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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

« Ils n’existent pas » (laysa lahum wujud, 1974) de Mustafa Abu Ali

Par

Annemarie Jacir a réalisé en 2008 le film "Le Sel de la Mer".

A la fin des années 1960, un groupe de jeunes arabes, hommes et femmes, qui se consacraient à la lutte pour la liberté palestinienne, a choisi de contribuer à la résistance par la réalisation de films – sur leurs vies, leurs espoirs et leur combat pour la justice. Travaillant à la fois sous le mode de la fiction et du documentaire, ils se sont efforcés de raconter les histoires de la Palestine et de créer une nouvelle forme de cinéma.
Ce groupe de cinéastes comprenait les fondateurs Mustafa Abu Ali, Sulafa Jadallah, et Hani Jawhariya, et d’autres : Khadija Abu Ali, Ismael Shammout, Rafiq Hijjar, Nabiha Lutfi, Fuad Zentut, Jean Chamoun et Samir Nimr. La plupart d’entre eux étaient réfugiés, exilés de leurs maisons en Palestine. Et il y avait également des camarades arabes qui étaient solidaires, consacrant leur travail à une juste cause. Leurs films ont été projetés dans tout le monde arabe, et au niveau international, mais jamais en Palestine. Aucun des réalisateurs n’a été autorisé à entrer en Palestine, ou dans ce qui est devenu Israël, même pas leurs épreuves en celluloïd.

Plus de trente ans plus tard, leurs films n’avaient toujours pas été projetés en Palestine. En tant que directeur artistique du festival cinématographique The Dreams of a Nation en Palestine en 2003, je savais qu’il était à la fois opportun et essentiel d’essayer d’ouvrir le festival avec ces films au cœur de la Palestine Jérusalem – pour honorer le travail de ces réalisateurs courageux.

J’avais recherché les films originaux et leurs réalisateurs pendant plusieurs années, et en 2000, j’avais finalement réussi à localiser Kais Al-Zubaidi, qui faisait partie du groupe de cinéastes, et qui vit aujourd’hui à Berlin. Nous avons projeté son film Palestine, A People’s Record (1984) au premier festival du film palestinien, à New-York. Al-Zubaidi est aussi réalisateur, cameraman et chercheur et il se consacre au cinéma palestinien.

En 1982, l’armée israélienne a envahi le Liban et les archives des films palestiniens ont disparu, ainsi que le reste des collections de l’héritage culturel de l’OLP. Al-Zubaidi avait cherché activement le film perdu pendant de nombreuses années et avait réussi à en retrouver quelques-uns – qu’il conserve maintenant dans une archive à Berlin. L’archive du film palestinien à Beyrouth « était manquante en 1982. Certains disent qu’elle a été détruite, d’autres que les films ont été emportés par l’armée israélienne et qu’ils existent peut-être encore, » dit-il. Al-Zubaidi nous a généreusement prêté les films pour la première projection en Palestine.

Les deux films que j’ai choisis de projeter furent Return to Haifa (1981), du réalisateur Kassem Hawal, et They Don’t Exist (1974) de Mustafa Abu Ali. Ils sont tous les deux centraux dans l’histoire de notre cinéma.

Basé sur le roman de Ghassan Kanafani et sur des fonds entièrement palestiniens (collectés par le Front Populaire de Libération de la Palestine), le film Return to Haifa est souvent cité comme « le premier film palestinien de fiction », bien que le réalisateur ne soit pas réellement palestinien. Au nord du Liban, les Palestiniens vivant dans les camps de réfugiés ont fourni « les capitaux, l’aide et l’enthousiasme » au projet de film. Trois mois après le début du tournage, dans la région de Tripoli, l’équipe de production a lancé une vaste campagne de sensibilisation dans les camps de Nahr el-Bared et d’Al-Bedawi. Des réunions ont été organisées sur les places, dans les ateliers et même dans les mosquées après les prières du vendredi. Pour la seule scène de l’exode, qui ouvre le film, ils ont eu entre 3.000 et 4.000 figurants de tous âges, des centaines d’habits traditionnels que les Palestiniens des camps de réfugiés avaient conservés, des vieilles voitures, des dizaines de bateaux de pêche (que les pêcheurs libanais ont prêtés pour la journée). Au matin du 23 août 1981, tout était prêt, et « comme par miracle le port de Tripoli s’est mis à ressembler à celui d’Haifa en 1948. »

Le second film a été réalisé par Mustafa Abu Ali en 1974, et son titre vient de la remarque faite par Golda Meir que « les Palestiniens n’existaient pas » (1). Abu Ali, un des premiers réalisateurs palestiniens et fondateur de la division cinématographique de l’OLP, a commencé sa carrière en Jordanie en 1968, avec Sulafa Jadallah et Hani Jawhariya. Après Septembre Noir, Abu Ali et ses collègues ont dû quitter la Jordanie mais ont continué à réaliser des films sur la résistance au Liban.

Voir le film "They Don't Exist", 25', en arabe et sous-titres en anglais.

