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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

L’interview choquante de Benny Morris

Par

M. Kimmerling, ou George S. Wise, est professeur de Sociologie à l'Université Hébraique de Jérusalem. Son dernier livre anglais (Co-écrit avec Joel S. Migdal) est : la Population palestinienne : Une Histoire (Harvard University Press, 2003).

L'historien israélien Benny Morris l'a encore fait.
Morris est non seulement un historien d’un niveau impressionnant mais également une icône israélienne et internationale. Un an après la publication de son livre : « La naissance du problème des réfugiés palestiniens, 1947-1949, édité en 1987, il s'est proclamé lui-même « nouvel historien ».
Il est devenu le grand gourou d'un petit groupe imaginaire qu’il a désigné lui-même et dont font partie principalement Avi Shlaim, Uri Milstein et Ilan Pappé.
L'adhésion à ce groupe change de temps en temps selon la sympathie ou l’antipathie de Morris.

L'historien israélien Benny Morris l'a encore fait.
Morris est non seulement un historien d’un niveau impressionnant mais également une icône israélienne et internationale. Un an après la publication de son livre : « La naissance du problème des réfugiés palestiniens, 1947-1949, édité en 1987, il s'est proclamé lui-même « nouvel historien ».
Il est devenu le grand gourou d'un petit groupe imaginaire qu’il a désigné lui-même et dont font partie principalement Avi Shlaim, Uri Milstein et Ilan Pappé.
L'adhésion à ce groupe change de temps en temps selon la sympathie ou l’antipathie de Morris.

Morris a fondamentalement prétendu que toute l'historiographie israélienne qui a précédé son livre et plusieurs autres écrits avaient été complètement fabriqués, une série de faux mythes conçus pour servir le besoin Sioniste de légitimité.

Morris, avec sa grande arrogance et son talent unique en relations publiques a provoqué un immense fureur parmi le vieil establishment universitaire et intellectuel israélien et est devenu le héros de beaucoup de Palestiniens et d’un petit groupe de jeunes universitaires israéliens qui le perçoivent comme un "démystificateur" des mensonges sionistes.

D'autre part, il a été accusé par les principaux universitaires et intellectuels israéliens traditionnels de « post-Sionisme » et de subvertir la légitimité même de l'existence d'Israël. Cela a déclenché des absurdités sans fin et semi-professionnelles et principalement des débats politiques en Israël et à l'étranger au sujet de la signification et de l'ampleur du "post-Sionisme" (fréquemment catalogué comme "anti-Sionisme" ou même "post-modernisme") qui inclut arbitrairement l'étude critique (ou supposée critique) sérieuse ou moins sérieuse sur l'histoire, la société et la politique israéliennes.

La majeure partie de ce débat a endommagé fortement la recherche historique, sociale et culturelle israélienne. Des livres et des exposés ont été jugés non pas sur leurs valeurs intrinsèques ou leurs imperfections, mais sur leurs catégorisations comme Sioniste, post-Sioniste ou anti-Sioniste. Au lieu d'être préoccupés par une recherche sérieuse, les gens ont consacré beaucoup de temps et d’énergie aux polémiques sur cette question futile. Des jeunes universitaires ont été effrayés et ont choisi soigneusement leurs projets de recherche afin d'éviter d'être identifiée dans l’un des « camps ».

Au crédit de Morris, on doit dire, qu'il s’est très peu impliqué dans ces débats, même s’il prenait plaisir à être au centre de l'orage.
Morris a en général aimé laisser sa morale et son attitude idéologique envers les événements qu'il a décrit de façon ambigue, et c'était une position correcte de son point de vue d’historien positiviste, dans un rôle dont il se targue d'objectivité, même si une lecture soigneuse de presque tout les écrits de Morris indique une vue très simpliste et unidimensionnelle sur le conflit Arabo-Juif.

En dépit de toutes ses "découvertes" au sujet des injustices morales perpétrées par les Israéliens, sur l’essentiel, il a toujours tendu à adopter une interprétation israélienne officielle des événements ((dans "Victimes : Histoire revisitée du conflit Arabo-Sioniste, 1881-2001", mais moins dans "les Guerres des Frontières d'Israël").


Une autre question intéressante est que les arrangements compulsifs de Benny Morris avec les problèmes liés au "transfert" de la population arabe, ont faussement interprétés comme ancrés dans une profonde indignation morale par la plupart de ses lecteurs.

