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4 janvier 2017
Par Mounir Shafiq
Mounir Chafiq est un intellectuel et résistant palestinien. Né en 1936 à Jérusalem, il est l’un des membres fondateur de la Saja, la Brigade étudiante du Fatah, formée au Liban dans les années 70. Issue de la gauche du Fatah, elle a intégré des références islamiques après la révolution iranienne. Elle a joué un rôle dans l’émergence du Hezbollah et du Mouvement du Jihad islamique en Palestine. Les propos de Mounir Chafik ont été recueillis en novembre 2016 par Lina Kennouche et Tayeb El Mestari. Cet entretien a été publié dans le numéro de Janvier 2017 du mensuel Afrique-Asie (n°134).
Pour l’intellectuel Mounir Chafiq, les Palestiniens peuvent aujourd’hui sortir de la logique défensive pour adopter une stratégie offensive. Cette fois-ci, en privilégiant l’insurrection populaire, sans négliger les opérations militaires ponctuelles.
10 octobre 2015 à Al-Khalil, après les funérailles de Mohammed Fares al-Jaabari, assassiné la veille par les forces sionistes, les jeunes Palestiniens affrontent l’armée d’occupation. (AFP/Hazem Bader)
Quel est l’impact aujourd’hui des conflits régionaux sur la cause palestinienne ?
Porter un jugement en partant des apparences donne l’impression que ce conflit profite largement à Israël et qu’il dessert la cause palestinienne. Or, si l’on s’attache à la configuration globale et à l’analyse en profondeur, il en ressort, au contraire, que ce conflit n’a pas d’effets aussi désastreux. Cette appréciation s’appuie sur l’observation d’un changement dans les rapports de force internationaux, notamment sur le constat du grand affaiblissement à la fois d’Israël, des Etats-unis et des puissances occidentales.
Historiquement, la cause première de toutes les défaites arabes et palestinienne est directement liée à la supériorité militaire de l’armée israélienne et du camp occidental en général. Il faut tenir compte de trois phénomènes importants :
- l’hégémonie américaine et occidentale sur le monde est en perte de vitesse,
- l’armée israélienne au cours de ces 10 dernières années a subi 4 défaites (une au Liban, trois à Gaza)
- et, enfin, des indicateurs montrent une certaine dégénérescence interne de l’entité sioniste. En réalité, le constat est plutôt favorable à la cause du peuple palestinien.
Quels sont les signes d’affaiblissement de l’Etat d’Israël aujourd’hui ?
Le leadership israélien actuel n’a pas de vision, il est décrédibilisé, faible et incomparable avec le leadership à l’origine de la création d’Israël. La coalition israélienne au pouvoir est devenue extrêmement fragile : si un petit parti se retire, la coalition s’effondre. La promesse de Netanyahou faite aux Etats-unis de ralentir le rythme de la colonisation n’est pas réalisable parce que cette décision provoquerait le retrait des partis religieux et d’extrême droite et donc l’effondrement du gouvernement. L’armée israélienne est une armée qui ne se bat plus, elle a été vaincue au cours de 4 guerres, et s’est progressivement transformée en forces de police. De même, la société israélienne ne peut plus être comparée à celle de l’époque des « pionniers », où nous avions à faire à un groupe très idéologique, un mouvement sioniste qui mobilisait réellement les colons israéliens.
L’état de la société israélienne a évolué. Il y a deux mois, un jeune Palestinien de 48 a tué deux Israéliens lors d’une opération à Tel Aviv. Il a fui et s’est caché pendant une semaine, moment durant lequel la vie s’est arrêtée à Tel Aviv. Les Israéliens n’osaient plus sortir, jusqu’à ce que des forces de l’occupation le retrouvent et le tuent dans son village. Il y a 10 ans, en dépit des opérations kamikazes, les Israéliens n’avaient pas peur de circuler. Quelques heures après un attentat, la vie reprenait son cours normal. La société israélienne est une société qui vit aujourd’hui dans la peur. S’additionnant aux défaites militaires, toutes ces données sont des symptômes de l’affaiblissement de l’entité sioniste. L’ensemble de ces appréciations conduit à la conclusion que la cause palestinienne se porte bien mieux qu’auparavant, contrairement à ce que prétendent les analyses dominantes.
L’émergence d’un monde multipolaire a-t-elle contribué à l’affaiblissement des puissances occidentales et au renforcement des causes des peuples du sud et notamment du peuple palestinien ?
Sans aucun doute. Le déclin de la puissance américaine a ouvert la possibilité d’émergence d’un monde multipolaire. Le changement du rapport de force est toujours lié à l’affaiblissement de la puissance dominante. Dans cette configuration apparaissent d’autres possibilités et, réciproquement, l’émergence de nouveaux pôles va davantage renforcer l’affaiblissement des Etats-unis. Il existe donc une relation dialectique entre les deux. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que les Etats-unis, les pays arabes, les Nations unies, l’Union européenne, l’ensemble des acteurs politiques qui cherchaient à régler le sort des Palestiniens n’ont pas pu parvenir à un accord définitif et négocié. Les accords d’Oslo étaient à la fois contraires aux constantes nationales et aux intérêts du peuple palestinien.
La seule voie qui s’impose à nous aujourd’hui est la voie d’une relance de la lutte pour ouvrir de nouvelles perspectives sur la base de ces constantes nationales palestiniennes. L’appréciation dominante estime que les évolutions dans le monde arabe marginalisent la cause palestinienne. Je pense, au contraire, que le contexte actuel offre des opportunités pour la lutte du peuple palestinien. Gaza par exemple se renforce et devient un bastion militaire encore plus imprenable qu’en 2014, malgré le siège.
Je pense également qu’il y a une possibilité en Cisjordanie pour développer un mouvement insurrectionnel qui prendrait la forme d’une intifada généralisée et d’une désobéissance civile, imposant à terme un retrait israélien inconditionnel et un démantèlement des colonies. Bien sûr, des obstacles persistent dans la voie de la mise en œuvre d’une telle stratégie, et l’un des principaux est la collaboration sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et les forces d’occupation. La position de Mahmoud Abbas, opposé à l’intifada, constitue un blocage, mais surmontable à terme. Par ailleurs, certaines organisations politiques de la résistance n’ont pas encore saisi l’importance de cette stratégie et peinent à passer de la stratégie de la lutte armée à une stratégie de mobilisation populaire massive en vue d’une révolte généralisée en Cisjordanie et à Gaza, qui pourrait être soutenue par des opérations militaires.
Retrouvez l’entretien dans son intégralité sur le site du Comité Action Palestine , avec les réponses de Mounir Chafiq aux questions :
- Dans ce contexte global, quel est le sens de l’intifada des couteaux ? N’est-elle pas l’expression du génie populaire?
- A la lumière de ces faits, peut-on affirmer que le contexte aujourd’hui en Palestine est un contexte révolutionnaire ?
Source : Comité Action Palestine
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