et réel pour stopper la terreur ". Puis, après que les réformes requises au sein de l'Autorité Palestinienne aient été terminées, la phase suivante du plan de Bush deviendrait effective. L'établissement d'un "Etat palestinien" dans des frontières provisoires.
L'intention est évidente : « l'Etat palestinien » sera formé de trois enclaves autour des villes de Jénine, Naplouse et Hébron, sans continuité territoriale. Le plan de relier entre elles les enclaves avec des tunnels et des ponts implique qu'une présence israélienne importante existera dans la plupart des autres endroits de la Cisjordanie . Pour enfoncer le clou, Sharon a ajouté : cet Etat palestinien sera complètement démilitarisé. Il sera autorisé à maintenir une police légèrement armée, et des forces intérieures pour assurer l'ordre civil. Israël continuera à contrôler tous les mouvements d'entrée et de sortie de l'Etat palestinien, contrôlera son espace aérien, et ne l'autorisera pas à forger des alliances avec des ennemis d'Israël.
Sharon sait très bien qu’il est virtuellement impossible pour un dirigeant palestinien de mettre fin au conflit en échange d'une souveraineté aussi limitée et aussi peu de territoire. Cependant, le seul fait de mentionner le mot "Etat palestinien", mot tabou dans le lexique de la droite israélienne, lui permet d'endosser une image de modération à l'étranger, et le positionne au centre de l'échiquier politique intérieur. De tels gestes lui permettent également de gagner un temps pratiquement illimité pour continuer son programme de politicide qui a reçu tout du long le soutien inconditionnel d'Erud Barak.
Conséquence de l'invasion anglo-américaine de l'Irak, et le flagrant échec d' y trouver des armes de destruction massive, Washington essaie maintenant de redorer son image de faiseur de paix en poussant de nouveau la «Feuille de Route». Mais, alors que l'attention des médias occidentaux s'est focalisée sur la Hudna, ou l'accord de cessez-le-feu par les chefs du Hamas, du Djihad Islamique et de l'Autorité Palestinienne, il y a eu peu de remarques sur la terminologie précise utilisée dans le communiqué israélien du 26 mai 2003 concernant l'adoption du plan de paix, et qui déclarait : " le gouvernement d'Israël décide que tous les engagement d'Israël, comme abordés dans le communiqué de l'administration Bush, seront appliqués entièrement pendant la phase d'application de la «Feuille de Route»". En d'autres termes ce n'était pas la «Feuille de Route» elle-même qui était acceptée, mais les 14 conditions et réserves émises par ce gouvernement, chacune complètement séparée du contenu du document original. Ceci permet à Sharon de dire qu'il a accepté sa propre version de la «Feuille de Route» et donne la chance à Bush de faire un communiqué sur " un pas positif " et de venir à Aqaba pour une photo opportune.
Cependant, les conditions israéliennes sont basées sur une perception incorrecte de la causalité et de la logique du conflit - l'hypothèse que la racine de la violence se trouve dans " le terrorisme " palestinien plutôt que dans une occupation et colonisation illégale de terres palestiniennes par Israël depuis une génération, et son exploitation et le harcèlement de tout un peuple. Ainsi, la condition générale israélienne stipule que " dans la première partie du plan, et comme condition d'un progrès vers la deuxième phase, les Palestiniens complèteront le démantèlement des organisations terroristes... de leur infrastructure, collecteront les armes illégales et les transféreront à une partie tierce".
Si ceux qui ont composé les documents adoptaient une perspective plus juste sur les causalités historiques et politiques du conflit, ils proposeraient une fin rapide de l'occupation, et le retrait des forces militaires israéliennes sur les frontières d'avant 1967 comme première et non dernière phase du processus.
Dans de telles conditions, cela aurait un sens de demander que l'Etat palestinien souverain cesse toute résistance contre une occupation non existante, et agisse graduellement mais avec force contre les organisations terroristes qui pourraient mettre sa propre autorité et stabilité en danger.
L'une des principales failles des accords d'Oslo était l'hypothèse que l'Autorité Palestinienne serait un régime de sous-traitants travaillant à maintenir la sécurité d'Israël, pendant que d’autres problèmes seraient sujets à d'interminables négociations avec chaque concession dépendant de la générosité d'Israël. Cette approche s'est avérée futile. En plus, l'échec du processus d'Oslo, montre que la longue période de "construction de la confiance" a surtout provoqué une méfiance mutuelle et a offert plein d'occasions à des forces internes projectionnistes de saboter les accords. Un exigence minimale pour un plan de paix réaliste, c'est de donner aux Palestiniens la possibilité de réaliser l'un de leurs principaux objectifs : un Etat souverain sur 22% de la Palestine historique. Une déclaration explicite à ce sujet pourrait créer une plus grande symétrie entre les parties et fournir des encouragements pour résoudre tous les autres problèmes tels que Jérusalem, les réfugiés, la division des ressources en eau etc...
Finalement, la «Feuille de Route» comprend deux demandes contradictoires faites aux Palestiniens, comme pré-conditions pour un règlement : d'un côté ils doivent établir un régime autoritaire pour combattre les organisations terroristes dissidentes, et de l'autre, ils doivent démocratiser leur appareil politique. De nouveau, la compréhension de la causalité en question doit être inversée, si cela n'est pas un prétexte hypocrite pour éviter tout accord - car un règlement par lui-même, avec un soutien populaire, peut être le meilleur moyen d'accélérer la démocratisation de toutes les parties impliquées.
Sans, au minimum, de telles adaptations, la «Feuille de Route» montre la voie au prolongement d'un politicide du peuple palestinien sous le couvert de la Pax Americana.
Source : www.newleftreview.net
Traduction : MDB
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Baruch Kimmerling
7 novembre 2003