Comme la majeure partie des autres revendications de Morris, la prétention d’être le premier et le seul Israélien qui ait traité le nettoyage ethnique des Arabes reflète une réalité partielle.

Son livre a en effet touché un nerf très central et douloureux du passé accessible Israélo-Juif : le décacinement d'environ 700.000 Palestiniens Arabes des territoires qui allaient devenir l'Etat juif, le refus de les autoriser à revenir dans leurs maisons après la guerre, et la formation du problème des réfugiés pendant la période de la guerre de 1948 et après.
Il a également examiné quelques atrocités commises par les Juifs pendant la guerre inter-communautaire qui a joué un certain rôle dans la fuite "volontaire" des Arabes de leurs villages et des environs.

De façon assez bizarre, Morris a consacré un débat très important et considérable au centre de l'idée du "transfert" (c.-à-d., nettoyage ethnique) dans la pensée sioniste, mais a conclu que les Palestiniens n'avaient pas été expulsés par les Israéliens conformément à un programme-cadre ou suivant une politique en conséquence. Ce n'était pas précis.


Le Plan D et l’Israélisation de la Terre

Au début des années 70, j'ai commencé à travailler sur la recherche à l'Université Hébraique de Jérusalem, qui, je l’espérais, me permettrait de présenter une thèse de Ph.D. en sociologie.
Le sujet était l'idéologie sioniste de la terre et de son rapport avec d'autres doctrines politiques.

Aux premières étapes de ma recherche, j'ai été choqué de découvrir qu'une "purification" importante de la terre (le terme "nettoyage ethnique"» était inconnu à cette époque) de ses habitants Arabes Palestiniens avait été effectuée pendant la guerre de 1948 par les forces militaires et para-militaires juives.

Pendant cette recherche, basée seulement sur des sources israéliennes, j'ai trouvé qu’environ 350 villages arabes avaient été "abandonnés" et leurs 3,25 millions de dunums de terre agricoles avaient été confisqués et étaient devenus, après plusieurs étapes, la propriété de l'Etat israélien ou du Fonds National Juif.

J'ai également trouvé que, Moshe Dayan, alors Ministre de l'Agriculture, avait révélé qu'environ 700.000 Arabes qui "avaient quitté" les territoires possédaient quatre millions de dunums de terre.


Une autre découverte était que de 1882 jusqu'en 1948, toutes les compagnies juives (dont le Fonds National Juif, un organe de l’Organisation Sioniste Mondiale) et des particuliers en Palestine avaient réussi à acheter seulement environ 7 % de toutes les terres de la Palestine britannique.
Tout le reste a été pris par l'épée et nationalisé pendant la guerre de 1948 et après.


Aujourd'hui, seulement environ 7 % de la terre d'Israël appartient à des particuliers, dont environ la moitié par des Arabes.

Israël est la seule « démocratie » au monde qui a nationalisé presque toute sa terre et interdit même le crédit-bail de la plupart de régions agricoles aux non-juifs, une situation rendue possible par un cadre complexe d’arrangements légaux avec le Fonds National Juif, dont la Loi Fondamentale : L'Israël Lands (1960), la Loi Agraire d'Israël et la Loi sur l'Administration des Terres d’Israël (1960), ainsi que les engagements entre le gouvernement de l'Etat d'Israël et de l’Organisation Sioniste Mondiale (WZO) de 1954 et du Fonds National Juif (JNF) de 1961.


Maintenant le puzzle restant était que :
Cette dépopulation était-elle une conséquence « naturelle » de la guerre, qui a mené les populations arabes à fuir le pays, comme Israël le déclare officiellement en permanence tout en accusant simultanément les leader arabes d'avoir encouragé cette fuite,
ou était-ce une politique juive intentionnelle pour acquérir une quantité maximum de territoires avec une quantité minimum de population arabe.


D’autres recherches ont prouvé que le plan militaire pour la guerre de 1948 était le "Plan D" (Tochnit Daleth).
Le Général Yigael Yadin, chef de la branche d'opérations des Forces armées unifiées israéliennes, l'a lancée le 10 mars 1948.

Le plan s’attendait à des affrontenements militaires entre la communauté juive de la Palestine coloniale créant son Etat avec la communauté arabe et l'interposition présumée des forces militaires des Etats Arabes.