Abu Ali a pu revenir en Palestine après la signature des Accords d’Oslo, après 47 ans d’exil en tant que réfugié. Cependant, la loi israélienne lui interdit de vivre, ou même de visiter, sa ville natale de Maliha (dans le district de Jérusalem) et il doit vivre à Ramallah – à seulement 15 kms. Maliha a été attaquée en juillet 1948 et partiellement détruite par les forces sionistes. Tous les habitants, dont Abu Ali, ont subi un nettoyage ethnique et sont devenus des réfugiés jamais autorisés à revenir chez eux. Aujourd’hui, la plupart des Israéliens ne connaissent l’endroit que comme le Centre commercial Malcha, ou Kenion.

La contribution d’Abu Ali au cinéma palestinien est importante, ainsi que sa contribution au cinéma international. Il a travaillé avec Jean-Luc Godard, qui a toujours dit que son âme était palestinienne, sur le film Ici et Ailleurs (1976).

Godard est “un grand cinéaste, engagé, créatif et imaginatif. Nous nous sommes efforcés touts les deux de trouver le langage cinématographique juste et approprié à la lutte pour la liberté, » dit Abu Ali.

Naturellement, j’ai souhaité que Mustafa Abu Ali soit présent à la première de la projection de son film à Jérusalem. Nous avons fait une demande d’autorisation aux Autorités israéliennes pour que Mustafa puisse faire les 15 kms qui le séparent de Jérusalem. Le permis a été refusé. Nous avons essayé à nouveau, en vain.

Alors nous avons décidé de le faire venir quand même.

Nous avons organisé le trajet avec plusieurs voitures qui devaient l’emmener et le laisser aux divers checkpoints ; d’autres voitures l’attendaient de l’autre côté pour l’emmener au prochain checkpoint. J’ai demandé à un journaliste étranger, un ami qui vit à Ramallah, d’accompagner Abu Ali pendant tout le trajet – pas seulement pour lui tenir compagnie mais aussi pour s’assurer de sécurité vis-à-vis de l’armée israélienne (si tant est que sa sécurité pouvaient être assurée). Il y eut inévitablement des problèmes qui ont conduit à du retard. Un trajet de 20mns prend maintenant plusieurs heures. Ensemble, Abu Ali et le journaliste ont traversé les barrières, marché à travers champs, grimpé des collines et sont finalement arrivés à Jérusalem. A son arrivée, Abu Ali, reprenant son souffle, a dit : « On avait coutume de dire ‘l’art pour la lutte’, maintenant c’est ‘la lutte pour l’art’ ! »

Pendant que le public et les organisateurs attendaient nerveusement à Jérusalem, un journaliste de Sight and Sound rapportait : "Le réalisateur de documentaire Abu Ali Mustafa, pendant ce temps, était coincé de l’autre côté, en chemin vers la projection, pour l’ouverture du festival, de son film de 1974 They Don’t Exist, dans un cinéma improvisé dans les locaux du YMCA à Jérusalem Est.” Nous projetions son film dans un théâtre que nous avions construit nous-mêmes au YMCA, parce que les autorités israéliennes avaient obligé les cinémas et les théâtres palestiniens à fermer pendant la Première Intifada des années 1980.

Un Mustafa Abu Ali épuisé mais rayonnant est finalement arrivé à Jérusalem pour l’ouverture du festival. They Don’t Exist fut projeté pour la première fois en Palestine devant une salle bondée, et Abu Ali a pu voir son propre film pour la première fois en vingt ans. Pour lui, ce fut un moment de réflexion sur « cette période des années 1970 où j’essayais de développer un nouveau langage pour le cinéma militant. » Voir le film à Jérusalem fut quelque chose qu’« il n’avait jamais osé espérer. » Mustafa Abu Ali, a soixante-trois ans, était entré dans sa propre ville, illégalement mais avec fierté.

Kassem Hawal, le réalisateur de Return to Haifa, comme beaucoup d’autres, ne peut pas entrer en Palestine, mais son film l’a fait – un film qui fait la chronique du retour à une ville dans un pays qui était jadis ouvert, basé sur le libre d’un écrivain palestinien exilé qui n’a jamais été autorisé à revenir chez lui. Voir Return to Haifa était plein de sens pour les spectateurs de Jérusalem – une ville où nos livres ont été interdits, nos théâtres fermés, et où nous suffoquons sous une occupation militaire, et l’ambiance dans le théâtre cette nuit-là fut extraordinaire.

Nous avons réussi à organiser une projection publique de deux des films les plus importants du cinéma de la résistance palestinienne plus de trente ans après leur production pour la première fois en Palestine – les films étaient enfin rentrés chez eux.


(1) Golda Meir, Premier Ministre sioniste de 1969-1974 :
- « Comment pouvons-nous rendre les territoires occupés ? Il n’y a personne à qui les rendre ! » (8 mars 1969)
- « Il n’y a pas de peuple palestinien. Ce n'est pas comme si nous arrivions et les chassions de leur propre pays. Ils n'existent pas ! » (Sunday Times – 15 Juin 1969)

Source : UBUweb

Traduction : MR pour ISM

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