Dans le préambule du plan, Yadin déclarait :
"Le but de ce plan est le contrôle du secteur de l'Etat juif et de la Défense de ses frontières (comme déterminées par le Plan de Partition de l'Onu) et des groupes de colonies (Juives) à l’extérieur des frontières, contre les forces ennemies régulières et irrégulières agissant à partir de bases extérieures et à l’intérieur de l'Etat Juif".

En outre, le plan suggérait les actions suivantes, entre autres, afin d'atteindre ces buts :

• Des actions contre les colonies ennemis situées dans ou près de nos systèmes de Défense (c.-à-d., colonies et localités juives) dans le but d'empêcher leur utilisation comme bases pour les forces armées actives.
Ces actions devraient être divisées en types suivants :
• La destruction des villages (par des incendies, des explosions et des poses de mines) - en particulier, les villages dont nous ne pouvons pas gagner le contrôle(permanent).
• Le gain du contrôle devra être obtenu selon les instructions suivantes:
• L'encerclement du village et sa fouille.
• En cas de résistance, la destruction des forces de résistance et de l'expulsion de la population au delà des frontières de l'Etat.

La conclusion fut que, comme dans beaucoup d'autres cas, ce qui semblait être, à première vue, une pure doctrine militaire limitée, prouvait de lui-même, dans le cas du Plan D qu’il comportait des mesures de grande envergure qui menait à une transformation démographique, ethnique, sociale et politique complète de la Palestine.

En mettant en application l'esprit de cette doctrine, les forces militaires juives ont conquis environ 20.000 kilomètres carrés du territoire (comparé aux 14.000 kilomètres carrés qui lui avait été accordé par la résolution de Partition de l'ONU) et les ont épurés presque totalement de leurs habitants arabes.

Environ 800.000 habitants Arabes vivaient sur les territoires avant qu'ils tombent sous contrôle juif suite à la guerre de 1948.

Moins de 100.000 Arabes sont restés là sous contrôle juif après le cessez-le-feu.

50.000 Palestiniens supplémentaires ont été inclus sur le territoire israélien suite à l’accord d’armistice Israélo-Jordanien qui ont été transférés dans plusieurs villages selon la Loi israélienne.

La doctrine militaire, la base du plan D, a clairement reflété les aspirations idéologiques sionistes locales pour acquérir un ensemble territorial juif maximal, nettoyé de la présence arabe, comme condition nécessaire pour l’établissement d’un Etat-nation exclusivement Juif.

Le régime colonial britannique - entre 1921 à 1948 - a fourni une couverture politique et militaire sous laquelle l'entreprise sioniste pouvait développer son cadre institutionnel, économique et social de base, mais fixait également les intérêts essentiels de la collectivité arabe.

Lorsque le parapluie britannique a été enlevé, les communautés Arabes et Juives se sont retrouvées en tête à tête dans une situation revenue à zéro.

En rejetant le Plan de Partition, la communauté arabe et ses leaders étaient confiants, non seulement dans leur droit absolu de contrôler tout le pays qui avait alors une majorité arabe représentant les deux-tiers de la population, mais également dans leur capacité à le faire.

La communauté Juive et ses responsables ont estimé, d'une part, qu'ils n'avaient pas assez de puissance et de population pour contrôler la totalité du Territoire de la Palestine et d'expulser ou gouverner sa majorité arabe.

Et, d'autre part, ils ont officiellement accepté le plan de Partition, mais ont investi tous leurs efforts vers l’amélioration de ses conditions et l’augmentation au maximum des frontières tout en y réduisant le nombre d'Arabes.


Il était impossible, à ce moment-là, de trouver des preuves évidentes que, en dépit de ses conséquences et de la signification politiques de grande importance, le Plan D n’avait jamais été adopté au « niveau politique » ou même débattu. Mon intuition me dit que de nombreux responsables politiques et nationaux savaient très bien qu'il y avait certains types d'ordres et de qui ne devaient pas être discutés ou présentés officiellement.

Plus tard, les conclusions de Morris ont soutenu l'exactitude cette intuition.

De toute façon, la manière dont les opérations militaires de 1948 ont été menées ne laissent aucune chance au doute que le plan D était en effet la doctrine employée par les forces militaires juives pendant cette guerre, ou au sujet du « l’esprit » et des perceptions qui se cachaient derrière.


En hiver de 1974, j'ai soumis ma thèse Ph. D. et elle a été approuvée par le comité d'experts approprié au printemps 1975. Pendant de nombreuses années, j'ai essayé de l'éditer, sans succès.
Mes collègues de l'Université Hébraique m’ont expliqué avec un brin de pitié : "Bon, chaque personne qui a vécu dans ce pays à cette période sait avec précision ce qui s'est passé, mais ce n'est pas encore publiable. Cela sera peut-être fait dans une centaine d’années."


Quelques autres m'ont conseillé de trouver des matières plus intéressantes pour la recherche. Cependant, j'ai insisté et finalement j'ai trouvé l'Institut des Etudes Internationales de l'Université de Californie à Berkeley qui était prêt à l'éditer.

Le livre a été édité en 1983 sous le titre « Sionisme et Territoire » : Les dimensions Socio-Territoriales de la Politique Sioniste. Étant un texte professionnel, il n’a pas attiré l’attention du public et a obtenu une diffusion limitée mais il est devenu bien connu et est souvent cité par un petit cercle d’experts.


Le Discours Démographique israélien

La dernière controverse de Morris implique la position publique qu’il a prise sur la possibilité d'un deuxième acte de purification ethnique. Il est impossible de comprendre cette controverse sans comprendre le contexte démographique.

Cette question est complexe, mais exposée brièvement, si les tendances démographiques actuelles continuent, les Juifs cesseront d'être la population majoritaire, même à l’intérieur des frontières d’Israël avant 1967, d’ici les 40 à 50 prochaines années.

Une population arabe plus jeune avec un taux de naissance beaucoup plus haut rend ce fait presque inévitable, même s'il y a une immigration continue de la Diaspora. Ce fait crée beaucoup d'inquiétude parmi tous les segments de l'Etat israélien.

La solution radicale de ce dilemme est "le transfert" des populations arabes. Les versions «modérées» de ces propositions appellent aux échanges de territoires avec leurs populations.

Dans ces scénarios, des secteurs en Israël avec des grandes populations arabes comme la Galilée inférieure seraient donnés à un Etat palestinien en échange de colonies juives des territoires qui seraient incorporées à Israël.

Des solutions plus extrêmes de ce dilemme appellent à des expulsions de force des Palestiniens, non seulement des territoires occupées, mais d'Israël même.

Cet opinion extrême, est devenu quelque peu respectable ces dernières années.


Autrefois, les solutions impliquant le transfert étaient exprimées ouvertement seulement par les disciples de Meir Kahane. Déjà en 1990, un autre parti supportant "le transfert volontaire," le Parti Moledet du Général Rehavam Ze'evi, faisait partie de la coalition du gouvernement israélien. L’aspect «volontaire» été simplement ajouté pour éviter au parti d'être accusé d'incitation au crime.

Actuellement, Moledet ( faisant partie d'un bloc parlementaire dirigé par Benny Elon, un autre partisan du «transfert») fait de nouveau partie du gouvernement.

En 2002, le Parti National Religieux a choisi un nouveau leader, le Général Effie Eitam, qui a appelé au transfert des Arabes hostiles dans d'autres pays si une grande guerre en donnait l’occasion.

En effet, la plupart des scénarios de transfert, y compris celui proposé récemment par Benny Morris, sont basés sur "une Guerre d'Armageddon." Qui fournirait une couverture pour un nettoyage ethnique de grande envergure.

Le récent assaut américain sur l'Irak a intensifié cette atmosphère "d'anticipation". Ce n’est pas étonnant que dans ces circonstances, durant lesquelles le gouvernement israélien était le partisan étranger le plus enthousiaste de la guerre, qu'un groupe d'universitaires israéliens publient dans le Guardian (le 2 octobre 2002) "un avertissement hystérique" sur l'intention possible de commettre un tel acte sous couverture d'une guerre régionale.

Alors que le résistance Palestinienne armée continue à semer la terreur, les sondages d'opinion publique indiquent une augmentation perpétuelle du nombre d’Israéliens souhaitant l’expulsion des Palestiniens des territoires occupées et même des citoyens arabes israéliens.

Par exemple, selon des enquêtes conduites par Asher Arian pour le Centre de Jaffa des Études Stratégiques de l'Université de Tel-Aviv, en 1991, 38 % de la population juive a approuvé "le transfert" des Palestiniens des Territoires Occupés par la force tandis que 24 % ont favorisé une expulsion simultanée des Arabes israéliens. En 2002, les pourcentages sont respectivement montés à 46 et 31.

La solution alternative est d'utiliser le temps restant au retrait des territoires occupés et de réaliser une réconciliation entre les Juifs et les citoyens arabes d'Israël et leur pleine intégration en tant que groupe individuel et ethnique dans l'Etat israélien sur une base totalement équitable.

Les partisans de cette solution soutiennent que la vaste majorité des citoyens arabes d'Israël est attachée à l'Etat israélien, à ses valeurs et sa culture et apprécie sa démocratie potentielle. En outre, cette solution alternative est nécessaire afin d’empêcher Israël d'être un autre état de paria (comme l'Afrique du Sud sous le régime d'Apartheid).

La contribution récente de Benny Morris à cette controverse consiste à adopter une solution plus radicale d'un continuum de stratégies possibles afin de traiter le prétendu "problème démographique."


La Dénonciation de Benny Morris

Au début de 2004, Benny Morris a assidûment préparé une version "révisée" de son ouvrage ‘la Naissance du Problème des Réfugiés palestiniens’ et une version hébraïque des ‘Victimes Justes’ et en vue de leur publication, il a publié deux articles dans le Guardian (le 3 octobre 2003 et le 13 janvier 2004) et a donné un interview au Magazine Haaretz (le 8 janvier 2004).

Les trois pièces ont essentiellement reflété les mêmes idées; cependant l'interview en hébreu est moins subtil et plus dirigée vers un auditoire politique interne de Morris, c'est donc plus intéressant et il appelle à une lecture critique.

Tout d'abord, l'historien a souligné les nouvelles découvertes qui justifient la nouvelle version du Problème des Réfugiés : "Ce que la nouvelle version montre [-dit Morris-] est qu'il y avait beaucoup plus d'actes israéliens de massacre que ce que j'avais précédemment pensé. À ma surprise, il y avait aussi de nombreux cas de viol."

Après une description détaillée du viol et du meurtre de filles palestiniennes, Morris a conclu que "parce que ni les victimes ni les violeurs n'ont aimé raconter ces événements, nous devons supposer que la douzaine de cas de viol qui ont été annoncés, que j'ai trouvé, n'est pas l'histoire toute entière. Ils sont juste le bout de l'iceberg."

De plus il a constaté que dans vingt-quatre cas, environ 800 Palestiniens ont été massacrés dans des circonstances différentes.
Et il a ajouté :
"Cela ne peut pas être accidentel. C'est un modèle. Apparemment, les divers officiers qui ont participé à l'opération ont compris que l'ordre d'expulsion qu'ils ont reçu leur a permis de faire ces actes afin d’encourager la population à prendre la route. Le fait est que personne n'a été puni pour ces actes de meurtre. Ben-Gurion a fait taire la question. Il a couvert les officiers qui ont fait les massacres".

Cependant, une des conclusions les plus intéressantes de Morris - ce qui le rend plus proche de mes découvertes - est que depuis le mois d’avril 1948, Ben-Gurion projette un message de transfert. Il n'y a aucun ordre explicite venant de lui par écrit, il n'y a loi d’ordre, mais il y a une atmosphère de transfert [de population].

L'idée de transfert est dans l’air. Le leadership comprend que c'est l'idée. Le corps d'officiers comprend ce qui est exigé d'eux. Sous Ben-Gurion, un consensus de transfert est créé.

Ce n'est pas encore la purification ethnique comme une partie pré projetée d'une doctrine militaire comme je l’ai trouvé dans ma recherche initiale, mais juste "un message projeté." Cependant, d'une autre façon c'est encore plus mauvais que mes conclusions parce ceci fait ouvertement référence à Ben Gurion lui-même.

Jusqu'ici il est le "bon vieux" Morris tel qu’on l’attend. Le démystificateur agité des péchés d'Israël.

Cependant, soudainement l'interview a pris un tournant dangereux passant de l'historiographie à la philosophie :
"Dans certaines circonstances, l'expulsion n'est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 étaient des crimes de guerre. Vous ne pouvez pas faire une omelette sans casser des oeufs. Vous devez salir vos mains.
De plus, s'il était déjà engagé dans le processus d'expulsion, peut-être aurait-il dû finir son travail.
Je sais que cela abasourdit les Arabes et les libéraux et les types politiquement corrects.
Mais mon sentiment est que cet endroit serait plus tranquille et connaîtrait moins de souffrance si la question avait été résolue une fois pour toutes.
Si Ben-Gurion avait effectué une grande expulsion et avait nettoyé le pays entier - la Terre entière d'Israël, jusqu’au Jourdain.
Il peut encore s'avérer que c'était son erreur fatale.
S'il avait effectué une expulsion totale - plutôt que partielle - il aurait stabilisé l'Etat d'Israël durant des générations".

Laissez de côté pour un instant les implications morales de cette déclaration et demandez-vous quelle est donc sa base factuelle.

Toutes les recherches précédentes de Morris montrent que le problème des réfugiés était et est toujours la question fondamentale du conflit israélo-arabe.

"Une expulsion totale" - en supposant que c’était possible d'un point de vue militaire et international (une présomption très douteuse) - triplerait seulement le nombre de réfugiés.
Morris n'a aucune réponse sur comment un tel nettoyage devrait réduire la souffrance et par qui.
Il sait très bien que l'absorption de même "un nombre limité" de 700,000 réfugiés a causé famines et épidémies dans les pays "hôtes".


Un autre point critique que Morris devrait très bien connaître est que la conquête de la Cisjordanie aurait poussé la seule armée arabe qualifiée dans le conflit, la Légion de la Trans-Jordanie.

Une telle conquête aurait violé l'accord tacite entre Mme Golda Meir et le Roi Abdullah sur la répartition des terres de la Palestine entre l'Etat Juif et le Royaume. Dans un tel cas, l'équilibre des forces dans la guerre 1948 aurait été différent et aurait abouti au même résultat que la guerre.
Ben Gurion était très inquiet sur ce point et les seules batailles entre la Légion arabe et les forces juives étaient locales et ont eu lieu dans le secteur de Jérusalem, le seul territoire discuté entre les deux camps.


Mais Morris a abandonné sa cape d’historien et a endossé l'armure d'un chauvin juif qui veut que la Terre d'Israël soit entièrement nettoyée des Arabes.

Jamais auparavant une personnalité publique juive n’avait exprimé ces sentiments si clairement que le Professeur Morris. Et afin d’ être entièrement lucide sur ce point il a dessiné une analogie entre Israël et l'Amérique du Nord : "Même la grande démocratie américaine n’aurait pas pu être créée sans l'annihilation des Indiens. Il y a des cas où le bien général et final justifie les actes cruels qui sont commis au cours de l’histoire."

Je ne connais pas aujourd'hui d'historien américain ou spécialiste des sciences humaines qui reconnaît que l'annihilation de la population indigène du continent était une condition nécessaire pour la nation américaine ou la constitution de la démocratie américaine. Et ceux-ci sont des faits et non pas du "politiquement correct" comme Morris aime appeler des arguments qu'il ne peut pas nier.


Cependant la question n’est pas à propos de ce qui est arrivé dans le passé mais plutôt à propos des pensées irréalistes de Morris et de sa prophétie sur l'avenir.

A la question de l'interviewer si Morris préconise une nouvelle purification ethnique aujourd'hui il répond :
"Si vous me demandez si je suis d’accord avec le transfert et l'expulsion des Arabes de la Cisjordanie , la Bande de Gaza et peut-être même de la Galilée et le Triangle [Israël], je dis non aujourd’hui.
Je ne désire pas être un associé à cet acte. Dans les circonstances présentes, il n'est ni morale, ni réaliste.
Le monde ne l’autoriserait pas, le monde arabe ne le permettrait pas, il détruirait la société juive de l'intérieur. Mais je suis prêt à vous dire que dans d'autres circonstances, des circonstances apocalyptiques, qui sont susceptibles d'être comprises dans cinq ou dix ans, je peuvent voir des expulsions.
Si nous nous trouvons avec des armes atomiques autour de nous, ou s'il y a une attaque arabe générale sur nous et une situation de guerre sur le front avec des Arabes en arrière plan tirant sur des convois sur leur chemin au front, les actes d'expulsion seront entièrement raisonnables. Ils pourraient même être essentiels.»


Ce scénario du Jugement dernier dessiné par Morris est si fantastique non seulement parce que les citoyens palestiniens d'Israël ont prouvé, malgré des conditions très dures et une discrimination des générations, leur "fidélité" à l'Etat, mais aussi parce que l'existence d’une population arabe dense dans la bande étroite de la Terre Sainte est la meilleure assurance qu'Israël a contre une attaque nucléaire ou des armes de destruction massive.

Autrement, Morris est incapable de comprendre pour l’instant que des armes nucléaires, biologiques et chimiques ont été utilisées dans le contexte du Moyen-Orient par n'importe quel camp, il est déjà trop tard pour sauver quoi que ce soit dans la région.


Mais la haine envers les Arabes, leur société et culture écrase n'importe quelle logique dans les pensées de Morris.

Les Palestiniens sont "les barbares qui veulent prendre nos vies. Les gens que la société palestinienne envoie pour effectuer des attaques terroristes… À l'heure actuelle, cette société est dans l'état d'être un tueur en série. C'est une société très malade. Elle devrait être traitée de la manière dont nous traitons les individus qui sont des tueurs en série."

Après trente-cinq ans d'oppression, la colonisation de leur terre, l’expropriation de leur eau, ignorant presque toutes leurs libertés, la détention administrative de dizaines de milliers de Palestiniens, la destruction systématique de leur infrastructure sociale et matérielle, c'est plus qu'ironique de parler des Palestiniens comme de barbares et comme société malade.

Si la société palestinienne est malade, qui est responsable de cette maladie et quelle société est plus malade et le tueur en série institutionnalisé ?

L'avis de Morris est plein de contradictions : Avant de décrire "la barbarie" palestinienne il a décrit le conflit entier comme "en comparaison des massacres qui ont été commis en Bosnie, c'est des cacahouètes. En comparaison des massacres que les russes ont commis contre les allemands à Stalingrad, dérisoire."

À ceci, on peut ajouter le bombardement américain de Dresden en décombres et d'autres actes atroces innombrables commis par "les Occidentaux" et d'autres non-Arabes pour conclure sur qui sont "les barbares".

Ou après la description des viols et les massacres commis par les Juifs il fait des remarques :"il s'avère qu'il y avait une série d'ordres publiés par le Haut Comité Arabe et par les niveaux intermédiaires palestiniens pour enlever les enfants, les femmes et les personnes âgées des villages".

Morris interprète ceci comme la preuve que beaucoup d'entre ceux qui se sont enfuis des villages l’ont fait suite à l’encouragement du leadership palestinien lui-même, ce qui prouve que les Juifs n'étaient pas tellement responsables du nettoyage.

Morris ne peut pas comprendre ce qui est évident : qu'est-ce qui pourrait être plus humain, face aux viols et aux massacres, que l'évacuation des femmes et des enfants d'une zone de guerre ?

Ainsi, de nouveau les victimes palestiniennes non-humaines sont responsables des conséquences. Pour dire qu'il applique une double norme est une sous-estimation sérieuse.

De la même manière, Morris échoue à poser les bonnes questions à propos du sommet de Camp David qui a échoué. Si la stratégie palestinienne est de détruire Israël par étapes, pourquoi n'ont ils pas accepté "les offres les plus généreuses" d'Ehud Barak, comme cela a été décrit dans l'interview célèbre de Morris avec Barak dans le New York Review of Books (le 13 juin 2002) ?

Mais on ne peut pas demander une grande logique lors d’une explosion émotionnelle d’un archiviste, lorsqu’il essaye de monter une image générale et logique de ses milliers de détails.


Alors il se tourne vers ses propres préjugés et stéréotypes de la culture Islamique et Arabe qui sont à la mode et s’adaptent parfaitement aux caprices d’aujourd’hui des Juifs Israéliens et de quelques parties de la culture politique occidentale depuis la tragédie du 11 septembre.

Mais l'historien n'adopte pas seulement l'humeur collective en l'exprimant, il fournit aussi la légitimité historique et intellectuelle à l'impulsion la plus primitive et autodestructive d'une société très dérangée. Peut-être est il indicatif qu’à la question de l'interviewer - "si le Sionisme est si dangereux pour les Juifs et si le Sionisme rend les Arabes si misérables, peut-être, était-il (depuis le début) une erreur ?"

Morris n’a aucune réponse sensée.

Source : http://hnn.us/articles/3166.html

Traduction : MG/BM

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